Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/lesoeuvreslibert02cyra (#fc * â w 6 LES ŒUVRES LIBERTINES CYRANO DE BERGERAC LE LIBERTINAGE AU XVIIe SIECLE I. — Le Procès du poète Théophile de Viau (11 juillet 1623-1"' septembre 1625), publication intégrale des pièces inédites des Archives nationales, portraits et fac- similé, 2 volumes in-8 de XLVI, 592 et 448 pp., tiré à 500 exemplaires numérotés. Ouvrage honoré d'une souscription du Ministère de l'Instruction publique. — Prix Saintour, de l'Académie française, 1910. II. — Disciples et successeurs de Théophile de Viau. La Vie et les Poésies liber- tines inédites de Des Barreaux (1599-1673) et de Saint-Pavin (1595-1670). In-8 de XIV et 551 pp., tiré à 500 exempl. numérotés. III. — Une seconde révision des œuvres du poète Théophile de Viau (corrigées, diminuées et augmentées), publiée en 1633 par Esprit Aubert, chanoine d'Avignon, suivie de pièces de Théophile qui ne sont ni dans l'édition d'Esprit d'Aubert (1633), ni dans celle d'Alieaume (1855). In-8 de 145 pp., tiré à 205 exempl. IV. — Les recueils collectifs de poésies libres et satiriques publiés depuis 1600 jusqu'à la mort de Théophile (1626). Bibliographie de ces recueils et bio-bibliographie des auteurs qui y figurent donnant : 1° L'historique et la description de chaque recueil. — 2° Les pièces de chaque auteur (titre et premier vers) avec une notice et une bio- graphie dudit auteur. — 3° Une table générale des pièces anonymes avec le nom des auteurs pour celles qui ont pu être attribuées, etc, Suivie, 1° Du dépouillement : d'un recueil satirique jjublié à l'étranger: Les Epitaphia joco-seria ; des Ms. 884 et 24.322 de la Bibl. Nat. ; du Ms. Villenave (Le Petit Cabinet de Priape) ; de partie du Ms. Gonrart, 4.123 (Sonnets gaillards et priapiquesj ; du Ms. L'Estoile (Recueil bigarré du grave et du facétieux) . — 2° D'une table des pièces non signées de ces Ms. qui ne se trouvent pas à la Table des pièces anonymes des recueils libres et satiriques. — 3° Des poésies inédites de Berthelot, Régnier et Sigognes du Ms. 534 du Musée Condé. In-4e de 8 ff. et 601 pp., tiré à 305 exempl. numérotés. Mention très honorable (Prix Brunet, 1915) de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres. V. — Les Œuvres libertines de Claude Le Petit, Parisien, brûlé le l*r septembre 1662, précédées d'une notice biographique : L'Escole de l'Interest. — L'Heure du Berger. — Le Bordel des Muses (poésies diverses, Paris ridicule, Madrid ridicule, etc..) In-8 de lvii et 244 pp. Tiré à 202 exempl. numérotés. VI. — Les chansons libertines de Claude de Chouvigny, baron de Blot-1'Eglise, avec leur musique, précédées d'une notice biographique et suivies de couplets de ses amis. In-8 de xlviii et 145 pp. Tiré à 280 exempl. numérotés. VII. — Mélanges : Trois grands procès de libertinage : L'Ancêtre, Geoffroy Vallée, et La Béatitude des C hresliens (1593) ; Jean Fontanier, et Le Trésor inestimable (1621) ; Michel Millot et Jean L'Ange : L'Escole des Filles (1055). — Une victime de Henri IV, le comte de Beaumont-Harlay et mademoiselle de La Haye, 1607. — Claude Belurgey, l'auteur présumé des Quatrains du Déiste, 1620. — Les Exercices de ce Temps et leur auteur, 1617 (?). — Voltaire et le curé Meslier, etc., etc. In-8 de 315 pp. VIII. — Les Œuvres libertines de Cyrano de Bergerac, précédées d'une notice. Tome premier. L'Autre Monde : I. Les Estats et Empires de la Lune; II. Les Estats et Empires du Soleil. Première édition contenant tous les passages supprimés des Estais et Empires de la Lune d'après les Ms.de Paris et de Munich, avec les variantes de l'imprimé de 1657. Tome second. Le Pédant joué, texte du Ms. de la Bibl. Nat. ; La Mort d'Agrippine ; Lettres, texte duMs.de la Bibl. Nat., avec les variantes de l'imprimé de 1654; Maza- rinades, etc. POUR PARAITRE PROCHAINEMENT : IX. — Les Œuvres libertines de Jean Dehénault, le maître de Madame Des Hou- lières, précédées d'une notice. X. — Disciples et successeurs de Cyrano de Bergerac : L'Œuvre libertine de Gabriel de Foigny : La Terre australe connue, précédée d'une notice et suivie d'extraits de L Histoire des Sévarambcs, de Denis Veiras ; de L'Ile de Cale java, de Claude Gilbert, et des Voyages et Avanturcs de Jacques Masse, de Tyssot de Patot, avec notice. LE LIBERTINAGE AU XVIIe SIECLE LES ŒUVRES LIBERTINES DE CYRANO DE BERGERAC PARISIEN (1619-1655) PRÉCÉDÉES D'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE par Frédéric LACHÈVRE TOME SECOND Le Pédant joué, comédie, texte du Ms. de la Bibl. nat., avec les variantes de l'imprimé de 1654. — La Mort d'Agrippine, tragédie. — Les Lettres, texte du Ms. de la Bibl. nat., avec les var. de 1654. — Les Maza- rinades : Le Ministre d'Etat flambé ; Le Gazettier des-interressé, etc. — Les Entretiens pointus. — Appendice : Le Sermon du curé de Colignac, etc. n^tt It-.M-^ PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION Edouard Champion 5, Quai Malaquais. 1921 ^ iXI Copyright by F. Lachèvre, 1921 LE PEDANT JOUE COMÉDIE La date de la composition du Pédant joué est à peu près fixée, on peut la placer dans les derniers mois de l'année 1645 ou au début de 1646. Cette pièce était achevée et connue bien avant 1649 , il en est question dans Le Parasite mormon (1), satire contre Pierre de Montmaur attribuée à l'abbé La Mothe Le Yayer par l'abbé de Marolles, et à Ch. Sorel par M. Emile Roy. C'est certainement l'abbé La Mothe Le Vayer fils, l'ami de Cyrano, qui a écrit le passage suivant auquel nous venons de faire allusion : « Ha ! croyez-vous de bonne foi que le Don Quichot, le Berger extra- vagant, les Visionnaires, la GigantomacJiie (2) et Le Pédant joué aient moins acquis de gloire à leurs auteurs que pourroient avoir fait les Ouvra- ges les plus sérieux de la philosophie ? Non, non... » Le Pédant joué- n 'est pas, comme on l'a cru jusqu'ici, une comédie dont le plan appartient en propre à Cyrano — cet ennemi des plagiaires — mais bien, comme l'a indiqué M. Emile Roy, l'adaptation d'une petite pièce de Lope de Vega, publiée en 1644 : L'Enlèvement d'Hélène (3) dont voici le scénario : « Un médecin très avare est père d'une jolie fille, aimée de l'étudiant Paez. Il permet aux deux amoureux de représenter devant lui, le jour de sa fête, une comédie : L Enlèvement d'Hélène. Paez invite sa partenaire à le suivre sur son vaisseau ; comme Hélène préfère une voiture, il en ramène une de chez le loueur, y monte avec elle et se sauve avec la caisse du médecin. Celui-ci les rattrape dans une auberge et accepte en mau- gréant les faits accomplis ». Inutile, dit M. Emile Roy, d'indiquer les rapprochements, tout l'essentiel de la comédie de Cyrano est là (4). (1) 1650 (s. 1.). (2) Le Berger extravagant de Ch. Sorel, Les Visionnai/ es de Des Marets de Saint- Sorlin, La Gigantomachie de Scarron. (3) La vie et les œuvres de Charles Sorel, sieur de Souvigny (1602-167b), 1891. (4) L'analyse du Pédant joué est très développée dans la thèse de Pierre Brun : Cyrano de Bergerac, sa vie et ses œuvres, 1893. 6 NOTICE SUR LE PEDANT JOUÉ Quant aux personnages on ne peut accepter les identifi- cations de P. Lacroix. Sauf Granger qui est sans doute Jean Grangier, principal du collège de Beauvais, les autres noms choisis par Cyrano n'ont aucune signification. Il n'a jamais pu avoir la pensée de représenter dans le matamore Ghasteaufort l'ancien capitaine de la compagnie des gardes où il avait pris du service, pas plus que Gorbinelli n'a le moindre rapport avec le compilateur des Sentiments cV Amour (16G5) et des Extraits des plus beaux endroits des plus célèbres auteurs de ce temps. « LE PÉDANT JOUÉ » A-T-IL ÉTÉ REPRÉSENTÉ ? Le Pédant joué a-t-il été représenté au xvne siècle ? Toutes les présomptions militent en faveur d'une réponse négative (1). La Mort d'Agrippine est dédiée au duc d'Arpajon ; elle a eu les honneurs d'une impression séparée avec frontispice ; Le Pédant joué, an contraire, n'a pas d'épître laudative, c'est-à-dire qu'au- cun notable personnage n'a été intéressé à son sort; il se cache modestement, à la suite des Lettres, dans le volume des Œuvres diverses de 1654, et on sait que les pièces qui ne devaient pas affronter les feux de la rampe étaient toujours imprimées de la sorte. Le scandale de la représentation de La Mort d'Agrip- pine — elle avait valu à son auteur la réputation d'athée ou de fou — n'était pas fait pour inciter les comédiens à offrir im- médiatement au public un second échantillon du talent de Cyrano (2) ; comme auteur dramatique, il s'était trouvé disqua- (1) Les assertions à ce propos des historiens du théâtre français n'ont aucune importance, car il n'existe aucun témoignage contemporain d'une représentation du Pédant joué. La question reste entière et il est probable qu'il n'y sera jamais répondu affirmativement. On est désarmé en face de cette allégation de M. Ch. Livet : « On ne peut guère citer, parmi les comédies en prose du xvn° siècle, que Le Pédant joué qui ait eu du succès » ! (notice en tète de l'édition de L'Avare de Molière). M. Victor Fournel a également constaté son succès d'après le Catalogue manuscrit de Duval, travail sans la moindre autorité! Mais la palme appartient à Paul Lacroix: « On peut supposer que la comédie avait circulé manuscrite dans les collèges longtemps avant qu'elle fut représentée par les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne ; il est même pro- bable que les écoliers la représentèrent eux-mêmes, du vivant de Jean Grangier qui mourut en 1643..., il est certain que la jeunesse des écoles applaudit à l'audace inso- lente du nouvel Aristophane, qui s'était vengé de quelques corrections un peu trop cuisantes en faisant rire les élèves aux dépens du maître... » (2) Quant à croire que Le Pédant joué a précédé à la scène La Mort d'Agrippine, cette hypothèse nous semble invraisemblable. La Mort d'Agrippine n'a dû être repré- sentée que grâce à la protection du duc d'Arpajon, alors que Le Pédant joué, com- posé en 1645 ou 1646, par un pauvre diable n'ayant pas de Mécène, était condamné à l'oubli. Cyrano a manqué même de l'argent nécessaire pour le faire imprimer avant 1654. NOTICE SUR LE PEDANT JOUE / lifié du coup. De plus, la façon dont parle, dès 1650, l'abbé La Mothe Le Vayer du Pédant joué en le mettant, on l'a vu, au même rang que le Don Quichotte de Cervantes, le Berger extravagant de Ch. Sorel et la Gigantomachie de Scarron, laisse à penser que cette comédie n'avait pas encore paru sur la scène. Il est même probable que l'abbé Le Vayer a fait là tout simplement une amabilité à Cyrano. L'amitié est coutu- mière de ces coups d'encensoir ! Il nous parait également im- possible que Molière ait osé introduire dans Les Fourberies de Scapin la scène « de la galère d'un Turc » si elle était connue du public de l'Hôtel Guénégaud ou de l'Hôtel de Bourgogne. Enfin en 1671 l'avocat Gabriel Guéret regrette que quarante vers libertins aient empêché La Mort d'Agrippine de tenir long- temps l'affiche, sans mentionner Le Pédant joué dont il aurait certainement rappelé le succès. Mais" ce qui ne s'était pas réalisé au xvir9 siècle devait l'être deux cent quarante-cinq ans plus tard, et cela grâce au Cyrano de M. Rostand, non en France mais en.... Amérique, comme le prouve la publication suivante : « Le Pédant joué », comedy by Cyrano de Bergerac. With a life of Cyrano by H. B. Stanton (H. U. 1900). And a préface by Professor Ferdi- nand Bâcher. Published under t/te auspices of t/te Cercle français of Harward University . Boston, Jean de Peiffer, 115, Tremont Street, 1899. In-8. Titre, 4 pp. chiffr., 40 pp. chiff., 2 fi., puis « Le Pédant joué ». Adaptée en trois actes et avec ballets pour la treizième représentation annuelle du Cercle français de l'Université de Harward par M. C.-H.-L.-N. Bernard, Membre du corps enseignant de « Massachusetts Institute of Technology » Boston... 1899, 80 pp. chiff. Il est vrai que cette édition a été expurgée des obscénités qui trahissaient le libertin ! « LE PÉDANT JOUÉ » ET MOLIÈRE La question du plagiat de Molière, qui aurait pris au Pédant joué la scène dite de « La Galère », a fait couler beaucoup d'encre sans grand résultat. Inutile de discuter le petit roman du Pédant joué composé par Cyrano en collaboration avec Molière (1). Le plagiat existe cependant, et il serait puéril de le nier. (1) « Une tradition qui expliquerait la réponse de Molière : « Je prends mon bien où je le trouve » auquel on reprochait de s'être approprié deux scènes de la comédie de Cyrano, pour les intercaler dans Les Fourberies de Scapin, une tradition, qui 8 NOTICE SUR LE PEDANT JOUÉ On a vu que Le Pédant joué a été écrit en 1645, qu'il n'a jamais été représenté ni avant ni après son impression de 1654. Or en 1645 Molière était depuis deux ans comédien et courait la province, il ne se souvenait déjà plus d'avoir fréquenté avec Cyrano chez Gassendi ; ses préoccupa- tions étaient ailleurs. Il avait assez à faire pour apprendre ses rôles et les jouer, la vie de comédien ambulant n'étant rien moins qu'une sinécure ! Molière a seulement lu Le Pédant joué dans l'édition originale ou dans ses réimpressions qui se sont succédées de 1655 à 1670. Au moment où il a composé Les Fourberies de Scapin des réminiscences de cette pièce se sont présentées à sa mémoire, il a peut-être alors plagié inconsciemment, ou même, en le sachant, la chose n'aurait pas pris à ses yeux l'importance qu'elle a aujourd'hui aux nôtres où la recherche des sources est deve- nue une véritable hantise , comme si la même idée ne pouvait naître spontanément dans deux cerveaux. Nous sommes d'autant plus enclins à considérer celte hypothèse comme exacte que Molière n'est nullement un écrivain ayant eu des prétentions philosophiques. Le comédien, chef d'une troupe importante et auteur dramatique pour vivre , n'avait guère le temps de se livrer à des méditations de ce genre. Observateur profond et sagace, Molière, sans s'en douter, a mis de la philosophie en action. Son but a été d'amuser ses contemporains et non de leur faire la leçon ; il a cherché le succès et non les suffrages de la postérité. En voulant le grandir on le transforme. Il ne gagne rien à cette métamorphose, d'ail- leurs bien improbable, si on réfléchit un peu. LE MANUSCRIT DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE Le manuscrit du Pédant joué de la Bibliothèque nationale est impor- tant, moins pour les changements apportés à quelques scènes et les rema- niements de style dont le but a été d'affaiblir certaines expressions trop libres ou trop osées, que pour le couplet d'athéisme qui termine cette comédie, couplet ne rimant à rien, sinon à ce besoin qu'ont éprouvé tous les libertins du xvne siècle d'étonner et de scandaliser. Il y a là une de leurs caractéristiques saisie sur le vif. s'était peut-être transmise de bouche en bouche parmi les écoliers du collège de Beauvais, donne à Molière une part d'auteur dans la composition de cette pièce. En effet, si Molière, qui suivait les cours du collège de Glermont, ne fut pas le condis- ciple de Cyrano au collège de Beauvais, il le rencontra plus tard dans le cénacle philosophique de Gassendi, et peut-être au Collège Royal où Grangier attirait de nombreux auditeurs, comme lecteur professeur du roi en langue latine (P. Lacroix). LE PEDANT JOUE COMÉDIE Par M. de Cyrano Bergerac. Les passages ou les mots en italique donnent le texte du manuscrit de la Biblio- thèque Nationale, qui a été remanié pour l'impression par Cyrano lui-même. S'il s'agissait d'une œuvre purement littéraire, nous nous en serions tenu à l'édition ori- ginale de 1654, mais comme nous sommes en face d'une oeuvre libertine, la pensée entière de l'auteur doit être mise de préférence en lumière, surtout quand il a volon- tairement supprimé ou atténué les passages libres. Les additions de l'imprimé sont entre crochets. ACTEURS GRANGER, Pédant. CHASTEAUFORT, Capitan. MATHIEU GAREAU, Païsan. DE LA TREMRLAYE, Gentilhomme amoureux de la Fille du Pédant. GRANGER LE JEUNE (Chariot), Fils du Pédant. CORRINELI, Valet du jeune Granger. Fourbe. PIERRE PAQUIER, Cuistre du Pédant [faisant le Plaisant]. FLEURY, Cousin du Pédant. MANON, Fille du Pédant. GENEVOTTE, Sœur de M. de La Tremblaye. [Cuistres.] [La Scène est à Paris, au Collège de Reauvais.] LE PÉDANT JOUÉ COMÉDIE ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE GRANGER, GHASTEAUFORT GRANGER 0 par les Dieux jumeaux tous les Monstres ne sont pas en Affrique. Et de grâce, Satrape du Palais Stigial, donne-moy la définition de ton individu. Ne serois-tu point un estre de raison, une chimère, un accident sans substance, un élixir de la matière première, un spectre de drap noir ? Ha ! tu n'es sans doute que cela, ou tout au plus un grimaut d'Enfer qui fait l'école bissonnière. CHASTEAUFORT Puis que je te voy curieux de connoistre les grandes choses, je veux t'apprendre les miracles de mon berceau. Scache que la Nature voiant ger- mer au monde un essaim de petits Dieux affamez, et craignant que cestel vermine venant à pululer n infectât à la fin la Terre après le Ciel", voulut' opposer un Hercule à ces Monstres. Gela luy donna bien jusques à la har-' diesse de s'imaginer qu'elle me pouvoit produire. Pour cet effet elle em- poigna les âmes de Samson, d'Hector, d'Achille, d'Ajax, de Cirus, d'Epa- minondas, d'Alexandre, de Romule, de Scipion, d'Annibal, de Sylla, de Pompée, de Pyrrhus, de Caton, de Csesar, et d'Antoine; puis les ayant pulvérisées, calcinées, rectifiées, elle réduisit toute cette confection àb un spirituel sublimé qui n'attendoit plus qu'un foureau pour la c fourer. Nature glorieuse de son réussit ne pût gouster modérément sa joye, elle clabauda son chef-d'œuvre par tout; l'Art en devint jaloux; et fâché, disoit-il, qu'une teigneuse emportast toute seule la gloire de m'avoir engendré, la traitta d'ingrate, de superbe, luy déchira sa coiffe: Nature de son costé prit son ennemy aux cheveux ; enfin l'un et l'autre bâtit, et fut batu. Le tintamarre des démentis, des soufflets, des bastonades, m'éveilla; je les vis, et jugeant que leur démesléd ne portoit pas la mine de prendre si-tost fin, pour les mettre d'accord, je me créé moy-mesme. Depuis ce temps-là leur querelle dure encore ; par tout vous voyez ces irréconcilia- a) Var. de l'édit. originale de 1654 : La Nature se voyant incommodée d'un si grand nombre de Divinitez. — b) en. — c) s'y. — d) leurs demeslez. 12 LE PÉDANT .JOUÉ, COMEDIE bles [ennemis] se prester le colet, et les descriptions de nos Escrivains d'aujourd'huy ne sont lardées d'autre chose que des faits d'armes de ces deux gladiateurs, à cause que, prenant à bon augure d'estre né dans la guerre, je leur commanday en mémoire de ma naissance de se batre sans se reposer jusques à la fin du Monde. Nature pour guigner mes bonnes grâ- ces me présenta cette bisque de héros, je n'en fis par Dieu que deux gorgées ; Idonc afin de ne pas demeurer ingrat, je la voulus dépestrer a de ces Dieute- lets, dont l'insolence la mettoit en cervelle. Je les mandé, ils obéirent ; enfin je prononcé cet immuable Arrest : « Gaillarde troupe, quand je vous ay convoquez, la plus miséricordieuse intention que j'eusse pour vous estoit de vous annihiler ; mais craignant que vostre impuissance [ne] reprochast à mes mains l'indignité de cette victoire, voicy ce que j'ordonne de vostre sort. Vous autres Dieux qui sçavez si bien courir comme Saturne, père du temps, qui mangeant et dévorant [tout], court à l'hôpital; Jupiter qui, comme ayant la teste fêlée depuis le coup de hache qu'il receut de Vul- cain, doit courir les rues ; Mars qui comme soldat court aux armes ; Phœbus qui comme Dieu des Vers court la bouche des Poètes ; Vénus qui comme putain court l'esguillette ; Mercure qui comme Messager court la Poste ; et Diane qui comme Chasseresse court les bestes b ; vous prendrez la peine s'il vous plaist de monter tous sept à califourchon chacun sur une Estoile. Là vous courerez de si bonne sorte, que vous n'aurez pas le loisir de fermer c les yeux. » PAQUIER En effet, les Planètes sont tout justement ces sept-là. GRANGER Et des autres Dieux qu'en fistes-vous ? CHASTEAUFORT • Midy sonna, la faim me prit, j'en fis un saupiquet pour mon disner. PAQUIER « Domine », ce fut asseurément en ce temps-là, et je m'en souviens bien, que les Oracles cessèrent. CHASTEAUFORT Il est vray ; et dès lors ma complexion prenant part à ce salmigondis \de Rois et de Dieux, mes actions ont esté \onitsJœroï^iœs_ou_di^iaes^ , car si je regarde, c'est en Basilic ; car si j'engendre, c'est en Deucalion ; si je pleure, c'est en Heraclite ; si je ris, c'est en Démocrite ; si je vomis, c'est en Mont-Etna ; si j'escume, c'est en Cerbère ; si je dors, c'est en Morphée ; si je veille, c'est en Argus; si je marche, c'est en Juif-Errant; si je cours, c'est en Pacolet1 ; si je vole, c'est en financier'' ; si je m'arreste, a) 1654 : Donc afin de ne pas demeurer ingrat, je voulus dépestrer la Nature. — b) bois. — c) d'ouvrir. — d) extraordinaires. — e) Dédale. (1) C'est le nom de l'écuyer dans le vieux roman des Quatre fils Âymon. Ce nom était devenu proverbial pour désigner un homme vif, leste et bon coureur. Le valet de pied du prince de Condé se nommait ainsi. Voir l'épitre IX de Boileau (P. Lacroix). LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 13 c'est en Dieu Terme ; si je mange, c'est en cangraine ;. si je bois, c'est en esponge ; si j'ordonne, c'est en Destin; si je baise, c'est en Judas. Enfin vous voyez celuy qui fait que l'Histoire du Phœnix n'est pas un conte. GRANGER Il est vray qu'à l'âge où vous estes n'avoir point de barbe, vous me portez la mine d'estre, de mesme* que le Phœnix, incapable d'engendrer. Vous n'estes ny masculin, ny féminin, mais neutre : Vous avez fait de vostre Dactyle un Troquée, c'est-à-dire que, par la soustraction d'une brève, vous vous estes rendu impotent à la propagation des individus. Vous estes de ceux dont le sexe femel Ne peut oiiir le nominatif A cause de leur génitif, Et souffre mieux le vocatif De ceux qui n'ont point de datif, Que de ceux dont l'accusatif Apprend qu'ils ont un ablatif. J'entends que le diminutif Qu'on fit de vray trop excessif Sur vostre flasque génitif, Vous prohibe le conjonctif. Donc, puis que vous estes passif, Et ne pouvez plus estre actif, Témoin le poil indicatif Qui m'en est fort persuasif, Je vous fais un impératif De n'avoir jamais d'optatif Pour aucun genre subjunctif, De « nunc » jusqu'à l'infinitif, Ou je fais sur vous l'adjectif Du plus effrayant positif Qui jamais eut comparatif: Et si ce rude partitif, Dont je seray distributif Et vous le sujet collectif, N'est le plus beau superlatif, Et le coup le plus sensitif Dont homme soit mémoratif, Je jure par mon jour natif Que je veux pour ce seul motif Qu'un sale et sanglant vomitif, Surmontant tout confortatif, a) 1654 : aussi bien. 14 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE Tout lénitif, tout restrictif Et tout bon corroboratif, Soit le chastiment primitif Et l'effroyable exprimitif D'un discours qui seroit fautif, Car je n'ay le bras si chétif, Ni vous le talon si fuitif, Que vous ne fussiez portatif D'un coup bien significatif. 0 visage I 6 portrait naïf ! 0 souverain expéditif Pour guérir tout sexe lascif D'amour naissant ou effectif: [0] Genre neutre, genre métif, Qui n'estes homme qu'abstractif, Grâce à vostre copulatif Qu'a rendu fort imperfectif Le cruel tranchant d'un ganif ; Si pour soudre1 ce Logogrif Vous avez l'esprit trop tardif, A ces mots soyez attentif : Je fais vœu de me faire Juif Au lieu d'eau de boire du suif, D'estre mieux damné que Caïf, D'aller à pied voir le Ghérif, De me rendre à Tunis captif, D'estre berné comme escogrif, D'estre plus maudit qu'un Tarif*, De devenir ladre et poussif, Bref par les mains d'un sort hâtif Couronné de Ciprès et d'If, Et passer du a mortel Esquif Au païs où l'on est oisif : Si jamais je deviens rétif A l'agréable exécutif Du vœu dont je suis l'inventif, Et duquel le préparatif Est, beau Sire, un baston massif Qui sera le dissolutif De vostre demy-substantif : Car c'est un h vouloir décisif Et mon testament, mort, ou vif. a) 1654 : Passer dans le. — b) mon. (1) Pour résoudre (solvere) (P. L.). — (2) Taxe des marchandises à l'entré* des villes et sur les marchés (id). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 15 Mais vous parler ainsi, c'est vous donner à soudre les emblèmes d'un Sphinx ; c'est perdre sou huile et son temps ; c'est escrire sur la Mer, bastir sur l'Arène ' et fonder sur le Vent. Enfin je connois que si vous avez quelque teinture des Lettres, ce n'est pas de celle des Gobelins *, car par Jupiter Ammon, vous estes fou a. CHASTEAUFORT De Lettres ! ah que me dites-vous ? Des âmes de terre et de boue pourroient s'amuser à ces vétilles ; mais pour moy je n'escris que sur les corps humains. GRANGER Je le voy bien. C'est peut-estre ce qui vous donne envie d'appuyer vostre plume charnelle sur le parchemin vierge de ma fille. Elle n'en seroit pas contristée, la pauvrette ; car une femme aujourd'huy aime mieux les bestes que les hommes, suivant la règle « as petit haec » 3. Vous aspirez aussi bien qu'Hercule à ses Colones yvoirines * ; mais l'orifice, l'orée, et l'ourlet de ses guestres, est pour vous un « Ne plus ultra » \ Première- ment à cause que vous estes Veuf d'une pucelle qui vous fît faire plus de chemin en trois semaines b que le Soleil en six c mois dans le Zodiaque, vous courustes du gémi ni à au chancre en huit jours, ce que l'autre ne sçauroit faire, et lors que vous pensiez n'estre encore arrivé qu'à la Vierge e, vous entrastes au Verseau sans avoir veu d'autre signe en passant que celuy du Capricorne. La seconde objection que je fais à vos argumens est que vous estes Normand ; Normandie « quasi » venue du Nort pour mandier. De vostre nation les serviteurs sont humbles ', les égaux insolens, et les mais- tres insuportables. Jadis le blason de cette Province estoit trois Faux, pour enseigner s les trois espèces de faux qu'engendre ce climat ; « scilicet » Faux-sauniers, Faux-témoins et Faux-monoyeurs ; je ne veux point de Faussaires en ma maison. La troisième, qui m'est une raison invincible, c'est que vostre bourse est malade d'un flux de ventre, dont la mienne appréhende la contagion. Je sçay que vostre valeur est recommandable, et que vostre mine seule feroit trembler le plus ferme manteau d'aujour- d'huy. Mais en cet âge de Fer on juge de nous parce que nous avons, et non pas parce que nous sommes. La pauvreté fait le crime*, et si vous me demandez « Cur tibi despicior » ? 6 je vous répons « Nunc omnibus itur ad aurum » 7. D'un certain riche laboureur la charrue m'ébloûit, et je suis tout à fait résolu que puis que « hic dat or8 ; I longum ponat » dans son « 0 commune » 9. C'est pourquoy je vous conseille de ne plus approcher ma a) 1654 : un ignorant. — b) deux jours. — c) n'en fait en huit. — d) de la Vierge. — e) en moins de vingt-quatre heures, d'où. — /) traistres. — g) monstrer. h) vice. (1) Le sable, du latin arena. — (2) La manufacture des Gobelins. — (3) Despau- tères, liv. I, de nom. gêner. — (4) Cuisses d'ivoire, au figuré, par allusion aux Colonnes d'Hercule (P. L). — (5) non au delà. — (6) Pourquoi me dédaignes-tu. ^7) Allusion au célèbre proverbe latin : non omnibus licet adiré Corinthum. (8) Celui-ci donne de l'or. Despautères, livre I, de nom. gêner. — (9) Allusion à deux règles de la prosodie de Despautères ; / longum pono... [O commune daiur.] 16 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE fille en Roy d'Egypte, c'est-à-dire qu'on ne vous voye point auprès d'elle dresser la Pyramide à son intention. Quoy que j'aime les règles de la Gram- maire, je ne prendrois pas plaisir de vous voir accorder ensemble le Mas- culin avec le Féminin ; et je craindrois que « Si duo continué jungantur fixa nec una, sit res » *, un malevole2 ninférast « Optant sibi jungere casus » 3. . CHASTEAUFORT Il est vray, Dieu me damne, que vostre fille est folle de mon amour. Mais quoy, c'est mon foible de n'avoir jamais pu regarder une" femme sans la blesser. La petite gueuse toutefois a si bien sceu friponner mon cœur ; ses yeux ont si bien sceu paillarder ma pensée, que je luy pardonne quasi i la hardiesse qu'elle a prise de me donner de l'amour. « Généreux Gentil- jhomme, me dit-elle l'autre jour, la pauvrette ne sçavoit pas mes qualitez* l'Univers a besoin de deux Alexandres b ; la race en est esteinte en vous, si vous ne me regardez d'un œil de miséricorde. Comme vous estes un Hercule °, je suis une Amazone ; faisons sortir de nous deux un Plus-que- Mars, de qui la naissance soit fatale d au genre humain et dont les armes, après avoir dispensé la mort aux deux bouts de la Terre, fassent un si puissant Empire que jamais le Soleil ne se couche pour tous les " peuples. » J'avois de la peine à me rendre entre les bras de cette passion, mais enfin je vainquis en me vainquant tout ce qu'il y a de grand au monde, c'est-à- dire que je l'aimé. Je ne veux pas pourtant que tant de gloire vous rende orgueilleux, que deveniez insolent sur les petits ; mais humiliez-vous en vostre néant que j'ay voulu choisir pour faire hautement éclater ma puis- sance. Vous craignez, je le voy bien, que je [ne] méprise vostre pauvreté ; mais quand il plaira à cette épée, elle fera de l'Amérique et de la Chine la' basse-court de vostre maison. GRANGER 0 ! Microcosme de visions fantastiques « Vade rétro », autrement, après vous avoir apostrophé du bras gauche, « Addemus s huic dexter, cui sincopa fiet ut ulter » * ; et pour toute emplastre de ces balafres, vous serez médicamenté d'un « Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas » 6. Loin donc d'icy, Prophane, si vous ne voulez que je mette en usage pour vous punir toutes les règles de l'Arithmétique. Ma colère « primo » com- mencera par la Démonstration, puis marchera ensuite une Position de a) 1654 : de. — b) Conquérans. — c) Alexandre. — d) utile. — e) ses. — f) une. — g) Addetur. '1) Despautères, Syntax., regimen genitivi. — (2) malveillant, du latin mahvolus. — (3) On retrouve dans la farce de Molière : La Jalousie du Barbouillé, scène VI, dans la bouche du Docteur, des rapprochements de cette sorte, mais Le Pédant joué est-il antérieur ou postérieur à La Jalousie du Barbouillé ? On ne sait. — (4) Despautères, lib. II, de nom. déclin. — (5) Le Pédant se souvient d'une règle de la Syntaxe de Despautères, exprimée dans ces deux vers : Quaerenti vires, sit pro ratione voluntas [Assiduusque usas magnorum grammaiicorunï] (P. L.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 17 souflets ; « Item », une Addition de bastonades ; « Hinc » *, une Fraction de bras ; « Illinc » 3, une Soustraction de jambes. De là je feray gresler une Multiplication de coups, tapes, taloches, horions, fandans, estocs, revers, estramaçons et cassemuseaux si épouvantables, qu'après ce char- cutis grand nez, grand Cam (K/ian), grand Turc, grand Muphti, grand Vizir et grand Tephterdat des plus redoutez charcutis a, l'œil d'un Linx ne pourra pas faire [la moindre] Division, ny Subdivision, de la plus grosse parcelle de vostre misérable individu. CHASTEAUFORT Et moy, chétif excommunié, j'aurois déjà fait couler h ton âme par cent playes, sans la dignité de mon Estre, qui me défend d'oster la vie à quelque chose de moindre qu'un Géant ; et mesme je te pardonne, à cause que je croy qu'infailliblement l'ignorance de ce que je suis t'a jette dans ces extravagances. Cependant me voicy fort en peine, car pouvoit-il me connoistre c, puis que pour sçavoir mon nom il ne faut qu'estre de ce monde ? Sçachez donc, Messire Jean, que je suis celuy qu'on ne peut exter- miner sans faire une Epitaphe à la Nature, et le Père des Vaillans puis qu'à tous je leur ay donné la vie. GRANGER Pardonnez, grand Prince, à mon peu de foy. Ce n'est pas... ta fierté que je révoquois en doute, mais j'avois de la peine à croire qu'un Dieu peutv/ se loger avec un homme. CHASTEAUFORT Pielevez-vous, Monsieur le Curé, je suis content. Choisissez vite où vous voulez régner, et celte main vous bastit un Trône dont l'Escalier sera fait des cadavres de six cens Roys. GRANGER Mon Empire sera plus grand que le monde quand je régnerayA sur vostre cœur. Protégez-moy seulement contre je ne sçay quel Genlillastre qui a [bien] l'insolence de marcher sur vos brisées, [et...] CHASTEAUFORT Ne vous expliquez pas, j'aurois peur que mes yeux en couroux ne jettassent des estincelles, dont quelqu'une par mégarde vous pourroit consumer. Un Mortel aura donc eu la témérité de se chauffer à mesme feu que moy, et je ne puniray pas les quatre Elémens qui l'ont souffert ! Mais je ne puis parler, la rage me transporte : Je m'en vay faire pendre le Feu, l'Eau, l'Air et la Terre, et songer au genre de mort dont nous extermine- rons ce Pigmée qui veut faire le Colosse. o) 1G54 : cela. — b) sortir. — c) méconnoistre. — d) si je règne. (1) de ce côté-ci. — (2) de ce côté-là. 18 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE SCÈNE II GRANGER, PAQUIER GRANGER Hé bien, « Petre » \ ne voilà pas une digue que je viens d'opposer aux terreurs que me donne tous les jours Monsieur de La Tremblaye ? Car La Tremblaye à cause de Chasteaufort, Chasteaufort à cause de La Tremblaye. désisteront de la poursuite de ma fille ; tous deux, car tous deux sont11 poltrons si éprouvez, que si jamais ils se battent, ils se demanderont tous deux la vie. Me voicy cependant embarqué sur une mer où la moitié du monde a fait naufrage. C'est l'amour chez moy, l'amour dehors, l'amour partout. Je n'ay qu'une fille à marier, et j'ay trois gendres prétendus : l'un se dit brave, mais j'en doute b ; l'autre riche, mais je ne sçay ; l'autre Gentilhomme, mais il mange beaucoup. 0 ! Nature, vous croiriez vous estre mise en frais, si vous aviez fagoté tant seulement trois belles qualitez en un individu. Ha ! Pierre Paquier, le monde s'en va renverser. PAQUIER Tant mieux, car autrefois j'entendois dire la mesme chose, que tout estoit renversé. Or si l'on renverse aujourd'huy ce qui estoit renversé, c'est le remettre en son sens. GRAXGER Mais ce n'est pas encore là ma plus grande playe ; j'aime, et mon fils est mon rival ! Depuis le jour que cette furieuse pensée a pris giste au ventricule de mon cerveau, je ne mange pour toute viande qu'un « pœnitet taedet, miseret » \ Ha, c'en est fait, je me vais pendre ! PAQUIER Là, là, espérez en Dieu, il vous assistera. Il assiste bien les Alle- mans qui ne sont pas de ce païs-cy. * GRANGER Si je l'envoyois à Venise ? « Haud dubiè » 3, c'est le meilleur ! C'est le meilleur ! 0 ! oiiy sans doute. Bien donc, dès demain je le mettray sur mer. PAQUIER Au moins ne le laissez pas embarquer sans attacher sur luy de l' Anis à la Reyne, car les Médecins en ordonnent contre les vents. GRANGER Va-t-en dire à Chariot Granger qu'il avole * subitement icy. S'il veut sçavoir qui le demande, dis-luy que c'est moy c. o) 1654 : Ce sont deux. — b) je sçay le contraire. — c) Le Manuscrit est incomplet de la fin de la Scène II et du début de la Scène III. (1) Pierre. — (2) Je me repens, je m'ennuie, je suis désolé. Despautère. Syntaxis, reg. XVI. — (3) sans doute. — (4) accoure. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 19 SCÈNE III GRANGER, seul. Donc sejongant ' de nos Lares ce vorace absorbeur de biens, chaque sol de rente que je soulois avoir deviendra parisis ! et le marteau de la jalousie ne sonnera plus les longues heures du désespoir dans le clocher de mon âme. D'un autre costé me puis-je résoudre au mariage, moy que les Livres ont instruit des accidens qu'il tire à sa cordelle ? Que je me marie ou que je ne me marie pas, je suis asseuré de me repentir. N'im- porte, ma femme prétendue n'est pas grande ; ayant à vestir une hère, je ne la puis prendre trop courte. On dit cependant qu'elle veut plastroner sa virginité contre les estocades de mes perfections. Hé ! à d'autres, un pucelage est plus difficile à porter qu'une cuirasse. Toutes les femmes ne sont-elles pas semblables aux arbres a « ac primo » ; comme les arbres, elles ont plusieurs testes ; comme les arbres, elles aiment cl'estre arrousées ; comme les arbres, si elles sont ou trop ou trop peu humectées, elles ne por- tent point ; comme les arbres, elles ont les fleurs auparavant que les fruits ; comme les arbres, elles déchargent quand on les secoue. Enfin, Jean Des- pantère 2 le confirme, quand il dit « Arboris est nomen muliebre » 3. Mais je croy que Paquier a beu de l'eau du fleuve « Léthé », ou que mon fils s'ap- proche à pas d'Escrevisse ; je m'en vais « obviam » * droit à luy. SCÈNE IV GHARLOT, PAQUIER CHARLOT Je ne puis rien comprendre à ton galimathias. PAQUIER Pour moy, je ne trouve rien de si clair. CHARLOT Mais enfin, ne me sçaurois-tu dire qui c'est qui me demande ? PAQUIER Je vous dis que c'est moy. CHARLOT Gomment toy ? a) 1654 : pourquoi donc ne voudroit-elle pas estre arrousée ? (1) Séparant : en latin sejungens. — (2) La grammaire latine de Jean Despautère était suivie dans tous les collèges. C'est de là que Granger tire la plupart de ses citations pédantes (Remy de Gourmont). — (3) Arbor, arbre, est un nom féminin. — (4) A la rencontre de quelqu'un. 20 LE PÉDANT JOUE, COMEDIE PAQUIER Je ne vous dis pas moy : mais je vous dis que c'est, Moy ; car il m'a dit en sortant11, dis-luy que c'est, Moy. CHARLOT Ne seroit-ce point mon Père que tu veux dire ? PAQUIER Hé ! vramant oiiy. A propos, je pense qu'il a envie de vous envoyer sur la Mer. CHARLOT Hé quoy faire, Paquier? PAQUIER Il ne me l'a point dit ; mais je croy que c'est pour voir la campagne. CHARLOT J'ay trop voyagé, j'en suis las. PAQUIER Qui, vous ? Je vay gager ce chapeau de Cocu, qui est un des vieux de vostre Père, que vous n'avez jamais veu la Mer que dans une Huistre à l'escaille. CHARLOT Et toy, Paquier, en as-tu veu davantage ? PAQUIER Ouy-da ; j'ay veu les Bons-Hommes ', Chaillot, Saint-Clou et Vaugirard. CHARLOT Et qu'y as-tu remarqué de beau, [Paquier] ? PAQUIER A la vérité, -je ne les vis pas trop bien, à cause que les maisons b m'empeschoient. CHARLOT Je pense, ma foy, que tes voyages n'ont pas esté plus longs que sera celuy dont tu me parles. Vas, tu peux l'asseurer que je ne désire pas SCÈNE V GRANGER, CHARLOT, [PAQUIER] G RANGER Que tu demeures plus long-temps icy? Viste, Chariot, il faut partir. Songe à l'Adieu dont tu prendras congé des Dieux-Foyers, protecteurs a) 1654 : partant. — b) pour ce que les murailles. (1) Le couvent des Bonshommes de Nigeon ou Minimes à Chaillot (R. de G.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 21 du toict paternel ; car demain l'Aurore porte-safran ' ne se sera pas plus- tost jettée des bras de Tithon dans ceux de Céphale qu'il te faudra fier à la discrétion de Neptun Guide-nefs. C'est à Venise où je t'envoye, « Tuus enim patruus » s m'a mandé, qu'estant orbe3 d'hoirs masles , il avoit besoin d'un personnage sur la fidélité duquel il pût se reposer du manie- ment de ses facultez. Puis [que] donc tu n'as jamais voulu t'abreuver aux Marets, Fils de l'ongle du Cheval emplumé *, et que la Lyrique harmonie du sçavant meurtrier de Pithon 5 n'a jamais enflé ta parole, essaye si, dans la marchandise, Mercure aux pieds aislez te prestera son Caducée. Ainsi le turbulent Eole te soit aussi affable qu'aux pacifiques Nids des petits Alcions ! Enfin, Chariot, il faut partir. CHARLOT Pour où aller, [mon Père] ? GRANGER A Venise, mon fils. CHARLOT Je voy bien, Monsieur, que vous voulez éprouver si je serois assez lâche pour vous abandonner, et par mon absence vous arracher d'entre les bras un fils unique. Mais non, mon Père, si vos tendresses sont assez grandes pour sacrifier vostre joye à mon avancement, mon affection sera* si forte, qu'elle m'empeschera bien de vous obéir. Aussi quoy que vous puissiez alléguer, je dcmeureray sans cesse auprès de vous et seray vostre baston de vieillesse. CHANGER Ce n'est pas pour prendre vostre advis, mais pour vous apprendre ma volonté [que je vous ay fait venir]. Donc, demain je vous emmaillote dans un Vaisseau pendant que l'air est serain ; car s'il venoit à nébulifier, nous sommes menassez par les Centuries de Nostradamus d'un temps extraordinaire/ne nt b incommode à la Navigation. CHARLOT C'est donc sérieusement que vous ordonnez de ce voyage ? Mais apprenez que c'est ce que je ne puis faire, et que je ne feray jamais. SCÈNE VI GRANGER, FLEURY, [PAQUIER] FLEURY Hé bien, mon Cousin, nostre Laboureur est-il arrivé ? ferons-nous ce mariage ? a) 1654 : est. — b) fort. (1) Crocifcra. — (2) En effet, ton oncle. — (3) privé. — (4) La fontaine de l'Hip- pocrène que Pégase fit jaillir d'un coup de sabot. — (5) Apollon, vainqueur du serpent Python. 22 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE GRANGER Hélas ! mon Cousin, vous estes arrivé sous les présagieux Auspices d'un oyseau bien infortuné. Soyez toutefois le fatal arbitre de ma blanche ou noire Fortune', et le fidèle estuy de toutes mes pensées. Ce riche gen- dre n'est pas encore venu, je l'attendois icy ; mais lors que je ne pensois vaquer qu'à la joye, je me vois investy des glaives de la douleur. Mon fils est fol, mon Cousin, le pauvre enfant doit une belle chandelle à Saint- Mathurin. FLEURY Hé ! b depuis quand ce malheur est-il arrivé ? GRANGER Hélas ! tantost comme je le caressois, il a voulu se jetter à mon visage et dessiner à mes despens le portrait d'un Maniaque sur mes joues. Il gromèle en piétinant qu'il n'ira point à Venise. Ho, ho, le voicy, cachons- nous, et l'escoutons. SCÈNE VII [CHARLOT, FLEURY, GRANGER, CUISTRES] CHARLOT Moy j'irois à Venise? et j'abandonnerois la chose pour qui seule j'aime le jour? J'iray plustost aux Enfers arracher la flame aux Furies et Pluton de son trosne ! Plustost d'un poignard j'ouvriray le sein de mon barbare Père, et plustost de mes propres mains ayant choisi son cœur dans un ruisseau de sang, j'en battray les murailles, que de soumettre mes plai- sirs aux caprices d'un vieillard hébété. FLEURY 0 ! grand Dieu, quelle rage ! CHARLOT Non, mon Père, non, je n'y puis consentir. fleury, fuyant. Liez-le, mon Cousin, liez-le ; il ne faut qu'un malheur. GRANGER Piliers de classes, Tire-gigauts, Ciseaux de Portion, Exécuteurs de Justice Latine1 ; « Adeste subito, adeste,ne dicam advolate » !. Jettez-moy à) 1654 : noire ou blanche destinée. — b) Bon Dieu ! (1) Sobriquets donnés aux valets de collège et aux cuistres : piliers de classes, parce qu'ils faisaient la police dans les salles de classe ; tire. gigots, parce qu'ils pre- naient par les jambes lécolier qu'on menait aux arrêts ; ciseaux de portions, parce qu'ils découpaient au réfectoire la part de chacun ; exécuteurs de justice latine, parce qu'ils donnaient le fouet aux coupables. — (2) Venez vite, venez, que dis-je ? volez plutôt. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 23 promptement vos bras Cuistraux a sur ce Microcosme erroné de chimères abstractives, et liez-le aussi fort que Prométhée sur le Caucase. CHARLOT Vous avez beau faire, je n'iray point. GRANGER Gardez bien qu'il n'échape, il feroit un Haricot de nos scientifiques substances. CHARLOT Mon Pèreh, encore dites-moy quel sujet vous avez de me traiter' ainsi? Ne tient-il pour vous contenter qu'à faire le voyage de Venise ? J'y suis tout prest. GRANGER Osez-vous attenter au tableau vivant de ma docte Machine, Goujats de Gicéron ! Songez à vous ; « Iratus est Rex, Reginaque, non sine causa » *. Apprenez que j'en dis moins que je n'en pense, et que « Supprimit Orator quae rusticus edit inepte » *. CHARLOT Oiiy, mon Père, je vous promets de vous obéir en toutes choses ; mais pour aller à Venise, il n'y faut pas penser. GRANGER Comment, Freslon de Collège, Rouille de mon Pain, Cangrène de ma substance, cet obsédé n'a pas encore les fers aux pieds ? Viste, qu'on luy donne plus d'entraves que Xercès n'en mit à l'Océan quand il le voulut faire Esclave. CHARLOT Ah ! mon Père, ne me liez point, je suis tout prest à partir. GRANGER Ha ! je le sçavois bien que mon fils estoit trop bien morigéné pour donner chez soyA passage à la frénésie. Va, mon Dauphin, mon Infant, mon Prince de Gales, tu seras quelque jour la bénédiction de mes vieux ans. Excuse un esprit prévenu de faux rapports ; je te promets en récom- pense d'allumer pour toi mon amour au centuple dès que tu seras là. CHARLOT Où là, mon Père? GRANGER A Venise, mon fils. CHARLOT A Venise, moy ? Plustost la mort. a) 1654 : Achillains. — b) Mais, mon Père. — c) pour... me traittez. — d) luy. (1) Mauvais vers latin que fabrique Despautères, pour donner dans sa Syntaxe un exemple de la figure appelée zeugrna. — (2) Syntaxe de Despautères : fig. IX, éclipsU. 24 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE GRANGER Au fou, au fou ; ne voyez-vous pas comme il m'a jette de l'escume en parlant ! Voyez ses yeux tout renversez dans le crâne ". Ha ! mon Dieu, faut-il que j'aye un enfant fou ! Viste, qu'on me l'empoigne ! CHARLOT Mais encore, apprenez-moy pourquoy vous me faites attacher b. UN CUISTRE Parce que vous ne voulez pas aller à Venise. CHARLOT Moy, je n'y veux pas aller? On vous le fait accroire. Hélas! mon Père, tant s'en faut, toute ma vie j'ay souhaité avec passion de voir l'Italie, et ces belles Contrées qu'on appelle le Jardin du Monde. GRANGER Donc, mon fils, tu n'as plus besoin d'Ellébore. Donc, ta teste reste encore aussi saine que celle d'un Chou cabus après la gelée. Vien m'em- brasser, vien mon Toutou, et va-t-en aussi-tost chercher quelque chose de gentil et à bon marché, qui soit rare hors de Paris, pour en faire un présent à ton Oncle ; car je te vais, tout à V heure % retenir une place au Coche de Lion. SCÈNE VIII CHARLOT, seul. Que de fâcheuses conjonctures où je me trouve embarassé ! [Après toute ma feinte], il faut encore ou abandonner ma Maistresse, c'est-à-dire mourir, ou me résoudre à vestir un pourpoint de pierre, cela s'appelle Saint-Victor ou Saint-Martin '. SCÈNE IX CORBINELI, CHARLOT CORBINELI Si vous me voulez croire, vostre voyage ne sera pas long. CHARLOT Ha ! mon pauvre Corbineli, te voilà. Sçais-tu donc bien les malheurs où mon Père m'engage ? CORRINELI Il m'en vient d'apostropher tout le « Tu autem » \ 11 vous envoyé à a) 1654 : sa teste. — b) on m'attache. — c) toute à cette heure. (1) Abbayes où les pères pouvaient enfermer leurs fils rebelles ou coupables. — (2) Tout le quant à toi, tout ce qui vous concerne. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 25 Venise ; vous devez partir demain. Mais pourveu que vous m'écoutiez, je pense que si le bon homme, pour tracer le plan de cette Ville-/à, attend vostre retour, il peut dès maintenant s'en fier à la Carte. Il vous a coin- mandé* d'acheter icy quelque bagatèle à bon marché qui soit rare à Venise, pour en faire un présent à vostre Oncle : c'est un couteau qu'il vient d'émoudre pour s'égorger. Suivez-moy seulement. ACTE II SCENE PREMIERE GHASTEAUFORT, seul. (Il s'interroge et répond luy-mesme.) Vous vous estes batu ? Et donc ? Vous avez eu avantage sur vostre ennemy ? Fort bien. Vous l'avez désarmé ? Facilement. Et blessé ? Hon. Dangereusement, s'entend ? A travers le corps. Vous vous éloignerez ? Il le faut. Sans dire adieu au Roy ? Ha, a, a. Mais cet autre, mordiable, de quelle mort le ferons-nous tomber ? De l'étrangler comme Hercule fit Anthée, je ne suis pas Rourreau. Luy feray-je avaler toute la mer sans boire ? Le monument d'Aristote est trop illustre pour un ignorant. S'il estoit Maquereau, je le ferois mourir en eau douce. Dans la flâme, il n'auroit pas le temps de bien gouster la mort. Comman- deray-je à la Terre de l'engloutir tout vif? Non, car comme ces petits Gentillastres sont accoustumez de manger leurs terres, celui-cy pourroit bien avaler b celle qui le couvriroit. De le déchirer par morceaux, ma colère ne seroit pas contente s'il restoit de ce malheureux un atome après sa mort. 0 ! Dieux, je suis réduit à n'oser pas seulement luy défendre de vivre, parce que je ne sçay comment le faire mourir ! SCÈNE II GAREAU, CHASTEAUFORT GAREAU ' Vartigué, vêla de ces mangeux depetis enfans ; la vegue2 de la Cour- tille, belle montre, et peu de rapport. o) 1654 : commande. — b) manger. (1) Cyrano a fabriqué de toutes pièces le patois de Gareau, la preuve nous en est apportée par le manuscrit de la Bibliothèque nationale; l'imprimé donne, en effet, un langage tout différent, la prononciation de nombre de mots n'est pas la même. Nous avons maintenu à Gareau le texte de l'édition originale de 1654, Le Pédant joué ayant été publié par Cyrano lui-même. — (2) la vigne de la Courtille, située sur l'emplacement actuel de la rue Rochecbouart, produisait beaucoup de raisin qui ne mûrissait pas. 26 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE CHASTEAUFORT Où vas-tu, bon homme ? GAREAU Tout devant moy. CHASTEAUFORT Mais je te demande où va le chemin que tu suis ? GAREAU Il ne va pas, il ne bouge. CHASTEAUFORT Pauvre cuistre % ce n'est pas cela que je veux savoir : je te demande si tu as fait beaucoup de chemin h aujourd'huy. GAREAU Nanain da, je l'ay trouvé0 tout fait. CHASTEAUFORT Tu parois, Dieu me damne, bien gaillard pour n'avoir pas disné. GAREAU Dix nez ? Qu'en ferais-je de dix ? Il ne m'en faut qu'un. CHASTEAUFORT Quel Docteur ! Il en sçait autant que son Curé. GAREAU Aussi fi-je1. N'est-il pas bian curé qui n'a rien au ventre? Hé, là, ris Jean, on te frit des œufs. Testigué, est-ce à cause qu'ous estes Monsieu, qu'ous faites tant de menés2 ? Dame, qui tare a, guare a3. Tenez, n'avons point veu malva ? Bonjou donc, Monsieu s'tules. Hé qu'est-ce donc ? Je pense donc qu'ous me prendrois pourqueuque inorant? Hé si tu es riche, disne deux fois. Aga quien, qui m'a ange de ce galouriau 4 ?... Bonefi sfesmon ! Vêla un homme bien vidé ; vêla un angein de belle déguesne ; vêla un biau vaissiau s s'il avoit deux seillesd6 sur le cul. Par la morguoi, si j'avoiias une sarpe et un baston, je feroùas un Gentizome tout auqueu. C'est de la noblesse à Maquieu Furon., va te couché, tu souperas demain. Est-ce donc, pelamor ', qu'ous avez un angein de far8 au costé qu'ous fêtes l'Olbrius et le Vespasian ? Hé ! Vartigué, ce n'est pas encore come-ça. Dame acoutez, je vous dorois 9 bian de la gaule par sous l'huis ; mais par la morguoy ne me jouez pas des Trogédies, car je vous feroiias du bezot10. Jarnigué, je ne sis pas un gniais11. J'ay esté sans repruche Marguillier, j'ay esté Beguiau ", j'ay esté Portofrande, j'ay esté Chasse-Chien, j'ay esté o) 1654 : rustre. — b) encore bien du chemin à faire. — c) le trouvaray. — d) saicles. • (1) Ainsi, ainsi suis-je. — (2) mines, d'embarras. — (3) qui terre a, guerre a. — (4) de ce godelureau. — (5) tonneau. — (6) cercle. — (7) par la mort. — (8) fer. — (9) donnerois. — (10) argot ancien : bazir, tuer ; bezarder, mourir (R. de G.). — (11) niais. — (12) bedeau. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 27 guieu et guièbe ', je ne sçay pus qui je sis. Mais ardé de tout ça brerrrr, j'en dis du Mirliro, parmets que j'aye de Stic. CHASTEAUFORT Malheureux Excommunié. Voilà bien du haut stile. GAREAU Monsieu de Marsilly m'appelet [bian] son bastar. Il ne s'en est pas fally l'espoisseur d'un tornas ! qu'il ne m'ait fait apprenty Conseillé ! « Vien ça, ce me fit-il une fois, gros fils de Putain, car j'esquions tout comme deux frères ; je veux, ce fit-il, que tu venais, ce fit-il, autour de moy, ce fit-il, dans la Turquise 3, ce me fit-il. — 0 ! ce l'y fis-je, cela vous plaist à dire. — Non-est, ce me fit-il. — O ! si est, ce l'y fis-je. — 0 ! ce [me] fis-je à part moy : Escoute, Jean, ne faut point faire le bougre, faut sauter. » Dame je ne fesy point de défigurance davantage, je me bouty avec ly cahin caha, tout à la marguerite" françoase. Mais quand on gn'y est, on gn'y est. Bonne-fy pourtant, je paraissy un sot basquié *, un sot basquié je paraissy, car Martin Binet... Et y à propos, Denis le Balafré, son onque, ce grand ecné 5, s'en venit l'autre jour la remontée lantarner environ moy. Ah ! ma foy, ma foy, je pense que Guieu-marcy, je vous l'y ramenis le pus biau chinfregniau 6 sus le moustafa qui lian b demeury les badigoines escar- boùillées tout avaux l'hyvar. Que Guiebe aussi ! Tous les jours que Guieu feset, ce bagnoquier-là me ravaudet comme un Satan. G'estet sa sœur qui espousit le grand Tiphoine. Acoutez, ol7 n'a que faire de faire tant de l'enhasée 8, ol n'a goûte ne brin de biau. Par ma fy, comme dit l'autre, ce n'est pas grand chance ; la Beyne de Nior, malhureuse en biauté. Pour son homme, quand oui est des-habillé, c'est un biau cor-nu. Mais regardez un petit, ce n'estet encore qu'une varmene 9, et si 10 ol feset desjà tant la dévar- gondée, pour autant quoi savet luire dans les Sessiaumes ", qu'on n'en savet chevir. 01 se carret comme un pou dans eune rogne. Dame aussi ol avet la voix, révérence parlé, aussi finement claire qu'eune iaui2 de roche. Len diset que Messire Jean c avet bian trampé souvent son Goupillon dans son Benaisquié '3, mais ardé sont des enviteuxA, les faut laisser dire ; et pis quand oui auret ribaudé un tantinet, c'est à ly à faire, et à nous à nous taire, pis qu'il donne bian la pollution '* aux autres il ne l'oublie pas pour ly. Monsieu le Vicaire itou estet d'une humeur bian domicile et bian tur- quoise/mais ardé... CHASTEAUFORT Et de grâce, Villageois, achève-nous tes avantures du voyage de Mon- sieur de Marsilly. a) 1654 : maxite. — b) qu'oui l'y en. — c) Monsieu le Curé. — d) médiseux. (1) Dieu et Diable. — (2) tournois. — (3) Turquie. — (4) bâté (?) —(5) Hacquené ? — (6) horion. — (7) oui : il ; ol : elle. — (8) l'empressée. — (9) vermine. — (10) cepen- dant. — (11) sept psaumes. — (12) eau. — (13) bénitier. — (14) l'absolution. 28 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE GAREAU Ho, ho, ous n'estes pas le Roy Minos, ous estes le Roy Priant. 0 donc je voyagisme sur l'Occident et sur la Demiannée*. CHASTEAUFORT Tu veu dire [au contraire, vers] V Océan et la Méditerranée h. GAREAU Hé bian je me reprens, un pou c se reprent bian. Mais guian si vous pansiais que je devisiesrae entendre tous ces tintamares-là, comme vous autres Latiniseurs, Darne nanain. Et vous, comme guiebe, déharnachez- vous vostre Philophie ? J'arrivismes itou aux Deux Trois de Gilles le bastard1, dans la Transvilanie, en Relhlian de GalHene, en Harico*, et pis au païs... au païs... au païs... du Reure. CHASTEAUFORT Que Diable veux-tu dire, au païs du Reure ? GAREAU Oiiy, au païs du Reure. Tant quia que c'est un païs qui est mou comme beure, et où les gens sont durs comme piare. Ha ! c'est la graisse 3 ; hé bian, les gens n'y sont-ils pas bian durs, pis que ce sont des Grets ? Et pis après cela, je nous en allismes, révérence parlé, en un païs si loin, si loin ; je pense que mon Maistre appelet cela le païs des Rassins *, où le inonde est noir comme des Anlrechrists. Ardé, je croy fixiblement que je n'eussiesmes pas encore cheminé deux glieuës, que j'eussiesmes trové le Paradis et l'Enfar. Mais tenez, tout ce qui me semblit de pus biau à voir, c'est ces petits garçons d d'Italise ; cette petite grene d'andoùille n'est pas pus grande que savequoy, et s'ils sçavont desjà parler Italian. Dame je ne fesismes là guère d'ordure. Je nous bandismes nos quaisses tout au bout du monde dans la Turquise, moy et mon Maistre. Par ma fy, pourtant je disis biantost à mon Maistre qu'oui s'en revenist. « Héquement, quelle vilanie ? Tous ces Turs-là sont tretous huguenots comme des chiens ». Oui se gar- mantet par escousse de leur bailler des exultations à la Turquoise. CHASTEAUFORT Il faut dire des exhortations à la Turque. GAREAU 0 bian, tant quia qu'il les sarmonet comme il falet. CHASTEAUFORT Ton Maistre sçavoit donc l'Idiome Turc ? GAREAU Hé vrament oiiy oui sçavet ; tous ces ces Gérosmes-là 5, les avet-il a) 1654 : sur l'Or riant et vers la Mardy Terre Année. — b) vers l'Orient, sur la Méditerranée. — c) var — d) Sarasins. (1) Gibraltar. — (2) en Bethléem de Galilée, en Jéricho. — (3) Grèce. —(4) Abys- sins. — (5) idiomes-là. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 29 pas veus dans le Latin ? Son frère itou estet bien sçavant, mais oui n'estet pas encore si sçavant, car n'en marmuset qu'oui n'avet appris le Latin qu'en François. G'estet un bon Nicolas, qui s'en allet tout devant ly, hurlu, brelu, n'en eust pas dit qu'oui y touchet, et stampandant oui marmonet tousjours dans une bastelée de Livres. Je ne me sçauras tenir de rire, quand je me ramenteu des noms si biscornus, et si, par le sanguoy, tout ça estet vray, car oui estet moulé. D'auquns s'intiloient, s'intuloient : oiiay ? ce n'est pas encore comme ça : s'inlutiloient, j'y sis casi : s'intilutoient, héla, ayez-moy un petit s'intituloicnt : sin, sin, sin. Tanquia que je m'en- tens bian. CHASTEAUFORT Tu veux dire s'intituloient. GAREAU Oiiy, oùy, sin, sin, héla qui se fesoient comme vous dites. Vêla tout comme il le defrinchet. Je ne sçay pus où j'en sis, vous me l'avez fait pardre. CHASTEAUFORT Tu parlois du nom de ces Livres. GAREAU Ces livres donc, pis que Livres y a. Oiiay ? Ha je sçay bian, oui y avet des Madrigales, des Amas de Gaules, [des Cadets de Tirelire], des Clistaires traginques, des Danaïdes de Ville". CHASTEAUFORT Il faut dire, mon grand amy, des Madrigaux, des Amadis de Gaule, [des Décades de Tite-Live] des Histoires tragiques, et des Enéides de Vir- gile, [mais] poursuis. GAREAU 0 ! par le sangué, va-t'en chercher tes poursuiveux. Aga qu'il est rai- sonnabe aujourd'huy, il a mangé de la soupe à neuf heures. Et si je ne veux pas dire comme ça, moy ? O bian, tant quia qu'à la parfin je nous en revinsmes. Il apportit de ce païs-là tant de guiamans ' rouges, des Hémo- roïdes vartes2 et une grande espée qui atteindret d'icy à demain. C'est à tout ces farremens que ces mangeux de petis enfans se batont en deuil 3. Il apportit itou de petis engingorniaux remplis de naissance l à celle fin de conserver, ce feset-il, l'humeur ridicule, à celle fin, se feset-il, de vivre aussi longtemps que Mathieu salé5. Tenez, n'avons point veu Nique-doiiille6, qui ne sçauret rire sans montrer les dants ? CHASTEAUFORT Je ne ris pas de la vertu de tes essences. a) 1654 : et des Aisnez de Vigile. (1) diamans. — (2) émeraudes vertes. — (3) duel. — (4) d'essence. — (5) Mathu- salem. — (6) Ancienne locution proverbiale, pour désigner un nice, nicaise, niais, nigaud, qui rit en ouvrant la bouche, sans mot dire. 30 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE GAREAU 0 gnian, sachez que les naissances ont de rnarveilleuses propretez ' [Il le frappe]. C'est un certain oignement dont les Ancians s'oignient quand ils estient morts, dont ils vivient si longuement. Mais morgue, il me viant de souvenir que vous vouliais tantost que je vous disi le nom de ces Livres. Et je ne veux pas moy ; et vous estes un sot dres là; et testigué, ous estes un inorant là-dedans. Car ventregué, si vous estes un bon parleux*, morgue, lapons-nous donc la gueule comme il faut. Dame, il ne faut point tant de beure pour faire un cartron2. Et quien [et] vêla pour toy. CHASTEAUFORT Ce coup ne m'offence point, au contraire il publie mon courage invin- cible à souffrir. Toutefois, afin que tu ne te rendes pas indigne de pardon par une seconde faute, encore que ce soit ma coustume d'avoir plustost donné b un coup d'espée qu'une parole, je veux [bien] te dire qui je suis. J'ay fait en ma vie septante mille combats, et n'ay jamais porté bote qui n'ait tué sans confession. Ce n'est point que j'aye jamais ferraillé le fleuret, je suis adroit la Grâce à Dieu ; et pourtant c la science que j'ay des armes, je ne l'ay jamais apprise que l'espée à la main. Mais que cet avertissement ne t'effraye point ; je suis tout cœur, et il n'y a point par conséquent de place sur mon corps où tu puisses adresser tes coups sans me tuer. Sus donc, mais gardons la veuë, ne portons point de mesme temps, ne pous- sons point de près, ne, tirons point de seconde : mais viste, viste, je n'aime pas tant de discours. Mardieu, depuis le temps je me serois mis en garde, j'aurois gagné la mesure, je l'aurois rompue, j'aurois surpris le fort, j'au- rois pris le temps, j'aurois coupé sous le bras, j'aurois marqué tous les batemens, j'aurois tiré la flanconade, j'aurois porté le coup de dessous, je me serois allongé de tierce sur les armes, j'aurois quarté du pied gauche, j'aurois marqué feinte à la pointe et dedans et dehors, j'aurois estrama- çoné, ébranlé, empiété, engagé, volté, porté, paré, riposté, carte, passé, désarmé3 et tué vingt d hommes. GAREAU Vramant, vramant, vêla bian la Musicle de S. Innocent, la pus grande piqué du monde. Quel embrocheux de Limas ! [Il le frappe encore]. Et quien, quien, vêla encore pour t'agacer. CHASTEAUFORT [Gareau le frappe.] Je ne sçay, Dieu me damne, ce que m'a fait ce marault, je ne sçaurois me fâcher contre luy. [Il le frappe encore.] Foy de Cavalier, cette gentillesse me charme. Voilà le faquin du plus grand cœur que je vis jamais. [Il est frappé derechef.] Il faut nécessairement, ou que ce bélistre soit mon Fils, ou qu'il soit Démoniaque. D'égorger mon Fils à a) 1654 : diseux. — b) de donner. — c) partant. — d) trente. (1) propriétés. — (2) un quart. — (3) termes d'escrime. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 31 mon essienl, je n'ay garde ; de tuer un possédé j'aurois tort, puisqu'il n'est pas coupable des fautes que le Diable luy fait faire. Mais, 6 Démon, qui fais agir le corps de ce pauvre idiot, sçache pour te confondre que de tous les Diables je suis le Diable qui fit estocade avec Saint-Michel, et toy', pauvre Païsan, sçache que je porte à mon costé la Mère nourrice des fos- soyeurs ; que de la teste du dernier Sophy je fis un pomeau à mon espée ; que du vent de mon chapeau je submerge une Armée navale, et que qui veut sçavoir le nombre des hommes que j'ay tuez n'a qu'à poser un 9, et tous les grains de sable de la mer ensuite qui serviront de Zéros. Quoy que tu fasses, je te l'ay desjà dit, ayant protesté que je gagnerois cela sur moy-mesme [Il est encore battu] de me laisser battre une fois en ma vie, il ne sera pas dit qu'un marault comme toy me fasse changer de résolu- tion. [Gareau se retire en un coin du théâtre et le Capitan demeure seul.] Quelque faquin de cœur bas et ravalé auroit voulu mesurer son espée avec ce vilain ; mais moy qui suis Gentilhomme, et Gentilhomme d'extraction, je m'en suis fort bien sceu garder. Il ne s'en est cependant quasi rien fallu que je ne l'aye percé de mille coups, tant les noires vapeurs de la bile offusquent quelquefois la clarté des plus beaux Génies. En effet, sans cela j'allois tout massacrer.. Je jure donc aujourd'huy par mab main, cette main dispensatrice des Couronnes et des Ilouletes, de ne plus doresnavant rece- voir personne au combat, qu'il n'ait leu devant moy sur le pré ses Lettres de Noblesse ; et pour une plus grande prévoyance, je m'en vais faire promp- tement avertir Messieurs les Mareschaux ' qu'ils m'envoyent des Gardes pour m'empescher de me battre ; car je sens ma colère qui croist, mon cœur qui s'enfle, mon sang qui s'allume et les doigts qui me démangent de faire un homicide. Viste, viste, des Gardes, car je ne réponds plus de moy2. Et vous autres, Messieurs, qui m'écoutez, allez m'en quérir tout à l'heure, ou par moy tantost vous n'aurez point d'autre lumière à vous en retourner que celle des éclairs de mon sabre, quand il vous tombera sur la teste. [Gareau revenant le frappe encore et le Capitan s'en va.] Et la raison est que je vay, si je n'ay un Garde, souffler d'icy le Soleil dans les Cieux comme une chandelle. Je te massacrerois, mais tu as du cœur, et j'ay besoin de soldats. SCÈNE III GRANGER, MANON, GAREAU, FLEURY MANON Quel demeslé donc, mon pauvre Jean, avois-tu avec ce Capitaine ? a) 1654 : Toutefois, ô. — b) cette. (1) Le Tribunal des Maréchaux de France ou de la Gonnétablie avait charge d'apaiser les querelles entre gentilshommes et d'empêcher les duels (P. L.). — (2) Le Tribunal des Mareschaux ordonnait au besoin à un garde ou à un exempt de veiller sur les deux adversaires disposés à en venir aux mains et de les accompagner par- tout pour empêcher une rencontre. 32 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE GAREAU Aga, on me venet ravodé de sa Philophie. Ardé tenez, c'est tout fin. dret comme ce grand Cocsigruë de Monsieu du Meny ; vous sçavez bian, qui avet ces grands penaches quand je demeurais chez Mademoirelle de Camay. Dame pelamor qu'oui estet brave comme le tems, qu'oui luiset dans le moulé, qu'oui jargonet par escousse des Asnes à Batiste, des Pères- Paticiers ' ; il velet que je l'y fisiesmes tretous l'obenigna. Pelamor itou, à ce que suchequient les médiseux, qu'avec Mademoirelle nostre Mestraisse, il boutet cety-cy dans cety-là (ce n'est pas ce nonobstant, comme dit l'au- tre, pour ce chore-là, car ardé bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée). Mais par la morguoy sphesmon, c'estet un bel oisieau pour torner quatre broches ; et pis étou l'en marmuset qu'oui estet un tanlet tarabusté de l'entendement. Bonnefy la barbe l'y estet venue devant eune bonne Ville al luy estet venue devant Sens. Ce Jean qui de tout ce mesle, il y a desjà une bonne escousse, da s'en venit me ramener avos les eschegnes eune houssene de dix ans. Yartigué,je n'estes pasGentizome pour me battre en deuil, mais 0 don c'estet Mademoirelle, nostre Mestraisse, qui m'avet loué et stampandant il voulet, ce dit-il, me faire, ce dit-il, enfiler la porte. « O ce me fit-il, je te feray bien enfiler la porte, ce fit-il. » Guian, cette parole-là me prenit au cœur. « O par la morguoy, ce l'y fis-je, vous ne me feraiz point enfiler la porte, et pis, au fons, ce l'y fis-je, c'est Made- moirelle qui m'a loué : si Mademoirelle veut que je l'enfile, je l'enfileray bian, mais non pas pour vous. » GRAXGER Or ça, nostre Gendre, mettons toutes querelles sous le pied, et don- nons leur d'un oubly au travers les hypocondres. Si l'Hyménée porte un flambeau, ce n'est pas celuy de la Discorde. Il doit allumer nos cœurs, non pas nostre fiel : C'est le sujet qui nous assemble tous. Voilà ma fille qui voudroit desjà qu'on dist d'elle et de vous « Sub, super, in, subter, casu junguntur utroque, in vario sensu2 ». MANON Mon Père, je ne suis pas capable de former des souhaits, mais de seconder les vostres. Conduisez ma main dans celle que vous avez choisie, et vous verrez vostre fille d'un visage égal, ou descendre ou monter. GRANGER Rien donc ne nous empesche plus de conclure cet accord aussi-tost que nous sçaurons les natures de vostre bien. FLEURY Là-donc, ne perdons point de temps. (1) Gareau appelle ainsi les Anabaptistes et Peripatéticiens. — (2) Règle dix- septième de la Syntaxe de Despaulère : Sous, dessus, dans, dessous, dedans, se mettent aux denx cas, dans tous les sens (R. de G.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 33 GRANGER Vos facultez consistent-elles en rentes, en maisons, ou en meubles ? GAREAU Dame ouy, j'ay très bian de tout ça, par le moyan d'un héritage. GRANGER Qu'on donne promptement un siège à Monsieur ; Manon, saluez vos- tre mary. Cette succession est-elle grande ? GAREAU Elle est de vint mile frans. GRANGER Viste, Paquier, qu'on mette le couvert. GAREAU [Il se met dans une chaise.] Là, là, vous moquez-vous, rabusez votre bonet ; entre nous autres, il ne faut point tant de fresmes ny de simonies '. Hé ! qu'es-ce donc ? Xostre-dinse, n'en diret que je ne nous connoissiens plus. Quoy ous avez bouté en obliviance de quand ous esquiais au Cha- quiau ? Parguene alez, ous n'esquiais qu'un petit Xavet en ce tems-là, ous estes à cette heure-cy eune Citrouille bian grosse. Vrament laissez faire, je pense que Guyeu marcy, j'avons bian sarmoné de vous, feu nostre maina- gère et moy. Si vous estet venu des cornes toutes les fois que les oreilles vous ont corné (ce que j'en dis, pourtant, ce n'est pas que j'en parle, ce crois-je bian qu'ous en avez assez sans nous). Tanquia que, ô ! donc, pour revenir à nostre conte, jernigoy. j'esquiesmes tous deux de meschantes petites varmenes. J'alliesmes vieder avaux ces bois. Et y à propos, ce biau marie qui sublct" si finement haut, hé bian, regardez, ce n'estet que le Clocu Fili Davi ! Ous esquiais un vray Jui d'Avignon en ce tems-là : T)us esquiais tréjours à pandiller entour ces cloches, et y à sauter comme un Maron. O bian, mais ce n'est pas le tout que des choux, il faut de la graisse. GRANGER Avez-vous icy les Contracts acquisitoires de cet héritage-là ? GAREAU Nanain vramant, et si l'on ne me les veut pas donner ; mais je me doute bian de ce qu'oui y a. Testigué, je m'amuse bian à des papiers, moy. Hé ! ardé, tous ces brinborions de Contracts, ce n'est que de l'escriture qui n'est pas vraye, car ol n'est pas moulée. Ho bian, acoutez la, c'est eune petite sussion 3 qui est vramant bian grande da, de Nicolas Girard; hé là, le père de ce petit Louis Girard qui estet si sémillant, ne vous le sçau- riais-vous recorder? C'est cely qui s'alit neger* à la grand Mare. O bian (1) Tant de frimes et de cérémonies. — (2) ce bon merle qui sifflait. — (3) succes- sion. — (4) noyer. 34 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE son frère * est mort, et si je l'avons conduit en tare, s'il a plu à Guïeu, sans repruche, comme dit l'autre. Ce pauvre Guiebe estet allé dénicher des pies sur l'Orme de la comère Massée. Dame, comme oui estet au Copiau ', le vêla, bredi breda, qui commence à griller tout avaux s les branches et cheit une grande escousse, pouf, à la renvarse. Guïeu bénit la Chresquianté ! je croy que le cœur l'y escarboiïillit dans le ventre, car oui ne sonit jamais mot, ne groùillit, sinon qu'oui grimonit ' en trépassant : « Guiebe set de la Pie et des Piaux. » 0 donc ly il estet mon Compère et sa femme ma Comère. [Or ma Comère, pis que Comère] y a, auparavant que d'avoir espousé mon Compère, avet espousé en premières nopees le Cousain de la brû de Piare Olivier, qui touchet de bian près à Jean Henault, de par le Gendre du Biau-frère de son Onque. Or cely-cy, retenez bian, avet eu des enfans de Jaquelaine Brunet qui mourirent sans enfans. Mais il se trouve que le Neveu de Denis Gauchet avet tout baillé à sa femme par Contract de mariage, à celle fin de frustriser * les hériquers de Thomas Plançon qui devient y rentrer, pis que sa Mère-Grand n'avet rian laissé aux Mineurs de Denis Vanel l'esné. Or donc, il se trouve que je somes parens en queu- que magnière de la Veufve de Denis Vanel le jeune, et par conséquent ne devons-je pas avoir la sussion de Nicolas Girard ? 5 GRANGER Mon amy, je fais ouvrir à ma conception les yeux aussi grands que salières b et si je ne vois goûte en vostre affaire. GAREAU 0 Monsieu, je m'en vas vous l'éclaircir aussi finement claire que la voix des enfans de chœur de Nostre-Damcc. Acoutez donc : Il faut que vous sçachiais que la Veufve de Denis Vanel le jeune, dont je sommes parens en queuque magnière, estet fille du second lit de Georges Marquiau, le Biau-frère delà Sœur du Neveu de Piare Brunet, dont j'avons tantost fait mention. Or, il est bian à clair que si le Cousain de la Brû de Piare Oli- vier, qui touchet de bian près à Jean Hénault de par le Gendre du Biau- frère de son Onque, estet Père des Enfans de Jaquelaine Brunet, trépassez sans enfans, et qu'après tout ce tintamare-là on n'avet rian laissé aux Mineurs de Denis Vanel le jeune, j'y devons rentrer, n'est-ce pas ? GRANGER Paquier, repliez la nappe, Monsieur n'a pas le loisir de s'arrester. Ma foy, beau Sire, depuis le jour que Cupidon séparaà la Lumière du Cahos, a) 1654 : père. — b) plus d'yeux que n'en eust jamais le Berger gardien de la Vache Io (c'est-à-dire Argus) et je... — c) nostre Vilage. — d) segregea. (1) cime. — (2) à glisser tout le long. — (3) ne murmura. — (4) frustrer. — (5) On nous a assuré, disent les auteurs de Y Histoire du Théâtre français (les frères Parfait, T. VIII, p. 9,) qu'un habile avocat s'était, à ses heures de loisir, donné la peine d'examiner le droit de ce paysan et avait reconnu qu'effectivement il avait raison et que la succession devait lui appartenir. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 35 il ne s'est point veu sous le Soleil un démeslé semblable. Dédale et son Labirinthe en ont bien dans le dos. Je vous remercie cependant de l'hon- neur qu'il vous plaisoit nous faire. Vous pouvez promener vostre Charrue ailleurs que sur le champ virginal du ventre de ma Fille. MANON Les Valets de la Feste vous remercieront. FLEURY Vous avez bon courage, mais les jambes vous faillent. GAREAU Ma foy voire ; aussi bian n'en velay-je pus. J'aime bian mieux eune bonne grosse Mainagère qui [vous] travaille de ses dix doigts que non pas de ces Madames de Paris qui se fesont courtiser des Courtisans. Vous ver- rais ces Galouriaux, tant que le jour est long, leur dire Mon cœur, Ma- raour, Parcy, Parla ; je le veux bian, le veux-tu bian ? Et pis c'est à se sabouler, à se patiner, à plaquer leurs mains au commencement sur les joues, pis sur le cou, pis sur les tripes, pis sur le brinchet, pis encore pus bas, et ainsi le vit se" glisse. Stanpendant, moy qui ne veux pas qu'on me fasse des Trogédies, si j'avouas treuvé queuque Ribaut licher le mor- viau à ma femme, comme cet affront-là frape bian au cœur, peut-estre que dans le désespoir je m'emporteroûas à jeter son chapiau par les fenestres ou à luy faire les cornes comme me moqué de li, pis ce seret du scandale ; Tigué queuque gniais 4. GRANGER 0 espérances futiles du concept des humains ! J'avois esté jusqu'à Vaugirard choisir un Gendre en qui la Nature ayant usé de parcimonie, Je pensois que la Fortune eust esté prodigue, mais je trouve que si la mine de son visage est bien plate, celle de son coffre est encore plus écachée. De mesme les Chats, tu ne fiâtes que pour égratigner, Fortune malicieuse ! SCÈNE IV 2 CORBINELI, GRANGER, PAQUIER CORBINELI Elle n'est pas seulement malicieuse, elle est enragée 3. Hélas ! tout est perdu, vostre Fils est mort. ^ GRANGER Mon Fils est mort ! Es-tu hors du sens? a) 1654 : vitse ; 1663, comme dans le Ms. (1) Il y a un trait tout à fait semblable dans le livre VIII du Francion de Cb. Sorel (V. Fournel). — (2) Molière s'est inspiré de celte scène du Pédant joué dans la scène XI, acte II, des fourberies de Scapin, il y a puisé largement. — (3) Gorbineli répond à l'interpellation que Granger vient d'adresser à la Fortune. 36 LE PÉDANT JOUE, COMEDIE CORBINELI Non, je parle sérieusement : Vostre Fils à la vérité n'est pas mort, mais il est entre les mains des Turcs. GRANGER Entre les mains des Turcs ? Soustiens-moy, je suis mort. CORBINELI A peine estions-nous entrez en batteau pour passer de la porte de Nesle' au Quay de l'Escole.... GRANGER Et qu'allois-tu faire à l'Escole, Baudet ? CORBINELI Mon Maistre s'estant souvenu du commandement que vous luy avez fait d'acheter quelque bagatelle qui fust rare à Venise, et de peu de valeur à Paris, pour en régaler son Oncle, s'estoit imaginé qu'une douzaine de Gotrets n'estant pas chers, et ne s'en trouvant point, par toute l'Europe de mignons comme en cette Ville, il devoit en porter là. C'est pourquoy nous passions vers l'Escole pour en acheter ; mais à peine avons-nous éloigné la coste, que le Page de nostre Navire a découvert au Sud-Ouest une galère turque qui tasc/ioit à coups de rames de dérober le vent dessus nous et le fit parce que nous estions mauvais voiliers. Après donc qu'elle a eu doublé le cap des bons hommes, qu'elle a eu jette fond et demeuré quelque temps sur le fer à l'abri des dunes du cours, elle a levé l'ancre et fait canal droit à nous, de proue en poupe, Ce qui nous a fait choir en défaut, c'est qu'ils ont arboré de chrétienté, nous ont salué d'amis et cinglans d'un quart de boutinc, nous ont gaigné le flanc, nous ont accroché et la soldatesque sautée sur nostre tillac, ils nous ont fait esclaves, puis se sont élargis en mer". GRANGER Hé ! de par le Cornet retors de Triton Dieu Marin, qui jamais oùit parler que la Mer fust à Saint-Clou ? qu'il y eust des Galères, des Pyra- tes, ny des Escueils ? CORBINELI C'est en cela que la chose est plus merveilleuse. Et quoy que l'on ne les ayt point veus en France que là, que sçait-on s'ils ne sont point venus de Constantinople jusques icy entre deux Eaux ? PAQUIER En effet, Monsieur, les Topinambours qui demeurent quatre ou cinq a) Tout ce long passage a été réduit à une ligne dans 1654 : que nous avons esté pris par une galère turque. (1) La porte de Nesle qui attenait à la vieille tour de Nesle servait de communi- cation du Pont-Neuf au nouveau quartier construit sur le terrain du Pré aux Clercs, ce rendez-vous permanent des Ecoliers de l'Université. La Tour de Nesles fut démolie yers 1652. (P. L.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 37 cens lieuè's au delà du monde, vinrent bien autrefois à Paris, et l'autre jour encore les Polonois eurent bien V impudence d'enlever a la Princesse Marie, en plein jour, à l'Hostel de Nevers,sans que personne osast branler1. CORBINELI Mais ils ne se sont pas contentez de cecy, ils ont voulu poignarder vostre Fils... PAQUIER Quoy, sans confession ? CORBINELI S'il ne se rachetoit pour b de l'argent. GRANGER Ah ! les misérables ; c'estoit pour incuter* la peur dans cette jeune poitrine. PAQUIER En effet, les Turcs n'ont garde de toucher l'argent des Chrestiens, à cause qu'il a une Croix 3. CORBINELI Mon Maistre ne m'a jamais pu dire autre chose, sinon : « Va-t-en trou- ver mon Père, et luy dis... » Ses larmes aussi-tost, suffoquant sa parole, m'ont bien mieux expliqué^ qu'il n'eust sceu faire, les tendresses qu'il a pour vous... GRANGER Que Diable allez faire aussi dans la galère d'un Turc ? D'un Turc I « Perge » * CORBINELI Ces Escumeurs impitoyables ne me vouloient pas accorder la liberté de vous venir trouver, si je ne me fusse jette aux genoux du plus appa- rent d'entr'eux. « Hé ! Monsieur le Turc, luy ay-je dit, permettez-moy d'aller avertir son Père qui vous envoyera tout à l'heure sa rançon. » GRANGER Tu ne devois pas parler de rançon, ils se seront moquez de toy. CORBINELI Au contraire. A ce mot, il a un peu rasséréné sa face. «Va, m'a-t-il dit ; mais si tu n'es icy de retour en c un moment, j'iray prendre ton Maistre dans son Collège, et vous estrangleray tous trois aux antennes de nostre Navire. » J'avois si peur d'entendre encore quelque chose de plus fâcheux, a) 1654 : enlevèrent bien. — b) par. — c) dans. (1) Ce passage précise la date de la composition du Pédant joué : le mariage de Marie de Gonzagues, duchesse de Mantoue, avec Ladislas, roi de Pologne, eut lieu en 1645 à Paris, par ambassadeur. — (2) faire entrer. — (3) Autrefois, la plupart des monnaies de France et des autres Etats chrétiens portaient jusqu'au milieu du xvi* siècle une croix avec une légende. — (4) Continue. 38 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE ou que le Diable ne me vint emporter estant en la compagnie de ces excom- muniez, que je me suis promptement jette dans un Esquif pour vous avertir des funestes particularitez de cette rencontre. GRANGER Que Diable aller faire dans la Galère d'un Turc ? PAQUIER Qui n'a peut-estre pas esté. à confesse depuis dix ans. GRANGER Mais penses-tu qu'il soit bien résolu d'aller à Venise ? CORRINELI Il ne respire autre chose. GRANGER Le mal n'est donc pas incurable a. Paquier, donne-moy le receptable des instrumens de l'Immortalité « Scriptorium scilicet »'. CORBINELI Qu'en désirez-vous faire ? GRANGER Escrire une Lettre à ces Turcs. CORBINELI Touchant quoy? GRANGER Qu'ils me renvoyent mon fils, parce que j'en ay affaire après disner. Qu'au reste il doivent excuser la jeunesse qui est sujette à beaucoup de fautes ; et que s'il luy arrive une autrefois de se laisser prendre, je leur promets, foy de Docteur, de ne leur en plus obtondre2 la faculté auditive. CORBINELI Ils se moqueront, par ma foy, de vous. GRANGER Va-t-en donc leur dire de ma part, Que je suis prest de leur répondre par-devant Notaire : Que le premier des leurs qui me tombera entre les mains, je le leur renvoyerai pour rien... (Ha ! que Diable, que Diable, aller faire en cette Galère ?)... Ou dis leur qu'autrement je vais m'en plaindre à la Justice. Si-tost qu'ils l'auront remis en liberté, ne vous amusez ny l'un ny l'autre, car j'ay affaire de vous deux. CORBINELI Tout cela s'appelle dormir les yeux ouverts. GRANGER Mon Dieu, faut-il estre ruiné à l'âge où je suis ? Va-t-en avec Paquier, a) 1654 : sans remède. (1) C'est-à-dire l'écritoire. — (2) assourdir. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 39 prens le reste du Teston ' que je luy donnay pour la dépense il n'y a que huit jours... (Aller sans dessein dans une Galère !)... Prens tout le reliquat de cette pièce... (Ha ! malheureuse géniture, tu me coustes plus d'or que tu n'es pesant.)... Paye la rançon et ce qui restera, employe-le en œuvres pies... (Dans la Galère d'un Turc!)... [ô] Bien, va-t-en!... (Mais miséra- ble, dis-moy,que Diable allois-tu faire dans cette Galère ?)... Va prendre dans mes armoires ce pourpoint découpé que quitta feu mon Père l'année du grand Hyver4. CORBINELI A quoi bon ces fariboles ! Vous n'y estes pas. Il faut [tout] au moins cent pistolles pour sa rançon. GRANGER Cent pistolles ! Ha! mon fils, ne tient-il qu'à ma vie pour conserver la tienne? mais cent pistolles !... Corbineli va-t-en luy dire qu'il se laisse pen- dre sans dire mot; cependant qu'il ne s'en afflige point, car je les en feray bien repentir. CORBINELI Mademoiselle Genevote n'estoit point trop impertinente qui souhaitoit tantost de n'estre jamais vostre épouse a sur ce qu'on l'asseuroit que vous estiez d'humeur, quand elle seroit esclave en Turquie, de l'y laisser aussi bien que vostre Fils. GRANGER Je les ferai mentir... S'en aller dans la Galère d'un Turc! Et qu'y faireh, de par tous les Diables, dans cette Galère ? O ! Galère, galère, tu mets bien ma bourse aux galères. SCÈNE V PAQUIER, CORBINELI PAQUIER Voilà ce que c'est que d'aller aux galères. Qui Diable le pressoit ? Peut-estre que s'il eust eu la patience d'attendre encore huit jours, le Roy l'y eust envoyé, en si bonne compagnie, que les Turcs ne l'eussent pas pris. CORBINELI Nostre « Domine »' ne songe pas que ces Turcs me dévoreront. PAQUIER Vous estes à l'abry de ce costé-là, car les Mahumétans ne mangent point de porc. a) 1654: pas trop sotte, qui refusoit tantost de vous espouser. — b) Hé quoy faire. (1) Le teston était en argent et valait dix sols tournois, on n'en fabriquait plus depuis le règne de Henri III. — (2) L'hiver de 1638. — (3) Maitre. 40 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE SCÈNE VI GRAINGER, CORBINELI, PAQUIER ORANGER [Granger revient luy donner une bourse, et s'en retourne en même temps]. Tien, va porter tout mon bien. Ha, Ha, Je croiois te l'avoir donné'. SCÈNE VII CORBINELI, CHARLOT CORRINELI [Frappant à la porte de La Tremblaye.] Monjoye Saint-Denis1 ; Ville gagnée, « Accède »2 Granger le jeune « accède ». O le plus heureux des hommes ! O le plus chéry des Dieux ! Tenez, prenez, parlez à cette bourse, et luy demandez ce que je vaux. CHARLOT Allons viste, allons inhumer cet argent, mort pour mon Père, au coffre de Mademoiselle Genevote : Ce sera de bon cœur et sans pleurer, que je rendray les derniers devoirs à ce pauvre trépassé ; [et] cependant admi- rons la médisance du peuple qui juroit que mon Père, bien loin de consentir au mariage de Mademoiselle Genevote et de moy, prétendoit lui-même à l'espouser, et voicy que pour découvrir l'imposture des calomniateurs, il envoyé de l'argent pour faire les frais desh cérémonies. SCÈNE VIII GRANGER, PAQUIER GRANGER Fortune, ne me regarderas-tu jamais qu'en rechignant? Jamais ne riras-tu pour moy ? PAQUIER Ne sçavez-vous pas qu'elle est sur une roue, Damoiselle Fortune ? Elle seroit bien ladre d'avoir envie de rire. Mais, Monsieur, asseurément que vous estes ensorcelé. GRANGER As-tu quelquefois entendu frétiller sur la minuit dans ta chambre quelque chose de noir ? PAQUIER Vrament, vrament, tantost j'entens traisner des chaisnes à l'entour a) 1654 : va-t-en, emporte tout mon bien. — b) de nos. (1) Cri de guerre et de victoire des rois de France. — (2) Approche. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 41 de mon lit ; tantost je sens coucher entre mes draps une grande masse lourde et froide comme du marbre ; tantost j'apperçois à nostre Atre une Vieille toute ridée se graisser, puis, à califourchon sur un balet, s'envoler par la cheminée. Enfin je pense que nostre Collège est l'Icon, le Proto- tipe, et le Fils aisné* du Chasteau de Bicestre1. GRANGER Il seroit donc à propos, ce me semble, de prendre garde à moy. Quelque Incube pourroit bien venir habiter avec ma fille, et faire pis encore, butinant les reliques de mon chétif et malheureux « Gaza »\ Ma foy pourtant, Diables Folets, si vous attendez cela pour disner, vous n'avez qu'à dire Grâces : Je m'en vais faire prendre à toutes mes Chambres chacune un clistaireb d'eau béniste. Us pourraient bien toutefois me voler d'un costé, quand je les conjurerois de l'autre. N'importe, j'imagine encore la parade de ce coup-là. Paquier, va-t-en chercher sous mes grandes armoires un vieux Livre de Plain-chant ; déchire-le par morceaux, et en attache un feuillet à chaque avenue de ma chambre, comme aux portes, aux fenestres, aux cheminées'' ; et principalement enduis-en un certain coffre-fort, fidèle dépositaire du reste de mon magasin. Escoute, escoute, Paquier, il vient de me souvenir que les Démons s'emparent des Trésors égarez ou perdus : De peur que quelqu'un d'eux ne vienne à se méprendre, souviens-toy bien d'écrire sur la pièce de game 3 qui couvre la serrure, [mais] en gros caractères : « Il n'est égaré ny perdu, car je sçay bien qu'il est là ». PAQUIER O oui, sans doute, vous avez quelque fameux négromancien pour capital ennemi . GRANGER Je me veux divertir de ces pensées mélancoliques ; ces imaginations sépulchrales usent bien souvent l'âme auparavant le corps. Paquier « adesto »* : Va-t-en au logis de ma toute belle Navre-cœur ! Souhaite-luy de ma part le bon jour qu'elle ne me donne pas. Parle-luy avantageuse- ment de mon amour ; et sur tout ne l'entretiens que de Feux, de Char- bons et de Traits. Va viste, et reviens m'apporter la responced. o) 1654 : Père-grand. — b) une médecine. — c) à la cheminée. — d) Cette réponse de Paquier est placée dans 1654 à la suite de la réplique de Oranger qui précède, elle fait corps avec elle. (1) Louis XIII voulut, en 1634, faire reconstruire le vieux château de Bicètre tombé en ruine pour en faire un hôpital destiné aux soldats estropiés ou invalides, mais cette reconstruction fut arrêtée presque aussitôt que commencée, et les bâtiments qu'on avait déjà élevés ne servirent qu'à recueillir un plus grand nombre de gens sans aveu, qui s'y retiraient en foule, car personne n'osait approcher de ces masures qu'on disoit habitées par des larves et des démons. En 1656, le roi y fit établir l'Hôpi- tal général des pauvres... — (2) Trésor, magot. — (3) On écrirait maintenant came par corruption, car le véritable mot indiqué par le sens est game, puisqu'il s'agit de désigner au figuré les pièces qui font jouer une mécanique. (P. L.) — (4) Approche. 42 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE SCÈNE IX PAQUIER, GENEVOTE PAQUIER, Seul De Feux, de Charbons, et de Traits : Cela n'est pas si aisé qu'on diroit bien. genevote [arrivant] Comment se porte ton Maistre, Paquier? PAQUIER II se porte extrêmement. GENEVOTE Est-ce extrêmement bien ou extrêmement mal ? PAQUIER Il se porte comme se portoit S. Laurent sur le Gril : roussy, noircy rosty, et tout cela par Feu. GENEVOTE Je ne sçay pas s'il souffre ce que tu dis ; mais je te puis asseurer que du jour qu'il commença de m'aimer, je commençay de mériter la Cou- ronne du Martyre. 0 ! Paquier, impassible* témoin de ma passion, dis à ton Maistre, que sa chère et malheureuse Genevote verse plus d'eau de ses yeux que sa bouche n'en boit, qu'elle soupire autant de fois qu'elle respire, et que... PAQUIER Mademoiselle, laissons-là toutes ces fadaises, parlons seulement de vos amours et de celles de M. Grangerh. Dites-moy, avez-vous beaucoup de bois pour l'hyver ? car mon Maistre est si froidureux quil ne peut se passer de feu. GENEVOTE Sans mentir, j'aurois bien le cœur de roche, s'il n'estoit pénétrable aux coups des perfections de ton Maistre. PAQUIER Bon Dieu, quel Coc-à-1'asne ! Répondez-moy catégoriquement : N'avez- vous jamais veu de Feu Saint-Elme ? GENEVOTE Je ne sçay de quoy tu me parles ; je voudrois seulement que Mon- sieur Granger sceut combien j'ayme ce qui vient de luyc. PAQUIER O la becqueno, maie peste qu'elle est rusée. Vous ne sçavez donc pas que vostre fréquentation a remply mon Maistre de Feu sauvage ? a) 1654 : fidèle. — b) je vous prie, laissons-là toutes ces choses, parlons seule- ment de ce dont mon Maistre m'a commandé de vous entretenir. — c) LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 43 GENEVOTE Mon pauvre Paquier, si tu m'aimes, je te supplie entretiens-moy d'autre chose ; parle-moy de l'amour que ton Maistre me porte. PAQUIER Hé! que je ne suis pas si sot'. Mais à quoy Diable vous sert de tourner ainsi la Truye au foin4 ? Dites-moy donc, ferez-vous cette année du feu Grégeois à la Saint-Jean ? GENEVOTE Plût à Dieu que je pusse découvrir ma fiàme à ton Maistre sans l'offencer, car je brusle pour luy... PAQUIER [Ha, bon cela]. GENEVOTE D'une amour si violente* que je souhaiterois qu'une moitié de luy devint une moitié de moy-mesmec; [mais la glace de son cœur...] PAQUIER Hé bien, ne voilà pas ma friponne sans cesse ni" interrompre pour chanter des sotisesà et tout cela de peur que sone âme ne prenne feu parmy tant d'autres, mais vous en aurez menti madame la Gueuse1. Il y a trois Feux dans le Monde, Mademoiselle : Le premier est le Feu Central, le second, le Feu Vital ; et le troisième, le Feu Elémentaire. Ce premier en a trois sous soy qui ne difèrent que par les Accidens : le Feu de Collision, le Feu d'Attraction, et le Feu de Position. GENEVOTE As-tu fait dessein de continuer tes extravagances jusques an jour* du Jugement* ? PAQUIER Mais vous-mesme, avez-vous fait dessein d,extravaguerh jusques à la fin du Monde ? Vous me venez parler de l'amour que vous portez à mon Maistre : voilà de belles sotises ; ce n'est pas cela qu'on vous demande. Je veux seulement que vous sçachiez que Monsieur Granger n'est qu'un Feu Folet depuis qu'il vous a veuë ; que bien-tost, aussi bien que luy, vous arderez, s'il plaist à Dieu, du Feu S. Antoine3, et que... Mais où diantre'1 pescher de nouveau Feu? Ha ! par ma foy j'en tiens, Mademoiselle, Feu vostre Père et Feu vostre Mère, avoienl-ils fort aimé Feu leurs parens ? car Feu le Père et Feu la Mère de Monsieur Granger avoient chéry pas- a) 1654 : Ce n'est pas là ce dont j'ay à vous parler. — b) Var. de 1661 : étroit — c) 1654 : toute cette réplique dans le Ms. fait corps avec la précédente de Genevote. — d) tousjours quitter nostre propos ? — e) vostre. — /) ma foy, il n'en ira pas ainsi. — g) bout. — h) de me faire enrager. — i) Diable. (1) Expression proverbiale qui signifie : « changer de propos, de discours ». — (2) 11 s'agit du Jugement dernier. — (3) Le feu Saint-Antoine avait été la terreur du Moyen-Age, il n'était plus, à cette époque, dit P. Lacroix, qu'une maladie hémor- roïdale plus ou moins douloureuse. 44 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE sionnément Feu les Trépassez ; et je vous jure que le Feu est une chose si inséparable de mon Maistre, qu'on peut dire de luy (quoy qu'il soit plein de vie) : Feu le pauvre Monsieur Oranger, principal du Collège de Beauvais. Or ça il me reste encore des" Charbons et des" Traits. GENEVOTE Je souhaiterois autant de science queh ton Maistre, pour répondre à son Disciple. PAQUIER O ! Mademoiselle, je vous souhaiterois, non pas autant de science, mais autant de Charbons de peste, et de clous, qu'il en a. Quoy ! vous en riez? Et je vous proleste moy, qu'à force d'estre parmy le charbon*, il s'est tellement noircy le corps, que si vous le voyiez tout nud, vous le pren- driez plus tost pour un [grand] Charbonnier d que pour un Docteur. J'en suis maintenant aux Traits. GENEVOTE Tu luy pourras témoigner combien 'je l'aime, si tu l'as compris par mes discours ; et cependant je suis bien asseurée que son affection n'est pas réciproque. PAQUIER Pour cette particularité, Mademoiselle, vous avez tort de vous mettre en peine ; car il proteste tout haut de se ressentir des Traits que vous luy jouez ; de réverbérer sur vous les traits dont vous le navrez ; et de peur que par Trait de temps, les Traits de vostre visage ne soient offencez des Traits de la Mort ou métamorphosez en Traits d'écrivain, il vous peint avec mille beaux Traits d'esprit dans un livre intitulé : « La très belle, très parfaite, et très accomplie Genevote, par son très humble, très obéissant et très affectionné serviteur, Granger. » GENEVOTE Tu diras à ton Maistre que j'estois venue ici pour le voir, que je le dispense de la peine de me rendre visite. Je reviendray tantost achever la mienne quand il sera de retour*. Adieu. SCÈNE X CHASTEAUFORT, PAQUIER CHASTEAUFORT Hé ! mon Dieu, Messieurs, j'ay perdu mon Garde, mon pauvre Garde. Personne ne l'a-t-il rencontré? Sans mentir j'en feray reproche à la Con- nestablie, d'avoir fié à l'imprudence d'un jeune Homme, la garde d'un Diable comme moy1. Si j'allois maintenant rencontrer ma partie, que a) 1654 : les. — b) qu'en a. — c) de brusler. — d) charbon. — e) mais que l'arrivée de ce Capitaine m'a fait en aller. Je reviendray bientost. (1) Quand deux gentilshommes s'étaient provoqués en duel et que les Maréchaux de France, formant le Tribunal de la Connétablie du Palais, en avaient avis, un garde LE PEDANT JOUÉ, COMEDIE 45 seroit-ce ? Il faudroit s'égorger comme des bestes farouches. Pour moy, encore que je sois vaillant, je ne suis point brutal. Ce n'est pas que je craigne le combat, au contraire, c'est le pain quotidien que je demande à Dieu tous les jours en me levant. On le verra, on le verra ; car, par la Mort, aussi-tost que j'auray retrouvé ce Garde qui me gardoit, je proteste de désobéir à quiconque, hormis à ce pauvre Garde, me voudroit détourner de tirer l'espée. Hola, Garde-Mulet, ne l'as-tu point veu passer, mon Garde? C'est un Garde que les Mareschaux de France m'ont envoyé pour m'empescher de faire un Duel, le plus sanglant qui jamais ait rougy l'herbe du Pré aux Clercs \ Ventre ! que dira la Noblesse de moy, quand elle sçaura que je n'ay pas eu le soin de bien garder mon Garde ? O ! toy donc, malheureux petit homme, va-t-en signifier à tous les Braves qu'ils ayent à me laisser en patience doresnavant, parce qu'encore que mon Garde ne soit pas icy, je suis sensé comme l'ayant. Je luy donnois deux pistolles par jour ; et si je le puis retrouver, je promets à mon bon Ange un Cierge blanc de dix livres, et [à luy] de luy donner par jour quatre pistolles, au lieu de deux. Enfin je le rendray si content de moy, qu'il ne souffrira pas que je m'échape de luy, ou ce sera le plus ingrat homme du monde. PAQU1ER Hé bien, Monsieur, qu'importe, puis que vous voulez tuer vostre ennemy, que ce Garde vous ait abandonné ? Vous pouvez à cette heure au moins vous batre sans obstacle. CHASTEAUFORT O ! Chien de Mirmidon, Chien de Filou, Chien de Gripe-manteau, Chien de Traisne-gibet, que tu es brute en matière de demeslez ! Où sera donc après la foy d'un Cavalier ? Quoy, tu le figures que je sois si peu sensible à l'honneur, que de me résoudre à tromper laschement, perfide- ment, traistreusement, la vigilance d'un honneste homme qui me gardoit, et qui à l'heure que je parle, ne s'attend nullement que je me bâte ? Ah ! plustost le Ciel échape à ses liens pour tomber sur ma teste. Moy, aggraver la faute d'un imprudent, par une plus lourde faute" ! Si je pensois qu'un seul homme se le fut imaginé, pour me vanger d'un Individu sur toute l'Espèce, j'envoyerois défendre au Genre Humain d'estre vivant dans trois jours. PAQUIER Adieu, adieu. CHASTEAUFORT b Va toy-mesme à Dieu, poltron, et luy dis, de ma part, que je luy vais envoyer bien-tost tout ce qui reste d'hommes sur la Terre. a) 1654 : grande. — b) 1654 el le Ms. portent par erreur Granger, 1661 a rectifié. ou exempt de ce Tribunal conciliateur recevait mission de surveiller de près les adversaires et de s'opposer à toute rencontre entre eux. Ils ne sortaient qu'accom- pagnés du garde de la Connétahlie, jusqu'à ce qu'ils eussent promis solennellement de ne pas vider leur différend par la voie des armes. (P. L.). — (1) Le Pré aux Clercs, avait été, sous Louis XIII, le théâtre ordinaire des duels (id.) 46 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE ACTE III SCÈNE PREMIÈRE GRANGER, PAQUIER PAQUIER Car par les Feux je l'ay brûlée, par les Charbons je l'ay entestée, et par les Traits je l'ay percée. G RANGER Ha ! Paquier, tu t'es aujourd'hui surpassé toy-même. N'espère pas toutefois de Lauréole condigne à cet exploit, un tel service mérite des Empires, et la Fortune, cette ennemie de la Vertu, ne m'en a pas donné. Mais vien, chez ma Maistresse, me voir entrer dans la Place dont tu m'as ouvert la brèche. PAQUIER Ne courez point si viste ; vous cherchez vostre Asne quand vous estes dessus. Ne vous ay-je pas dit qu'elle vous doit venir trouver icy ? GRANGER (Il ouvre un grand Rahut, d'où il tire de vieux habits, avec un miroir etc.) Il m'en souvient: Je n'ay donc plus qu'à choisir lequel me siéra le mieux de mes habits Pontificaux. 0 ! Déesse Paphienne, sois-moy en aide et confort en cette mienne tribulation. Et vous, sacrez haillons de mes Ancestres qui ne gagnez des crotes qu'aux bons jours, vous qui n'avez point veu le jour depuis celui du mariage de mon RisayeuL qu'il n'y ait sur vostre Texte': tache, trou, balafre, ou déchirure qui ne reçoive de nous un sanglot, une larme, et une quérimonie particulière. Amour, flâme folète, qui n'es jamais qu'au bord d'un précipice ; Ardant 2 qui brilles pour nous éblouir; Feu qui brusles et n'éclaire* point; Guide aveugle qui crèves les yeux à ceux que tu conduis; Roureau qui fais rire en tuant; Poison que l'on boit par les yeux ; Assassin que l'Ame introduit àb sa maison par les fenestres; Amour, petit Poupar, c'est à tes costez douillettement frétillars, que je viens pérager les reliques3 de la journée. Plantons-nous diamétra- lement devant ce chef-d'œuvre Vénitien *, et faisons avec un compte très exact la reveuë de tous les traits de mon visage. Que le poil de ma barbe qui paroistra hors-d'œuvre soit chastié comme un passe-volant6. Essa}^ons quel personnage il nous siéra mieux de représenter devant elle, de Caton, ou de Momus. Je tâche à rire et à pleurer sans intervale, et je n'en puis a) 1654 : ne consumes. — i) dans. (1) Tissu : équivoque sur les mots latins textum et textus. (P. L.) — (2) Feu follet. — (3) achever le reste. — (4) Miroir de Venise. — (5) Faux soldat qui se présentait aux revues, pour toucher la paye au profit du capitaine. Le passe-volant était puni du fouet ou de la marque (P. L.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 47 venir à bout. [Il rit et il pleure en même temps]. Mais que viens-je de voir? Quand je ris, ma mâchoire, ainsi que la muraille d'une Ville batuë en ruine, découvre à costé droit une brèche à passer vingt hommes. C'est pourquoy, mon visage, il vous faut stiler à ne plus rire qu'à gauche ; et, pour cet effet, je vais marquer sur mes joues de petits points que je défens à ma bouche, quand je riray, d'outrepasser. On m'a dit que j'ay la voix un peu cassée, il faut surprendre avec l'oreille mon image en ce Miroir, auparavant • qu'elle se taise. « Je salue [très] humblement le Bastion des Grâces, le Cavalier d amour et la Citadelle des Rigueurs de Mademoiselle Genevote. » Ay-je parlé trop haut, ou trop bas ? Il seroit bon, ce me semble, d'avoir des Lieux communs tout prests pour chaque Passion que je voudray vestir. Il faudra faire éclater, selon que je seray bien ou mal receu, le Dédain, la Colère ou l'Amour. Ça donc pour le « Dédain » : « Quoy, tu penserois que tes yeux eussent féru ma po;trine au défaut de la cuirasse ? Non, non, tes traits sont si doux qu'ils ne blessent personne. Quoy, je t'aurois aimée, chétif Esgout de concupiscence, Vase de néces- sité, Pot de chambre des affamez h ! Hélas, petite gueuse, regarde-moy seulement, adore ' et te tais. » Pour la « Colère » : « 0 ! trois et quatre fois, Mégère impitoyable, puisse le Ciel en.couroux ébouler sur ton vertical* des Halebardes au lieu depluye! Puisses-tu boire autant d'Encre que ton amour m'a fait verser de larmes ! Puisses-tu cent fois le jour servir aux Chiens de muraille pour pisser! Enfin, puisse la Destinée tisser la trame de tes jours avec du Crin, des Chardons et des Estoupes. » Pour 1' « Amour » : « Soleil, principe de ma vie, vous me donnez la mort, et desjà je ne serois plus qu'une Ombre vaine et gémissante qui marqueroit de ses pas la rive blesme de l'Achéron, si je n'eusse redouté de faire périr en moy vostre amour, qui ne doit pas moins vivre que sa cause. Peut-estre, ô belle Tigresse, que mon chef neigeux vous fait peur. Je sçay bien aussi que les jeunes ont dans les yeux plus de feu et moins de rouge que nous ; que vous aimez mieux nostre bourse au singulier qu'au plurier ; qu'au déduit amoureux une Femme est insatiable ; et que si la première nuit « Optât ut exedat digito » \ la seconde nuit elle en veut « Pede longior uno » *. Mais sçachez qu'un jour l'âge, ayant promené sa charrue sur les lys et [sur] les roses ne vostre teint, fera de vostre front un grimoire en Arabe ; et que jeunes et vieux sont quotidiennement Epitaphez, à cause que : « Compositum simplexque modo simili gradiuntur » 3. o) 1654 : avant. — b) du Sexe masculin. — c) admire. — d) chef. (1) Elle en désire un peu plus long que le doigt. Despautères, lib. II, regulae générales de regulari nominum dectinatione. — (2) plus d'un pied. — (3) le simple et le composé se déclinent de même. 48 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE SCÈNE w GRANGER, PAQUIER, GENEVOTE ORANGER Mademoiselle, soyez-vous venue autant à la bonne heure que la grâce aux Pendus, quand ils sont sur l'eschelle. GENEVOTE Est-ce l'Amour qui vous a rendu criminel ? Vraiment la faute est trop illustre pour ne vous la pas pardonner. Toute la pénitence que je vous ordonne de vostre faute % c'est de rire avec moy d'un petit Conte que je suis icy venue pour vous faire. Ce Conte, toutefois, se peut bien appeller une Histoire, car rien ne fut jamais plus véritable. Elle vient d'arriver, il n'y a pas deux heures, au plus facétieux personage de Paris, et vous ne sçauriez croire à quel poinct elle est plaisante. Quoy, vous n'en riez pas ? GRANGER Mademoiselle, je croy qu'elle» est divertissante au delà de ce qui [le] fut jamais ; et je le dois croire pour cela seulement que vous le dites, mais... GENEVOTE Mais vous n'en riez pas ? GRANGER Ha, a, a, a, a. GENEVOTE Il faut, avant que d'entrer en matière, vous anatomiser ce Squelette d'homme et de vestement [aux mesmes termes qu'un Sçavant m'en a tan- tost fait la description]. Voicy l'heure environ que le Soleil se couche, c'est l'heure aussi, par conséquent, que les lambeaux de son manteau se viennent rafraischir aux Estoilles. Leur Maistre ne les expose jamais au jour, parce qu'il craint que le Soleil, prenant une matière si combustible pour le berceau du Phœnix, ne bruslast et le nid et l'oiseau. Ce manteau donc, cette cape, cette casaque, cette simare, cette robe, cette soutane, ce pavillon, ce lange, ou cet habit, (car je suish encore à deviner ce que c'est, etye croy que le Syndic des Tailleurs y demeureroit « a quia ») ne fera pas dire aux gausseurs qu'il se moque du monde c en leur montrant la corde. Il est trop vieux le pénard pour en avoir une seule. Certains Dogmatistes disent avoir appris par tradition qu^il fut apporté du Caire, où on le trouva dans une vieille cave, à l'entour de je ne sçay quelle Momie, sous les sain- a) 1654 : en ordonne. — b) on est. — c) fait bien dire aux gausseurs, qu'il fait peur aux larrons. (1) Molière a imité cette scène dans Les Fourberies de Scapin, acte III, scène III, c'est le second emprunt pour cette dernière pièce que notre grand auteur comique a fait à Cyrano. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 49 tes Mazures d'une Piramide éboulée. A la vérité, les figures grotesques que les trous, les pièces, les taches et les filets y composent bizarement, ont beaucoup de rapport avec les [figures] hiéroglifiques des Egyptiens. C'est un plaisir sans pareil de contempler ce Fantosme arresté dans une rue. Vous y verrez amasser cent Curieux, tous en extase disputer de son origine : l'un soutenir que l'Imprimerie ny le papier n'estant pas encore inventez % les Doctes y avoient tracé l'Histoire universelle ; et sur cela remontant de Pharamond à César, de Romule à Priam, de Lycurgue à Deucalion, de Prométhée au premier homme, il ne laissera pas échaper un filet qui ne soit au moins le Simbole de la décadence d'une Monarchie; un autre voudra que ce soit le Tableau du Cahos ; un autre la Métempsi- cose de Pitagore ; un autre, divisant ses guenilles par chapitres, y verra b l'Alcoran divisé par azoares ; un autre la Sphère e de Copernic ; un autre le Livre de Salomon ; un autre enfin jurera que c'est le manteau du Pro- phète Elie, et que sa sécheresse est une marque qu'il a passé par le feu. Et moy pour vous blasoner cet Escu, je dis qu'il porte de Sable, engreslé sur la bordure, aux Lambeaux sans nombre. De V habit je grimperois au chapeau d, mais je pense qu'il suffira de dire que chaque pièce de son acoù- trement est un cabinet d'antique. Passons e de l'estofïe à la doublure, de la Châsse au Sainct et de la guaisne à l'espée. Traçons en deux paroles le crayon de nostre ridicule Docteur. Figurez-vous un rejeton de ce fameux Arbre Cocos1, qui, seul, fournit un pais entier des choses nécessaires à la vie. Premièrement, en ses cheveux on trouve de l'huile, de la graisse et des cordes de Luth ; Sa teste peut fournir de corne les Couteliers, et Son front les Négromanciens, de grimoire à invoquer le Diable ; Son cerveau, d'enclume ; Ses yeux, de cire, de vernis et d'escarlate ; Son visage, de rubis; Sa gorge, de doux; Sa barbe, de décrotoires 2 ; Ses doigts, de fuseaux; Sa peau, de lime; Son haleine, de vomitif; Sa parole, de ris ; Ses cotaires, de pois; Ses dartres, de farine ; Ses oreilles, d'aisles à mou- lin ; Son derrière, de vent à le faire tourner ; Sa bouche, de four-à-ban3 ; Et sa personne, d'Asne à porter la Mounée \ Pour son Nez, il mérite bien une égratignure particulière. Cet autentique Nez arrive partout un quart d'heure auparavant' son Maistre : Dix Savetiers, de raisonnable rondeur, vont travailler dessous à couvert de la pluye=. Hé bien, Monsieur, ne voilà pas un joly Ganymède ? Et c'est pourtant le Héros de l'Histoire que Je veux conter5. Cet honeste homme régente une classe dans l'Université, [c'est bien] le plus faquin, le plus chiche, le plus avare, le plus sordide, le plus mesquin... Mais riez donc ! a) 1654 : trouvez. — b) trouvera. — c) le système. — d) Du manteau je passerois aux habits. — e) Venons. — /) devant. — g) mon histoire. (1) le cocotier. — (2) cure-dents. — (3) four banal où l'on cuisait le pain de tout un fief, de tout un quartier, de tout un village (P. L.). — (4) mouture. — (5) Cette bouf- fonnerie rappelle une épigramme de l'antliologie où il est question d'un certain Antidamas, dont le nez était si long qu'il servit un jour d'échelle à quelqu'un pour s'esquiver par la fenêtre pendant un incendie (Victor Fournel). 50 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE GRANGER Ha, a, a, a, a. GENEVOTE Ce vieux rat de Collège a un Fils qui, je pense, est le receleur des perfections que la Nature a volées au Père, ce Chiche-pénard1, ce Radoteux*... GRANGER Ah ! malheureux, je suis trahy ! c'est sans doute ma propre histoire qu'elle me conte. Mademoiselle, passez ces épithètes ; il ne faut pas croire tous les mauvais rapports, outre que la vieillesse doit estre respectée. GENEVOTE Quoy ! le connoissez-vous ? GRANGER Non, en aucune façon. GENEVOTE 0 bien, bien, escoutez donc. Ce vieux Bouc vouloith envoyer son Fils en je ne sçay quelle Ville, pour s'oster un rival ; et afin de venir à bout de son entreprise, il luy veut faire acroire qu'il est fou. Il le fait lier, et luy fait ainsi promettre tout ce qu'il veut. Mais le Fils n'est pas long-temps créancier de cette fourbe. Comment ! vous ne riez point de ce vieux Bossu de ce Maussadas à triple estage ? GRANGER Baste, baste, faites grâce à ce pauvre vieillard ! GENEVOTE Or, escoutez le plus plaisant. Ce Goûteux, ce Loup-garou, ce Moine- bourru*... GRANGER Passez outre, cela ne fait rien à l'Histoire, GENEVOTE Commanda à son Fils d'acheter quelque bagatelle pour faire un pré- sent à son Oncle le Vénitien ; et son Fils, un quart d'heure après, luy manda qu'il venoit d'estre pris prisonnier par les Pirates Turcs, à l'embou- chure du Golphe des Bons-Hommes 3 ; et ce qui n'est pas mal plaisant, c'est que le bonhomme aussi-tost envoya la rançon. Mais il n'a que faire de craindre pour sa pécune, elle ne courra poiut de risque sur la Mer du Levant. GRANGER Traistre Corbineli, tu m'as vendu ! mais je te feray donner la Salle*. a) 1654 : radoteur. — b) veut. (1) Vilain avare. — (2) Personnage fantastique qui, dans la croyance des parisiens, courait les rues la nuit, surtout à l'époque de l'Avent, en tordant le cou à ceux qui mettaient le nez à la fenêtre, en maltraitant les passants. —(3) Entre Chaillot et l'île des Cygnes. — (4) Dans les collèges, cette expression proverbiale signifiait donner le fouet, parce que l'exécution avait lieu dans une salle à ce destinée (P. L.). — On a LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 51 Il est vray, Mademoiselle, que je suis interdit ; mais jugez aussi par le trouble de mon visage de celuy de mon âme. L'image de vostre beauté joue incessamment dans mon cœur à Remue-ménage. Ce n'est pas toute- fois du désordre d'un esprit égaré que fattens* ma récompense, mais de ma seule passion b que je prétens vous prouver par quatre Figures de Rhétorique : les Antithèses, les Métaphores, les Comparaisons et les Argumens. Et pour les déplier, escoulez parler 1' « Antithèse » : « Si » mais je ne dis point si, car il est plus véritable que la vérité : « Si », dis-je, l'amère douceur et la douce amertume, le poison médicinal et la médecine empoisonnée, [qui] partent sans sortir de vous, ô Monstre indéfectueux, n'embrasoient mon esprit en le gluant c et n'y faisoient tan- tost vivre, tantost mourir, un immortel petit Géant (j'appelle ainsi les fiâ- mes invisibles dont ce Dieu nain d m'échauffe et me fait trembler). Ou « si » ces aveugles clair-voyans (je veux dire vos yeux, belle Tigresse, ces inno- cens coupables, mais plustost encore le siège et la lice, le repos et faction, le tout et la partie de l'unité de nos deux âmes) se publiant, sans dire mot, les amis ennemis de l'esclave liberté des hommes, n'avoient contraint volontairement mon génie dans la libre prison de vostre sorcière beauté, luy qui faisoit gloire auparavant d'une fermeté constante en son incons- tance ; « Si », dis-je, tout cela n'avoit fait faire et défaire à mes pensées beaucoup de chemin en peu d'espace ; « Si » bref vous ne m'aviez apporté des ténèbres par vos rayons, « Je » n'aurois pas appelé de mon Juge à mon Juge, pour demander ce que je ne veux pas obtenir ; c'est, pitoyable inhumaine, la santé mortelle d'une aigre douce maladie qu'on rendroit incurable si on la guérissoit. GENEVOTE Comment appelez-vous cette Figure-là ? GRANGER Nos Ancestres jadis la baptisèrent « Antithèse ». GENEVOTE Et moy qui la confirme aujourd'huy, je luy change son nom et luy donne celuy de Galimathias. GRANGER Voicy la Métaphore et la Comparaison qui viennent à vos pieds deman- der audience. GENEVOTE Faites-les entrer. o) 1654 : je prétens mériter. — b) c'est de la force de ma passion. — c) glaçant. — d) visibles dont le plus grand et le plus petit des Dieux. reconnu encore dans cette scène un autre emprunt de Molière, non moins patent que le précédent (la scène des galères), c'est-à-dire la scène 3 de l'acte III des Fourberies de Scapin où Zerbinette vient raconter à Géronte lui-même le tour que son fils lui a joué par l'intermédiaire de ton valet. 52 LE PÉDANT JOUÉ , COMEDIE GBANGER Tout ainsi qu'un neigeux Torrent, fier enfant de l'Olympe, quand son chenu coupeau acravanté d'orages, et courbant sous le faix des froidureux cotons ; franc qu'il se voit de l'estroite Conciergerie ' où le calme le tenoit serf « Qua data porta ruit » 2, va ravager insolemment le sein fertile des pierreuses campagnes, et déshonorant sans vergogne, par le guéret cham- pestre,la perruque dorée de Cérès aux pasles couleurs, fait brouter ilec le troupeau escaillé, où le coutre tranchant du mesnager Laboureur piéça se promenoit. Ainsi mes mortes espérances ne pouvant plus tenir contre l'im- pétuosité de mon désespoir", l'Huissier de ma tristesse, tenant en main la baguette de mes soupirs, a fait place à la majestéh de mes douleurs ; j'ay débarricadé mes clameurs, lasché la bride à mes sanglots, donné de l'es- pron à mes larmes, et fouetté mes cris devant moy. Ils feront bon voyage, car il me semble déjà que je voy la Sentinelle avancée de vostre bonté paroistre entre les cresneaux et sur la plate-forme de vos grâces, qui crie à mes soupirs : « Qui va là » ? Puis, ayant appelé le Coporal de vostre jugement, donné l'alarme au Corps de garde de vos pudicitez, demandé le mot du guet à mes soupirs, les avoir reconnus pour con fédérez e, laissé passer à cause du paquet de persévérance, et bref les articles [de] bonne intention signez de l'Amant et de l'Aimée, voir la Paix universelle entre les deux Estats de nostre Foy matrimoniale régner es siècles des siècles8. GENEVOTE Amen. GRAXGER Donc, pour nous y acheminer, soyez comme un Jupiter qui s'appaise pourd de l'encens ; je seray comme Alexandre à vous en prodiguer. Soyez de mesme que le Lion qui fleschit aux e larmes ; Je seray de mesme qu'He- raclite à force de pleurer. Soyez tout ainsi que le Naphte auprès du feu ; et je seray tout ainsi que le Mont zEtna, qui ne sçauroit s'esteindre. Soyez ne plus ne moins que le bon Terroir qui rend ce qu'on luy preste ; et je seray ne plus ne moins que Triptolème à vous encemencer. Soyez ainsi que les Abeilles qui changent en miel les plus arriéres fleurs ; et les fleurs de ma Rhétorique, ainsi que celles d'Attique, se chargeront de Mâne. Soyez telle en fermeté que la Remore qui bride la Nef au plus fort de la tempeste ; et je seray tel que le Vaisseau de Caligula qui en fut arresté « Ne multus sim » *. Soyez à la façon des Trous qui ne refusent point de mortier ; et je seray à la façon de la Truelle qui bouchera vostre crevasse. GENEVOTE Yrayment, Monsieur, quoy que vous soyez incomparable, vous n'estes pas un homme sans comparaison. a) 1654 : déplaisir. — b) grandeur. — c) amis. — d) par. — e) se laisse fléchir par les. (1) prison. — (2) se rue par la porte ouverte. — (3) Allusion à la formule finale dei oremus : in saecuia saecutorum. — 4) Pour ne pas être bref. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 53 GRANGER Ce n'est pas par la Métaphore seule, pain quotidien des Scholares, que je prétends capter vostre bénévolence. Voyons si mes arguraens trouve- ront forme à vostre pied ; car si ce contingent Métaphisique avoit couru du « Possibile ad factum » ', je jure par toutes les Eaux infernales, parles Palus trois fois saincts du Gocite et du Stix, par la Couronne de fer de l'Enfumé Pluton, par l'éternel Gadnas du Silence, par la fourche et la béquille du Cyclope boiteux a, bref par l'Entousiasme prophétique du Tri- pied Sibilin, de vous rendre en beauté, non point la Déesse Paphienne, mais celle qui fera honte à celle-là. Et pour [en] descendre aux preuves, j'argumente ainsi : Du Monde, la plus belle partie, c'est l'Europe. La plus belle partie de l'Europe, c'est la France, « Secundum Geographos » 2. La plus belle Ville de France, c'est Paris. Le plus beau Quartier de Paris, c'est l'Université, « Propter Musas »3. Le plus beau Collège de l'Univer- sité, je soutiens, à la barbe de Sorbonne, de Navarre et de Harcour, que c'est Beauvais ; et son nom est le respondant de sa beauté, puis qu'on le nomma Beauvais « quasi » beau à voir. La plus belle Chambre de Beau- vais est la mienne ; « Atqui » * le plus beau de ma Chambre, c'est moy. Ergo5, je suis le plus beau du monde. « Et hinc infero »6 que vous, Puce- lete Mignardelete, Mignardelete Pucelete, estant encore plus belle que moy, il seroit, je dis « Sole ipso clarius » 7, que vous incorporant au corps de l'Université en vous incorporant au mien, vous seriez plus belle que le plus beau du monde. GENEVOTE [Vrayment] si j'avois dormy une nuit auprès de vous, je serois docte comme Hésiode, pour avoir dormy sur le Parnasse. GRANGER Mais j'ay d'autres armes encore qui sont toutes neuves à force d'estre vieilles, dont je présume outrepercer vostre tendrelete poitrine. C'est l'éloquence du franc Gaulois8. Or oyez. Et déa Boyne de haut parage, Mie de mes pensées, Cresme, Fleur et Parangon des Infantes, vous qui chevauchez par illec du fin feste de cestuy vostre magnifique et moult doucereux palfroy, jouxte lequel gésir soûliez en bonne couche ; prenez émoy de ma déconvenue. Las ! oyez le méchef d'un dolent moribond qui, crevé d'anhan sur un chétif grabat, onques ne sentit au cœur joye. Point ne boutez en sourde oubliance cil à qui piéça Fortune porte guignon. Las ! hélas ! réconfortez un pauvret en a) 1654 : la béquille de Vulcain. (1) Du possible au fait. — (2) selon les géographes. — (3) à cause des Muses. — (4) Or. — 5) Donc. — (6) et, de la, j'infère. — (7) plus clair que le jour. — (8) A cette époque les romans à grand style et à grands sentiments avaient complètement détrôné les anciens romans de chevalerie qui ne se lisaient plus... La connaissance de la vieille langue était donc reléguée parmi les défroques de la pédanterie. Ce fut Chape- lain qui essaya de remettre en vogue et en honneur la littérature gauloise (P. L.). 54 LE PEDANT JOUÉ, COMÉDIE marisson, à qui il conviendra soy gendarmer contre soy, s'occir, ou se déconfir par quelqu'aulre tour de mal engin, se ne vous garmantez de luy donner soûlas ; car de finer ainsin piéça ne luy chaut. Or soyez ma Pucelle aux yeux vers1 comme un Faucon, quant à raoy je seray vostre coint Damoisel, qui, par rémunération d'une si grande mercy, se aucune chose avez à besogner de son avoir, à-tout son tranchant glaive il redressera vos torts, et défera vos griefs ; il déconfira des Chevaliers félons ; il hachera des Andriaques ; il fera des Chapelis inénarrables, il martellera des Paladins ores à dextre, ores à senestre ; bref tant et si beau joustera, qu'il n'y aura pièce de fiers, orgueilleux, outrecuidez, et démesurez Géans, lesquels en dépit des armes Fées, et du Haubert de fine trempe, il ne pourfende jus les arçons. Quel ébaudissement de voir adonc issir le sang, à grand randon, du flanc pantois de ïendamné' Sarasin ; et pour festoye- ment de cas tant beau, se voir léans guerdoné d'un los de plénière Chevalerie. GENEVOTE Monsieur, il est vray, je ne le puis celer, c'est à ce coup que je rends les armes. Enfin je m'abandonne tout à vous ; Usez de mes desirsh aussi librement que le Chat [fait] de la Souris : Rognez, tranchez, taillez ; faisles-en comme des Choux de vostre jardin. PAQUIER Je trouve pourtant bien du « distinguo » entre les Femmes et les Choux ; car des Choux la teste seule' est bonne, et des Femmes c'est ce qui n'en vaut rien. GRANGER Auriez-vous donc agréable, Mademoiselle, lors que la nuit au visage de More, aura, de ses haillons noirs, embéguiné le minois souffreteux de nostre Zénith ; que je transporte mon individu aux Lares domestiques de vostre toit, pour humer à longs traits vostre Eloquence mellifluë, et faire sur vostre couche un sacrifice à la Déesse tutélaire de Paphos ? GENEVOTE Oiiy, venez ; mais venez avec une eschelle, et montez par ma fenestre, car mon frère serre tous les jours les clefs de nostre maison sous son chevet. GRANGER O! que ne suis-je maintenant [Julius] César, ou le Pape Grégoire', qui firent passer le Soleil sous leur férule ! Je ne le reculerois, ni ne a) 1654 : l'endemené. — b) moy. — c) en. (1) vairs, c'est-à-dire de couleur changeante. — (2) Allusion au calendrier Julien, dressé par Jules César, et au calendrier Grégorien, réformé par le pape Grégoire XIII (P. L.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 55 l'arresterois en Thieste ou en Josué', mais je le contraindrois de marquer minuit à six heures. SCÈNE III GENEVOTE, LA TREMBLAYE, GRANGER le jeune, CORBINELI GENEVOTE Je pensois aller plus loing vous faire rire, mais je vois bien qu'il me faut décharger icy. granger le jeune Aux despens de mon Père ? GENEVOTE C'est bien le plus bouffon personage de qui jamais la teste ait dansé les sonnettes8; et moy, par contagion, [je] suis devenue facétieuse, jusques à luy permettre d'escalader ma chambre. A bon entendeur, salut. Il se fait tard ; les machines sont peut-estre déjà en chemin, retirons-nous. SCENE IV LA TREMBLAYE, CORBINELI LA TREMBLAYE [Il heurte à la porte de Manon.] Va donc avertir Mademoiselle Manon. Tout va bien : La beste donnera dans nos panneaux, ou je suis mauvais chasseur. SCÈNE V LA TREMBLAYE, MANON, CORBINELI LA TREMBLAYE Je m'en vais amasser de mes amis pour m'assister, en cas que son Collège voulust le secourir. Mais une autre difficulté m'embarrasse : C'est que je crains, si je ne suis arrivé assez tost, qu'il n'entre dans la chambre de ma sœur ; et comme enfin elle est fille, qu'elle n'ait de la peine à se dépestrer des poursuites de ce Docteur échauffé ; et qu'au contraire, s'il trouve la fenestre fermée, contre la parole qu'il a reçeuë d'elle, qu'il ne s'en aille, pensant que ce soit une burle3. (1) Le Soleil recula devant le forfait d'Atrée, qui fit manger à son frère Thyeste le corps de son propre fils ; Josué, chef du peuple Hébreu, arrête le Soleil, pour achever de poursuivre ses ennemis (P. L.). — (2) La danse des sonnettes était une danse de bouffon (id.). — (3) plaisanterie. 56 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE CORBINEU 0 ! de cela n'en soyez pas* en peine, car je l'arresteray en sorte qu'il ne pourab pas fort viste escalader la chambre, et n'osera pour quelqu'autre raison que je vous tais, retourner en son logis. C'est pourquoy je vais ni'habiller pour la Pièce. LA TREMBLAYE J'estois venu pour imaginer avec vous un moyen de haster de nostre mariage ; mais vostre Père luy-mesme nous en donne un fort bon. [Il luy parle bas à l'oreille]. Il va tout à l'heure assiéger nostre Chasteau pour voir ma sœur, et moy je MANON C'est par là qu'il s'y faut prendre, n'y manquez pas. Adieu. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE GRANGER, PAQUIER, [CORBINELI] GRANGER Tout est endormy chez nous d'un somme de fer ; tout y ronfle jusques aux Grillons et aux Crapaux. Paquier, avance ton eschelle : Mais que c'est bien pour moy l'eschelle de Jacob, puis qu'elle me va monter au Paradis d'Amour. PAQUIER Je croy que voicy la maison. [Il tombe, ayant appuyé son eschelle sur le dos de Corbineli.] Ah ! je suis mort. C'est ma faute, je ne luy avois pas assez donné de pied. GRANGER (Corbineli présente le ventre à V eschelle.) Monte encore un coup, pour voir si elle est bien appuyée. [Il l'y met encore et monte.] PAQUIER Mon eschelle est barbue. GRANGER Tu es fou, tu es fou. PAQUIER (Il redonne le dos pour la soutenir). « Domine » nostre eschelle a rasé sa barbe, j'ay peur d'avoir donné trop de pied. (Il nage des bras dans la nuit pour toucher le mur). Comment je ne rencontre point de mur ? Nostre machine tiendroit-elle bien toute seule? « Domine », plantez vous-mesme vostre eschelle, je n'y oserois plus toucher, car j'auroy peur ma foy de trouver encore une barbe, j'aime mieux pour ce coup demeurer ignorant. ■' • a) 1654 : point. — b) courra. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 57 GRANGER « Vade rétro » mauvaise beste, je l'appliqueray bien moy-mesme. Je pense que j'y suis, voicy la porte ; je la connois aux clous ; sur chacun desquels j'ay composé jadis maintes bonnes Epigrammes. « Sonde* pour essayer si elle est ferme. » PAQUIER [Gorbineli transpose l'eschelle d'un costé et d'autre avec tant d'adresse, que Paquier faisant aller sa main à droite et à gauche, frappe tousjours un des costez de l'eschelle sans trouver d'échelons.] Ha ! misérable que je suis, [ on vient d'arracher les dents à mon eschelle. Miséricorde, mon eschelle vient d'enfanter. Qui l'auroit engrossie ! Seroit-ce point moy, car j'ay monté sur elleh? Mais quoy l'enfant est desjà aussi grand' que la mère. GRANGER Tais-toy, Paquier, j'ay veu tout à l'heure passer je ne sçay quoy de noir. C'est peut-estre une de ces Larves au teint blesme, dont nous par- lions tantost, qui vient pour m'effrayer. PAQUIER (Granger tousse.) « Domine », on dit que pour épouvanter le Diable, il faut témoigner du cœur. Toussez deux ou trois fois, vous vous rasseurerez. GRANGER [77 tousse.] Qui es-tu ? Un peu plus haut. Qui es-tu ? Encore plus fort. Qui es-tu donc ? PAQUIER GRANGER PAQUIER GRANGER PAQUIER Chantez un peu pour vous rasseurer. (Granger chante). Bon ; fort. Faites accroire au Spectre que vous ne le craignez point. Monsieur11, c'est un Diable Huguenot, car il ne se soucie point de la Croix. (Corbincli fait le signe de la Croix). GRANGER II a peur luy-mesme, car il n'ose parler. Mais, Paquier, seroit-ce point mon Ombre, car elle est vestuë tout de mesme que" moy ; fait tous mes mesmes gestes ; recule quand j'avance ; avance quand je recule ! Il faut que je m'éclaircisse. (Il donne un coup, et Corbineli le luy rend.) Quoy ! je frappe une Ombre et une Ombre me frappe /' PAQUIER Monsieur, il se peut faire que les Ombres de la Nuit estant plus a) 1654 : scande (monte). — b) dessus. — c) gros. — d) « Domine ». — e) comme, — /) Nostre-Dame, elle me frappe. 58 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE espaisses que celles du jour, sont aussi plus robustes, et qu'ainsi elles pouroient fraper les gens. Entrez, monsieur, voilà la porte ouverte. (Cor- bineli entre vistement avec un passepartout, et Granger court après pour entrer aussi. ) GRANGER Ma foy l'Ombre est plus habile que moy. Escoutez donc, me voicy, c'est moy. PAQUIER Non. vraman-da, ce n'est pas mon Maistre qui est chez vous, ce n'est rien que son Ombre. Que Diable, Monsieur, vostre Ombre est-elle folle de marcher devant vous, et d'entrer toute seule en un logis où elle ne connoist personne? Ho! asseurément que nous nous sommes trompez, car si c'estoit une Ombre, la Lune qui luit maintenant l'auroit faite, cependant la Lune est toute ronde et V Ombre est faite comme un Homme, cela ne s'accorde point". Hélas ! « profecto »'; nous en estions bien loin. Je le viens de trouver. C'est vostre Ame, car ne vous souvient-il pas qu'hier vous la donnastes à Mademoiselle Genevote ? Or n'estant plus à vous, elle vous aura quitté ; cela est bien visible, puis que nons la rencontrons en chemin qui s'y en va. Ah ! perfide Ame, vous ne deviez pas trahir un Docteur de la façon, ce qu'il en avoit dit n'étant^ qu'en riant ; cependant vous l'abandonnez pour une niaiserie ! Je m'en vais l'essaierc, peut-estre qu'en la flattant un peu, elle se repentira de sa faute. Je t'adjure par le grand Dieu vivant, de me dire qui tu es ? corbixelli, par la fenestre Je suis le grand Diable Vauvert*. C'est moy qui fais dire la Pate- nostre du Loup ; Qui noue l'Esguillette aux nouveaux mariez ; Qui fais tourner le Sas ; Qui pétris le Gasteau triangulaire ; Qui rends invisibles les Frères de la Rose-Croix ; Qui dicte aux Rabins la Cabale et le Tal- mud ; Qui donne la Main de Gloire3, le Trèfle à quatre, la Pistole volante, le Guy de l'An-neuf*, l'Herbe de Fourvoyment B, la Graine de Fougère, le Parchemain vierge, les Gamahez 6, l'Emplastre magnétique. J'enseigne la composition des Brevets ', des Sorts, des Charmes, des Sigillés, des Carac- tères, des Talismans, des Images, des Miroirs, des Figures constellées. Je prestay à Socrate un Démon familier; je fis voir à Brutus son mauvais Génie ; j'arrestay Drusus à l'Apparition d'un Lutin ; j'envoye les Démons a) 1654 : ne luit pas. — b) n'estoit. — c) bien voir si c'est elle, car si ce l'est. (1) Assurément. — (2) Tout ce couplet n'est qu'un résumé du discours débité par le sorcier Agrippa dans la XIIe des Lettres Diverses de Cyrano, pour les Sorciers. La plupart de ces superstitions sont expliquées en détail dans le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, seconde édition, 1825,4 vol. in-8. — (3) Racine de mandragore (d'où main de gloire, par corruption) ayant la forme d'un fœtus bumain. — (4) Gui de cbêne, coupé sur l'arbre, au clair de lune, dans les premières nuits du solstice du prin- temps. — (5) Herbe magique qui a la propriété d'égarer ceux qui la portent. — (6) Pierres magiques, portant des figures et des signes naturels. — (7) Contrats magiques. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 59 familiers, les Esprits folets, les Martinets, les Gobelins, le Moine-bouru, le Loup-garou, la Flleuse, la Beste de la grosse Tour, la Mule ferrée ', le Filourdï*, le Marcou, le Cochemar, le Roy Hugon', le Gonnestable *, les Trépassez, les Hommes noirs, les Femmes blanches, les Ardans, les Lémures, les Farfadets, les Ogres, les Larves, les Incubes, [les Succubes], les Lamies, les Fées, les Ombres, les Mânes, les Spectres, les Fantosmes. Enfin je suis le Grand Veneur de la Forest de Fontainebleau \ GRANGER Ha ! Paquier, qu'est-ce cy ? PAQUIER Voilà un Démon qui n'a pas eu toute sa vie les mains dans ses pochettes. GRANGER Qu'augures-tu de cette vision ? PAQUIER Que c'est un Diable Femelle, puis qu'il a tant de caquet. GRANGER En effet, je croy qu'il n'est pas meschant, car j'ay pris garde" qu'il ne nous a dit mot, jusques à ce qu'il s'est veu armé d'un Corcelet de pierre ' à l'épreuve de nous. PAQUIER Ma foy, Monsieur, ne croiez b point de " Diables jusques à ce qu'ils vous emportent. Pour moy, je n'en puis admettre d que sur les espaules des Femmes. SCÈNE II LA TREMBLAYE, GRANGER, PAQUIER, [CHASTEAUFORT] LA TREMRLAYE Aux voleurs ! aux voleurs ! Vous serez pendus, coquins ! ce n'est pas o) 1654 : remarqué. — b) craignez. — c) les. — d) ne les appréhende. (1) La nuit, on croyait entendre le pas lourd de la Mule qui portait le Diable au sabbat ; on voyait, dans les ténèbres, des étincelles que ses pieds ferrés faisaient jaillir du pavé. De là est venue l'expression proverbiale ferrer la mule. L'argent que les servantes volaient à leurs maitres était censé servir à ferrer la mule du diable qui devait les emporter en Enfer. — (2) Esprit malin qui embrouillait les fuseaux des fileuses et le chanvre des cordeliers. — (3) C'est à Tours que ce fantôme couronné avait le siège de son empire (de Thon : Histoire de son Temps, liv XXIV. — (4) Le connestable qu'on nommait aussi le Porte-Epée, et, par corruption, le Porte-Epaule, est une variante du roi Hugon, qui devait, dit-on, son origine aux terribles souve- nirs qu'avait laissés Hugues, comte de Tours, un des douze pairs de Charlemagne. — (5) Le Grand Veneur, qui parcourait la forêt de Fontainebleau avec sa meute infer- nale, ne se montrait plus depuis sa fameuse apparition du temps de Henri IV, auquel il adressa son interpellation : « Attends-moi ! » Mais on entendait souvent au loin les sons de ses cors et les cris de ses chiens. — • (6) C'est-à-dire jusqu'à ce qu'il se soit caché derrière une muraille (P. L.). 60 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE d'aujourd'huy que vous vous en meslez. Peuple, vous n'avez qu'à chanter le « Salve », le patient est sur l'eschelle '. PAQUIER En mourra-t-il, Monsieur ? LA TREMBLAYE // s'y peut * bien attendre, PAQUIER Seigneur, ayez donc pitié de l'âme de feu mon pauvre Maistre Nicolas Granger. Si vous ne le connoissez, Seigneur, c'est ce petit homme qui avoit un chapeau à grand bord, et un haut de chausse à la Culote. GRANGER Au secours, Monsieur de Ghasteaufort, c'est vostre amy Granger que La Tremblaye veut poignarder. chasteaufort, par sa fenestre Qiji sont les Canailles qui font du bruit là-bas ? Si je descends, je lâcheray la bride aux Parques. LA TREMBLAYE Soldats ! qu'on leur donne les osselets*! GRANGER Ah ! Monsieur de Chasteaufort b, plus fort que cil dont le nom tremble la fièvre, envoyez, de l'Arsenal de vostre puissance, la foudre craquetante sur la témérité criminelle de ces chétifs mirmidons ! chasteaufort [descendu sur le Théâtre] Vous voilà donc, maraults. Hé ! ne sçavez-vous' pas qu'à ces heures muettes, j'ordonne à toutes choses de se taire, hormis à ma Renommée ? Ne sçavez-vous pas que mon espée est faite d'une branche des Ciseaux d'Atropos ! Ne sçavez-vous pas que si j'entre, c'est par la brèche ; si je sors, c'est du combat ; si je monte, c'est dans un Thrône ; si je descends, c'est sur le pré ; si je couche, c'est un homme par terre ; si j'avance, ce sont mes conquestes ; si je recule, c'est pour mieux sauter ; si je joue, c'est au Roy dépouillé ; si je gagne, c'est une bataille ; si je perds, ce sont mes ennemis; siye lis', c'est un cartel; si j'escris, c'est avec du sangd. Enfin si je m'explique ", c'est par la bouche d'un canon ? Donc, pendart, tu sçavois ces choses et tu n'as pas redouté mon Tonnerre ? Choisis toy- mesme le genre de ton supplice ; mais dépesche-toy de partir ', car ton heure est venue. a) 1654 : Tu t'y peux. — b) Chasteau très fort. — c) j'escris. — d) si je lis, c'est un arrest de mort. — e) parle. — f) parler. (1) pour être pendu (R. de G.). — (2) Espèce de torture infligée aux voleurs et aux accusés, pour leur faire avouer la vérité. On leur mettait des os ou des cailloux entre les doigts, que l'on serrait ensuite plus ou moins avec des cordes (P. L.). LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 61 LA TREMBLAYE Ah ! quelle frénésie ! GRANGER Monsieur [de Chas te au fort], « a minori ad maius » '. Si vous traitez de la sorte un malheureux, que feriez-vous à vostre rival ? CHASTEAUFORT Mon rival ! Jupiter ne l'oseroit [estre] avec impunité. GRAMGER Cet Homme est' donc plus que Jupiter? CHASTEAUFORT Ce grimaut, ce fat, ce farfadet ! Docteur, vous avez grand tort. Je l'allois faire mourir avec douceur ; maintenant que ma bile est échauffée, sans vous mettre au hasard d'estre accablé du Ciel qui tombera de peur, [je ne le sçaurois punir]. N'avez-vous point sceu cet estramaçon dont les siècles ont tant parlé ! Certain fat avoit marché dans mon Ombre ; mon tempérament s'en alluma ; je laissay tomber celuy de mes revers, qu'on nomme l'Archi-épouvantable, avec un tel fracas, que le vent seul de ma Tueuse ayant estoufé mon ennemy, le coup alla foudroyer les Omoplates de la Nature. L'Univers, de frayeur, [de carré qu'il estoit], s'en ramassa tout en une boule ; les Cieux en virent plus de cent mille Estoiles ; la Terre en demeura paralytique b ; l'Air en gagna la courte //aleine c ; les Nues en pleurèrent ; Iris en prit l'escharpe ; le Soleil en courut comme un Fou ; la Lune en dressa les cornes ; la Canicule en enragea ; le Silence en mordit ses doigts ; la Sicile en prit le frisson d ; le Vésuve en jetta feu et flâme ; les Fleuves en gardèrent le lit ; la Nuit en porta le deuil ; le Jour en déchira le voile de la Nuit ; les Fols en prirent la migraine" ; les Chimistes en gagnèrent la pierre * ; les Espées en mirent leur pucelage à l'abandon ; l'Or en eut la jaunisse ; la Crote en sécha sur pied ; les Peignes en grincè- rent les dents ; le Tonnerre en gronda ; l'Hiver en frémit f ; l'Esté en sua ; l'Automne en avorta ; le Vin s'en aigrit ; les Buissons s'en piquèrent ; l'Es- carlate eh rougit ; les Rois en eurent eschec et mat ; les Cordeliers en perdirent leur latin ; les Noms Grecs en vinrent au duel 3, et tous les Plii- losoplies modernes aux nouvelles de ce vacarme, redoutant un second ca/ios, se réfugièrent sous l'aile de « verbi gratia ». LA TREMBLAYE Pour éviter un semblable malheur, je vous fais commandement de me suivre. Allons, Monsieur l'Archi-épouvanlable, je vous fais prisonnier à la Requeste de l'Univers. a) 1654 : ose. — b) immobile. — c) en perdit le Vent. — d) en trembla. — e) perdirent la raison. — /) eut le frisson. (1) Du plus petit (jugez) du plus grand. — (2) La pierre philosophale. — (3) Cyrano joue sur le mot duel, qui est un terme de la grammaire servant à désigner dans les déclinaisons et les conjugaisons grecques deux personnes ou deux choses. 62 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE CHASTEAUFORT Vous voyez, Docteur, pour ne vous pas enveloper dans le désastre de ce coquin, j'ay pu me résoudre à luy pardonner... SCÈNE III MANON, GRANGER, [PAQUIER], LA TREMRLAYE, CHASTEAUFORT MANON Ah ! Monsieur de La Tremblaye, mon cher Monsieur, donnez la vie à mon Père, et je me donne à vous. Ron Dieu, j'estois dans le Collège attendant qu'il fust arrivé pour fermer les portes de nostre logis', lors que j'ay entendu un grand bruit dans la rue. Le cœur aussi-tost m'a dit qu'in- dubitablement il avait eu quelque mauvaise rencontre. Hélas ! mon bon Ange ne m'avertit point à faux. Il est vray, Monsieur, qu'il a mérité la mort d'avoir esté surpris en volant vostre maison ; mais je sçay bien aussi que tous les gentilshommes sont généreux, et tous les généreux, pitoya- bles. Vous m'avez autrefois tant aimée. Ne puis-je, en devenant vostre Femme, obtenir de vous la grâce de mon Père ? Si vous croyez que cecy soit [dit] seulement pour vous amuser, saisissez-vous de moy tout à l'heure, et tout à V heure allons consommer nostre mariage, pourveu qu'auparavant vous me juriez de ne point égorger mon pauvre Père h : Encore qu'il ne témoigne pas d'y consentir ; excusez-le, Monsieur, c'est qu'il a le cœur un peu haut, et tout homme courageux ne fléchit [pas], comme vous sçavez, que par contrainte', Mais pour luy sauver la vie, je ferois bien pis qu'une désobéissance *. GRANGER 0 Dieux ! quelle fourbe I Sans doute la misérable est d'intelligence avec son traistre d'Amoureux. Non, non, ma Fille, non, vous ne l'épouserez jamais. MANON Ah ! Monsieur de La Tremblaye, arrestez. Je connoy, à vos yeux, que vous l'allez tuer. Ron Dieu ! faut-il voir massacrer mon Père devant moy ou mourir ignominieusement par les mains de la Justice pour un vol, alors quil n'avoit pas achevé? Donc à l'âge où je suis, il faut que je perde mon Père? Hé ! pour l'amour de Dieu, mon Père, mon pauvre Père, sauvez, en vous* sauvant, la vie [et] l'honneur à vos enfants. Vous voyez que La Tremblaye est un brutal qui ne vous pardonnera jamais si vous ne deve- nez son beau-père. Pensez-vous que vostre mort ne me touche point ! 0 dame, si est. Sçachez que je ne vous survivrois guères, et que raesme pour vous sauver d'un péril encore moindre que celui-cy, je ne balancerois a) 1654 : montée. — b) promettiez de luy donner la vie. — c) facilement. — d) que de lui désobéir. — e) vous. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 63 point de me prostituer. A plus forte raison pour vous sauver du gibet, n'ayant qu'à devenir la femme d'un brave gentilhomme, pourquoy ne le ferois-je pas ? GRANGER « Quo vertam » ', mes amis, l'Optique de ma veuë et de mes espé- rances ? C'est à vous, Monsieur de La Tremblaye. « Ne reminiscaris delicta nostra » \ Je me reposois sur la protection de Chasteaufort, et je croyois que ce Tranche-montagne... CHASTEAUFORT Que diable veux-tu ■ que je fasse ? Perdray-je tous les hommes pour un ? GRANGER Oserois-je en ce piteux estât vous offrir ma Fille, et demander vostre sœur ? Je sçay que si vous ne détournez les yeux de mes fautes, je cours fortune de rester un pitoyable racourci des Catastrophes humaines. LA TREMBLAYE Désirer cela, c'est me le commander. Mais n'oublions pas de punir ce grotesque Rodomond de son impertinence. (La Tremblaye frappe et Chasteaufort compte les coups.) CHASTEAUFORT Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze... Ah ! le rusé, qu'il a fait sagement ! S'il en eust donné treize, il estoit mort. LA TREMBLAYE (Il jette Chasteaufort à terre d'un coup de pied.) Voilà pour vous obli- ger à ce meurtre. CHASTEAUFORT Aussi bien, m'allois-jeh coucher. LA TREMBLAYE Allons chez nous passer l'accord. GRANGER Entrez tousjours, je vous suis. Je demeure icy un moment pour donner ordre que nous ayons de quoy nous ébaudir. SCENE IV GRANGER, PAQUIER, CORBINELI GRANGER Paquier, va-t-en « subito » m'accerser 3 les Confrères d'Orphée *. a) 1654 : voulez-vous. — b) me voulois-je. (1) Où tourner. — (2) Ne vous souvenez pas de nos péchés. — (3) Me chercher. (4) Les musiciens. 64 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE Mais d'abord que tu leur auras parlé, reviens et amène-les ; car c'est un lieu où je te défens de prendre racine ; encore que la viande aërée de ces Messieurs, aussi bien que le chef de Méduse, ait droict de te pétrifier ou t'immobiliser" par la mesme force dont usa le violon Thracien1 pour tenir les bestes pendues à son Harmonie. Pour toy, Corbineli, je te pardonne en faveur de mon mariage la fourbe dont tu m'as joué b. CORBINELI Monsieur, c'est aujourd'huy la feste de Sainte Cécile V Si Paquier ne trouve leurs maisons aussi vuides que leurs instrumens, je veux devenir As de pique. Et puis, Monsieur, [le pauvre garçon a bien des affaires, il doit aller en témoignage *]. GRANGER En témoignage, et pourquoi ? CORBINELI Un homme de son païs fut hier déchargé de ce fardeau, qui n'est jamais plus léger que quand il pèse beaucoup. Des Coupe-jarets l'attaquè- rent ; l'autre cria, mais ses cris ne furent autre chose que l'Oraison funè- bre de son argent. Ils luy ostèrent tout, jusques à ne luy laisser pas mesme la hardiesse de les poursuivre. Il soupçonne son Hoste d'avoir esté de la cabale s. L'Hoste soustient qu'il n'a point esté volé et prend Paquier à témoin, qui s'est offert à luy. GRANGER Hé bien, Paquier, que diras-tu, par ta foy, quand tu seras devant le Juge ? PAQUIER Monsieur, diray-je en levant la main, j'entendis, comme je dormois bien fort, du monde dans nostre rue, criant tout bas tant qu'il pouvoit « Aux voleurs ! » Dame, je me levay sans me grouiller, je mis mon cha- peau dans ma teste, j'avallay mon châssis*, je jettay ma teste dans la rue, et comme je vis que je ne vis rien, je m'en retournay coucher tout droit. Mais « Domine », au lieu de m'envoyer quérir des Baladins, il seroit bien plus méritoire et plus agréable à Dieu de me faire habiller. Quelle honte vous sera-ce qu'on me voye aux noces de vostre fille fait comme un gueux, sçachant que je suis à vous ? « In duo veste petrum die aut vestem induo Petro » " ; je m'appelle Pierre, monsieur. a) 1664 : t'immortaliser, au lieu de : immobiliser. — b) 1654 : ta fourbe en faveur de ma conjonction matrimoniale. — c) Dans le Ms , on lit ici ce qui est mis un peu plus loin, avec beaucoup plus de raison, dans la bouche de Paquier dont le prénom est Pierre : « il seroit bien plus méritoire et plus agréable à Dieu de me faire habiller. Quelle honte sera-ce qu'on me voye aux noces (1) Orphée. — (2) Fête des musiciens. — (3) du complot. — (4) J'abaissai le châssis de la fenestre. — 3) Exemple emprunté à la Syntaxe de Despautères. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 65 GRANGER Tu peux donc bien te résoudre à rogner un morceau de l'Arc-en-ciel, car je ne sçache point d'autre estoffe payée au marchand pour te vestir. La Lune six fois n'a pas remply son Croissant depuis la maudite journée que je te caparaçonnay de neuf. PAQUIER « Domine", Saepe quidera docti repetunt bene praeposituram4 », c'est-à-dire que toute la Nature vous presche, avec Jean Despautère, de m'armer tout à cruh d'un bon lange de bure. GRANGER Va, console-toy, la pitié me surmonte : Je te feray bien-tost habiller comme un Pape. Premièrement, je te donneray un chapeau d'architecture* une Lesse de Chiens courans, un Pannache de Cocu, un Colet de Mouton, un Pourpoint de Tripe-madame, un Haut de chausse de Ras en paille, un Manteau de Dévotion, des Bas d'Asne, des Chausses d'Hippocras, des Botes d'Escrime, des Aiguillons de la Chair ; bref une Chemise de Chartre qui te durera long-temps, car je suis asseuré que tu la doubleras d'un Bufle. Cependant Corbineli, tu vois un Pirate d'Amour ; c'est sur cette Mer orageuse et fameuse en naufrages, que j'ay besoin pour guide du phare de tes inventions. Certaine voix secrète me menasse au milieu de mes joyes, d'un brisant, d'un banc, ou d'un escueil. Pense-tu que ma Maistresse revoye mon fils, sans rallumer des fiâmes qui ne sont pas encore esteintes ? Ah! c'est une playe franchement* fermée qu'on ne peut toucher sans y mettre la mort". Toy seul peut démesler les sinueux détours d'un si léthi- fère Dédale ; toy seul peut devenir l'Argus qui me conservera cette Io. Fais donc, je te supplie, ô présagieuse constellation de mes félicitez de n'estre plus f rétrograde à ma volonté, mais si tu veux que l'Embrion de tes espérances, devenant le plastron de mes libéralitez, fasse métamor- phoser ta bource en un Microcosme des richesses, et ta poche en Corne d'Abondance ; fais, dis-je, que mon coquin de fils prenne un verre au colet de si bonne sorte, qu'ils en tombent tous deux sur le cul. Je présage un sinistre succès à mes entreprises, s'il assiste à cette feste : C'est pourquoy enfonce-le dans un Cabaret, où le jus des Tonneaux le puisse entretenir jusques à demain matin. Voicy de l'or, voicy de l'argent ; Regarde si, par un prodige surnaturel, je ne sçay* pas bien faire dans ma poche conjonc- tion du Soleil et de la Lune, sans Eclipse. Prens, ris, bois, mange, et sur-tout fais-le trinquer jusques à l'ourlet ! Qu'il en crève, n'importe, ce ne sera que du vin perdu. a) 1654 : Monsieur. — b) de nouveau. — c) de fleurs. — d) nouvellement. — e) la r'ouvrir. — f) toy qui es l'Astre et la Constellation de nos félicitez, que mon Fils ne soit plus. — g) fais. (1) C'est évidemment une citation empruntée à Despautères, mais nous n'avons pas réussi à l'y découvrir. (P. L.) 66 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE SCÈNE V GRANGER le jeune, GRANGER, CORBINELI, PAQUIER CORBINELI Le voicy comme si Dieu nous le devoit. Permettez que je luy parle un peu particulièrement, car vostre mine effarouchante ne l'apprivoiseroit pas4. GRANGER Fais à ta fantaisie. CORBINELI Je vous allois chercher. Vous ne sçavez pas ? On vient de condamner vostre raison à la mort. En voulez-vous appeller ? J'ay moy-mesme receu les ordres et les instrumens de vous enyvrer ; mais si j'en suis crû, vous blesserez vostre ennemi de sa propre espée. Il prétend, le bon Idiot' faire ce soirh les nopces de vostre Sœur avec Monsieur de La Tremblaye, et le contract des siennes avec mademoiselle Genevote : Craignant donc que vostre présence n'apportast beaucoup d'obstacles à la perfection de ses desseins, il m'a donné charge de vous saouler à la Taverne c; et je trouve, moy, que c'est un acheminement, le meilleur du monde, pour l'exécution de ce que je vous ay tantost mandé par Paquier* [que vous ay envoyé]. granger le jeune Quoy ! pour contrefaire le mort ? CORBINELI Oiïy ; car je lui persuaderay que dans l'escume du vin vous aurez pris querelle, et que [Il luy parle bas à l'oreille.] Mais viste, allez promptement estudier vos Postures ; nous amuserons cependant, Paquier et moy, vostre Père, pour donner du temps à vostre feinte yvrognerie... Venez icy mesme représenter vostre personnage, et nous luy ferons accroire qu'en suite vostre querelle... [etc.] SCÈNE VI GRANGER, CORBINELI, PAQUIER CORBINELI 0 Monsieur, je ne sçay ce que vous avez fait à Dieu, mais il vous aime bien. Vostre Fils sort de la Croix-Blanche2 avec deux ou trois de vos a) 1654 : le pauvre homme. — b) tantost. — c) au cabaret. — d) celuy. (1) Cette réplique dans l'imprimé finit la scène IV, elle commence la scène V dans le Mb. — (2) Fameux cabaret. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 67 Pensionnaires qui le traittent. Il n'aura pas adjousté quatre verres de vin à ceux qu'il a pris, que nous luy verrons la cervelle tournée en Zodiaque. PAQUIER Avouez, Monsieur, que Dieu est bon ; Voilà sans doute la récompense de la Messe que vous fistes célébrer à son intention' il n'y a que huit jours. SCENE VII LA TREMBLAYE, GRANGER, CORBINELI, PAQUIER LA TREMBLAYE Je vous venois quérir, on n'attend plus que vous. GRANGER J'entrois au moment que vous estes sorty. Mais ma foy, mon gendre, si nos conviez sont infectez du venin de la Tarentule, ils chercheront pour aujourd'huy d'autres Médecins que les Sectateurs d'Amphion ; et le goulu Saturne eust bien pu dévorer Jupiter, si les Curetés eussent entonné leurs charivaris aussi loin d'Ida, que ces Luthériens égratigneront leurs chante- relles « Procul » de nos Pénates. [Paquier et Corbineli parlent plus bas.) Mais au lieu de cet ébat, j'ay pourpensé d'exhiber un Intermède de Muses fort jovial. C'est l'effort le plus argut qu'on se puisse fantasier : Vous verrez mes grimaux scander les eschignes du Parnasse testu, avec des pieds de vers; tantost à coups d' « Ergo », déchirer le visage aux erreurs popu- laires ; « Nunc », à Pégase fait litière de silogismesb ; « Hinc », d'un fen- dant tiré par l'Examètre sur les jarets du Pantamètre, le rendre boiteux pour sa vie ; « Illinc autem », un de mes Humanistes, avec un boulet d'Etopée, passer au travers des hipocondres de l'ignorance ; celui-cy de la carne d'une Période, fendre au discours démembré le crâne jusqu'aux dents ; un autre « denique »4, à force de pointes bien aiguës, piquer les Epigrames au cul. LA TREMBLAYE Je vous conseille de prendre là dessus le conseil de Corbineli ; il est Italien ; ceux de sa nation jouent la Comédie en naissant ; et s'il est né jumeau, je ne voudrois pas jurer0 qu'il n'ait farce dans le ventre de sa mère. CORBINELI Ou plaide vistement, ou paie moy ce que tu me dois. PAQUIER Le temps n'est point préfix auquel je dois plaider. a) 1654 ; dire. — b) de lleurs de rhétorique. — c) gager. (1) Enfin. 68 LE PÉDANT JOUÉ , COMÉDIE GRANGER Qu'est-ce ci mes disciples, les bases, les tripieds, les arboutans et les pilotis de ma chaudière collégiale que vos « deventia cœpit », puis- je estre vostre Juge comme jadis le fut Midas entre Pan le rustique et le mignard Apolon. CORBINELI Si dont, comme lui/, vous faites un jugement gauche, il ne vous déplaira pas d'adjoustcr comme luy à vostre teste d'Asne des oreilles de grison ; sçachez donc que nous sommes convenus, Paquier et moy, qu'Urne donneroit dix escus quand je lui aurois enseigné le droit si parfaitement qu'il gaignât la pre- mière cause qu'il plaideroit ; aujourd'hui pour me frustrer de ce qui m'est dû, il ne veut pas plaider. Je l'ay donc fait appeller par devers vous afin de mettre un terme aux remises de sa dette pour vous faire juger en ma faveur, je n'ay qu'à luy proposer un argument dont je luy fermeray la bouche. N'est-il pas vray, Paquiem, que ou tu vas gaigner ta cause ou tu la vas perdre ; si tu guignes ta cause, tu me dois paier puis que tu t'es obligé de me donner les dix escus en cas que tu gaignasses la première cause que tu plaiderois ; si tu es condamné, le Juge t'oblige de me payer. PAQUIER Et c'est par là que je te vas convaincre, car n'est-il pas vray, Corbineli, que je seray absous du paiement ou que j'y seray condamné. Si je suis absous, le jugement me dégage de l'obligation de payer ; si je suis condamné, je ne te dois point dix escus, puisque j'auray perdu la première cause que j'ay plaidée. GRANGER Je déclare que Paquier n'est aucunement tenu de satisfaire à la dette parce que j'ordonne que Corbineli s'en fasse payer ; et que ledit Corbineli ne peut rien demander à Paquier, attendu que Paquier a perdu sa cause contre Corbineli1. Ho, ho, j'aperçois mon fils yvre. CORBINELI Hélas, Monsieur, il a tant beu, que je pense qu'il feroit du vin à deux sols, en soufflant dans une esguière d'eau. SCÈNE VIII CHASTEAUFORT, GRANGER le jeune, [GRANGER le père, LA TREMBLAYE, CORBINELI, PAQUIER granger le jeune L'Hostesse, je ne vous dois rien, je vous ay tout rendu. Miracle, miracle, je vois sans Astrolabe des Estoiles en plein jour. Copernic a dit (1) Cette scène est la seule avec trois phrases de l'inédit du Ms. de la Bîbl. nat., que M. P. Brun a reproduite dans sa thèse ! LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 69 vray, ce n'est pas le Ciel, en effet, c-'est la Terre qui tourne. Ah ! que n'estois-je Grue depuis la teste jusqu'aux espaules*, j'aurois gousté ce Nectar autant de tempsh qu'il auroit esté à baigner le long tuyau de cette gorge. Corbineli, dis-moy, suis-je bien enluminé à ton avis ? Si mon visage estoit un Calendrier, mon nez rouge y marqueroit bien la double feste que je viens de chommer. Ça, ça, courage, mon Bréviaire est à demy dit; j'ay commencé à « Gaudeamus », et j'en suis à « Laetatus sum »'. Garçon, encore Ghopine, et puis plus: Blanc ou clairet... N'importe ! pourveu" qu'ils demeurent en paix, car à la première querelle, je les mets [hors de chez moy. C'est pour s'estre enyvrez de blanc et de clairet que la Rose et le Lis sont Rois des autres Fleurs. Viste donc, haut le coude ; dans la soif où je suis, je te boirois, toy, ton père, et tes ayeuls s'ils estoient dans mon verre. Beuvez tousjours, compagnons, beuvez tous- jours ; vous ne sçauriez rien perdre, on donne à la Croix-Blanche [douze rubis] pour [la valeur d'] une pinte de vin. O ma foy, voilà bien bû, si tu manges de mesme, il nest pas besoin de vendredis à dégraisser ton pour- ooint.d Voyez un peu comme on devient riche à force de boire : Je pensois n'avoir qu'une maison tantost, j'en vois deux maintenant. C'est la vertu du bon vin qui fait tous ces prodiges. Sans mentir, Démocrite estoit bien fol de croire que la Vérité fust dans un Puits. N'avoit-il pas oùy dire « In vino veritas » ? Mais luy qui rioit tousjours, [il] pou voit bien ne l'avoir dit qu'en riant. Nature en sera bernée. Elle, qui nous a donné à chacun deux bras, deux pieds, deux mains, deux oreilles, deux yeux, deux nazeaux, deux rognons et deux fesses, ne nous donne qu'une bouche ? Encore n'est-elle pas tout à fait destinée à boire ? Nous en mangeons, nous en parlons, nous en baisons, nous en crachons, et nous en respirons. Ah I qu'heureuse entre les Dieux estoit la Renommée pour avoir eu cent bou- ches, mais qu'elle estoit infortunée de ne les avoir pleines que de vent, c'est pour cela que ma Renommée' ne dit mot, car simpatisant à l'humeur de son maistre', elle boit [tousjours] sans relâche, et mange tout jusqu'à ses mots*. La Parque fera bien de me laisser longtemps sur la Terre, car si elle m'avoit mis dessousb, j'y boirois tout le vin avant qu'il fust en grape. Point d'eau, point d'eau, si ce n'est au Moulin ; non plus que de ces ven- danges qui se font à coups de baston. La seule pensée m'en fait serrer les espauies : Fy de la Pomme, et des Pommiers ! GRANGER Une Pomme, en effet, ligua les Dieux l'un contre l'autre; Une Pomme ravit la femme à Ménelas ; Une Pomme d'un grand Empire ne fit qu'un peu de cendres ; Une Pomme fit du Ciel un Hospital d'insensez ; Une a) 1654 : jusques aux pieds. — b) le long-temps. — c) Il n'importe, mais. — d) En effet. — e) s'en bien servir que la mienne. — /) mon humeur. — g) paroles. — h) me mettoit dedans. (1) Je me suis réjoui. 70 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE Pomme fit à Persée égorger trois pauvres filles ; Une Pomme empescha Proserpine de sortir des Enfers ; Une Pomme mit en feu la maison de Théodose ; Une Pomme donna la courte haleine au genre humain : Enfin Dieu n'envoia le Déluge que pour oster de dessus la Terre la mémoire des Pommes \ granger le jeune Que vient faire icy ce Neptune avec sa fourche ? Gontente-toy d'avoir par ton Eau rouge attrapé Pharaon. Le bon nigaut surpris par la couleur, te prenant pour du vin, te but, et se noya. Ça, Compère au Trident, c'est trop faire des tiennes ; tu boiras en eau douce, aussi bien que ton Recors de Triton que voilà. PAQUIER Voyez-vous, Monsieur l'Yvrogne, je ne suis point recors, je suis homme de bien. granger le jeune (Il le frappe) [et Granger le père s'enfuit]. Quoy, tu me répliques, Crapaut de mer ? PAQUIER 0 ma foy, je diray tout. SCÈNE IX LA TREMBLAYE, [GRANGER le jeune] LA TREMBLAYE Marchez, marchez, il faut bien que la passion éborgne étrangement vostre bon Père, car il estoit bien aisé de juger que ny vos yeux, ny vos gestes, ny vos pensées ne sentoient point le vin. Mais encore je n'ay pas sceu ce que vous prétendez par cette galanterie ? granger le jeune Je vous l'apprendray chez vous, aussi bien que le sujet de la comédie de Corbineli. ACTE V SCÈNE PREMIERE GRANGER, PAQUIER GRANGER Quoy, tout ce que j'ay veu.... ? a) 1654 : Enfin une Pomme a causé le péché de nostre premier Père, et, par conséquent, tous les maux du Genre humain. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 71 PAQUIER N'est que feinte. GRANGER Donc mes yeux, donc mes oreilles.... ,y PAQUIER Vous ont trompé. GRANGER Conte-moy donc la série et la concaténation4 des projets qu'ils machi- nent. PAQUIER Que diantre, que vous avez la teste dure ! Je vous ay dit que vostre Fils a contrefait l'yvrogne, afin que tantost Corbineli vous persuade plus facilement qu'ayant pris querelle dans les fumées de la débauche, il se sera balu et resté mort' sur la place. GRANGER Mais « cui bono * » toute celte machine de fourbes ? PAQUIER « Cui bono » ? Je m'en vais vous l'apprendre. C'est qu'estant ainsi trépassé, Mademoiselle Genevote, laquelle a pris langue des conjurez, doit feindre qu'elle avoit promis au délunt de l'espouser vif ou mort, et qu'à moins de s'estre acquitée de sa parole, elle n'ose vous donner la main. Corbineli là-dessus vous conseillera de luy faire épouser le cadavre (au moins de faire toutes les cérémonies qu'on observe dans l'action des espou- sailles) afin qu'estant [ainsi] libre de sa promesse, elle vous la puisse enga- ger. Supposé donc, comme ils s'y attendent bien, que vous leur fassiez mutuellement b prester la foy conjugale, vostre Fils mort doit ressusciter, et, la tenant entre ses bras, vous remercier du présent que vous luy aurez fait. GRANGER Donc, la mine est éventée, et j'en suis obligé à Paquier mon fac- totum ? Je ne te donneray point une Couronne Civique à la façon des Romains, quoy que tu ayes sauvé la vie à un Bourgeois, honorable homme, Maistre Mathieu Granger, ayant pignon sur rue ; mais je te donne un impost sur la pitance de mes Disciples3. Yoicy l'heure à laquelle ces Pes- cheurs s'empestreront dans leurs propres filets. Justement, j'apperçois le Fourbe qui vient. Considère à ton aise la tempeste du Port. a) 1654 : aura esté tué. — b) quand vous leur aurez fait. (1) Enchaînement, en latin concatenacio. — (2) « Cui bono » signifie : A quoi bon ? C'est un spécimen du latin familier qui se parlait dans les collèges. — (3) On avait accusé Grangier de malversations au détriment des boursiers de son collège. Il s'est défendu de cette accusation dans un Mémoire sur l'état de ce collège, niant qu il ait accepté des pots de vin à son profit, etc. (P. L.) 72 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE SCÈNE II GRANGER, PAQUIER, GORRINELI CORBINELI Seray-je tousjours Ambassadeur de Mort, je vous annonce de fascheuses nouvelles, mon pauvre maistre*, vostre Fils est mort. Au sortir d'icy, estant comme avez veu b un peu plus guay que de raison, il a choqué d'une .S' un cavalier qui passoit. L'un et l'autre se sont offencez. Ils ont déguaisné, et presque en mesme temps vostre Fils est tombé mort, traversé de deux grands coups d'espée. J'ay fait porter son corps... GRANGER Quoy ! la Fortune réservoit au déclin de mes ans le spectacle d'un revers si lugubre ! Misérable individu, je te plains, non point pour t'estre acquité, de bonne heure, de la debte où nous nous obligeons tous en nais- sant : Je te plains, ô trois et quatre fois malheureux ! de ce que tu as occumbé d'une mort où l'on ne peut rien dire qui n'ait esté déjà dit. Car de bon cœur je voudrois avoir donné un talent, et que tu eusses esté mangé des Mouches à ces vendanges dernières, j'aurois composé là-des- sus une Epitaphe, la plus acute qu'ayent jamais vanté les siècles Pristins. PAQUIER A-t-il eu le temps de se reconnoistre ? Est-il bien mort ? CORBINELI Si bien mort, qu'il n'en reviendra point. GRANGER Corbineli, appelle Mademoiselle Genevote : Elle diminuera mes dou- leurs en les partageant. Vrayment oiiy, c'est aux Pèlerins de S. Michel qu'il faut apporter des coquilles. SCÈNE III GENEVOTE, GRANGER, [PAQUIER, CORBINELI] GRANGER Mon fils a vescu, Mademoiselle, et je dirois qu'il vit encore si j'avois achevé un Poëme que je médite sur le genre de son trépas. Je me rétracte toutefois, et loin de vous conseiller les larmes, je vous avertis que vous seriez sacrilège, si vous lamentiez la fin d'un homme qui, pour une mes- chante vie et périssable, en recouvre une dans mes Cahiers immor- telle et tranquille. a) 1654 : de mauvaises nouvelles. — b) vous sçavez. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 73 GENEVOTE Quoy ! Monsieur Oranger n'est plus ? Nous estions trop bien unis pour estre si tost séparez ! Je veux, comme luy, sortir de la vie, mais d'autant que la Nature qui nous a mis au jour sans nostre consentement^ ne nous permet pas de sortir11 sans le sien, je veux sortir de la vie, et I rester entre les vivans, c'est-à-dire que, dès aujourd'huy, je vais faire dans un cloistre un solemnel sacrifice de moy-mesme. Je n'ignore point, [Mon- sieur], ce que je dois à vostre affection, mais l'honneur qui me défend de manquer à ma foy ne me défend pas de manquer à mon amour ; et je vous jure que si par [un] impossible ces deux incidens ne souffroient point de répugnance, je me sacrifierois de tout mon cœur à l'assouvissement de vostre passion b. GRANGER Oùy, ma Cithérée, oiiy, vous pouvez m'espouser et garder vostre parole. Il avoit parole c d'estre un jour vostre mary, vif ou mort, il faut, pour vous rendre quitte de vostre promesse, que vous l'épousiez mort. Là, nous passerons le Contract, avec* le reste des cérémonies ; puis quand ainsi vous serez libre de vostre serment, nous procéderons tout à loisir à nostre mariage. GENEVOTE Je veux ce que vous voulez. CORBINELI Il semble que vous soyez inspirée d'un ' Dieu, tant vous parlez divi- nement. GRANGER Une seule chose m'arreste ; c'est qu'estant un miracle, vous n'engen- driez un miracle t ; que vous ne rendissiez la vie à ceux qui ne sont pas 1/ morts ; et que vous ne fissiez arriver céans la Résurrection avant Pasques. corbineli, tout bas 0 ! puissant Dieu des Fourbes, ma corde vient de rompre, fais que par ton moyen je la renoue s, en sorte qu'elle vaille mieux qu'une neufve. GRANGER Et toy, tu me trahis, fugitif infidèle du parti de mon amour ! Toy que j'avois éleu pour la boiste, l'estuy, le coffre et le garde-manger de toutes mes pensées. Tu m'es Cornélius Tacitus, au lieu de m'estre Cornélius Publius. PAQUIER Choisis lequel tu aimes le mieux, d'estre assommé ou pendu ! CORBINELI J'aime mieux boire. o) 1654 : le quitter. — b) vostre désir. — c) assurance. — d) et ferons. — e) de. — /) n'en fassiez un. — g) renouvelle. 74 LE PÉDANT JOUE, COMEDIE GRANGER Ce n'esloit point assez de m'avoir volé au nom des Turcs ; il falloit adjousterune nouvelle trahison! El de son corps, donc, menteur infâme, qu'en fis-lu ? CORBINELI Ma foy ! là-dessus, je m'esveillay. GRANGER Que veux-tu dire, tu t'esveillas ? CORBINELI Yrament oiïy. Il ne me fut pas possible de dormir davantage, car vostre Fils faisoit un Tonnerre de Diable avec une assiette dont il tambou- rinoit sur la table. GRANGER Quoy, toute ceste mort nestoit qu'un songe ? CORBINELI Hé ! comment donc V entendiez vous ? GRANGER O Dieux, je pensois, moy, mais vous, mademoiselle, vous ne sçauriez vous laver les mains. GENEVOTE Vous le dites, mais il n'en est rien, car scachez que* j'ay fait semblant de croire que vostre Fils estoit mort pour vous faire gouster, quand vous le reverriez en vie, beaucoup deh contentement, par un excès' de son contraire. ORANGER Ha!d Mademoiselle, le fiel importun de mes angoisses n'est que trop adoucy par l'antidote* sucré d'un si friant discours, et toy', Corbineli, tu mérites... tant s'en faut que tu m'aies desservi, mais il faut avouer, à propos des Turcs, que tu es g un grand menteur. CORBINELI / ambitionnay h pour moy d'estre remarqué par le titre de Grand, sans me soucier que ce soit celuy de Grand Menteur, grand Yvrogne ou grand Politique, [grand Cnez, grand Cam, grand Turc, grand Mufti, grand Visir, grand Tephterdat1, Alexandre le Grand ou grand Pompée]. N'importe! pourveu que cette Epithète remarquable m'empesche de passer pour médiocre. a) 1654 : Et moy. — b) un plus pur. — c) l'opposition. — d) Quoi qu'il en soit. e) le miel. — f) Mais pour ce fourbe de. — g) que c'est. — h) J'affecte. — t) il ne m'importe. (1) « C'est une étrange entrée dans le grave xvii' siècle littéraire que cette sou- daine apparition du tsar de Moscovie dans la prose de Cyrano avec une orthographe qui tient quelque peu du Hongrois ; enfin, c'est un étrange héraut d'armes que ce Corbineli qui met sur le même pied le grand Mufti et Alexandre le Grand et place le tzar de Moscovie entre le grand Tephterdat et le grand Cam ». (Abel Mansuy : Le Monde slave et tes classiques français aux xvr et xvii* siècles.) LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 75 GRANGBR Tu t'excuses de si bonne grâce, que je serois presque en colère que tu ne m'eusses point fâché. Je t'ordonne toutefois11, pour pénitence, de nous exhiber le spectacle de quelque intrigue, en guise deh Comédie. J'avois mis en jeu mon Paranymphe des Muses, mais Monsieur de La Tremblaye n'a pas trouvé bon que rien se passast sur ces matières sans prendre ton advis. CORBINELI En effet, vostre déclamation n'eust pas esté bonne, parce qu'elle est trop bonne. Ces doctes antiquitez ne sont pas proportionnées à la capacité c de ceux qui composent les membres de cette compagnie. J'en sçay une à /'Italienne, dont le demeslement est fort agréable : Amenez seulement icy Monsieur de La Tremblaye, vostre Fils et les autres, afin que je distribue les roolles sur le champ. GRANGBR « Extemplo » je les vais congréger. GBNEVOTB L'Arc* a manqué, Corbineli*. CORBINELI Mais j'avois plus d'une fïesc/ie, mais avouez avec moy qu'on devroit pein- dre Amour plustost en habit de Berger que de Roy, puisque ceux qu'il pro- tège sont moins hommes qu'ils ne sont bestes ; considérez comme vos yeux ont donné si avant dans la visière de ' nostre bon Seigneur qu'ils ont blessé fusques à sa cervelle. Je m'en vais l'engager dans un Labirinthe où de plus grands Docteurs que luy demeureroient à « quia » ". SCÈNE IV GRANGER, PAQUIER, GENEVOTE, CORBINELI GRANGBR Au feu ! au feu ! GENEVOTE Où est-ce ? Où est-ce ? GRANGER Dans la plus haute région de l'air, selon l'opinion des Péripatéticiens. Hé bien, Mademoiselle, [ne] suis-je pas habile à la riposte ? Mais j'ay ' a) 1654 : pourtant. — b) de quelque. — c) l'esprit. — d) La corde. — e) Ouy, mais j'en avois plus d'une. Je vais engager. — /) N'ay-je pas. (1) Cette réplique de Genevule commence la scène IV dans l'éd. orig. de 1654. — (2) Cette réplique de Corbineli finit la scène IV dans l'imprimé, la scène V suit natu- rellement alors qu'elle est la IV* dans le Ms., cette différence, apparente seulement, d'une scène, en faveur de l'imprimé, se maintiendra jusqu'à la fin du V* acte. 76 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE guéry le mal aussi-tost que je l'ay [eu] fait ? Ma langue est une Vipère, qui porta le venin et le Tériaque tout ensemble, c'est la pique d'Achille, qui seule peut guérir les blessures qu'elle a faites ; et, bien loin de ressembler 'aux Boureaux de la Faculté de Médecine, qui d'une égratignure font une grande playe, d'une grande playe je fais moins qu'une égratignure. CORBINELI Nous perdons autant de temps que si nous ne devions pas aujour- d'huy faire la Comédie. Je m'en vais instruire ces gens icy de ce qu'ils auront à dire ; cependant gardez bien la porte de chez vous, je vous donne- rois des préceptes mais vous n'aurez a pas le temps d'étudier une longue préparation b. Je prendray soin, me tenant derrière vous', de vousd souffler ce que vous aurez à faire e. Vous, Monsieur, vous paroistrez durant toute la pièce, et quoy que d'abord vostre personnage semble sérieux, il n'y en a pas un si bouffon. ORANGER Qu'est-ce cy ? Vous m'engagez à soustenir des roolles en vos Bâtela- ges, et vous ne m'en racontez pas seulement le sujet ! CORBINELI Je vous en cache la conduite pour cause ' ; si je vous l'expliquois à cette heure, vous auriez bien le plaisir maintenant de voir un beau demeslement, mais non pas celuy d'estre surpris. En vérité, je vous jure que lors [que] vous verrez tantost la péripétie d'un intrigue si bien dé- meslé, vous confesserez vous-mesme que nous aurions esté des idiots, si nous vous l'avions découvert. Je veux toutefois vous en ébaucher un racourcy. Doncques ce que je désire vous représenter est une véritable histoire, et vous le connoistrez quand la Scène se fermera. Nous la posons à Constantinople, quoy qu'elle se passe autre part. Vous verrez un homme du tiers Estât, riche de deux enfans, et de force quarts d'escus : Le Fils restoit à pourvoir ; il s'affectionne d'une Damoiselle de qualité fort proche parente de son beau-frère ; il aime, il est aimé, mais son père s'oppose à l'achèvement mutuel de leurs desseins. II entre en désespoir, sa Maistrese de mesme. Enfin les voilà prests, en se tuant, de clore cette Pièce par une catastrophe. Mais ce Père, dont le naturel est bon, n'a pas la cruauté de souffrir à ses yeux une si tragique avanture ; il preste son consentement aux volontez du Ciel et fait les cérémonies du mariage, dont l'union par- faite5 de [ces] deux cœurs avoit déjà accompli^ le Sacrement. GRANGER Tu viens de rasseoir mon âme dans la chaire pacifique d'où l'avoient culbutée mille appréhensions cornues. Va paisiblement conférer avec tes a) 1654 : Je te donnerois bien des préceptes, Paquier, mais tu n'aurois. — b) d'ap- prendre tant de choses par cœur. — c) toy. — d) te. — e) tu auras à dire. — /) parce que. — g) secrète. — h) commencé. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 77 Acteurs ; je te déclare Plénipotentiaire de ce Traitté comique. Toy, Paquier, je te fais le Portier effroyable de l'introïte de mes Lares*. Aye cure de les propugner* contre les inondations de ce3 Fanfaron, du Bourgeois et du Page, qui, sçachant qu'on fait icy des jeux3, ne manqueront pas d'y transporter leurs ignares personnes. Je te mets là des monstres en teste qu'il te faut combattre diversement. Tu verras diverses sortes de visages. Les uns t'aborderont froidement, et, si tu les refuses, aussi-tost glaive en l'air, et forceront ta porte avec brutalité. Le moins de résistance que tu feras, c'est le meilleur. II t'en conviendra voir d'autres, la barbe faite en garde de poignard, aux moustaches rubantées, au crin poudré, au manteau galonné, qui, tout eschauffez, se présenteront à toy. Si tu t'opposes à leur torrent, ils te traitteront de fat, se formaliseront que tu ne les connois plus \ Dès qu'ils t'auront arraisonné de la sorte, juge qu'ils ont trop bonne mine pour estre bien meschans ; avale toutes leurs injures. Mais si la main entreprend d'officier pour la langue, sersc-toy de la règle « Mobile pro Fixo4 », c'est un baume aussi souverain contre les Rodomonts que Veau béniste contre les Diables. D'autres, pour s'introduire, demanderont à parler à quelque Acteur pour affaire d'importance et qui ne se peut remettre ; d'autres auront 'quelques hardes à leur porter. A tous ceux-là « Nescio vos ». D'autres, comme les Pages, environnez chacun d'un Clerc, d'un Escolier, d'un Courtaut et d'une Putain, viendront pour estre admis : Reçois-en la moitié, chasse l'autreà. Ce n'est pas que cette race de Pigmées puisse [de soy] rien effectuer de terrible ; mais elle iroit conglober un tor- rent de canailles armées qui déborderoit sur toy, comme un essein de guespes sur une poire molle « Vale, mi care » . SCENE V PAQUIER, seul 0 ma foy ! c'est une estrange maistrise e que celle de Portier ! Il luy faut autant de testes qu'à celuy des Enfers, pour ne point fléchir ; autant d'yeux qu'à Argus, pour bien garder' ; autant de bouches qu'à la Renom- mée, pour parler à tant de monde s ; autant de mains qu'à Briarée, pour se défendre de tant de gens ; autant d'âmes qu'à l'Hydre, pour réparer tant de vies qu'on luy oste ; et autant de pieds qu'à un Cloporte, pour fuir tant de coups. a) 1654 : de l'introïte du. — b) pas. — e) souviens. — d) Reçois-les. — e) un estrange mestier. — f) veiller. — g) tout le monde. (1) Entrée de ma maison ; en latin, tarium introïbus. — (2) Défendre, en latin piopugnare. — (3) C'est l'ancien terme emprunté au latin {ludus, ludï) qui servait à désigner une représentation scénique en général. — (4) Encore une règle de la Syn- taxe de Despautères. (P. L.) 78 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE SCÈNE VI PAQUIER, CHASTEAUFORT PAQUIER Voicy mon coup d'essay. Courage, j'en vais faire un chef-d'œuvre. CHASTEAUFORT Rourgeois, ho ! Hola, ho ! Rourgeois. Vous autres malheureux, ne représentez-vous pasaujourd'huy céans quelques coyonneries etjolivetez ? PAQUIER « Salva pace », Monsieur, mon Maistre n'appelle pas cela comme cela. CHASTEAUFORT Quelque Momerie*, quelque Fadaize ? Viste, viste, ouvre-moy. PAQUIER Je pense qu'il ne vous faut pas ouvrir, car vous avez la barbe faite en garde de poignard ; vous ne m'avez pas abordé froidement ; vous n'avez pas déguaisné, ny vous n'estes pas Page. CHASTEAUFORT Ah ! vertubleu, poltron, dépesche-toy ; je ne suis icy que par curiosité. PAQUIER Vous ne faites point du tout comme il faut. CHASTEAUFORT Mardieu h ! mon Camarade, de grâce, laisse-moy passer ! PAQUIER Hé, vous faites encore pis ; vraiment, il ne faut pas prier. CHASTEAUFORT Sçavez-vous ce qu'il y a, petit godelureau?... Je veux estre fricassé comme Judas, si je me soucie ny de vous, ny de vostre Collège ; car, après tout, j'ay encore une centaine de Maisons, Chasteaux s'entend, dont la moindre... Mais je ne suis point discoureur. Ouvre-moy viste, si tu ne me veux obliger de croire qu'il n'entre céans que des coquins, puis qu'on m'en refuse l'abord. Cape-de-Diou c, et que pense-tu que je sois ? un nigaut ? Mardi, j'entens le jargon et le galimatias. Il est vray que j'ay sur moy une mauvaise cappe, mais, en récompense, je porte au costé une bonne tueuse, qui fera venir sur le pré le plus /iupéd de la Troupe. PAQUIER Vous raisonnez là tout comme ceux qui ne doivent point entrer. a) 165Ï : Momie, par erreur. — b) Marbleu. — c) Cap de Biou. — d) résolu. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 79 CHASTEAUFORT De grâce, pauvre homme, que j'aille du moins dire à ton Maistre de me renvoyer un mien goujat qui s'est enfui de chez moy sans mon congé'. PAQUIER Il en viendra d'autres qui désireront parler à quelque Acteur pour affaire d'importance et qui ne se peut remettre. Je ne sçay plus comme il faut dire à ceux-là. Ha ! Monsieur, à propos, vous ne devez pas entrer. CHASTEAUFORT Ventre ! je vous dis encore que je ne suis icy que par promenade. Pense-tu donc, veillaque, qu'un Gentilhomme de ma qualité b aille lo<>er quelque part que son bagage ne passe devant ? PAQUIER « Domine, Domine, accède celeriter. » Vous ne m'avez point dit ce qu'il falloit répondre à ceux qui parlent de bagage °. SCÈNE VII GAREAU, PAQUIER, CHASTEAUFORT GAREAU 0 parguene sfesmon, vêla bian débuté. Et pensé vous don que ce set un parsenage comme les autres, à bâtons rompus ? Dame nanain. C'est eun homme qui sçail peu et prou. Comment, oui dit d'or, et s'oul n'a pas le bec jaune. C'est le Garçon de cet homme qui en sçait tant. Ardé, vêla le Maistre tout craché, vêla tout fin dret son armanbrance. CHASTEAUFORT J'aurois déjà fait un crible du ventre de ce coquin et jette sa carcasse aux corbeaux, mais [j'ay] la crainte de faillir contre les règles de la Comé- die, si j'ensanglantois la Scène. GAREAU Vartigné, qu'ous estes considérant, vous avez mangé de la soupe à neuf heures '. CHASTEAUFORT J'enrage de servir ainsi de borne dans une rue. GAREAU 0 ma foy, ous estes bian délicat en harbes, ous n'aimez ny la rue ny la patiance. e) 1654 : que je suis icy, et qu'il me rende un mien Goujat qui s'est enfuy «an» congé. — b) — c) promenade. (1) Locution proverbiale, signifiant : Vous avez de bonne heure pris vos précau- tions. 80 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE SCÈNE VIII GRANGER, GAREAU, [GHASTEAUFORT, PAQUIER] ORANGER Quel climat sont allés habiter nos Rosciens ? L'Antipode, ou nostre Zenit ? Je vous décoche le bonjour, Chevalier du grand Revers ; et vous l'Homme à l'héritage, salut et dilection ! GAREAU Parguene, je sis venu nonobstant pour vous défrincher ma sussion encore une petite escousse. Excusez l'importunance-da ; car c'est la mai- nagère de mon Onque qui ne feset que huyer environ moy que je venis< Que velez-vous que je vous dise ? ol feset la guieblesse. « He I vramant. disoit-elle a à part soy, Mathieu* Granger, pis qu'il set tout, c'est à ly à sçavoir ça.Va-t-en, va, Jean, il te dorra un consille là dessus. » Dame, j'y sis venu. GRANGER 0 ! mon cher amy, par Apollon claire-face qui communique sa lumière aux choses les plus obscures, ne nous veuille rejetter dedans le creux manoir spelonque généalogique. GAREAU Parguene, Monsieu, sacoutez don eun tantet, et vous orez, si je ne vous la boute pas aussi à jour' qu'un cribe. GRANGER Ma parole est aussi tenable qu'un décret du Destin. GAREAU (Il luy présente une fressure de veau pendue au bout d'un baston.) 0 bian, comme dit Pilatre, « quod scrisi, quod scrisi », n'importe, n'im- porte, ce nianmoins, tanquia, qu'odon [comme dit l'autre], vêla une petite douceur que nostre Mère-grand vous envoyé. GRANGER Va, cher amy, je ne suis pas Jurisconsulte mercenaire. GAREAU Là, là, prenez tousjours ; vaut mieux un tian, que deux tu l'auras,. GRANGER , Je te dis encore un coup que je te remercie. GAREAU Prenez, vous dis-je, vous ne sçavez pas qui vous prendra. o) 1654 : ce feset-elle. — b) Monsieu. — e) clair. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 81 G RANGER Et fi ! champestre Etérogène, prens-tu mes vestemens pour la mar- mite de ta maison ? GAREAU Ho, ho, tredinse, il ne sera pas dit que j'usions d'obliviance ; cor que je siomes petits, je ne sommes pas vilains. G RANGER Veux-tu donc me diffamer « à capite ad calcem » ? GAREAU Bonnefy, vous le prendrais. Je sçay bien, comme dit l'autre, que je ne sis pas digne d'estre capabe ; mais stampandant oui n'y a rian qui ressembe si bien à eun chat qu'eune chate. Bonnefy, vous le prendrais da, car on me huiret ; et pis, vous en garderiais de la rancœur encontre moy. GRANGER 0 vénérable confrère de Pan, des Faunes, des Silvains, des Satyres et des Driades, cesse enfin par un excès de miséricorde* de diffamer mes ornemens, et je te permets, par rémunération, de rester spectateur d'une invention théâtrale [la plus hilarieuse du monde]. CHASTEAUFORT J'y entre aussi, et, pour récompense, je te permets, en cas d'alarme, de te mettre à couvert sous le bouclier impénétrable de mon terrible nom. GRANGER J'en suis d'accord, car que sçauroit refuser un mary le jour de ses nopces ? paquier, à Ghasteaufort Mais, Monsieur, je voudrois bien sçavoir qui vous estes, vous qui vouliez entrer. CHASTEAUFORT Je suis le Fils du Tonnerre; le Frère aisné de la Foudre ; le Cousin de l'Esclair ; l'Oncle du Tintamarre ; le Neveu de Garon ; le Gendre des Furies ; le Mary de la Parque ; le Ruffien de la Mort ; le Père, l'Ancestre et le Bisayeul des Esclaircissemens. PAQUIER Voyez si j'avois tort de luy refuser l'entrée. Jamais b un si grand Homme auroit-il pu passer par un si petit passage c ? Monsieur, on vous souffre, à condition que vous laisserez vos parens à la porte, car avec le Bruit, le Tonnerre, et le Tintamarre, nous n'aurions pas de silence d. CHASTEAUFORT Garde-toy bien une autre fois de te méprendre. D'abord que quel- a) 1654 : bonne volonté. — b) Comment. — c\ pourroit-il passer par une si petite porte. — d) on ne pourroit rien entendre. 82 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE qu'un viendra s'offrir, demande-luy son nom, car s'il s'appelle la Pierre, la Montagne, la Tour, la Roche, la Bute, [Fortchasteau], Chasteaufort, ou de quelqu'autre titre inébranlable, tu peux l'asseurer que c'est moy. PAQUIER Vous portez plusieurs noms, parce* que vous avez plusieurs Pères (Ils entrent). SCÈNE IX4 GORBINELI, GRANGER, CHASTEAUFORT, PAQUIER, GAREAU, LA TREMBLAYE, GRANGER le jeune, MANON, GENEVOTE corbineli, à Granger Toutes choses sont prestes. Faites seulement apporter un siège, et vous y colloquez, ayant b à paroistre pendant toute la Pièce. // n'est j as besoin que vous sortiez dicy, mais souvenez-vous bien de parler quand je vous soujfleray. paquier, [à Chasteaufort] Pour vous, ô seigneur de vaste Estenduë, plongez-vous dans celle-cy ; mais gardez d'ébouler sur la compagnie, car nos reins ne sont pas à l'épreuve des Pierres, des Montagnes, des Tours, des Roclies", des Butes, et des Chasteaux. GRAXGER Ça donc, que chacun s'habille. Hé quoy ! je ne vois point de prépara- tifs ? Où sont donc les masques des Satyres ? les chapelets et les barbes d'Hermites ? les trousses des Cupidons ? les flambeaux poiraisins ' des Furies ? la filasse de Cloton ? Je ne vois rien de tout cela. GENEVOTE Nostre action n'a pas besoin de toutes ces simagrées. Comme ce n'est pas une fiction, nous n'y meslons rien de feint ; nous ne changeons point d'habit. Cette place nous servira de Théâtre ; et vous verrez toutefois que la Comédie n'en sera pas moins divertissante. GRAXGER Je conduis la ficelle de mes désirs au niveau de vostre volonté. Mais desjà le feu des yeuxd fait place à nos chandelles. Ça, qui de vous le pre- mier estropiera le silence ? a) 1654 : pour ce. — b) car vous avez. — c) rochers. — d) gueux, (le feux des gueux, le Soleil). (1) Cette scène (X de l'imprimé) parait à la fois avoir inspiré à Molière le passage du Malade Imaginaire où Angélique et Cléante se chantent leur amour devant Argan, sous prétexte de répéter une leçon de musique,, et surtout le dénoùment bien connu de L'Amour Médecin {Victor Fournel : La littérature indépendante... 18G2J. — (2J De poix et de résine. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 83 Commencement de la Comédie GRANGER le jeune, GENEVOTE CENEVOTE Enfin, qu'est devenu mon Serviteur ? granger le jeune Il est si bien perdu, qu'il ne souhaite pas de se retrouver. GENEVQTE Je n'ay point encore sceu le lieu et le temps qui conspirèrent à la nais- sance de" vostre passion. granger le jeune Hélas ! ce fut aux Carmes, un jour que vous estiez au Sermon. .. granger [le père, en interrompant] Soleil, clairh Soleil, qui [tous] les matins faites rougir de honte la céleste Lanterne, ce fut en mesme lieu que vous donnastes échec et mat à ma pauvre liberté. Vos yeux, toutefois, ne m'égorgèrent pas du premier coup de couteau, [mais] cela provint de ce que je ne sentois que de loin l'in- fluence porte-trait de vostre rayonnant visage, car ma recfiigneuse* desti- née m'avoit colloque superficiellement à l'ourlet de la sphère de vostre activité. CORRINELI Je pense, ma foy, que vous estes fol de les interrompre : Ne voyez- vous pas bien que tout cela est de leur personnage ? changer le jeune Toutes les Espèces de vostre beauté vinrent en gros assiéger ma raison ; mais il ne me fut pas possible d'haïr mes ennemis, après que je les eus considérez. granger le père, en interrompant Allons, ma Nimphelette, allons, il est vergogneux aux filles pudibondes de coloquiser « diu et privatim » * avec tant vert Jouvenceau. Encore si c'estoy avec moy, ma barbe jure de ma sagesse, mais avec un petit cajo- leur ! CORBINELI Que Diable I laissez-les parler si vous voulez, ou bien nous donnerons vostre roolle à quelqu'un qui s'en acquitera mieux que vous. genevote, à Granger le jeune Je devine et je croy tout ce que vous souhaitez dire sur cette matière, souffrez donc que Je ne rabatte rien de la haute estime que vous avez conceue de moy, car je craindrois de rabattre le prix d'une chose que vous aimez, a) 1654 : ny le temps où commença. — b) mon. — c) rechignante. (1) Longtemps et en tête à tête. 84 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE mais je m'estonne donc que vous ne travaillez plus courageusement aux moyens de posséder un trésor' pour qui vous avez tant de passion. gkanger le jeune Mademoiselle, je ne suis ny désespéré ny téméraire, tout ce qui dépend d'un bras plus fort que le mien, je le souhaite, et ne le promets pas. [Mais] au moins suis-je asseuré de vous faire paroistre mon amour par mon combat, si je ne puis vous témoigner ma bonne fortune par ma victoire. Je me suis aujourd'huy jette plusieurs fois aux genoux de mon Père, le conjurant d'avoir pitié des maux que je souffre ; [et] je m'en vay sçavoir de mon valet s'il luy a dit la résolution que j'avois prise de luy désobéir, car je l'en avois chargé. Viença, Paquier, as-tu dit à mon Père que j'estois résolu, malgré son commandement, de passer outre ? PAQUIER Gorbineli, souffle-moy. corbineli, tout bas Non, Monsieur, je ne m'en suis pas souvenu. PAQUIER Non, Monsieur, je ne m'en suis pas souvenu granger le jeune (Il tire l'épée sur Paquier.) Ha ! marault, ton sang me vengera de ta perfidie ! CORBINELI Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne te frappe1. PAQUIER [Cela est-il de mon roolle] ? CORBINELI [Ouy.] PAQUIER [Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne te frappe1.] granger le jeune Je sçay qu'à moins d'une Couronne sur la teste, je ne sçaurois seconder vostre mérite. GENEVOTE Les Roys, pour estre Roys, ne cessent point d'estre hommes, pensez- vous que granger [le père, interrompant] En effet, les mesmes appétits qui agitent un Ciron agitent un Elé- phant. Ce qui nous pousse à batre un support de marmite, fait à un Roy a) 1654 : une chose. (1) N'est-ce pas ici le germe de la scène du souffleur dans Les Plaideurs de Racine ? (V. Fournel). — (2) La réplique de Paquier, la réponse de Gorbineli et le même avis donné par Paquier ne sont pas dans le Ms. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 85 détruire une Province. L'ambition allume une querelle entre deux Comé- diens, la mesme ambition allume une guerre entre deux Potentats. Ils veulent de mesme que nous, mais ils peuvent plus que nous. CORBINELI Ma foy, je vous enchaisneray. granger le jeune Pour moy, mon humeur et mon sort ni1 ont logé dans le monde à l'étage du milieu. Je ne suis point de ces sçavants qui abandonnent à leurs escrits le soin de les faire vivre après la mort. GENEVOTE Mais, en récompense, vous n'estes point de ces scolares qui portent le Collège partout, qui n'ont pas secoué le portefeuille avec la toque et dont les honnestes gens ne sçauroient approcher tant ils puent encore l'épistre fami- lière. granger le jeune On croira... GENEVOTE Suffise que je" croye toutes choses à vostre avantage. A quoy bon me faire tant de protestations d'un amour que je suis bien aise de croire b ? Il voudroit bien mieux estre maintenant pendus au col de vostre Père et, à force de larmes et de prières, arracher son consentement pour nostre mariage. granger le jeune Allons-y donc, Monsieur, je viens me conjouyr avec vous de ma bonne fortune et partager le bonheur d'une si précieuse conqueste*. GENEVOTE Et moy, vous témoigner l'aised que j'ay de vous faire bien-tost grand Père. GRANGER Comment, grand Père ? Je veux bien tirer de vous une propagation de petits individus ; mais j'en veux estre cause prochaine, et non pas cause éloignée. CORBINELI Ne vous tairez-vous pas ? GRANGER Cœur bas et ravalé, n'as-tu point de honte de consumer l'avril de tes jours à cajoler une fille ? CORBINELI Ne voyez-vous pas que l'ordre de la Pièce demande qu'ils disent tout cela? o) 1654 : qu'on. — b) d'une amitié dont je ne doute pas ? — c) vous conjurer d'avoir pitié de moy, et... — d) l'envie. 86 LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE G RANGER Quoyl je souffriray que mon Fils aille espouser, que sçay-je, qui ? peut- estre une gueuse* ? GENEVOTE Non, non, Monsieur, je suis d'une condition qui vous défend d'ap- préhender la pauvreté pour vos petits. Je souhaiterois seulement que vous eussiez [veu] une Terre que nous avons à huit lieues d'icy : la solitude agréable des Bois, le vert émaillé des Prairies, le murmure des Fontaines, l'harmonie des Oiseaux, tout cela repeintureroit de noir vostre poil desjà blanc. PAQUIER Mademoiselle, ne passez pas outre, voilà tout ce qu'il faut à Chariot Granger. Il ne sçauroit mourir de faim, s'il a des Bois, des Prez, des Oiseaux, et des Fontaines ; car les arbres luy serviront à se guarir du mal des mouches ; les Prez luy fourniront de quoy paistre, et les Oiseaux prendront le soin de chiffler quand il ira boire à la Fontaine. GRANGER Ah ! sirénique laronnesse des cœurs ! Je voy bien que vous guettez ma raison au coin d'un Bois, que vous la voulez égorger sur le Pré, ou bien l'ayant submergée à la Fontaine, donner son cadavre^ à manger aux Oiseaux. granger le jeune Aussi n'espérois-je pas que la raison vous fît paroistre ce que l'amour vous commandoit de refuser, c'est pourquoy je suis venu... PAQUIER J'ay veu, j'ay vaincu, dit César, au retour des Gaules. granger le jeune Vous conjurer... PAQUIER Dieu vous fasse bien, Monsieur l'Exorciste, mon Maistre n'est pas Démoniaque. granger le jeune Par les services que je vous ay faits... PAQUIER Et par celuy des morts qu'il voudroit bien vous avoir fait [faire]. granger le jeune De reprendre la vie que vous m'avez prestée. PAQUIER Il estoit bien fol de vous prester une chose dont on n'a jamais assez. a) 1654 : Ils n'ont pas assez de bien l'un jjour l'autre, je ne souffriray jamais... — b) la donner. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 87 g ranger le jeune Mais parce que chacun de nos esprits anime réciproquement ce qu'il aytne que le coup qui me sera funeste sera mortel à celle qui vit en moy et que nous désunir, c'est nous destruire. (Il tire un poignard.) Prenez ce poi- gnard, Père dénaturé, faites deux homicides par un meurtre, escrivez le destin de ma Maistresse avec mon sang, et ne permettez pas que la moitié d'un si beau couple expire de douleur sur le tombeau de son autre moitié ". Mais à quoy bon tant de discours ?] Frappez ! Qu'attendez-vous ? PAQUIER J'attends que la vache soit pleine pour tuer le taureau. CORBIXELI Le Diable t'emporte, coquin ! PAQUIER Et rapporte, il n'y a au marché que ce que l'on y met. CORBIXELI Un baston quelque jour reconnoistra tous ces bons offices. PAQUIER Cicèron dans les siens dit que tout ce qui est honneste est vertueux. GEXEVOTE Quoy, Monsieur, vous ne dites mot, est-ce V appréhension de voir tirer vostre sang de nos veines qui vous a gelé la parole ? Xon, non, ne craignez rien. Mille fois déjà nos Ames seroient sorties par nos blessures, mais nos jours sont nombrez et la Providence qui en tient le compte s'offenseroit avec raison si nostre désespoir contredisoit son calcul. CORBIXELI Répondez donc, si vous voulez. Qu'est-ce ? Estes-vous trépassé ? GRAXGER Ah ! que tu viens de m'arracher une belle pensée. [Je resvois quelle est la plus belle figure, de l'Antithèse ou de l'Interrogation b.]'Je ruminois [encore] à ces Spéculateurs qui tant de fois ont fait faire à leurs resveries le plongeon dans la Mer, pour découvrir l'origine de [son Flux et de] son Reflux, et de son^ amertume ; mais pas un à mon goust n'a frappé dans la visière. Toutes leurs' raisons salées me semblent si fades, que je connus d qu'infailliblement CORBIXELI Ce n'est pas de ces matières-làe dont il est question. Nous parlons de marier Mademoiselle à' vostre Fils, et vous nous embarquez sur la Mer! GRAXGER Que « parlez-vous de mariage avec cet houbereau ? Estes-vous orbe a) 1654 : de... — b) Cetts réplique est coupée par cet « a parte » de Corbineli. Ce n'est pas cela dont il est question. — c) Ces. — d) conclus. — e) vous dit-on. — /) et. — g) Quoy. 88 LE PEDANT JOUE, COMEDIE de [la] faculté intellectuelle ? Estes-vous hétéroclite d'entendement ou le Microcosme parfait d'une continuité de chimères abstractives ? CORBINELI A force de bien représenter une Fable, la prenez-vous pas pour une Histoire a ? Ce que vous avez inventé vous fait-il peur ? de mesme les enfans des grimaux dont ils ont eux-mesmes barbouillé les compagnons . [Ne voyez- vous pas que l'ordre de la pièce veut que vous donniez vostre consente- ment ?] granger le jeune Paquier, surtout maintenant, garde-toy bien de parler, car il paroist ici un muet que tu représentes. CORBINELI Dèpeschez-vous b donc d'accorder ceste fille c à vostre fils, mariez-les d. GRANGER Comment, marier ? c'est une Comédie ? CORBINELI Hé bien, ne sçavez-vous pas que la conclusion des Poèmes Comiques est tousjours un mariage ? GRANGER Oiiy, mais comment seroit-ce [icy] la fin, il n'y a pas encore un acte e. CORBINELI Nous avons uny tous les cinq en un, de peur de confusion. Cela s'ap- pelle Pièce à la Polonoise *. GRANGER Ha bon, comme cela je te permets de prendre Mademoiselle pour légitime Espouse. LA TREMBLAYE Et moy j'y consens. GRANGER Dressons les articles que je les signe. GENEVOTE (Un notaire escrit le contrat.) Bon, bon, voilà un notaire tout à propos'. PAQUIER J'enrage d'estre muet, car je dirois quelque chose de beau%. [Fin de la comédie.] a) 1G54 : vérité. — b) Là donc, despeschez-vous. — c) mademoiselle. — d) Cette dernière réplique de Corbineli et celle de Granger le jeune font corps avec la précé- dente de Granger père. — e) de fait. — f) Vous plaist-il de signer les Articles, voilà le Notaire tout prest, à ta suite : Granger : [Il signe] « Sic ita sane » très volontiers. — S) ïe l'avertirois. (1) Nouvelle allusion au mariage de Marie de Gonzague et la rapidité avec laquelle il avait été conclu. LE PÉDANT JOUÉ, COMÉDIE 89 CORBINELI Tu peux parler maintenant, il n'y a plus de danger. PAQUIER // faut avouer qu Alexandre le Grand estoit un vaillant homme ; un jour.... CORBINELI Un jour tu seras juge, quand tu auras pris de V ellébore. GRANGER [On donne congé au notaire.] Hé bien, Mademoiselle, que dites-vous de nostre Comédie? GENEVOTE Elle est belle, mais apprenez qu'elle est de celles qui durent autant que la vie1. Nous vous en avons fantost fait le récit comme d'une Histoire arrivée, mais elle devoit arriver. Au reste, vous n'avez pas sujet de vous plaindre, car vous-mesme nous avez mariez ; vous-mesrae vous avez signé les articles du Contract. Accusez-vous seulement d'avoir enseigné le pre- mier à Courber. Vous fistes accroire aux parens de vostre Fils qu'il estoit fol, quand vous vistes qu'il ne vouloit point entendre au voyage de Venise. Cette insigne fausseté luy montra le chemin de celle-cy. Il crût qu'il ne pouvoit faillir en imitant un si bon Père. CORBINELI Enfin, c'est une pilule qu'il vous faut avaler. LA TREMBLAYE Oiïy, vous l'avalerez, ou, par la mort... GAREAU Ah ! par ma fy, je sommes logez à l'Enseigne de « J'en tenons ». Par- manda, j'en avouas queuque souleur, que cette petite Ravodière-là ly gri- moneret queuque Trogédie. Hé bian, ne vêla pas nostre putain de maina- gère toute revenue ? Néanmoins, comme nan dit, Jesu Maria et durât sont deux biaux mots, feue la pauvre défunte, devant gnieu set son âme da, m'en baillit eun jour d'une belle vrédée. Par ma fiquette, ol me boutit à Cornuaille en tout bian et tout honneur. Stampandant la bonne chienne qu'ol estet.... Aga hé ! ous estes don itou de ces saintes sucrées-là ? Par massure*, je le voyas bian, qu'ous aviais le nez torné à la friandise. Or un jour qu'il plut tant : « Jaquelaine, ce ly fis-je tout en gaussant, il fait cette nuit clair de l'Eune, il fera demain clair de l'Autre.» Enfin tanquia, qu'Odon, a) 1654 : Bonnefy. (1) Molière a encore doublement imité cette scène, d'une manière moins directe sans doute mais non moins évidente que les deux précédentes, d'une part dans Le Malade Imaginaire, acte II, scène 6, et dans le dénouement de L'Amour Médecin (V. lournel). 90 LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE ce nonobstant, après ça, ô dame éclaircissez-moy à dire : Tanquia que je m'en revenis tout épouvanté tintamarer à nostre huis. A la parfin je me couchis tout fin nu auprès de nostre bonne femme. Un tantet après que je me fussis rabougry tout en eun petit tapon, je sentis queuque chose [là] quigroiïillet. « Jaquelaine, ce ly fis-je,je pense qu'ily a là queuqu'un couché. — Oiiy, ce me fit-elle, je t'en répons, et que guiantre yauret-il ? » Eune bonne escousse après, je sacoute encore frétiller. « Han ! Jaquelaine, il y a là queu- qu'un. »J'allongis ma main, je tâtis. « Houay ! cefis-je, eune teste, deux tes- tes » ; pis frougonnant entre les draps : « deux jambes, quatre jambes; Han ! Jaquelaine, il y a là queuqu'un. — Hé, Piarre, que tu es fou, ce me dit-elle, tu comptes mes jambes deux fouas ! » Parguene, je ne me contentis point ; je me levis. Dame, je découvris le pot aux roses. « Ho ! Ho! vilaine, cely fis-je, qu'est-ce que ça ? « Fili Davi » ! ton ribaut sera étripé ! — Vramant Jean, ce me fit-elle, garde t'en bian : C'est ce pauvre Maistre Louis, le barbier, qui venet de seigner eun malade [de] tout là-bas. Il estet tout rede de fred, et avet encore bian de vilain chemain à passer. Il m'exhorsiset d'alumer du feu ; dame, comme tu sçais, le bois est char ; je ly ay dit qu'il se venist pustôt réchaufer environ moy. Il ne feset que de s'y bouter quand tu es venu. — Allons, allons, cely fis-je, Maistre Louis, on vousappranra de venir coucher avec les femmes des gens. » Dame, je ne fus ny fou, ny estourdy, je le claquis bel et bian et le portis sur mes espaules jusqu'à moiquié che- main de sa maison: « Mais n'y revenez pas eune autre fouas ! car parguene, s'il vous arrive, je vous porteray encore eune escousse aussi loin. » Et bian, regardez, il ne faut qu'eun malheur. Cette petite devargondée m'en eust peut-estre fait autant. C'est pourquoy bon jour et bon soir, c'est pour deux fouas. CORBINELI C'est maintenant à vous, Monsieur, pour combler la félicité de ces nouveaux Mariez, d'augmenter leur revenu de celuy d'un Empire. Il vous sera bien-aisé, puis que vous faites chanceler la Couronne d'un Monarque en la regardant. CHASTEAUFORT Je donne assez, quand je n'oste rien ; et je leur ay fait beaucoup de bien, de ne leur avoir point fait beaucoup de mal. granger le jeune Mon petit cœur, il est fort tard, allons nous mettre au lit. PAQUIER Je n'ay donc plus qu'à faire venir la Sage-Femme, car vous allez entrer en travail d'enfant. LA TREMBLAYE Je n'oserois quasi prendre la hardiesse de vous consoler. LE PÉDANT JOUÉ, COMEDIE 91 GRANGER N'en prenez pas la peine, je me consoleray bien moy-mesme". Je sens déjà mon âme s'endurcir aux afflictions, aussi Nature quand elle me bastit t avoit gagé contre la Fortune et la Mort quelle pétriroit un Homme qui luy} feroit perdre escrime, aussi je me sens nay tout propre à faire radoter cette Damoiselle aux yeux clos. Je la vis, ce me semble, une nuit travestie en Médecin, elle s'approc/ioit de mon chevet et ne pensant pas estre connue pour un Docteur de la Faculté, elle me demanda quand la fièvre ni avoit prise. « Trop tost, luy répliquay-je. — Mais encore où vous tient le mal? » Je luy répondis qu'il me tenoit entre deux draps. Elle adjousta, « Si je ne pouvois avaler mes jambes. » Je l'assuray que je n'avalois plus rien sans masc/ier, « Mais, reprit-elle, vous raillez et cependant vous voilà déjà bien bas. — 72 ne s'en faut que le lit que je ne touche à terre. — Hé, mon ami, dit-elle, pour conclusion, recommandez-vous à Dieu. — Quelqu'un y va-t-il, luy répartis-je. — Vous-mesme tout à l'heure, dit-elle. » Je l'asseuray que je ferois donc bien mes recommandations moy-mesme. Alors s 'appercevant que je l'avois reconnue : « Hé bien, me dit-elle, il est vray, je suis la Mort, je viens icy pour t' avertir que tu mourras. — Il le faut bien puisque j'ay vescu », luy ré- pondisse effrontément. — Mais « bientost », dit-elle. — J'en seray plustost quitte. — Tu laisseras ta teste sur un échafaut. — Il ne m'importe de mourir d'estoc ou de taille, mais afin de vous oster la peine de tant de menasses je vais, pour vous soulager, tascher de m effrayer moy-mesme : « Donc, ô mon corps, je t'avertis qu'avant de rendre l'âme, tu souffriras plusieurs coups de la main d'un bourreau. — N'importe, il n'y en sçauroit avoir qu'un qui fasse mourir. — Ce sera en pais étranger. — Il n'y a qu'un chemin pour descendre aux Enfers. — Tu resteras sans sépulture. — Le Ciel me couvrira. — Tu seras affligé d'une fièvre bien longue. — Je ne mourray donc pas subi- tement. — Tu seras chassé de ta patrie. — Ma patrie est tous les lieux où je me trouve bien. — Tu perdras les yeux. — J'en dormir ay davantage — Tu ne verras rien de beau ni rien de laid. Tu deviendras manchot. — Je ne seray pas au hazard d' estre accusé d'homicide. Voilà seiche et décharnée . Damoiselle les coups que j'imagine les plus sensibles, toutefois ils ne m éton- nent point. Si vous en sçavez d'autres, chantez. » Cette orgueilleuse Pelée se trouva si camuse de voir ainsi chiffonner sa tyrannie quelle me pardonna comme je luy pardonne ! a) 1654 : « O Tempora ! ô Mores! » fin du Pédant joué. LA MORT D AGRIPPINE TRAGÉDIE La tragédie La Mort d'Agrippine a été représentée dans les derniers mois de 1653 ou au commencement de Tannée 1654, probablement à l'Hôtel de Bourgogne ; elle n'a dû avoir que quelques représentations. Le public s'est ému, non des passa- ges vraiment osés qu'elle renferme, mais en entendant cer- tains mots qu'il a mal interprétés, tel que celui àliostie dans la réplique : « Frappons, voilà l'hostie » (1). Cette pièce a-t-elle été interdite, comme l'a écrit l'avocat Gabriel Guéret ? (2) C'est probable ; aucune preuve cependant n'en existe à notre connaissance. En tout cas, à défaut de succès à la scène, elle en aurait eu en librairie (3). Nous ne donnerons pas ici l'analyse de cette tragédie qui s'apparente à celles de : Horace, Cinna, La Mort de Pompée de Corneille, La Mort de Séné que de Tristan L'Hermite, etc., etc. ; elle a pour sujet la conspiration de Séjanus, favori de Tibère, contre cet empereur avec la complicité d'Agrippine. On trou- vera cette analyse, avec force commentaires, dans l'ouvrage de M. P. Brun : Savinien Cyrano de Bergerac, sa vie et ses œuvres. 1893. Cyrano a pris de grandes libertés avec l'histoire ; il serait absurde de l'en blâmer. MM. Monval et P. Brun ont tenté de rétablir la distribu- tion primitive des rôles à la première de l'Hôtel de Bourgogne. Voici le résultat auquel ils sont arrivés : Tibère MM. Baron père. Séjanus Floridor. Nerva de Villiers. Térentius Beauchasteau. Agrippine M™" Valliot. Livilla Beauchasteau de Villiers. (1) Voir la notice biographique, T. I, p. XC. (2) La Guerre des Auteurs anciens et modernes; Paris 1671, Yoir la notice, p. CI. (3) Voir notice biographique, p. XC, note 1. 94 NOTICE SUR LA MORT DAGRIPPINE Deux cent dix-huit ans après, le 10 novembre 1872, La Mort (TAgrippine a eu les honneurs d'une unique représenta- tion, précédée d'une conférence de Vitu, au Théâtre de la Galté. Les rôles étaient ainsi distribués : Tibère MM. Ciiatelin, du Théâtre Montmartre. Séjanus Dupont-Verxox, du Conservatoire. Nerva Moxval, du Conservatoire. Terentius Amaury-Socquet, du Conservatoire. Agrippine Mmes Karoly. Cornélie Derouet. Livilla Jeanne Pazat, du Conservatoire. Furnie Clemance. Gardes . Hénicle et autres. MM. Camille Doucet, directeur de l'Académie française, et Patin, son secrétaire perpétuel, assistaient à cette représen- tation. D'après un article de journal (1), « le public tout entier écouta la tragédie avec des sentiments très divers, qui variaient de la surprise à l'admiration. Si la pièce parut imparfaite au point de vue scénique, elle a des scènes d'une grande beauté et des suites de vers où l'on sent le souffle d'un grand poète ». Mademoiselle Karoly — depuis Madame Maubant — eut beau oublier au magasin des Accessoires le poignard qu'elle doit, dans sa grande scène, jeter aux pieds de Tibère, l'impression n'en fut pas moins très profonde ; Mademoiselle Pazat — depuis Madame Montluis — et M. Dupont-Yernon, de la Comédie- Française, furent très applaudis. M. Monval a gardé le souve- nir de l'immense effet produit par la tragique brièveté de la scène dernière sur des spectateurs habitués au grand récit final des tragédies. Tous étaient d'avis — et c'est aussi l'opinion de M. Mounet-Sully — que Cyrano méritait à son époque, comme auteur tragique, une place d'honneur à côté de Corneille et que la reprise d'une pièce de n'importe lequel de ses contem- porains n'aurait obtenu pareil succès (2). (1) Le Figaro du 13 Novembre 1872. (2) P. Brun. Cyrano de Bergerac, 1893. LA MORT D AGRIPPINE TRAGÉDIE Par M. de Cvrano Bergerac. Texte de l'édition originale : Paris, Charles de Sercy, 1654. ÉPITRE DÉDICATOIRE 97 A Monseigneur le Duc d'Arpajon (1). Monseigneur, Quoy qu'Agrippine soit sortie du sang de ces Princes qui nais- soient seulement pour commander aux hommes, et qui ne mouroient que pour estre appeliez au rang des Dieux, ses disgrâces l'ont rendue encore plus célèbre que la gloire de son berceau. Il semble qu'elle n'ait eu le grand Auguste pour Ayeul qu'aiin de sentirj avec plus d'affection le regret de se voir dérober l'Empire, son légitime patrimoine : César ne l'avoit honorée de l'alliance de Tibère que pour l'attacher de plus près à son Tyran, et ne luy avoit donné pour mary le plus grand Héros de son siècle que pour en faire la plus affligée et la plus inconsolable de toutes les veufves ; de sorte qu'ayant tousjours vescu dans la douleur et la per- sécution, il est certain qu'elle préfèreroit le repos du tombeau à cette seconde vie que je luy donne si, voulant l'exposer au jour, je luy cherchois un moindre Protecteur que celuy qui dans la conservation de Malthe l'a esté de toute l'Europe. Quelque maligne que soit la Planète qui domine au sort de mon Héroyne, je ne croy pas qu'elle puisse luy susciter des enne- mis qu'impuissans, quand elle aura le secours de Vostre Grandeur. Vous, Monseigneur, que l'Univers regarde comme le Chef d'un Corps qui n'est composé que de parties nobles, qui avez fait trembler jusques dans Cons- tantinople le Tyran d'une moitié de la Terre, et qui avez empesché que son Croissant, dont il se vantoit d'enfermer le reste du Globe, ne parta- geast la souveraineté de la Mer avec celuy de la Lune : mais tant de glo- rieux succez ne sont point des miracles pour une Personne dont la pro- fonde sagesse éblouyt les plus grands Génies, et en faveur de qui Dieu semble avoir dit par la bouche de ses Prophètes (2), que le Sage auroit droictde commander aux Astres. Agrippine, Monseigneur, qui pendant le cours de sa vie les a sans relasche expérimenté contraires, effarouchée encore aujourd'huy de la cruauté des Empereurs qui ont poursuivy son Ombre jusques chez les morts : Entre les bras de qui se pouvoit-elle jetter avec plus de confiance, qu'entre ceux d'un redoutable Capitaine, dont le seul bruit des armes a garanty et rasseuré Venise, cette puissante Répu- blique, où la liberté Romaine s'est conservée jusqu'en nos jours. Recevez- là donc, s'il vous plaist, Monseigneur, favorablement ; accordez un azile à cette Princesse, qu'elle n'a pu trouver dans un Empire qui luy apparte- noit. Je sçay que faisant profession d'une inviolable fidélité pour nostre Monarque, vous la blasmerez peut-estre d'avoir conspiré contre son Sou- (1) Paul Lacroix a écrit et M. Pierre Brun a répété que cette dédicace ne figure que dans l'édition originale de 1654; l'assertion est erronée, voir notice biographique, p. LXXXIX, note 2. (2) En marge : Vir sapiens dominatibur Astris. 98 ÉPITRE DÉDICATOIRE ET PRIVILEGE verain, quoy qu'elle n'ait poursuivy la mort de Tibère que pour vanger celle de Gerraanicus, et n'ait esté infidelle Sujette, que pour estre fidelle à son Espoux : mais en faveur de sa vertu, elle espère cette grâce de vostre bonté, dont elle ne sera pas ingrate ; car elle m'a promis que sa recon- noissance publiera par tout les merveilleux éloges de vostre vertu, qui donne plus d'éclat à vostre sang (1) qu'elle n'en a receu de luy, encore que la source en soit Royalle. Ceux de vostre prudence dans les négo- tiations les plus importantes de l'Estat, que l'on nous propose comme un portrait achevé de la Sagesse : Ceux de vostre valeur dans les combats dont elle règle les événements, au préjudice du pouvoir absolu que la Fortune s'en est réservé ; et ceux enfin, Monseigneur, de vostre courage qui n'a jamais veu de péril qu'au dessous de luy. Ces considérations me font espérer que la généreuse Agrippine ayant esté présente à toutes les victoires de son Héros, elle n'ignore pas en quels termes elle doit parler des vostres, et je suis mesme certain qu'elle leur rendra justice, sans qu'on l'accuse de flaterie ; car si vous estes d'un mérite à ne pouvoir estre flaté, elle est aussi d'un rang à ne pouvoir flater. Mais, Monseigneur, que pourroit-elle dire qui ne soit connu de toute la Terre ; vous l'avez veuë presqu'entière en victorieux (2), et par un prodige inouy vostre visage mesme n'y est guères moins connu que son nom. Souffrez donc que je vous offre cette Princesse, sans vous rien promettre d'elle que cet adveu public qu'elle vient vous faire, qu'enfin elle a trouvé un Héros plus grand que Gerraanicus. Au reste, elle cessera de déplorer ses malheurs, si par le tableau de sa pitoyable avanture, elle vous donne au moins quelque estime de sa constance, et moy je me croiray trop bien récompensé du présent que je luy fais de cette seconde vie si, n'estant plus que mémoire, elle vous fait souvenir que je suis, Monseigneur, Vostre très-humble, très-obéyssant et très-passionné serviteur, De Cyrano Bergerac. Privilège du Roy. Louis par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre : A nos amez et féaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Mais- tres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres nos Justiciers et Officiers qu'il appartiendra, Salut. Nostre cher et bien amé le Sieur de Bergerac nous a fait remonstrer qu'il a composé une Pièce de Théâtre intitulée La Mort (1) En marge : Les Roy d'Arragon et les Comtes de Thoulouze, dont quelques- uns ont régné en Jérusalem. (2) En marge : Monseigneur L. D. d'Arpajon a commandé en France, en Alsace, Flandres, Lorraine, Italie, Roussillon, Malthe, Venise, Pologne, etc. PRIVILÈGE DU ROI 99 d'Agrippine, Veufve de Germanicus, laquelle il desireroit faire imprimer, s'il avoit nos Lettres à ce nécessaires, lesquelles il nous a supplié de luy vouloir accorder. A ces causes, voulans gratifier l'Exposant, Nous luy avons permis et permettons par ces Présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de nostre obéissance, par tel Imprimeur ou Libraire qu'il voudra choisir, ladite Pièce de Théâtre, en telles marges, en tels caractères, et autant de fois que bon luy semblera, durant l'espace de neuf ans, à compter du jour que ladite Pièce sera achevée d'imprimer pour la première fois. Pendant lequel temps nous faisons défenses à tous Imprimeurs, Libraires, et autres, d'imprimer, vendre, ny débiter ladite Pièce, sans le consentement de l'Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, en vertu des Présentes, sur peine aux contrevenans de trois mil livres d'amende, applicable un tiers à Nous, un tiers à l'Hostel-Dieu de nostredite Ville de Paris, et l'autre tiers audit Exposant, confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests, à condition qu'il sera rais deux exemplaires de ladite Pièce en nostre Biblio- thèque publique, et un en celle de nostre très cher et féal le Sieur Mole, Chevalier, Garde des Sceaux de France, avant que de l'exposer en vente ; et à la charge aussi que ces Présentes seront registrées aux Registres de la Communauté des Libraires de nostre bonne Ville de Paris, suivant l'Arrest de nostre Cour de Parlement du ... Juillet dernier, à peine de nullité. Si vous mandons que du contenu en cesdites Présentes vous fassiez jouir et user pleinement et paisiblement ledit Exposant, ou ceux qui auront droict de luy ; faisans cesser tous troubles et empescheraens au contraire. Voulons aussi qu'en mettant au commencement ou à la fin de ladite Pièce un extrait des Présentes, elles soient tenues pour deuëment signifiées ; et que foy soit adjoustée comme au présent original aux coppies deuëment collationnées par l'un de nos amez et féaux Conseillers et Secrétaires. Mandons en outre au premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des Présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission, nonobstant Clameur de Haro, Charte Nor- mande, prise à partie, et autres Lettres à ce contraires. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le 30e jour de Décembre, l'an de grâce mil six cens cinquante-trois, et de nostre règne le Unzième. Signé, par le Roy en son Conseil, Gallonye. Registre sur le Livre de la Communauté le 8 Janvier 1054, confor- mément à l'Arrest du Parlement du 9 Avril 1653. Ballard. Ledit Sieur De Bergerac a cédé et transporté son Privilège à Charles de Sercy, Marchand Libraire, pour en jouir suivant l'accord fait entr'eux (1). (1) L'édition originale ne contient qu'un extrait de ce privilège, sig. : Galongé. (sic), le texte ci-dessus est en tète de la seconde édition, 1657, in-12. ACTEURS TIBÈRE, Empereur de Rome. SÉJANUS, Favori de Tibère. NERVA, Sénateur, Confident de l'Empereur. TÉRENTIUS, Confident de Séjanus. AGRIPPINE, Veufve de Germanicus. CORNÉLIE, sa Confidente. LIVILLA, Sœur de Germanicus et Bru de l'Empereur. FURNIE, sa Confidente. Trouppe de Gardes. [La Scène est à Rome, dans une Salle du Palais de Tibère.] LA MORT D AGRIPPINE YEUFVE DE GERMANIGUS Tragédie. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE AGRIPPINE, CORNÉLIE AGRIPPINE Je te vais retracer le tableau de sa gloire, Mais feins encor après d'ignorer son histoire, Et pour me rendre heureuse une seconde fois, Presse-moy de nouveau de conter ses exploits : Il doit estre en ma bouche aussi bien qu'en mon âme, Pour devoir chaque instant un triomphe à sa femme. Mais ne te fais-je point de discours superflus ? Je t'en parle sans cesse. CORNÉLIE Il ne m'en souvient plu». Et j'attens AGRIPPINE Apprens donc comme ce jeune Alcide Fut des Géans du Rhin le superbe homicide, Et comme à ses costez faisant marcher la Mort, Il eschauffa de sang les rivières du Nort. Mais pour voir les dangers où dans cette conqueste La grandeur de son âme abandonna sa teste, Pour voir ce que son nom en emprunta d'esclat, Escoute le récit de son dernier combat : Desjà nostre Aygle en l'air balançoit le tonnerre Dont il devoit brusler la moitié de la terre, Quand on vint rapporter au grand Germanicus Qu'on voyoit l'Allemand, sous de vastes escus, Marcher par un chemin couvert de nuicts sans nombre « L'esclat de nostre acier en dissipera l'ombre ! » 102 LA. MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE (Dit-il), et pour la charge il lève le signal ; Sa voix donne la vie à des corps de métal. Le Romain par torrens se respand dans la plaine, Le Colosse du Nort se soustient à grand'peine, Son énorme grandeur ne luy sert seulement Qu'à montrer à la Parque un plus grand logement ; Et tandis qu'on heurtoit ces murailles humaines, Pour espargner le sang des légions Romaines, Mon Héros, ennuyé du combat qui traisnoit, Se cachoit presqu'entier dans les coups qu'il donnoit ; Là des bras emportez, là des testes brisées, Des troupes en tombant sous d'autres escrasées, Font frémir la campagne au choc des combattans, Comme si l'Univers trembloit pour ses enfans. De leurs traits assemblez l'effroyable descente Forme entr'eux et la nuë une voûte volante, Sous qui ces fiers Titans, honteux d'un sort pareil, Semblent vouloir cacher leur deffaite au Soleil. Germanicus y fit ce qu'un Dieu pouvoit faire, Et Mars en le suivant creut estre téméraire. Ayant fait du Germain la sanglante moisson, Il prit sur leurs Autels leurs Dieux mesme à rançon, Afin qu'on sceut un jour par des exploits si braves, Qu'un Romain dans le Ciel peut avoir des esclaves. 0 ! quel plaisir de voir sur des monceaux de corps, Qui marquoient du combat les tragiques efforts, Dans un livre d'airain la superbe Victoire Graver Germanicus aux fastes de la Gloire ! CORNBLIE Vostre Espoux, soumettant les Germains à ses loys, Ne voulut que leur nom pour prix de ses exploits. AGRIPPINE Du Couchant à l'Aurore ayant porté la guerre, Nostre Héros parut aux deux bouts de la Terre, En un clein d'œil si prompt qu'on peut dire aujourd'huy Qu'il devança le jour qui couroit devant luy ; On crût que pour deffendre en tous lieux nostre Empire, Ce Jupiter sauveur se vouloit reproduire, Et passant comme un traict tant de divers climats, Que d'un degré du Pôle il ne faisoit qu'un pas. Dans ces Pays bruslez où l'arène volante Sous la marche des siens estoit étincelante, LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE 103 De cadavres pourris il infecta les airs, Il engraissa de sang leurs stériles déserts, Afin que la moisson pouvant naistre en ces plaines Fournist de nourriture aux légions Romaines ; Que par cet aliment nostre peuple orgueilleux Sucçast avec leur sang quelque amitié pour eux, Et qu'un jour le succez d'un combat si tragique Pût réconcilier l'Europe avec l'Atfrique ; Enfin tout l'Univers il se seroit soumis, Mais il eut le mal-heur de manquer d'ennemis ! Mon cher Germanicus estoit donc sur la terre Le souverain Arbitre et de paix et de guerre, Et se trouvoit si haut par dessus les humains, Que son pied se posoit sur le front des Romains, Alors qu'en Orient terminant sa carrière, Dans la source du jour il perdit la lumière, Et pour un lict superbe à son dernier sommeil, Il s'alla reposer au berceau du Soleil. Voilà comme il vescut, et je te veus encore Peindre dans son couchant cet Astre que j'adore, Afin que le mal-heur de mon illustre Espoux Par ces tristes tableaux réveille mon courroux, Et que par les horreurs de la fin de sa vie, Je m'excite à haïr ceux qui l'ont poursuivie. CORNÉHE C'est accroistre vos maux. A.GR1PPINE Ne me refuse pas D'escouter le récit d'un si sanglant trespas, Où mon cœur deschiré de bourreaux invisibles, En iroit émouvoir les rochers insensibles. Tibère, qui voyoit les pleurs de l'Univers Conjurer mon Espoux de le tirer des fers, Et qui sçavoit assez qu'au milieu des batailles Ses Amis luy seroient de vivantes murailles ; Comme un acier tranchant, comme un bruslant tison, Du filet de ses jours, il approcha Pison : Pison part, il s'avance, et, dans chaque Province, Qu'il oyoit retentir des armes de mon Prince, Par des coups non sanglants, des meurtres de la voix, Ce lasche ternissoit l'éclat de ses exploits. Mais semblable au rocher, qui battu de l'orage, De la mer qui le bat semble estre le naufrage, 104 LA MORT d'àGRIPPINE, TRAGÉDIE Le nom de mon Héros par le choc affermi, Réfléchissoit les coups dessus son ennemy. Il arrive, et mon Prince ignorant sa malice, D'un véritable amour payoit son artifice. Quand nous vismes tomber ce demy-Dieu Romain Sous l'invisible coup d'une invisible main, Une bruslante fièvre allume ses entrailles ; Il contemple vivant ses propres funérailles. Ses artères enflés. d'un sang noir et pourry, Regorgent du poison dont son cœur est nourry : A qui le considère, il semble que ses veines D'une liqueur de feu sont les chaudes fontaines, Des sei'pens enlacez qui rampent sur son corps Ou des chemins voûtez qui meinent chez les morts ; La Terre en trembla mesme, afin que l'on pût dire Que sa fièvre causoit des frissons à l'Empire. CORNÉLIE Jamais la Mort ne vint d'un pas si diligent. AGRIPPINE Et Pison toutefois le treuve encor trop lent ; Pour le précipiter, joignant le sortilège, Du poison sans horreur il monte au sacrilège, Et donne à terracer par des charmes couvers Le Démon des Romains au Démon des Enfers. Ainsi l'Enfer, les Gieux, la Nature, et l'Envie, Unirent leurs fureurs contre une seule vie. CORNÉLIE Ha ! ne condamnez point la lascheté du sort ! Pour perdre un si grand homme il faut plus d'une mort. AGRIPPINE D'un rouge ténébreux sa chair ensanglantée, Fut le triste tesmoin, que Nature irritée Produisit du poison, afin de se purger Du crime dont à Rome on eût pu la charger. CORNÉLIE Les Autheurs de sa mort méritoient ses suplico. AGRIPPINE Je sçauray les punir avecque leurs complices, Pison est desjà mort, et bien-tost l'Empereur, Livilla, Séjanus, sentiront ma fureur : Ce couple criminel, qu'un adultère assemble, S'estans joints pour le perdre expireront ensemble : LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 105 Ils suivront mon Espoux, ces lâches ennemis. Qui de tous mes enfans ne m'ont laissé qu'un fils ! SCÈNE II SÉJANUS, AGRIPPINE, CORNÉLIE SÉJANUS Madame, la nouvelle en est trop asseurée ; L'Empereur ce matin est sortyde Caprée, Il marche droit à Rome accompagné des siens, Des Soldats Allemans, et des Prétoriens ; Et l'on croit que demain, nous verrons à nos portes Trois de ses Légions, et cinquante Cohortes. AGRIPPINE C'est un sujet de joye, et non pas de douleur : Ennuyé de l'attendre il court à son malheur, Et n'approche de Rome en homme de courage, Que pour nous espargner la peine du voyage ; Voy comme aveuglement il vient chercher l'Autel. Frappons ! cette victime attend le coup mortel : Mais gardons qu'échappant au couteau du Ministre Sa fuitte ne devienne un présage sinistre. SÉJANUS Sans avancer nos jours, pour avancer sa mort, Regardons son naufrage à couvert dans le port ; Et gauchissons de sorte en montant à l'Empire, Que selon le succès nous puissions nous dédire. L'Empereur qui connoist tous vos desseins formez, Ignore que je trempe à ce que vous tramez ; Il m'escrit qu'il espère, assisté de ma brigue, Joindre avec le Sénat tout le peuple à sa Ligue. Ce traict de confiance est un gage asseuré Qu'il ne soupçonne point que j'aye conjuré : Ainsi, quoy que d'affreux son courroux entreprenne, Je vous tiendray tousjours à couvert de sa haine : Prononcez son arrest irrévocablement ; Mais parmy tant d'écueils, hastons-nous lentement. AGRIPPINE Conduis ma destinée ! Aussi bien la Fortune, Triomphans, ou vaincus, nous doit estre commune : Mais sçache, si de moy tu prétens disposer, Que le Thrône est le Temple où je dois t'espouser. 106 LA MORT D AGRIPPINE, TRAGEDIE Informe Livilla du retour de Tibère, De peur que sa surprise effarouche son Père : Moy j'iray cependant solliciter nos Dieux, Ils me doivent secours, puis qu'ils sont mes Ayeux. SCENE III AGRIPPINE, CORNELIE AGRIPPINB Qu'en dis-tu, Cornélie ? Enfin... CORNÉLIB Enfin, Madame, Du traistre Séjanus deviendrez-vous la femme ? Faut-il que l'Assassin de vostre cher Espous, Se trace par son crime un chemin jusqu'à vous ? Que dans son meurtrier vostre Mary se treuve, Et vienne se sauver dans le lict de la Veufve ? Quoy ! n'entendez-vous point le grand Germanicus, Porté sur un monceau de cadavres vaincus, S'écrier des Enfers : « Femme ingratte et perfide, Tu vas joindre ma race avec mon homicide ! » Voylà comme il se plaint, ce Héros outragé, Que sa Veufve en dix ans n'a pas encor vengé. AGRIPPINE Moy, de mes ennemis je deviendrois la Mère ! Moy qui les dois punir du crime de leur Père ! Rouge encor de mon sang, il viendroit l'Assassin, En qualité d'Espoux me présenter la main ! Donc mes Fils en mes flancs ne pourroient treuver place, Sans augmenter le nom du Bourreau de ma race ! Donc avec eux naistroit, malgré tout mon amour, L'exécrable devoir de les priver du jour ! Donc ces infortunez, sans le pouvoir connestre, Seroient mes ennemis avant mesme que d'estre ! Deviendroient criminels entre les mains du Sort, Et pour avoir vescu mériteroient la mort ! Du plus vil des Romains je me ferois un Maistre ! Et veufve d'un Héros j'espouserois un Traistre I Ha ! ne m'accuse point de tant de lascheté, Et pénètre un peu mieux dans mon cœur irrité. Voy jusqu'où doit aller le courroux d'Agrippine, Qui l'oblige à flatter l'autheur de sa ruine ; LA. MORT DAGRIPPINE, TRAGÉDIE 107 Et combien il est grand, puis que pour l'occuper Estant ce que je suis, je m'abbaisse à tromper : Oùy, j'abhorre ce Monstre ; après l'avoir ravie, Pour le tuer encor je luy rendrois la vie; Et je voudrois qu'il pût, sans tout à fait périr, Et sans cesse renaistre, et sans cesse mourir. Mais, hélas ! je ne puis me venger de Tibère, Que par la seule main de mon lasche adversaire : Car Séjanus vainqueur luy percera le flanc, Ou Séjanus vaincu payera de son sang. Si Tibère y demeure, alors je suis vengée ; Si contre Séjanus la Fortune est rangée, Je verray satisfaite entrer au monument De mon Espoux meurtry le premier instrument. Mais Livilla paroist... J'évite sa présence, Elle hayt ma rencontre, et la sienne m'offence. SCENE IV LIVILLA, SÉJANUS, TÉRENTIUS LIVILLA J'ay beau voir en Triomphe un Empereur Romain, S'avancer contre nous le tonnerre à la main, Ce n'est pas l'ennemy que je crains davantage. SÉJANUS Ha ! dites-moy son nom. Cette longueur m'outrage ; Vous le plaindrez plutost que vous ne le craindrez, Et j'attens, pour agir, ce que vous résoudrez. LIVILLA Escoute ! Auparavant qu'un refus m'ait blessée, Sur tout ce que tu crains applique ta pensée, Propose-toy le fer, la flame et le poison, Fais jusque dans ton cœur descendre ta raison, Et t'informe de luy, quoy que je te demande, S'il est prest d'accorder tout ce qu'il appréhende. SÉJANUS Il est tout prest, Madame, à remplir vos souhaits. LIVILLA Encore un coup, prens garde à ce que tu promets ; Ce que je veux sera peut-estre ta ruine. 108 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE SÉJANUS N'importe, parlez, c'est?... LIVILLA C'est la mort d'Agrippine. SÉJANUS D'Agrippine ? Madame, hélas! y pensez-vous? LIVILLA D'Agrippine, ma sœur, qui conspire avec nous ; Mon mary sous ma haine est tombé pour victime, Mon cœur après cela ne connoist plus de crime ; Jeune encor, et timide en mon timide sein, Il osa me pousser à ce noble dessein : Et toy, perfide Amant, dont l'amour me diffame.... SÉJANUS Tremperay-je ma main dans le sang d'une femme ? LIVILLA Je fais, pour m'animer, à ce coup plein d'effroy, Des efforts bien plus grands que tu n'en fais sur toy ; J'entends de toutes part le sexe et la Nature, Qui me font de ce meurtre une horrible peinture : Mais, femme, je pourray voir du sang sans horreur, Et, parente, souffrir qu'on égorge ma sœur ! Je l'ay trop offensée, et la mort qui m'effraye Est le seul appareil qui peut fermer sa playe. On voit fumer encor de ses plus chers Parens, Sur la route d'Enfer les vestiges sanglans ; Rien qu'un cercueil ne couvre un acte de la sorte, Et pour elle ou pour moy, c'est la fatale porte, Par qui le Sort douteux d'un ou d'autre costé, Mettra l'un des partis en pleine liberté. Encor si mon trespas satisfaisoit sa haine ! Mais de ta mort, peut-estre, elle fera ma peine, Puis qu'elle a descouvert au gré de son courroux, A l'éclat de ma flamme un passage à ses coups; Donc pour me conserver, conservant ta personne, Sauve-moy des frayeurs que sa rage me donne. SÉJANUS Non, non, détrompez-vous de ces vaines frayeurs, Elle croit l'Empereur cause de ses malheurs; Je l'ay persuadée. LIVILLA Elle feint de le croire ; Pour un temps sur sa haine elle endort sa mémoire, LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE 109 Mais crains-la d'autant plus qu'elle craint de s'ouvrir, C'est pour elle trop peu de te faire mourir : Si par ta mort toy-mesme assouvissant sa rage, Tu n'en es l'instrument, et n'en hastes l'ouvrage. Quoy ! je t'ay de mon Frère immolé jusqu'au nom ! Sur son fameux débris eslevé ton renom, Et chassé, pour complaire à toy seul où j'aspire, De mon lict et du jour l'héritier de l'Empire I Je semblois un Lyon sur le Thrône enchaisné, Qui t'en gardoit l'abord comme à toy destiné ; J'ay fait à ton amour au péril de la tombe, Des Héros de ma race un funeste hécatombe ; Et ne préjugeant pas obtenir les souhaits D'un si grand criminel que par de grands forfaits : On m'a veù promener encor jeune, encor fille, Le fer et le poison par toute ma famille, Et rompre tous les nœuds de mon sang, de ma foy, Pour n'estre plus liée à personne qu'à toy ; Chaque instant de ma vie est coupable d'un crime !... Paye au moins tant de sang du sang d'une victime ! Je n'en brusle de soif qu'afin de te sauver Du bras qu'à ton malheur ce sang fera lever; Ose donc, ou permets quand on joindra nostre âme, Que je soye ton mary, si tu n'es que ma femme. SÉJANUS Du précipice affreux prest à nous engloutir, Agrippine et son rang nous peuvent garantir ; Prodiguons sa puissance à terracer Tibère; Quand elle aura sans nous destruit nostre Adversaire. Nous trouverons par elle un Thrône dans le port, Et serons en estât de songer à sa mort. LIVILLA Tu m'en donnes parole ? Hé bien, je suis contente, L'espoir que j'en auray flattera mon attente ; A Jupiter vengeur je vais offrir des vœux, Si pourtant d'un tel coup j'ose parler aux Dieux ; Car le crime est bien grand de massacrer Tibère. SÉJANUS Tibère, ce Tyran qui fit mourir ton Père. LIVILLA Ha ! le Traistre en mourra ! Fais, fais-moy souvenir, Quand d'injustes remords viendront m'entretenir, 110 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Afin de s'opposer au meurtre de Tibère, Que Tibère est celuy qui fit mourir mon Père. SCENE V SÉJANUS, TÉRENTIUS TÉRENTIUS Immoler Agrippine à l'objet de ton feu ! La victime sera plus noble que le Dieu. SÉJANUS Que vous connoissez mal le sujet qui m'enflame ! TÉRENTIUS Quoy ! Livilla n'est point.... SÉJANUS Non, je la hay dans l'âme ; Et quoy qu'elle m'adore, et qu'elle ait à mes vœux Immolé son Espoux, son frère et ses neveux, Je la trouve effroyable ; et plus sa main sanglante Exécute pour moy, plus elle m'épouvante ; Je ne puis à sa flamme apprivoiser mon cœur, Et jusqu'à ses bienfaits me donnent de l'horreur ; Mais j'ayme sa Rivale avec une Couronne, Et je brusle du feu que son éclat luy donne ; De ce bandeau Royal les rayons glorieux Augmentent la beauté des rayons de ses yeux ; Et si l'âge flestrit l'éclat de son visage, L'éclat de sa Couronne en répare l'outrage. Enfin pour exprimer tous ses charmes divers, Sa foy me peut en dot apporter l'Univers. Quoy que de son Espoux ma seule jalousie Par les mains de Pison ayt terminé sa vie, Elle a tousjours pensé que des raisons d'Estat Ont poussé l'Empereur à ce lasche attentat. Ainsi, Térentius, un royal hyménée Doit bien-tost à son sort unir ma destinée, Un Diadème au front en sera le lien. TÉRENTIUS Le cœur d'une Amazone estoit digne du lien. SÉJANUS Tel jaloux de mon rang tenteroit ma ruine, Qui n'osera choquer un Espoux d'Agrippine ; LA MORT d'àGRIPPINE, TRAGÉDIE 111 Ce nœud m'affermira dans le Thrône usurpé ; Et son Fils qui me hait, dans sa fureur trompé, Au profond de son àme, arrestant sa colère, Craindra de s'attaquer au Mary de sa Mère, Ou forcé de le perdre, avec moins de courroux Elle en pardonnera le meurtre à son Espoux. Mais allons préparer, dans la pompe célèbre Du retour de Tibère, une pompe funèbre. ACTE II SCÈNE PREMIERE TIBÈRE, NERVA TIBÈRE Oiiy, la Couronne enferme et cache beaucoup plus De pointes sous le front qu'il n'en paroist dessus ! De ma triste grandeur j'ay veu Rome idolastre : Mais que j'ay pour régner d'ennemis à combatre ! NERVA C'est trop te défier de ton noble destin ; Agrippine te hait, mais elle est femme enfin. TIBÈRE Que de justes frayeurs s'emparent de mon âme ! Le grand Germanicus me combat dans sa femme ! De ce Prince au tombeau, le nom ressuscité Semble accourir aux vœux qui l'ont sollicité ; Sous mon Thrône abbatu, ce nouvel Encelade Du profond des Enfers à ma Cour rétrograde, Et jette un cry si haut, que du bruit effrayé Je doute s'il foudroyé ou s'il est foudroyé. Par un souffle bruslant que sa rage respire, Il esmeut la resvolte au sein de mon Empire, Et le perfide encor pour braver mes desseins, Me combat à couvert dans le cœur des Romains. NERVA D'un tout si dangereux pers le dangereux reste ! TIBÈRE Je sçay bien qu'Agrippine à mes jours est funeste : Mais si, sans l'achever, ma haine l'entreprend, Le courroux qui l'anime en deviendra plus grand, 112 LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Et si dans le Sénat on la treuve innocente, Je la force à venger cette injure sanglante. NERVA Que me dis-tu, Seigneur? elle est coupable ? TIBÈRE En quoy ? NERVA D'eslre, ou d'avoir esté plus puissante que toy. Elle rameine au choc les bandes allarmées, Casse ou nomme à son gré les Empereurs d'Armées1, Montre en Caligula son Ayeul renaissant, Intimide le foible, achepte le puissant, Emplit ton cabinet de ses pensionnaires : Enfin jusqu'à ta Garde et tes Légionnaires, Falut-il se noircir d'une lâche action, Sont généralement à sa dévotion. Elle est ambitieuse, elle te croit coupable... Crains qu'elle ne corrompe un serviteur de table ; Rarement un grand Roy que l'on peut envier Eschappe du poison donné par l'héritier. TIBÈRE 0 Ciel ! si tu veux perdre un Empereur de Rome, Que son trespas au moins soit l'ouvrage d'un homme ! NERVA César, pour prévenir ses desseins furieux,.. Elle est dans ton Palais... Qu'on l'égorgé à tes yeux ! TIBÈRE L'équité nous oblige à plus de retenue, On ne l'a qu'accusée, et non pas convaincue. NET. VA Le Sceptre qu'en tes mains dispute son renom, Dans tes mains esbranlé ne tient plus qu'à ton nom ; Cours le prix d'une gloire en gloire sans seconde, Au bout de la carrière est le Thrùne du monde ; Mais encor qu'il puisse estre à tous deux destine, Qui l'atteindra plustost y sera couronné. En partant le premier devance donc sa course, Et coupe les ruisseaux du torrent dès la source : (1) Les armées romaines décernaient souvent le titre d" ' imperator à leurs géné- raux (P. L.). IA MORT d'aGRIPPIÎSE, TRAGÉDIE 113 Quoy? supporteras-tu, sans honte ou sans efïroy, Que l'Empire balance entre une femme et toy ? Pers, pers cette Orgueilleuse avant qu'elle connoisse De ton règne esbranlé la mortelle foiblesse. Un soupçon de révolte, à l'apparence joint, Est un crime d'Estat qu'on ne pardonne point : César, il la faut perdre. TIBÈRE Oiiy. Nerva, je la donne Sans rien examiner au bien de ma Couronne, Elle mourra ! NERVA César... TIBÈRE Elle mourra... Mais Dieux ! Comment me desrober au peuple furieux ? Car si de ce combat j'emporte la victoire, Son sang pour la venger peut jaillir sur ma gloire ; C'est un foudre grondant, suspendu, prest à cheoir, Qu'au dessus de ma teste il ne faut pas mouvoir. NERVA Non, Seigneur, non, sa perte est et seure et facille. TIBÈRE Il faut donc l'engager à sortir de la ville... NERVA Elle iroit, la Superbe, en cent climats divers Promener la révolte au bout de l'Univers, Et jettant du discord la semence féconde, Armeroit contre toy les deux moytiez du Monde; Elle uniroit les bras de tout le Genre Humain, Joindroit les deux Soleils du Parthe et du Germain, Provoqueroit la Paix à te faire la guerre, Et sur toy seul enfin renverseroit la Terre. TIBÈRE Pour l'empescher d'agir, il faut la rasseurer ; Si son crime paroist, feindre de l'ignorer; Et puis, quand nous aurons le secours que j'espère, La mienne à découvert bravera sa colère. Mais la voici... N'importe ! il faut la régaler D une offre dont l'esclat suffit pour l'aveugler. 114 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Voy comme son front cache et montre sa vengeance, Et dans quelle fierté la Superbe s'avance ! Pour me tromper encor elle vient en ces lieux ; Mais escoute-nous feindre à qui feindra le mieux. SCENE II TIBÈRE, AGRIPPINE, SÉJANUS, NERVA, TÉRENTIUS AGRIPPINE Ton retour imprévu, tes gardes redoublées, Trois fortes légions près de Rome assemblées, M'ont fait avec raison craindre quelque attentat Ou contre ta Personne, ou contre ton Estât ; C'est pourquoy dans un temps suspect à ma Patrie, Où le Romain troublé s'atroupe, s'arme et crie, J'ameine à ton secours mes proches, mes amis, Et tous ceux que mon rang me peut avoir soumis. TIBÈRE , bas à Nerva. L'impudente, Nerva !... [haut) Généreuse Princesse, Je ne puis par ma bouche exprimer ma tendresse : Car un moindre présent que le Thrône d'un Roy Ne sçauroit m'acquiter de ce que je te doy ; De Rome à ce dessein j'approche mon Armée, Pour forcer cette Esclave au joug accoustumée, D'adorer, dans ton Fils, ce Prince bien-aymé, L'Image d'un Héros qu'elle a tant estimé : Oùy, je viens sur son front déposer ma Couronne, Et quiconque osera choquer ce que j'ordonne, C'est un traistre, un mutin, qu'en vassal plein de cœur, J'imraoleray moy-mesme au nouvel Empereur. AGRIPPINE Qui renonce à sa gloire en offrant sa Couronne, Il en acquiert, César, plus qu'il n'en abandonne ; Tu m'estimes beaucoup de me la présenter, Mais je m'estime trop pour pouvoir l'accepter ; C'est en la refusant qu'on s'en doit rendre digne, Je veux que l'Univers en juge par ce signe. TIBÈRE Auguste, ton Ayeul, contre les droicts du sang, M'adopta pour monter après luy dans son rang ; LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE 115 Quoy qu'avecque ton sexe il connut ton audace, Il n'osa te choisir pour occuper sa place ; Il eust peur, connoissant combien, sans se flater, La Machine du Monde est pesante à porter, Que d'un poids inégal à la grandeur de l'âme, Cet énorme fardeau tombât sur une femme, Et qu'un Sceptre, appuyé d'une si foible main, Soustint mal la grandeur de l'Empire Romain. Mais quoy que sa prudence, en bravant la Nature, T'ayt ravy la Couronne avec beaucoup d'injure, Puis qu'aujourd'huy son sang en tes bras affoibli A dans ceux de ton Fils ses forces restabli ', Je le veux eslever par droict héréditaire, Après un interrègne au Thrône de son Père. AGRIPPINE Fille du grand César que je dois imiter, Je le cède au Héros qu'il crût le mériter, Pour montrer par un chois aussi grand, aussi juste, Que je suis et du sang et dans l'esprit d'Auguste. TIBÈRE Et par cette raison son esprit et son sang Sont des droicts à ton Fils pour monter à mon rang ; J'en ay le Diadème, et d'une foy sincère Je le veux rendre au Fils, l'ayant receu du Père. AGRIPPINE Avec un Diadème, on n'attache pas bien Un cœur tout généreux qui veut aymer pour rien. TIBÈRE Pour te la conserver, j'ay receu la Couronne ; Je te la rends. Princesse. AGRIPPINE Et moy je te la donne. TIBÈRE Mais comme j'en dispose au gré de tes parens, C'est moy qui te la donne. AGRIPPINE Et moy je te la rends. (1) Il y a dans 1 editiou originale de 1654 a/foiblys et reslab/i/es,ce qui rend ces vers inintelligibles ; dans l'édition de 1710, la correction a été malheureuse : A dans ceux de son fi/s tous ses droits rétablis, ce vers ne se rapportant plus au précédent (P. L.). 116 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGEDIE As-tu droict d'espérer que cette âme hautaine En générosité succombe sous la tienne ? TIBÈRE Escoute dans ton sein ton cœur te démentir. AGRIPPINE Qui choisit par i*aison ne peut se repentir. TIBÈRE Tu me hays, et tu veux éteindre par envie La plus belle action dont éclate ma vie ; Ah ! pardonne à l'honneur du Monarque des Rois, Ou de ton Père en nous respecte au moins le chois ! AGRIPPINE Aux siècles à venir quelque jour à ta gloire, Nos Neveus estonnez apprendront dans l'Histoire Qu'un Roy de sa Couronne a despoiiillé son front ; Et ces mesmes Neveus, à ma gloire, apprendront Que ce Prince en fit l'offre à la seule personne Qui pouvoit refuser l'esclat d'une Couronne, Et que l'ordre des Dieux luy voulut désigner, De peur qu'un si bon Roy ne cessât de régner. TIBÈRE Règne, je te l'ordonne, et, régnant, fais connestre Que tu sçays m'obéïr encor comme à ton Maistre. AGRIPPINE Règne, je te l'ordonne, et respectant ma loy, Obéys, pour montrer que tu n'es plus mon Roy ; Règne, et puis que tu veux me rendre Souveraine, Montre en m'obéyssant que je suis desjà Reyne ; Reprends donc ta Couronne ; aussi bien couronner Celle qui te commande est ne luy rien donner. TIBÈRE Tasche, mon Séjanus, d'esbranler sa constance, Toy qui lis dans mon cœur, et vois ce que je pense, Tu luy découvriras les secrets de mon cœur, Et les vastes desseins que j'ay pour sa Grandeur. SCÈNE III SÉJANUS, AGRIPPINE, TÉRENTIUS SÉJANUS Lors que contre soy-mesme avec nous il conspire. Quelle raison vous meut à refuser l'Empire ? LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 117 AGRIPPINE Alors que dans ton sein mon Portraict fut tracé, Le Portraict de Tibère en fût-il effacé ? Ou des-accoustumé du visage d'un Traistre, L'as-tu veu sans le voir et sans le reconnoistre ? Je t'excuse pourtant! Non, tu ne l'as point veu, Il estoit trop masqué pour estre reconnu ! Un homme franc, ouvert, sans haine, sans colère, Incapable de peur, ce n'est point là Tibère ; Dans tout ce qu'il paroist, Tibère n'est point là : Mais Tibère est caché derrière tout cela ; De monter à son Thrône il ne m'a poursuivie Qu'à dessein d'espier s'il me faisoit envie; Et pour peu qu'à son offre il m'eût veu balancer, Conclure aveuglement que je l'en veus chasser : Mais quand il agiroit d'une amitié sincère, Quand le ressentiment des bienfaits de mon Père, Ou quand son repentir eust mon chois appelle A la possession du bien qu'il m'a voilé, Sçache que je préfère à l'or d'une Couronne Le plaisir furieux que la vengeance donne ; Point de Sceptre aux despens d'un si noble courroux, Et du vœu qui me lie à venger mon Espoux. Mais bien loin qu'acceptant la suprême Puissance Je perde le motif d'une juste vengeance : Je veux qu'il la retienne, afin de maintenir Agrippine et sa race au droict de le punir ; Si je l'eusse accepté, ma vengeance assouvie N'auroit peu sans reproche attenter sur sa vie, Et je veux que le rang qu'il me retient à tort Me conserve tousjours un motif pour sa mort. D'ailleurs, c'est à mon Fils qu'il remettoit l'Empire ; Est-ce au nom de sujet où ton grand cœur aspire ? Penses-y meurement ; quel que soit ton dessein, Tu ne m'espouseras que le Sceptre à la main. Mais adieu. Va sonder où tend tout ce mystère, Et confirme tousjours mon refus à Tibère. SCÈNE IV SÉJANUS, TÉRENT1US TERENTIUS Par les cuisans soucis où flotte l'Empereur, Du péril où tu cours mesure la grandeur, 118 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE Grains que dans le complot, comme un sage Interprette, De la moitié connue il passe à la secrette ; Car je veux que le Ciel secondant tes souhaits, Tu meine ta Victoire où tendent tes projets : D'une marche du Thrône Agrippine approchée, La soif de se venger non encor estanchée, Et par un si grand coup ne redoutant plus rien, Elle voudra du sang, et peut-estre le tien ; Peut-estre qu'en ton lict aux bras de l'Hyménée, Le fer de son Espoux attend ta destinée ; Que sa douleur secrette espère, en te tuant, Venger son mary mort sur son mary vivant, Et qu'à ce cher Espoux qui règle sa colère, Elle veut immoler le vainqueur de Tibère ? Donc pour sauver ta teste abandonne la Cour ; Tu connois la Fortune et son funeste amour. SÉJANUS Mettre les voilles bas n'ayant point perdu l'Ourse, Je suis trop esbranlé pour retenir ma course ; Je veux monter au Thrône, ou m'en voir accabler : Car je ne puis si tard commencer à* trembler. TÉRENTIUS Superbe, ta naissance y met un tel obstacle, Que pour monter au Thrône il te faut un miracle. SÉJANUS Mon sang ri est point Royal, mais V héritier d'un Roy Porte-t-il un visage autrement fait que moy ? Encor qu'un toict de chaume eût couvert ma naissance Et qu'un Palais de marbre eût logé son enfance, Qu'il fût né d'un grand Roy, moy d'un simple Pasteur, Son sang auprès du mien est-il d'autre couleur ? Mon nom seroit au rang des Héros qu'on renomme Si mes prédécesseurs avoient saccagé Rome : \ Mais je suis regardé comme un homme de rien; I Car mes prédécesseurs se nommoient gens de bien : Un César cependant n'a guères bonne veuë, Dix degrez sur sa teste en bornent l'estenduè, II ne sçauroit au plus faire monter ses yeux Que depuis son berceau jusques à dix Ayeux ; Mais moy je rétrograde aux cabanes de Rome, Et depuis Séj anus jusques au premier homme ; Là n'estant point borné du nombre ny du chois, Pour quatre Dictateurs j'y rencontre cent Rois. LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE 119 • TÉRENTIUS Mais le crime est affreux de massacrer son Maistre ? SÉJANUS Mais on devient au moins un magnifique traistre ; Quel plaisir sous ses pieds de tenir aux abois Celuy qui sous les siens fait gémir tant de Rois ! Fouler impunément des testes couronnées, Faire du Genre Humain toutes les destinées ; Mettre aux fers un César, et penser dans son cœur : « Cet Esclave jadis estoit mon Empereur. » TÉRENTIUS Peut-estre en Vabatant tomberas-tu toy-mesme. SÉJANUS Pourveu que je Ventraisne avec son diadème, Je mourray satisfait, me voyant terracé Sous le pompeux débris d'un Thrône renversé : tEt puis mourir n'est rien, c'est achever de naistre ! )Un Esclave hier mourut pour divertir son Maistre : Aux malheurs de la vie on n'est point enchaisné, Et l'âme est dans la main du plus infortuné. TÉRENTIUS Mais n as-tu point d'horreur pour un tel parricide ? SÉJANUS Je marche sur les pas d'Alexandre et d'Alcide, Penses-tu qu'un vain nom de traistre, de voleur, Aux hommes demyJJi&ux doive abatre le cœur? TÉRENTIUS Mais d'un coup si douteux peux-tu prévoir l'issue ? SÉJANUS De courage et d'esprit cette trame est tissuë : Si César massacré, quelques nouveaux Titans Eslevez par mon crime au Thrône où je prétens, Songent à s'emparer du pouvoir Monarchique, J'appelleray pour lors le peuple en République, Et je luy feray voir que par des coups si grans Rome n'a point perdu, mais changé ses Tyrans. TÉRENTIUS Tu connois cependant que Rome est Monarchique, Quelle ne peut durer dans l'Aristocratique, Et que l'Aigle Romaine aupa peine à monter.. 120 LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE Quand elle aura sur soy plus d'un homme à porter. 'Respecte et crains des Dieux l 'effroyable tonnerre ! SÉJANUS // ne tombe jamais en Hyver sur la terre : J'ay six mois pour le moins à me moquer des Dieux, En suitte je feray ma paix avec les Cieux. TÉRENTIUS Ces Dieux renverseront tout ce que tu proposes. SÉJANUS Un peu d' Encens bruslé rajuste bien des choses. TÉRENTIUS Qui les craint, ne craint rien. SÉJANUS Ces enfans de Veffroy, Ces beaux riens qu'on adore, et sans sçavoir pourquoy, Ces altérez du sang des bestes qu'on assomme, Ces Dieux que l'homme a faicts, et qui n'ont point faict V homme, Des plus fermes Estais ce fantasque soustien, Va, va, Térentius, qui les craint, ne craint rien. TÉRENTIUS Mais s'il n'en estoit point ! cette Machine ronde... SÉJANUS Oiiy, mais s'il en estoit, serois-fe encor au monde ? SCÈNE V SÉJANUS, TÉRENTIUS, LIVILLA LIVILLA Quoy! tu restes à Rome, et le Foudre grondant Ne pourra t'éveiller, si ce n'est en tombant ? Fuy, fuy, tout est perdu. SÉJANUS L'Empereur sçait la trame ? LIVILLA Tout est perdu, te dis-je ! SÉJANUS Ah ! poursuivez, Madame ! LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 121 LIVILLA Tu n'as plus qu'un moment. SÉJANUS Mais de grâce, pourquoy ? Tibère... LIVILLA Au nom des Dieux, Séjanus, sauve-toy ! SÉJANUS Apprenez-nous au moins qui vous rend si troublée ? LIVILLA J'ay honte de l'effroy dont je suis accablée ; Mais on peut bien trembler quand le Ciel tremble aussi ! Escoute donc sur quoy je m'épouvente ainsi. Des poings du Victimaire aujourd'huy nos hosties, Le cousteau dans la gorge en fureur sont parties ; L'Aruspice a treuvé le cœur défectueux, Les poulmons tous flestris, et le sang tout bourbeux; La chair du Sacrifice au brazier pétillante, Distilloit sur l'Autel une liqueur puante ; Le bœuf n'a pas esté mortellement atteint ; L'encensoir allumé par trois fois s'est esteint ; Il est sorty de terre une vaine figure ; On n'a point veu manger les oyseaux de l'Augure ; Le Sacrificateur est cheû mort en riant ; Le Temple s'est fermé du costé d'Orient; Il n'a tonné qu'à droite, et durant cet extase J'ay veu nos Dieux foyers renversez de leur baze. SÉJANUS Quoy ! ces présages vains estonnent ton courrous ? Ils sont contre Tibère, et non pas contre nous. Si les Dieux aux mortels découvroient leurs mystères, I On en liroit au Ciel les brillans caractères : Mais quoy qu'il en puisse estre, il sera glorieux D'avoir fait quelque chose en dépit de nos Dieux ! Car si nostre fureur succombe à la Fortune, Au moins dans les transports d'une rage commune Nous poursuivrons Tibère avec tant de courrous, Que l'on verra suer le Destin contre nous. LIVILLA Le Destin grave tout sur des tables de cuivre, On ne deschire pas les feuillets d'un tel Livre. 122 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE SEJANUS f Achevons donc le crime où ce Dieu nous astraint, 1 C'est luy qui le commet, puis qu'il nous y contraint. LIVILLA Mon esprit est remis, et ton noble courage, Quoy qu'annonce le Ciel, est un heureux présage. Allons de cent Argus Tibère environner, Arrestons les avis qu'on luy pourroit donner ; Et puis qu'il ne tient pas tout le secret encore, Coupons vers nostre bout la moitié qu'il ignore. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE AGRIPPINE, CORNÉLIE AGRIPPINE Sanglante Ombre qui passe et repasse à mes yeux, Fantosme dont le vol me poursuit en tous lieux, Tes travaux, ton trespas, ta lamentable histoire Reviendront-ils sans cesse offenser ma mémoire ? Ah ! trêve, cher Espoux ! Si tu veux m'affliger, Preste-moy pour le moins le temps de te venger. CORNÉLIE Il vient vous consoler de sa cruelle absence. AGRIPPINE Il vient, il vient plutôt me demander vengeance; Te souvient-il du temps qu'au fort de ses douleurs, Couronné dans son lict de ses amis en pleurs, Il crioit : « 0 Romains, cachez-moi cette offrande ! C'est un bras, non des yeux, que mon sort vous demande Mes plus grands ennemis n'ont rien tant désiré Que de me voir un jour digne d'estre pleuré. A de plus hauts pensers eslevez donc vostre âme ; Pleurer Germanicus, c'est le venger en femme. On me plaindra par tout où je suis renommé ; Mais pour vous, vengez-moy si vous m'avez aymé ! Car, comme il est honteux à qui porte une espée D'avoir l'âme à pleurer mollement occupée, Si du sang respandu sont les pleurs d'un Romain, LA MORT d'àGRIPPINE, TRAGÉDIE 123 J'espère que vos yeux seront dans vostre main ; Forcez donc mes bourreaux de souspirer ma perte, C'est la seule douleur qui me doit estre offerte, Ouy, cherchez, poursuivez jusqu'à la terre ouvrir, La terre parlera pour vous les descouvrir. Que par les yeux sanglans de cent mille blessures, Leurs corps défigurez pleurent mes avantures, Et que Pison le traistre... » A ce mot de Pison, Son âme abandonna sa mortelle prison, Et s'envola meslée au nom de ce perfide, Comme pour s'attacher avec son homicide ; Enfin, je l'ay veû pasle et mort entre mes bras ; Il demanda vengeance et ne l'obtiendroit pas ! Un si lasche refus... CORNÉLIE L'aymez-vous ? AGRIPPINE Je l'adore. CORNÉLIE Madame, cependant Tibère vit encore. AGRIPPINE Attens encor un peu, mon déplorable Espoux I Tu le verras bien-tost expirant sous mes coups, Et ravy par le sort aux mains de la Nature, Son sang à gros bouillons croistre chaque blessure ! Son esprit par le fer, dans son siège espuisé, Pour sentir tout son mal en tous lieux divisé, Entre cent mil éclairs de l'acier qui flamboyé, Gémissant de douleur, me voir pasmer de joye, Et n'entendre, percé de cent glaives aigus, Que l'effroyable nom du grand Germanicus !... Qu'il est doux au milieu des traicts qu'on nous décoche De croire estre offensé quand la vengeance approche I Il semble que la joye au milieu de mes sens Reproduise mon cœur par tout où je la sens ; Pour former du Tyran l'image plus horrible, Chaque endroit de mon corps devient intelligible, Afin que toute entière en cet accez fatal, Je renferme, je sente et comprenne son mal ; Usurpant les devoirs de son mauvais génie, Je l'attache aux douleurs d'une lente agonie ; Je compte ses sanglots, et j'assemble en mon sein 124 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Les pires accidens de son cruel destin ; Je le voy qui paslit ; je voy son âme errante Couler dessus les flots d'une écume sanglante ; L'estomac enfoncé de cent coups de poignard, N'avoir pas un amy qui luy jette un regard, S'il pense de sa main boucher une blessure, Son âme s'échaper par une autre ouverture ; Enfin, ne pouvant pas m'exprimer à moitié, Je le conçois réduit à me faire pitié. Voy quels transports au sein d'une femme offensée Cause le souvenir d'une injure passée ! Si la Fortune instruite à me désobliger M'ostoit tous les moyens de me pouvoir venger, Plutôt que me résoudre à vaincre ma colère, Je m'irois poignarder dans les bras de Tibère, Afin que soupçonné de ce tragique effort, Il attirast sur luy la peine de ma mort ; Au moins dans les Enfers j'eraporterois la gloire De laisser, quoi que femme, un grand nom dans l'Histoire ; Mais le discours sied mal à qui cherche du sang. COBNELIE Vous ! AGRIPPINE Ouy, moy, de César je veux percer le flanc, Et jusques sur son Thrône hérissé d'halebardes, Je veux, le massacrant au milieu de ses Gardes, Voir couler par ruisseaux de son cœur expirant Tout le sang corrompu dont se forme un Tyran ! SCÈNE II TIBERE, AGRIPPINE, CORNÉLIE , TROUPE DE GARDES tibère, la surprenant. Poursuivez... AGRIPPINB Quoy, Seigneur ? TIBÈRB Le propos détestable Où je vous ay surprise. LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 125 AGRIPPÏNE Ah ! ce propos damnable D'une si grande horreur tous mes sens travailla, Que l'objet du fantosme en sursaut m'esveilla. TIBÈRE Quoy I cela n'est qu'un songe, et l'horrible blasphème Qui chocque des Césars la Majesté suprême Ne fut dit qu'en dormant ? AGRIPPÏNE Non, César, qu'en dormant ; Mais les Dieux qui, pour lors, nous parlent clairement, Par de certains effets, dont ils meuvent les causes, En nous fermant les yeux nous font voir toutes choses ; Escoute donc, Seigneur, le songe que j'ay fait, Afin que le récit en détourne l'effet : Je réclamois des Dieux la sagesse profonde De régir par tes mains les affaires du monde, Quand les sacrez Pavots qui nous tombent des Cieux, D'un sommeil prophétique ont attaché mes yeux. Après mille embarras d'espèces mal formées Que la chaleur vitale entretient de fumées, Je ne sçay quoy de blesme et qui marchoit vers moy, A crié par trois fois : « César, prens garde à toy ! » Un grand bruict aussi-tost m'a fait tourner visage, Et j'ay veu de César la pâlissante Image, Qui couroit hors d'haleine en me tendant les bras... Oùy, César, je t'ay veu menacé du trespas. Mais comme à ton secours je vollois, ce me semble, Nombre de meurtriers qui couroient tous ensemble T'ont percé sur mon sein ; Brutus les conduisoit, Qui loing de s'estonner du grand coup qu'il osoit, « Sur son Thrône, a-t-il dit, hérissé d'halebardes, Je veux, le massacrant au milieu de ses Gardes, Voir couler par ruisseaux de son cœur expirant Tout le sang corrompu dont se forme un Tyran ! » J'en estois là, Seigneur, quand tu m'as entendue. TIBÈRE La réponse est d'esprit et n'est pas mal conceuë. AGRIPPÏNE Ha! César, il n'est plus d'azyle en ta maison. Quoy ! tu tiens pour suspects de fer et de poison Jusques à tes parens, avec qui la Nature 126 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE T'attache par des nœuds d'immortelle tissure ; Connois mieux Agrippine, et cesse d'opprimer, Avec ceux que ton sang oblige de t'aymer Ceux que soustient ton rang... Séjanus par exemple, Superbe, sanguinaire, homme à brusler un Temple, Mais qui pour ton salut accepteroit la mort, Ne peut estre accusé ny soupçonné qu'à tort ! Et cependant, César, un fourbe, un lasche, un traistre, Pour gaigner en dateur l'oreille de son Maistre, Peut te dire aujourd'huy (Séjanus entre sans estre veu d' Agrippine ny de Tibère.) SCÈNE III TIBERE, AGRIPPINE, SÉJANUS AGRIPPINE continue sans voir Séjanus Séjanus te trahit, Il empiète à pas lents ton Thrône, et l'envahit, Il gaigne à son party les Familles puissantes, Il se porte héritier des maisons opulentes, Il brigue contre toy la faveur du Sénat. séjanus bas 0 Dieux ! elle m'accuse ! AGRIPPINE Il renverse l'Estat, Il sème de l'argent parmy la populace. séjanus bas à Agrippine en se jettant aux pieds de V Empereur Nous périrons, Madame, et sans implorer grâce! Oiïy, Seigneur, il est vray, j'ay conjuré ! TIBÈRE Qui ? toy ! AGRIPPINE On peut te dire pis encor de luy, de moy... Mais à de tels rapports il est d'un Prince sage De ne pas escouter un foible tesmoignage. séjanus bas Imprudent ! qu'ay-je fait ? Tout est désespéré ! TIBÈRE Mais enfin, Séjanus luy-mesme a conjuré ? Il l'advouë ? LA. MORT D AGRIPPINE, TRAGÉDIE 127 SÉJANUS Oùy, Seigneur. TIBÈRE L'eussiez- vous creu, Princesse ? SÉJANUS J'ay conjuré cent fois ta profonde sagesse, De ne point escouter ces lasches ennemis Qui te rendent suspects Agrippine et son Fils. Ne souffre pas, Seigneur, qu'une âme desloyale Desgorge son venin sur la maison Royale ; Tout le Palais desjà frémit de cet affront, Et ta Couronne mesme en tremble sur ton front ; Rome en est offensée, et le Peuple en murmure, Préviens de grands malheurs, César, je t'en conjure ! Je t'en conjure encor par l'amour des Romains, Et par ces tristes pleurs dont je mouille tes mains ! TIBÈRE Comment ? SÉJANUS Tes Légions qui s'approchent de Rome Réveillent en sursaut la Ville d'un grand somme ; Elle croit que tu veux abreuver ses rempars De ce qui reste encor du sang de nos Césars, Et qu'après tant de sang que ta soif se destine, Tu viens pour te baigner dans celuy d'Agrippine. Le Peuple en tous ses bras commence à se mouvoir, Il faict aux plus sensez tout craindre et tout prévoir : Pour te l'oster de force il résout cent carnages, Autour de ton Palais il porte ses images, Il brave, il court, il crie, et presque à ton aspect, Menace insolemment de perdre tout respect. Estouffe en son berceau la révolte naissante. TIBÈRE, il arreste Agrippine qui veut sortir. Agrippine arrestez ! Si le désordre augmente Un désaveu public aux yeux de ces mutins, En vous justifiant, calmera nos destins ; Vos efforts feront voir si le ver qui vous ronge, Méditoit le récit d'un complot ou d'un songe : Esteignez au plus tost le feu que je prévoy, Ou bien résolvez-vous de périr avec moy ; Se tournant vers Séjanus C'est pour l'intimider, les rayons de ma veuë, Comme ceux du Soleil, résoudront cette nue. 128 LA MOUT d'àGRIPPINE, TRAGÉDIE SÉJANUS Il seroit à propos qu'on te vit escorté : De grands desseins par là souvent ont avorté. SCENE IV SÉJANUS, AGRIPPINE. CORNÉLIE SÉJANUS Que vous m'avez faict peur ! AGRIPPINE Que vous m'avez troublée Je sens mon âme encor de surprise accablée ! Confesser au Tyran la conjuration ! SÉJANUS Mais vous, luy révéler la conspiration ! J'ay creu que vostre cœur vous prenoit pour un autre ; J'en ay senty mon front rougir au lieu du vostre, Et j'appellois desjà la Mort avec fierté, Pour espargner ma honte à votre lascheté, Pour en perdre au tombeau la funeste mémoire, Et pour ne pas enfin survivre à vostre gloire : Oùy, j'allois sans lascher ny souspir ny sanglot, Moy seul, pour mourir seul, m'accuser du complot, Et vous justifiant, quoy que mon ennemie, Combler par mon trespas vostre nom d'infamie ! AGRIPPINE Vous m'offensez cruel, par cet emportement, Mon amour en dépost vous tient lieu de serment, Puis que c'est une loy du Dieu qui nous assemble, Que si vous périssez, nous périssions ensemble. SÉJANUS Si j'ay de grands soupçons, ce n'est pas sans sujet : Ce que j'espère est grand, et mon sort est abjet ! Vous faites relever le bonheur de ma vie D'un bien que l'Univers regarde avec envie ; Et c'est pourquoy je tremble au front de l'Univers, Quand dessus mon thrésor je voy tant d'yeux ouvers ; Oùy, j'ay peur qu'Agrippine icy-bas sans seconde, Eslevée au sommet de l'Empire du monde Comme un prix de Héros, comme une autre Toyson, LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 129 Ne reschauffe le sang de quelqu'autre Jason, Et cette peur, hélas ! doit bien estre soufferte En celuy que menasse une si grande perte. AGRIPPINE Non, croyez, Séjanus, avec tous les humains, Que je ne puis sans vous achever mes desseins, Et que vous connoistrez dans peu comme moy-mesme Si véritablement Agrippine vous aime'. SÉJANUS Enfin, quoy que César puisse faire aujourd'huy, La peur dont j'ay tremblé retombera sur luy. Il faut que je me rende auprès de sa personne, De peur qu'un entretien si secret ne l'estonne ; Vous, sortez en public pour tromper le Tyran, Et guérissez un mal qui n'est pas assez grand : Contre trois Légions qui frapent à nos portes, Tous les Prétoriens, et cinquante Cohortes, Nos gens espouventez ne feroient que du bruict Et n'en recueilleroient que la mort pour tout fruict. Attendons que l'aspect d'un Astre moins contraire Dedans son Isle infâme entraisne encor Tibère. SCENE V AGRIPPINE, CORNÉLIE, LIVILLA LIVILLA La Discorde, allumant son tragique flambeau, Vous consacre, Madame, un spectacle assez beau, Et je viens comme Sœur, prendre part à la joye Que lassé de vos maux le Destin vous envoyé ; Le Peuple soulevé pour un Exploict si grand, Vous tient comme en ses bras à couvert du Tyran, Et ce transport subit, aveugle et plein de zèle, Tesmoigne que les Dieux sont de vostre querelle... AGRIPPINE Les Dieux sont obligez de venger mon Espoux, Si les Dieux icy-bas doivent justice à tous ; Deux partis ont chargé leur balance équitable : Agrippine outragée, et Tibère coupable. (1) En marge de ces 'i vers, on lit dans 1654, « vers équivoques ». 130 LA. MORT d'âGRIPPINE, TRAGÉDIE LIVILLA Pour se bien acquitter, ils vous couronneront. AGRIPPINE Ils s'acquitteront bien quand ils me vengeront ; C'est la mort que je veux, non le rang du Monarque. LIVILLA Se joindre à Séjanus n'en est pas une marque! AGRIPPINE Je fais encore pis : je me joins avec vous. LIVILLA Vous nous aviez long-temps caché vostre courroux ! AGRIPPINE Je règle à mon devoir les transports de mon âme. LIVILLA Au devoir, en effet, vous réglez vostre flamme : Car comme l'amour seul est le prix de l'amour, Séjanus vous aymant, vous l'aymez à son tour. AGRIPPINE Il vous sied mieux qu'à moy d'aymer un adultère, Après l'assassinat d'un Espoux et d'un Frère. LIVILLA Sont-ils ressuscitez pour vous le révéler ? AGRIPPINE S'ils sortoient du cercueil, ils vous feroient trembler ! LIVILLA Cette ardeur dont j'embrasse, et presse leur vengeance, De l'Envie et de vous sauve mon innocence. AGRIPPINE Si sans exception vostre main les vengeoit, Vous verseriez du sang qui vous affoibliroit : Mais quand vous vengerez leurs Ombres magnanimes. Vous leur desroberez tout au moins deux Victimes. LIVILLA Vous pourriez m'attendrir par de telles douleurs, Qu'enfin j'accorderois Séjanus à vos pleurs. AGRIPPINE Si m'en faisant le don, vous faites un miracle, J'en promets à vos yeux le tragique spectacle I LA. MORT D'AGRIPPINE, TRAGEDIE 131 Mais il vous est utile, et vous le garderez Pour le premier Espoux, dont vous vous lasserez. LIVILLA Quiconque ose inventer ce crime abominable, Du crime qu'il invente il a l'esprit capable !... AGRIPPINE Vostre langue s'emporte ! apaisez sa fureur... Ce n'esj pas le moyen d'acquérir un vainqueur Que vous dites m'aymer avec tant de constance, Car s'il m'ayme, il reçoit la moitié de l'offence. LIVILLA Séjanus vaut beaucoup ! Vous devez l'estimer? AGRIPPINE Son mérite est trop grand pour pouvoir m'exprimer : Mais Tibère estant mort, que nous avons en butte, S*éjanus à son tour sera nostre dispute : Il doit estre immolé pour victime, entre nous, Ou bien de vostre Frère, ou bien de mon Espoux. Adieu donc, et de peur que dans la solitude Vostre jaloux soupçon n'ait de l'inquiétude, J'engage à ma parole un solemnel serment, Que je sors sans dessein d'aller voir vostre Amant... SCÈNE VI livilla, seule . Dites, dites le vostre, Agrippine inûdelle, Qui de Germanicus oubliant la querelle, Devenez sans respect des droicts de l'amitié De son lasche Assassin l'exécrable moitié ! Femme indigne du nom qui soustient vostre race, Et qui du grand Auguste avez perdu la trace, Rougissez, en voyant vostre Espoux au tombeau, D'estouffer sa mémoire au lict de son Bourreau !... Mais que dis-je, insensée ? Ah ! mon trouble est extrême ! Ce reproche honteux rejaillit sur moy-mesme, Puis que de rang égal, et filles d'Empereurs, Nous tombons, elle et moy, dans les mesmes erreurs. Elle ayme ce que j'ayme, et quoy que je contemple De lasche dans son cœur, son cœur suit mon exemple ; Et puis il s'est donné... Mais le Traistre est-il sien ? 132 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE M'ayant faict sa maistresse, a-t-il droict sur mon bien ! Non ; si par son Hymen ma naissance j'affronte, J'en cueilleray la gloire ayant semé la honte, Pour me le conserver je hazarderay tout, Je n'entreprendray rien que je ne pousse à bout. Rien, par qui dans sa mort mon bras ne se signale, Si je puis descouvrir qu'il serve ma Rivale. Qu'il y pense, ou bien-tost des effets inhumains Feront de son suplice un exemple aux Romains ; Oùy, par les Dieux vengeurs, lasche, je te proteste, Si ton manque de foy me paroist manifeste, Qu'avant que le Soleil ait son char remonté, Tu seras comme ceux qui n'ont jamais esté ! ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE TIRÈRE, SÉJANUS TIBÈRE Enfin Rome est soumise, et mes Troupes logées Sont autour du Palais en bataille rangées, Et je puis foudroyer d'un bras victorieux Ces superbes Titans qui s'osent prendre aux Dieux ; Je dois par Agrippine ouvrir leurs sépultures, Sa mort décidera toutes nos avantures. SÉJANUS Seigneur, daigne en son sang le tien considérer! TIBÈRE Quand j'ay de mauvais sang, je me le fais tirer. SÉJANUS Prens garde aussi de perdre Agrippine innocente ! D'un coup si dangereux la suitte m'épouvante ; Rome publie à faux, par de si prompts effets, Que pour t'abandonner à de plus grands forfaits, Tu chasse le tesmoin de qui l'aspect t'affronte, Et punis la vertu dont l'esclat te fait honte. TIBÈRE Quoy I la craindre, et n'oser mettre un terme à ses jours ! Ou bien la laisser vivre, et la craindre tousjours 1 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 133 L'un m'est trop dangereux, l'autre m'est impossible. SEJANUS Seigneur, comme elle rend son abord accessible, Qu'un Espion fidèle évente ses secrets : Je m'offre à cet employ. TIBÈRE Je l'ay mandée exprez. Ce langage muet des yeux avecque l'âme Me pourra découvrir le complot qu'elle trame ; Je feindray de sçavoir qu'elle en veut à mes jours, Afin que si son front paslit à ce discours, Il soit, pour la convaincre, un indice contr'elle ; Ou si plein de fierté son front ne la décelle, Me croyant en secret du complot adverty, Elle abandonne au moins l'intérest du party. Brisons là, Séjanus, je la voy qui s'avance... A la faire parler observe ma prudence. SCÈNE II TIBÈRE, SÉJANUS, AGRIPPINE, CORNÉLIE TIBÈRE Quoy, barbare ! vouloir ton Père assassiner Au moment glorieux qu'il te va couronner ? N'appréhende-tu point, âme fière, âme ingrate, Qu'au feu de mon amour ta laschelé n'éclate, Et qu'en l'air cette main qur^ m'assassinera Ne rencontre la main qui te couronnera ? AGRIPPINE Moy, Seigneur ? TIBÈRE Toy, perfide ! AGRIPPINE Enfin, qui le dépose? TIBÈRE Demande à Séjanus, il en sçait quelque chose. SÉJANUS J'estois présent, Madame, à ce triste rapport. TIBÈRE D'où vient qu'à ce discours tu te troubles si fort ? 134 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE AGRIPPINE Pour paroistre innocente, il faut estre coupable : D'une prompte réplique on est bien plus capable, Parce que l'on apporte au complot déclaré, Contre l'accusateur un esprit préparé. TIBÈRE Deffends, deffends-toy mieux. AGRIPPINE Je pourrois l'entreprendre Mais je t'offenserois si j'osois me defl'endre ; Ce seroit une preuve à la Postérité Que ta mort estoit juste et pleine d'équité, Si ton cœur tesmoignoit par la moindre surprise Soupçonner ma vertu de l'avoir entreprise. Je veux donc à ta gloire espargner cet affront, Tu vois mon innocence et la lis sur mon front ; Agrippine, César ! attenter sur ta vie ! Non, tu ne le crois pas ! Mais ce Monstre d'Envie, Dont le soufle ternit la candeur de ma foy, A sans doute aposté des tesmoins contre moy ; Car tout Rome connoist qu'il veut par ma ruine Eslever sa maison sur celle d'Agrippine. TIBÈRE Tout ce déguisement ne te peut garantir ; Ton jour est arrivé, Superbe, il faut partir, Et l'Estat en péril a besoin de ta teste. AGRIPPINE Faut-il tendre le col ? Qu'on frappe, je suis preste ! Tibère estant icy, je voy l'Exécuteur... Mais apprens-moy mon crime et mon Accusateur ? TIBÈRE Tu desbausches le peuple à force de largesses, Tu gagnes dans le Camp mes Soldats par promesses, Tu parois en public, tu montes au Sénat, Tu brigues pour les tiens les Charges de l'Estat. AGRIPPINE Tibère ne reproche à mon âme Royale Que d'estre généreuse, affable et libérale, Et comme criminelle, à mort il me poursuit I TIBÈRE La Vertu devient crime en faisant trop de bruit. LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE 135 AGRIPPINB Elle passe du moins pour cela sous ton règne. TIBÈRE Mon amour Paternel à tes Fils le tesmoigne. AGRIPPINB Cet amour Paternel les a tous glorieux Eslevez de ta table à la table des Dieux ; Et si de beaux festins tu régales les nostres, Qu'après ceux de Tibère ils n'en goustent plus d'autres ! TIBÈRE Romains, j'ay la bonté d'estre le Protecteur De celle qui me tient pour un empoisonneur ; Je suis enfant d'Auguste. AGRIPPINB Il m'en souvient, Tibère ! Tu nacquis en ce temps qu'à mon bienheureux Père Toute chose à l'envi succédant à la fois, Fortune luy donnoit des enfans à trois mois. TIBÈRE Si je ne tiens de luy le jour que je respire, Au moins, comme à son Fils, il m'a laissé l'Empire, Et ce sage Empereur nous rendit par son choix, Toy l'Esclave sousmise, moy le Maistre des Loix. AGRIPPINB Ne fais point vanité d'un choix illégitime ; Son orgueil te choisit, et non pas son estime ; Il te donna l'Empire, afin que l'Univers Regrêttast le malheur d'avoir changé ses fers. TIBÈRE Parricide, ton Père esprouve ton audace. AGRIPPINB Tu respectes mon Père en destruisant sa race, Tu luy bastis un Temple, et consacrant ce lieu, Tu n'y fais immoler que les Parens du Dieu ; Ce n'est pas dans le tronc d'une Idole muette Que repose son âme et sa forme secrette, C'est dans moy, c'est dans ceux qui sortent de mon flanc, Et qui s'y sont formez de son céleste sang ; Ne crois pas mes douleurs de criminelles fautes Que pousse le regret du Sceptre que tu m'ostes ; 136 LA. MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE Mais escoute, Tyran : La cause de mon deuil, C'est d'entendre gémir l'Echo d'un vain cercueil, Une Ombre désolée, une Image parlante Qui me tire la robbe avec sa main tremblante ; Un Fantosme tracé dans l'horreur de la nuict Que j'entens sangloter au chevet de mon lict, Le grand Germanicus, dont les Mânes plaintives M'appellent pour le suivre aux infernales rives, Et de qui, quand je dors, d'un pas remply d'effroy, Le Spectre souspirant vient passer devant moy. Je te suis, mon Espoux, mais j'attens pour descendre Que j'aye réchauffé de sang ta froide cendre, Aux pieds de ta Statue immolé ton Bourreau ; Et de son corps sanglant remply ton vain tombeau. Que si le Ciel injuste est sourd à ma requeste... TIBÈRE Ton bras, à son défaut, attaquera ma teste? AGRIPPINE Qui m'empesche, Tyran, si c'estoit mon dessein, De plonger tout à l'heure un poignard dans ton sein ? Elle tire un poignard qu'elle jette aux pieds de l'Empereur. Mais vis en seureté, la Veufve d'un Alcide Rougiroit de combattre un Monstre si timide. TIBÈRE En découvrant ainsi ta noire intention, Et travaillant toy-mesme à ta conviction, Tu t'espargnes la géhenne. AGRIPPINE Ah ! si je suis blasmable, Mon Orgueil, non pas moy, de mon crime est coupable ! Et mon cœur eschauffé de ce sang glorieux, Qui se souvient encor d'estre sorty des Dieux. Au nom de parricide, ardent et plein de flame, Tasche par son transport d'en repousser le blasme ; Et sans voir que mon Prince est mon accusateur Il révolte ma voix contre mon Empereur. TIBÈRE Ah ! si mon sang t'émeut, il mérite ta grâce. L'Orgueil n'est pas un crime aux Enfans de ma race ; Mais comme d'un soupçon la noirceur s'effaçant k Laisse encor quelque tache au nom de l'Innocent, De peur que trop de jour dessillant ma paupière Dans mon cœur malgré moy jette trop de lumière, LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE 137 J'abandonne des lieux où je crains de trop voir... Reste icy par mon ordre avecque plein pouvoir. Pour ton Fils je l'emmeine, il sera dans Caprée De noslre intelligence une cliaisne asseurée ; La mollesse de Rome énerve un jeune esprit, Et sa fleur sans esclorre en bouton s'y flestrit. SCENE III AGRIPPLNE, SÉJANUS, GORNÉLIE AGRIPPINB 0 ! qu'il est à propos de sçavoir se contraindre ! Mais comment se forcer, quand on ne sçauroit craindre ? Dans mon abaissement incapable d'effroy, César me semble encor bien au dessous de moy ; Le nom de mon Mary, mon rang et ma naissance, Enflent tous mes discours d'une masle asseurance. La Terre a beau plier sous cet Usurpateur, Mon sang me fait régner sur ce lasche Empereur; Encor qu'insolemment le Superbe me brave, Je ne puis m'abaisser à flatter mon Esclave. Quoy ! mon Fils à Caprée ! SÉJANUS 0 Ciel ! AGRIPPINB Ah ! Séjanus ! La fureur me saisit, je ne me connois plus... Vois-tu pas son dessein ? SÉJANUS Ce rusé Politique Le cache aux yeux de Rome et de la République ; Son amitié travaille aie faire oublier : De l'azile qu'il donne il se fait le Geôlier, Et vous des-unissant à faux tiltre de Père, Oste la Mère au Fils et le Fils à la Mère. Ah ! Madame, il est temps de faire agir la main Dont le coup doit un Maistre à l'Empire Romain. Allez descendre au Camp, mutinez les Gensdarmes, Faites-les souvenir d'avoir porté les armes, D'avoir en cent climats planté nos pavillons Et fauché par la mort tant d'affreux Rataillons, 138 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE Sans qu'il reste à pas un pour vingt ans de services, Que des cheveux blanchis, de larges cicatrices, Des cadavres entez dessus des membres morts, Et des troncs survivans la moitié de leurs corps. Pour les picquer d'honneur, vous direz de leurs Pères, Que vous les avez veus parmy nos adversaires, Pesle-mesle entassez, et sanglants qu'ils estoient, S'enterrer sous le poids des corps qu'ils abatoient, Percer des escadrons les murailles serrées, Faire avec un bras seul plus que deux Briarées, Et qu'au lict de la mort ces vaincus triomphans Vous ont recommandé leurs malheureux enfans ; Que c'est bien la raison que vous serviez de Mère A ceux dont vostre Espoux estoit jadis le Père, Que tout son patrimoine il leur avoit laissé, Mais que le Testament par César fut cassé. Allez, cela fîny, de rang en rang paroistre, Flater chaque soldat, feindre de le connoistre, Et jettant à la foule une somme d'argent, Protestez qu'au Palais d'un œil si diligent, On veille vos discours, vos pensers, vostre vie, Qu'un don plus généreux attireroit l'envie ; Mais qu'en un grand dessein, s'ils vous veulent ayder, Et vous mettre en estât de pouvoir commander, Vous leur restituerez ce fameux héritage Que leur Père mourant leur laissoit en partage. CORNÉLIE Si leur âme en suspens semble encor hésiter, Vous sçaurez par ces mots leur courage exciter. « Quoy vous, mes compagnons, dont l'ardente colère Fit trembler autrefois le Thrône de Tibère, Qui dispensiez la vie et la mort aux humains, Qui portiez des combats la Fortune en vos mains, Qui vouliez au Tyran arracher la Couronne Pour des crimes légers dont le couvroit son Thrône, Vous semblez l'adorer dessus son Thrône assis, Quand il est devenu le bourreau de ses Fils ? Où s'en est donc allé cette noble furie, Et ce feu qui veilloit au bien de la Patrie ? Le Ciel d'un coup de foudre épargneroit vos mains, S'il,osoit usurper la charge des Romains. Marchez donc sans trembler sur les pas d'une femme ! Espuisez d'un Vieillard ce qui luy reste d'âme ; LA MORT d'àGRIPPINE, TRAGÉDIE 139 Que si d'un esprit foible en cet illustre employ Vous craignez le péril, ne frappez qu'après moy ! » Ce discours achevé, du haut de leur Tribune, Avec un front égal attendez la Fortune. agrippine, à Séjanus Mais sans que de l'Estat nous déchirions le flanc, Que le sang de Tibère espargne tant de sang ! Laisse-moy l'attaquer seule en face de Rome, Il ne mérite pas de tomber sous un homme. SÉJANUS Madame, en ma faveur, ne vous exposez point ! Attendons au party le Soldat qui se joint ; Du plus seur au plus prompt ne faites point d'eschange. AGRIPPINE Périsse l'Univers, pourveu que je me venge I SÉJANUS Ouy, vous serez vengée, oùy, Madame, et bien-tost ! Vostre Ayeul, dans le Ciel, le demande assez haut, Et du fond des Enfers vostre Espoux vous le crie : Mais pour un malheureux conservez vostre vie, Vous me l'avez promis ! AGRIPPINE Ouy, va, je m'en souviens ! Mais une Ombre qui crie empesche nos liens. SÉJANUS Hé quoy ! Germanicus peut-il trouver estrange Que sa Veufve se donne à celuy qui le venge ? AGRIPPINE Non, sa Veufve à son gré te fera son Espoux, Tu seras son Rival sans qu'il en soit jaloux ; Il joindra de son nom la force à ton audace, Pourveu qu'en le vengeant tu mérites sa place. A ces conditions que je passe avec toy, Dessous le sceau d'Hymen je t'engage ma foy. [Vers qui cachent un autre sens] Mais il faut, si tu veux que le contract s'observe, Vengeant Germanicus, le venger sans réserve; Et quand ton bras aura ses Mânes consolez, Et tous ses meurtriers à son Ombre immolez, Mes faveurs envers toy pour lors seront si grandes, Que je t'espouseray si tu me le demandes. 140 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE SEJANUS Quoy ! vous m'ayraez, Madame, et je l'aprens de vous ! Quoy ! je puis espérer d'estre un jour vostre Espoux ! Et l'excez du plaisir dont mes sens sont la proye Ne me sçauroit encor faire expirer de joye ! Si le Sort ne veut pas que je meure d'amour, Ny cpie sans vostre aveu j.e sois privé du jour, Du muins je vous diray jusqu'au souspir extrême : Voyez mourir d'amour Séjanus qui vous ayme ! AGIUPPINB Adieu! ma sœur approche, oste-luy les soupçons Qu'elle pourroit avoir que nous la trahissons. SEJANUS Ah ! Madame, elle peut nous avoir escoutée, Elle marche à grands pas et paroist transportée. SCENE IV SÉJANUS, LIVILLA Si le Sort ne veut pas que je meure d'amour, Ny que sans vostre aveu je sois privé du jour, Du moins je vous diray jusqu'au souspir extrême : Voyez mourir d'amour Séjanus qui vous ayme ! Mais toy, me hais-tu, lasche, autant que je te hays, Et que veut ma fureur te hayr désormais ? Tu l'as prise pour moy, cette aymable Princesse ? Tu pensois me parler et me faire caresse ? Comme je suis pour toy de fort mauvaise humeur, Tu prenois des leçons à fléchir ma rigueur? Ingrat, tu punis bien ce que fit mon courage, Quand je sacrifiay mon Espoux à ta rage ! Est-ce trop peu de chose, et pour te mériter, A des crimes plus grands faut-il encor monter ? J'ay tué mes Neveux, j'ay fait périr mon Frère, Et je suis sur le poinct d'égorger mon Beau -père ; Du creux de ton néant sors, Séjanus, et voy Le Thrône où mes forfaits t'ont eslevé, sans toy ! Si pour des coups si grands, tu te sens trop timide, Rends-moy l'Assassinat, rends-moy le Parricide, LA. MORT D AGRIPPINE, TRAGÉDIE 141 Et pour me rendre un crime encor plus desplaisant, Traistre, rends-moy l'amour dont je t'ay fait présent ! SÉJANUS Comment agir, Madame, avec une Princesse Dont il faut mesnager l'esprit avec adresse ? A qui tous nos desseins paroistroient furieux, Sans le bandeau d'Amour qui luy couvre les yeux ? Hélas ! si dans mon sein vous voyez la contrainte ; Dont deschire mon cœur cette cruelle feinte ; Quand la haine me force à trahir l'amitié, Peut-estre en cet estât vous ferois-je pitié ? Les larmes dont je feins vouloir prendre son âme, Luy montrent ma douleur bien plutost que ma flamme. LIVILLA 0 Dieux ! qu'on a de peine à prononcer l'arrest, Quand on veut condamner un ennemy qui plaist ! Je t'abhorre, je t'ayme, et ma raison confuse, Comme un Juge irrité soy-mesme se récuse ; Ton crime parle en vain, je n'ose l'escouter ! J'ay peur qu'il ne me force à n'en pouvoir douter : Quoy que sensiblement ta trahison m'offense, Je me la cache afin d'arrester ma vengeance, Ou si plus clairement il me faut exprimer, Je me la cache afin de te pouvoir aymer !... C'en est trop, Séjanus, ma douleur est contente, La plus foible raison suffit pour une Amante, Et malgré mon soupçon contre toy si puissant, Parce que je t'aymay je te crois innocent. Adieu ! voy l'Empereur, assiège sa Personne, Qu'en tous lieux ton aspect l'espouvente et l'estonne. SÉJANUS Je sçay que l'Empereur ne peut estre adverty Du nom des conjurez qui forment le party, Cependant plus ma course approche la barrière, Plus mon âme recule et me tire en arrière. LIVILLA Va, va, ne tremble point ! Aucun ne te trahit. SÉJANUS Une secrette horreur tout mon sang envahit : Je ne sçay quoy me parle, et je ne puis l'entendre, Ma raison dans mon cœur s'efforce de descendre ; 142 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE Mais encor que ce bruict soit un bruict mal distinct, Je sens que ma raison le cède à mon instinct ; Cette raison pourtant redevient la Maistresse, Frappons, voylà l'hostie1, et l'occasion presse ! Aussi bien quand le coup me pourroit accabler, Séjanus peut mourir, mais il ne peut trembler. SCÈNE V LIVILLA L'Intrigue est découvert, les lasches m'ont trahie ! Ils m'en ont fait l'affront, ils en perdront la vie ; D'un esprit satisfait je les verray mourir, Et périray contente en les faisant périr. 0 vous, mes chers Nepveux, mon Espoux, et mon Frère, Ma fureur a trouvé le moyen de vous plaire ; Pour vous rendre le faix du tombeau plus léger, De tous vos assassins, elle va vous venger ; Et par des coups si grands, si pleins, si légitimes, Que je seray comprise au nombre des victimes ! Mais le temps que ma bouche employé à soupirer, Preste à nos criminels, celuy de respirer. Hastons-nous, car enfin du jour qu'ils me trahissent, Ils me l'ont dérobé cet air dont ils jouissent ! ACTE V SCÈNE PREMIÈRE TIBÈRE, LIVILLA, FURNIE TIBÈRE Un homme qu'en dormant la Fortune éleva... LIVILLA Que de l'obscurité ton amitié sauva... TIBÈRE Séjanus, dont la teste, unie à ma personne, Emplissoit avec moy le rond de ma Couronne, En vouloir à mes jours ! Il en mourra l'ingrat ! LIVILLA Par sa punition, assure ton Estât. (1) Dans le sens de « victime ». LA. MORT DAGRIPPINE, TRAGEDIE 143 • TIBÈRE Je veux qu'en son trespas la Parque s'étudie A prolonger sa peine au delà de sa vie ; Qu'il meure et qu'un sanglot ne lui soit point permis, Qu'il arreste les yeux de tous ses Ennemis! Et qu'il soit trop peu d'un pour la douleur entière Dont il doit servir seul d'espace et de matière ! LIVILLA A quelque extrémité qu'aille son chastiment, Tu te venges d'un traistre encor trop doucement : Mais ! Seigneur, sans péril le pourras-tu détruire, Et n'est-il plus, le lasche, en estât de te nuire ? TIBÈRE Il est pris le Superbe, on instruit son procez, Et je le voy trembler de son dernier accez ; Aussi-tost que ta bouche à Testât secourable, M'eut découvert l'Autheur de ce crime exécrable, Pour l'éloigner des siens avecque moins d'esclat, J'ay fait dans mon Palais assembler le Sénat ; Mais c'est avec dessein d'attirer ce perfide, Et pouvoir en ses yeux lire son parricide. Les convocquez sont gens à ma dévotion, Le Consul est instruit de mon intention; On fait garde par tout, et par tout sous les armes Le Soldat tient la Ville et le peuple en allarmes : Cependant au Palais le coupable arresté, Et du rang de Tribun par ma bouche flatté, Vient d'entrer au Sénat pour sortir au suplice ; 11 n'a plus d'autres lieux à voir qu'un précipice '. LIVILLA Seigneur, et d'Agrippine en a-t-on résolu ? Tu dois l'exterminer de pouvoir absolu : Cet esprit insolent d'un trop heureux mensonge, Croit t'avoir sur son crime endormy par un songe. TIBÈRE Ce songe fabuleux ne m'a point endormy, Au dessein de la perdre, il m'a plus affermy ; De l'attentat qui trouble une âme embarassée, La parole est tousjours auprès de la pensée ; Et le cœur agité par quelque grand dessein, (1) Allusion à la Roche Tarpéïenne, du haut de laquelle on précipitait les crimi- nels d'Etat. (P. L.) 144 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Esbranle malgré soy la bouche avec le sein. Non, ma Fille, elle court à son heure dernière, Et sans qu'elle le sçache, on la tient prisonnière : J'ay corrompu ses gens, dont l'escorte sans foy La garde jour et nuicl non de moy, mais pour moy ; Et ses plus confidents que mon espargne ' arreste, A mes pieds, si je veux, apporteront sa teste ; Mais je la flatte afin que son Arrest fatal, Qand il la surprendra, luy fasse plus de mal. SCENE II NERVA, TIBERE, LIVILLA NERVA Seigneur, il est jugé ; quand on a leu ta lettre, Sans que pour luy personne ayt osé s'entremettre, Comme si son mal-heur estoit contagieux, Chacun de son visage a détourné les yeux ; Ce puissant Séjanus, si grand, si craint n'aguière, Cette Divinité du noble et du vulgaire, A qui le peuple au Temple appendoit des Tableaux, A qui l'on décernoit des triomphes nouveaux, Qu'on regardoit au Thrône avec idolâtrie, Nommé par le Sénat, Père de la Patrie, Dans un Corps où pour tel chacun l'avoit tenu, Va pas trouvé d'enfans qui l'ayent reconnu ; Ils l'ont condamné tous d'une voix unanime, Au supplice du roc pour expier son crime : Ce coupable est desjà dans la court descendu, Où par l'Exécuteur ton ordre est attendu. LIVILLA César, au nom des Dieux, commande qu'on l'ameine Il importe à ta vie, il importe à ma haine, Qu'avant le coup fatal nous puissions nous parler ; Car j'ay d'autres secrets encor à révêler TIBÈRE Fais qu'il monte, Nerva. (1) Les officiers du souverain étaient pensionnés ou payés sur son épargne, ou sur ses revenus particuliers. Il y avait alors, en France, des Trésoriers de l'Epargne du roi. (P. L ) LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 145 SCÈNE III TIBERE, LIVILLA LIV1LLA Cette haute indulgence Me surprend et m'oblige à la reconnoissance ; Ainsi donc que César demeure satisfait, Et que ma courtoisie esgale son bienfait, Je luy veux découvrir le plus grand des complices. TIBÈRE Par son nom, Livilla, couronne tes services. LIVILLA Ouvre les yeux sur moy, Tyran, c'est Livilla ! TIBÈRE La fureur de ma Bru passeroit jusques-là I LIVILLA Appelles-tu fureur un acte de Justice ? TIBÈRE * Donc de mon assassin, ma Fille est la complice? LIVILLA Non, je ne la suis pas, Tibère, il est le mien ; J'ay formé l'attentat, mais le mal-heur est sien, Du massacre d'un Monstre il sort assez d'estime, Pour disputer l'honneur d'en avoir fait le crime : Oùy, ce fut moy, Tyran, qui l'armay contre toy ! TIBÈRE La Femme de mon Fils conspirer contre moy ! LIVILLA Moy Femme de ton Fils, moy Fille de ton Frère, J'allois te poignarder, toy mon Oncle et mon Père, Par cent crimes en un, me donner le renom De commettre un forfait qui n'eut point eu de nom ! Moy ta Niepce, ta Bru, ta Cousine, ta Fille, Moy qu'attachent par tout les nœuds de ta famille, Je menois en triomphe à ce coup inhumain Chacun de tes parens t'esgorger par ma main ! Je voulois prophaner du coup de ma vengeance Tous les degrez du sang, et ceux de l'alliance, Violer dans ton sein la Nature et la Loy : Moy seule révolter tout ton sang contre toy ; 146 LA MORT d'àGRIPPINE, TRAGEDIE Et montrer qu'un Tyran dans sa propre famille, Peut trouver un Bourreau, quoy qu'il n'ait qu'une Fille, J'ai tué mon Espoux, mais j'eusse encor fait pis, Afin de n'estre plus la Femme de ton Fils ; Car j'avois dans ma couche à ton Fils donné place, Pour estre en mes Enfans maistresse de ta race, Et pouvoir à mon gré respandre tout ton sang. Lors qu'il seroit contraint de passer par mon flanc : Si je t'ay découvert la révolte secrette, Dont ce couple maudit complottoit ta défaite, C'est que mon cœur jaloux de leurs conlentemens N'a peu que par le fer désunir ces Amans : Et dans mon désespoir, si je m'accuse encore, C'est pour suivre au tombeau Séjanus que j'adore ; Oze donc, oze donc quelque chose de grand, Je brusle de mourir par les mains d'un Tyran. TIBÈRE Oùy, tu mourras Perfide ; Et quoy que je t'immolle, Pour punir ta fureur, je te tiendray parole; Tu verras son supplice, il accroistra ton deuil, Tes regards estonnez le suivront au cercueil : Il faut que par tes yeux son désastre te tue, Et que toute sa mort se loge dans ta veuë : Observez-là, Soldats, faites garde en ces lieux ; Et pendant les transports de leurs tristes adieux, Qu'on la traisne à la mort, afin que sa tendresse Ne pouvant s'assouvir, augmente sa tristesse. SCÈNE IV LIVILLA, FURNIE LIVILLA Hé ! bien, Furnie, hé bien ? Le voilà ce grand jour, Dont la lumière esteinte esteindra mon amour ; Mais elle m'abandonne et n'ozeroit m'entendre, Déjà de mon destin chacun se veut déprendre, Et comme si des morts j'avois suby la Loy, Les vivans ont horreur de s'approcher de moy. LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 147 SCÈNE V LIVILLA, SÉJANUS, NERVA LIVILLA Enfin, sur le penchant de ta proche ruine, Ny l'amour de César, ny l'amour d'Agrippine, Ny pour tes intérests tout le Peuple assemblé, Ny l'effort du party dont nostre Aigle a tremblé, Ne peuvent rachepter ny garentir ta teste Du Tonnerre grondant que ma vengeance appreste ; Ton trespas est juré, Livilla l'entreprend, Et la main d'une femme a fait un coup si grand. SÉJANUS Nous devant assembler sous la loy d'Hyménée, Me pouvois-je promettre une autre destinée ? Vous estes trop sçavante à perdre vos Espous!... On se joint à la mort, quand on se joint à vous. LIVILLA Ton amour m'enseigna ce crime abominable ; Peut-on estre innocent, lors qu'on ayme un coupable ? J'eus recours aux forfaits pour t'atacher à moy !... Tu n'espouseras point Livilla malgré toy ; Mais Agrippine aussi ne sera point ta femme. Ne pouvant estouffer cette ardeur qui t'enflame, Sans t'arracher la vie, où loge ton amour, J'ay mieux aymé, barbare, en te privant du jour, Précipiter le vol de mon heure fatalle, Que de te voir heureux aux bras de ma rivalle. SÉJANUS La mort, dont vous pensez croistre mon désespoir, Délivrera mes yeux de l'horreur de vous voir : Nous serons séparez, est-ce un mal dont je tremble ! LIVILLA Tu te trompes encor, nous partirons ensemble I La Parque au lieu de rompre allongera nos fers ; Je t'accompagneray jusques dans les Enfers ; C'est dans cette demeure à la pitié cachée Que mon Ombre, sans cesse à ton Ombre attachée, De son vol éternel fatiguera tes yeux, Et se rencontrera pour ta peine en tous lieux ; Nous partirons ensemble, et d'une esgale course 148 LA. MORT d'aGRIPPINE, TRAGÉDIE Mon sang avec le tien ne fera qu'une source Dont les ruisseaux de feu, par un reflus commun Pesle-mesle assemblez et confondus en un, Se joindront chez les morts d'une ardeur si commune, Que la Parque y prendra nos deux âmes pour une. Mais Agrippine vient, ses redoutables yeux Ainsi que de ton cœur me chassent de ces lieux. SCÈNE VI AGRIPPINE, SÉJANUS, NERVA AGRIPPINE Demeure, Séjanus ! on te l'ordonne, arreste : Je te vien annoncer qu'il faut perdre la teste ; Rome en foule desjà court au lieu de ta mort. SÉJANUS D'un courage au dessus des injures du Sort, Je tiens qu'il est si beau de choir pour vostre cause, Qu'un si noble mal-heur borne tout ce que j'ose ; Et desjà mes travaux sont trop bien reconnus, S'il est vray qu Agrippine ait pleuré Séjanus. AGRIPPINE Moy pleurer Séjanus ? Moy te pleurer, Perfide ? Je verray d'un œil sec la mort d'un Parricide. Je voulois, Séjanus, quand tu t'offris à moy, T'esgorger par Tibère, ou Tibère par toy ; Et feignant tous les jours de t engager mon âme, Tous les jours en secret je dévidois ta trame... SÉJANUS // est d'un grand courage et d'un cœur généreux, De ne point insulter au sort d'un malheureux : Mais j'en sçay le motif; pour effacer la trace Des soupçons qui pourroient vous joindre à ma disgrâce, Vous bravez mes mal-heurs, encor qu'avec regret, Afin de vous purger d'estre de mon secret ; Madame, ce n'est pas connoistre mon génie, Car j'aurois fort bien sceu mourir sans compagnie. AGRIPPINE Ne t'imagines pas que par un feint discours Je tasche vainement à prolonger mes jours ! Car puis qu'à V Empereur ta trame est découverte, Il a sceu mon complot et résolu ma perte ; LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 149 Aussi f'en soustiendray le coup sans reculer, Mais je veux de ta mort pleinement me soûler Et gouster à longs traits l'orgueilleuse malice D'avoir par ma présence augmenté ton suplice. SEJANUS De ma mortalité je suis fort convaincu ; Hé ! bien, je dois mourir, parce que j'ay vescu. AGRIPPINE Mais as-tu de la mort contemplé le visage '.' Conçois-tu bien l' horreur de cet affreux passage '.' Connois-tu le désordre où tombent leurs accords, Quand l'âme se déprend des attaches du corps ? L'image du tombeau qui nous tient compagnie, Qui trouble de nos sens la paisible harmonie. Et ces derniers sanglots dont avec tant de bruit La Nature espouvante une âme qui s'enfuit ? Voilà de ton destin le terme espouvantable. SÉJANUS Puis qu il en est le terme, il n'a rien d effroyable. La mort rend insensible à ses propres horreurs. AGRIPPINE Mais une mort honteuse estonne les grands cœurs ! SÉJANUS Mais la mort nous guérit de ces vaines chimères ! AGRIPPINE Mais ta mort pour le moins passera les vulgaires : Escoute les mal-heurs de ton dernier Soleil : Car ]e sçay de ta fin le terrible appareil : De joye et de fureur la populace esmeuë Va pour aigrir tes maux, en repaistre sa veuë. Tu vas sentir chez toy la mort s'insinuer Par tout où la douleur se peut distribuer ; Tu vas voir les Enfans te demander leurs Pères, Les Femmes leurs Maris et les Frères leurs Frères, Qui pour se consoler en foule s'estouffans, Iront voir à leur rage immoler tes fin fans : Ton Fils, ton héritier, à la haine de Rome, Va tomber, quoy qu'enfant, du suplice d'un homme, Et te perçant du coup qui percera son flanc, Il esteindra ta race et ton nom dans son sans ; lu 150 LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE Ta Fille devant toy, par le Bourreau forcée*, Des plus abandonnez blessera la pensée, Et de ton dernier coup la Nature en suspens Promènera ta mort en c/iacun de tes sens : D'un si triste spectacle es-tu donc à l'espreuve ? SÉJANUS Cela n'est que la mort et n'a rien qui m'esmeuve ! AGRIPPINE Et cette incertitude où mcine le trespas ? SÉJANUS Estois-;e malheureux, lors que je n'estois pas ? . Une heure après la mort, nostre âme évanouie Sera ce quelle estoit une heure avant la vie. AGRIPPINE Mais il faut, t annonçant ce que tu vas souffrir, Que tu meures cent fois avant que de mourir. SÉJANUS J'ay beau plonger mon âme et mes regards funèbres \Dans ce vaste néant et ces longues ténèbres, \J'y rencontre par tout un estât sans douleur, Qui n'eslève à mon front ny trouble ny terreur ; Car puisque l'on ne reste après ce grand passage Que le songe léger d'une légère image, Et que le coup fatal ne fait ny mal ny bien, Vivant parce qu'on est, mort parce qu'on est rien; Pourquoy perdre à regret la lumière receuë, Qu'on ne peut regretter après qu'elle est perdue ? Pensez-vous m estonner par ce foible moyen, Par V horreur du tableau d'un Estre qui n'est rien ? Non, quand ma mort au Ciel luiroit dans un Cornette, Elle me trouvera dans une ferme assiette, Sur celle des Calons je m'en vais enchérir, Et si vous en doutez, venez me voir mourir. Marchez, Gardes ! AGRIPPINE Marchez ! Je te rends grâce, ô Rome ! D'avoir d'un si grand cœur partagé ce grand Homme ; Car je suis seure, au moins, d'avoir vengé le sort Du grand Germanicus par une grande mort. (1) Selon la loi romaine, une fille vierge ayant, en quelque sorte, un caractère sacré, ne pouvait être mise à mort; le bourreau la violait avant de l'exécuter (P. L.). LA MORT D'AGRIPPINE, TRAGÉDIE 151 SCÈNE VII TIBÈRE, AGRIPPINE TIBÈRE Je vous cherche, Madame, avec impatience, Et viens vous faire part du fruit de ma vengeance : Séjanus par sa mort vous va faire raison, Et venger hautement vostre illustre Maison. AGRIPPINE César, je te rends grâce et te suis obligée, Du traistre Séjanus enfin tu m'as vengée! Tu payes mon Espoux de ce que je luy doy : Mais quel bras aujourd'huy me vengera de toy ? La suite de ta mort m'asseuranl de la sienne, Ma vengeance voloit toute entière à la tienne ; Mais dans ce grand projet dont j'attendois mon bien, Son trespas impréveu n'a point causé le tien. Où sera mon recours ? Ma famille outragée, Sur le tombeau d'un seul n'est qu'à demy-vengée. Si je veux donc m'en faire une entière raison, Ta teste pour victime est deuë à ma Maison. Oiiy, je dois t'arracher et l'Empire et la vie, Par cent coups redoublez contenter mon envie ; Séjanus abbattu, renverser son appuy, Te noyer dans son sang, t'immoler dessus luy, Et d'une main cruelle en desserrant ta veuë, Te contraindre de voir que c'est moy qui te tuë! TIBÈRE Ha! c'est trop, Agrippine! AGRIPPINE Ah ! c'est encor trop peu I Il faut que ton esprit aveuglé de son feu, Tombant pour me punir dans un transport infâme, Comble tes laschetez du meurtre d'une femme. TIBÈRE Mais je t'ai convaincue, et ton crime avéré Rend ton Arrest sans tache et mon front asseuré ! AGRIPPINE Comme je sçay, Tyran, ce que ton cœur estime, Que le crime te plaist à cause qu'il est crime, 152 LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE Si le trespas m'est deii j'empesche ton transport De gouster le plaisir d'en commettre à ma mort. TIBÈRE Moy ! te donner la mort ! J'admire ton audace ! Depuis quand avec nous es-tu rentrée en grâce ? Pour allonger tes maux, je te veux voir nourrir Un trespas éternel dans la peur de mourir. AGRIPPINE Enfin, lasche Empereur, j'apperçois ta foiblesse A travers l'espaisseur de toute ta sagesse, Et du déguisement dont fait ta vanité Un spécieux prétexte à ta timidité : Quoy ! Tyran, tu pâlis? Ton bras en l'air s'arreste Lors que d'un front sans peur je t'apporte ma teste ? Prens garde, mon Bourreau, de ne te point troubler ! Tu manqueras ton coup, car je te fais trembler ! Que d'un sang bien plus chaud, et d'un bras bien plus ferme, De tes derniers Soleils j'accourcirois le terme ! Avec combien de joye et combien de vigueur Je te ferois descendre un poignard dans le cœur ! En tout cas si je tombe au deçà de l'ouvrage, Je laisse encor un Fils héritier de ma rage, Qui fera, pour venger les maux que j'ay souffers, Rejaillir jusqu'à moy ton sang dans les Enfers! TIBÈRE Qu'on l'oste de mes yeux, cette ingrate vipère ! AGRIPPINE On te nommoit ainsi, quand tu perdis ton Père ! TIBÈRE Enfin persécuté de mes proches parens, Et dedans ma famille au milieu des serpens, J'imiteray, Superbe, Hercule en ce rencontre. AGRIPPINE 0 ! le digne rapport d'Hercule avec un Monstre ! TIBÈRE Qu'on esgorge les siens, hormis Caligula! AGRIPPINE Pour ta perte, il suffit de sauver celuy-là. LA MORT d'aGRIPPINE, TRAGEDIE 153 SCENE VIII TIBÈRE D'Elle et de Séjanus, les âmes déloyales Arriveront ensemble aux plaines infernales ; Mais pour Térentius, à l'un et l'autre uny, Perdant tout ce qu'il ayme, il est assez puny. SCÈNE DERNIÈRE TIBÈRE, NERVA NERVA César ! TIBÈRE Hé bien, Nerva? NERVA J'ay veu la catastrophe D'une Femme sans peur, d'un Soldat philosophe ; Séjanus a d'un cœur qui ne s'est point soumis, Maintenu hautement ce qu'il avoit promis ; Et Livilla de mesme, esclatante de gloire, N'a pas d'un seul soupir offensé sa mémoire. Enfin plus les Bourreaux qui les ont menassez... TIBÈRE Sont-ils morts l'un et l'autre ? NERVA Ils sont morts. TIBÈRE C'est assez. LES LETTRES DE CYRANO DE BERGERAC Nous ne donnons ici des Lettres de Cyrano de Bergerac que celles particulièrement intéressantes et où se rencontrent des passages franchement libertins. Elles n'ont de valeur, si elles valent quelque chose, qu'au point de vue littéraire ; on n'y trouvera ni un sentiment vrai, ni un atome de réalité. Par contre, lues dans le texte original et avec l'indication des corrections que Cyrano leur a fait subir pour l'impression, elles apparaissent, au point de vue de son intellectualité, d'un prix inestimable. Notre libertin s'y montre sans voile. Son animosité contre la Bible et le Christianisme se manifeste sans rime ni raison par des plaisanteries dépourvues de tout sel ; blasphé- mer est chez lui une habitude, une habitude invétérée à laquelle il n'essaie pas de se soustraire. Cyrano laisse voir une sécheresse de cœur et une hostilité vraiment incompréhensi- bles à l'égard de ses amis ; les griefs dont il les charge sont imaginaires ; il en invente à plaisir dans l'intention de se grandir à leurs dépens et pour avoir l'occasion d'en disserter avec plus ou moins d'esprit. Assez maltraité de la Nature, il est féroce sur les tares physiques d'autrui ; on ne peut se mon- trer plus odieux qu'il ne l'a été envers Dassoucy, son intime de la veille, envers Montfleury, le comédien, et envers le « Malade de la Reine », Scarron. Si le lecteur veut prendre la peine de parcourir les lettres en question, il verra que nous ne forçons pas la note. 156 LES LETTRES DE CYRANO Le manuscrit de la Bibliothèque nationale contient qua- rante-et-une lettres dont 39 (1) se retrouvent plus ou moins remaniées, quelques-unes mêmes refaites entièrement : trente- trois dans les Œuvres diverses, 165b, et six dans les Nouvelles Œuvres, 1662. Nous avons reproduit intégralement ou en partie 33 lettres seulement sur les cinquante-huit qui forment le bagage épisto- laire de Cyrano : vingt-huit (dont trois extraits) du Ms. de la Bibl. nat., et cinq (2) des Œuvres diverses, 165k, qui ne sont pas dans ledit Ms. Voici la liste des lettres que nous avons écartées : Douze du Ms. de la Bibl. Nat. f. 95, Sur l'Hyver {Œuvres diverses, p. 3). f. 99, L'Esté (Œuvres diverses, p. 15). f. 103", Le Printemps (Œuvres diverses, p. 10). f. 115T, Lettre d'amour (Nouvelles Œuvres, p. 48). f. 117 , id. (Œuvres diverses, p. 276). f. 150, Sur un Hypocondre héroïque de roman (Œuvres diverses, p. 194). f. 165, Description d'une tempeste (Œuvres diverses, p. 46). f. 173, Des Miracles de rivière (Œuvres diverses, p. 39). f. 177T, A M. le Chancelier Seguier, inédite. f. 179 , Le Poltron (Œuvres diverses, p. 111). f. 187T, Lettre d'amour (Nouvelles Œuvres, p. 34). f. 207 , Le Cyprez (Œuvres diverses, p. 43). Dix des Œuvres diverses, 165k. p. 28, Description de l'Aqueduc d'Arcueil (lre lettre). p. 125, Lettre (contre un ingrat). p. 188, Pour Mademoiselle. A M. Le Coq. p. 207, Contre un faux-brave. p. 210, D'un songe. p. 254, Thésée à Hercule. p. 259, Sur une Enigme. (1) La lettre d'amour, f. 118 du Ms., reproduite p. 278 des Œuvres diverses, 165k, est encore refaite dans les Nouvelles Œuvres, 1662, p. 26. (2) En y ajoutant la Lettre contre les Frondeurs imprimée ici avec les Mazarinades. LES LETTRES DE CYRANO 157 p. 269, A Madame, lettre I des Lettres amoureuses, p. 273, id. id. II id. p. 291, id. id. VIII id. Trois des Nouvelles Œuvres, 1662. p. 12, Lettre d'amour. p. 16, id. p. 52, Sur le blocus d'une ville. Voici l'avis publié au verso du titre de l'édition originale de La Mort d'Agrippine, i6o4, qui annonce la publication des Lettres : Le libraire au lecteur, « Mon cher Lecteur, après vous avoir donné l'impression d'un si bel ouvrage, j'ay crû vous devoir un volume des Lettres du mesme Autheur, pour satisfaire entièrement vostre curiosité. Il y en a qui contiennent des Descriptions : Il y en a de Satiriques : Il y en a de Burlesques : Il y en a d'Amoureuses, et toutes sont dans leur genre si excellentes et si propres à leurs sujets, que l'Autheur paroist aussi merveilleux en Prose qu'en Vers. C'est un jugement que vous en ferez, non pas avec moy, mais avec tous les hommes d'esprit qui connoissent la beauté du sien. Je fais rouler la Presse avec autant de diligence qu'il m'est possible pour vous en donner le contentement, et à moy celuy de vous faire advouer que je vous ay dit la vérité. » LETTRES DE CYRANO DE BERGERAC (texte du manuscrit de la Bibliothèque nationale) 1» LETTRES SATYRIQUES 2° LETTRES DIVERSES Nous n'ayons pas toujours imprimé en note, pour les lettres qui se trouvent dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale, les simples corrections de style de l'édition de 1654 (Œuvres diverses), mais simplement les variantes importantes. Les passages en italique sont ceux du Ms. supprimés ou modifiés pour l'impression par Cyrano lui-même. Les additions de 1654 ont été mises entre crochets ou en note. &a. terre me/u£ zTïtir&T'tufie > Xe z?rù mort e/serc- vers les ceei&c Iy -y&$ ?e/ûfeiZ, ec Za lune > ctmaz/ztenaricJfy' vois les ZDieux , I. — LETTRES SATYRIQUES CONTRE LE CARESME (1) Monsieur, vous avez beau canoniser le Caresme, c'est une Feste que je ne suis pas en dévotion de chômer. Je me le représente comme une large ouverture dans le corps de l'année par où la mort s'introduit, ou comme un Canibale qui ne vit que de chair humaine, pendant que nous ne vivons que de racines. Le cruel a si peur de manquer à nous détruire, qu'ayant sceu que nous devons périr par feu dès le premier jour de son règne, il met tout le monde en cendre ; et pour exterminer par un déluge les restes d'un embrasement, il fait ensuite déborder la Marée jusques dans nos Villes. Ce Turc qui racontoit au Grand Seigneur que tous les François devenoient foux à certain jour [de l'année], et qu'un peu de certaine poudre appliquée sur le front les faisoit rentrer dans leur bon sens, n'estoit point de mon opinion ; car je soutiens qu'ils ne sont jamais plus sages que cette journée1! Et si l'on m'objecte leurs Mascarades, je réponds qu'ils se déguisent, aiin que le Caresme qui les cherche ne les puisse trouver. En effet, il ne les attrape jamais que le lendemain au lict, lorsqu'ils sont démasquez. Les Saincts qui, pour avoir l'esprit de Dieu, sont plus pru- dens que nous, se déguisent aussi ; mais ils ne se démasquent que le jour de Pasques, quand l'ennemy 3 s'en est allé. Ce n'est pas que le Barbare ait pitié de nous, il se retire seulement, parce qu'alors nous sommes si changez, que luy-mesme ne nous reconnoissant plus, il croit nous avoir pris ponr d'autres. Vous voyez que desjà nos bras se décharnent, nos joues tombent, nos mentons s'éguisent, nos yeux se creusent, Monl/leury*' le ventru [que vous connoissez] commence à voir ses genoux, la Nature humaine est effroyable. Bref, jusque dans les Eglises, nos Saincts feroient peur, s'ils ne se cachoient. Et puis, doutez qu'il soit rechapé des martyrs de la roue, de la fournaise et de l'huile bouillante, lors que dans six sepmai- nes nous verrons tant de gens se bien porter, après avoir essuyé la furie de quarante [six] Bourreaux ' ! Leur présence seule est terrible. Aussi je me figure Caresme-Prenant '', ce grand jour des Métamorphoses, un riche aisné qui se crève, cependant que quarante [six] pauvres cadets meurent de faim. Ce n'est pas que la loy du jeûne ne soit un stratagème bien inventé pour exterminer tous les sois' d'une République, mais je trouve que l' L'élise a tort de tuer b tant de veaux en une saison où elle ne permet pas d'en manger. a) Var. de 1G54 : fols. — b) les jours maigres ont lort de tuer. (1) Ms. f. 202. — Dans les Œuvies diverses, IGÔ'i : Lettres satyriques, XIII, p. 182. -- Cette lettre est une des rares qui se retrouvent dans l'imprimé sans avoir été corrigée, à l'exception, bien entendu, des passages en italique. — (2) Le mercredi des cendres, premier jour du carême. — (3) Le carême. — (4) Voir plus loin la lettre contre Montfleury. — (5) Le carême comprend quarante-six jours. — (6) Le mardi-gras. 162 LETTRES SATYRIQUES Vous me répondrez que Saint-Pierre fut contraint d'establir les jours mai- gres parce qu'estant pêcheur, il neust pas débité son poisson, s'il n'eust de/fendu la viande. Mais vous ne m empescherez pas de croire, si jamais un boucher devient Pape, que pour avoir débit de sa viande, il ne deffende le poisson : Ce sera pour lors qu'il ne souffrira plus en Mars \ du costé de Rome, tant de vens de Marée si malins, qu'ils nous empeschent de manger à demy. Hé ! quoy, Monsieur, il n'y a pas un Chrestien dont le ventre ne soit une mare à grenouilles, ou un jardin potager, et je pense que sur le cadavre d'un homme trespassé en Garesme, on voit germer des bettera- ves, des chervis, des navets et des carotes. Encore il semble, à ouyr nos Prédicateurs, que nous ne devrions pas mesme estre de chair en ce temps ! maish il ne suffit pas à ce maigre impitoyable de nous ruiner le corps s'il ne s'efforce de corrompre nostre Ame ! Il a tellement perverty les bonnes mœurs qu'aujourd'huy nous communiquons aux femmes nos tenta- tions de la chair, sans qu'elles s'en offensent ! N'est-ce pas là des crimes pour lesquels on le devroit chasser d'un Estât bien policé ? Mais ce n'est pas d'aujourd'huy qu'il règne c avec tant d'insolence, puisque nostre Sei- gneur mourut sous le premier an de son règne. // peut bien l'avoir fait mourir de faim, la machine entière du monde pensa s'en évanouir, et le Soleil, qui n'estoit pas accoustumé à ces longues diettes, tomba le mesme jour en défaillance et ne seroit jamais revenu de sa foiblesse si l'on n'eut promptement cessé le Garesme. 0 ! trois et quatre fois heureux, celuy qui meurt un Mardy-gras I il est quasi le seul qui puisse se vanter d'avoir vécu une année sans Caresme. Ouy, Monsieur, si j'estois asseuré d'abjurer l'hérésie tous les Samedys Saincts, je me ferois Huguenot tous les Mer- credys des Cendres. Ma foy, les /iarangcresd doivent bien demander à Dieu que jamais le Pape ne soit mon prisonnier de guerre, ou bien il restituera " pour sa rançon tous les jours gras qu'il nous a pris ! Je l'obli- gerois encore à dégrader du nombre des douze pairs ' de l'année, le mois g de mars, comme estant le Ganelon ' qui nous trahit. Il ne sert à rien de répondre qu'il n'est pas tousjours tout à fait contre nous, puisque des pieds ou de la teste, il trempe tousjours dans la purée ; qu'il ne se sauve de la migraine qu'avec la crampe ; et qu'enfin le Garesme est son gibet, où tous les ans il se trouve pendu par les pieds ou par le col. Il est donc la principale cause des maux que nos ennemis nous font, parce que c'est luy qui les loge pendant qu'ils nous persécutent, et ces persécutions ne sont pas imaginaires. Si la terre que les morts ont sur la bouche ne les empeschoit point de parler, ils en sçauroient bien que dire. Aussi je pense a] 1654 : ils ne permettent pas qu'on en mange, et d'endurer que le mois de mars soufle. — b) comment. — c) gouverne. — d) nos Pères réformez (2). — e) car encore que je sois assez bon Catholique (!), je ne le mettrois point en liberté, qu'il n'eut restitué. — f) mois. — g) celuy. (1) Traître dans les anciens romans du Cycle de Charlemagne. — (2) C'était l'époque, dit Paul Lacroix, de la réformation des ordres religieux, la plupart des couvents de Paris avaient été réformés, en vertu des Bulles du Pape. LETTRES SATIRIQUES 163 qu'on a placé Pasques tout exprès à la fin du Garesrae, à cause qu'il ne falloit pas moins à des personnes que le Caresme a tuez qu'une feste de la Résurrection ! Ne vous estonnez donc pas que tant de monde l'exter- mine ; car après avoir tué tant de monde, il mérite bien d'estre rompu. Cependant, Monsieur, vous faites le Panégyrique du Caresme, vous louez celuy qui m'empesche de vivre et je le souffre sans murmurer ; il faut bien que je sois, [Monsieur], vostre serviteur, D. B. CONTRE UNE FEMME INTÉRESSÉE (1) Madame, si chacun* estoit obligé comme moy, pour faciliter la lec- ture de ses Œuvres de donner b de l'argent, les Balzacs n'auroient jamais escrit et les aveugles sçauroient lire. Mais quoy, si mes lettres ° ne sont esclairées de la réverbération de quelque écu d'or, quand* je les aurois prises dans « Polexandre » *, je suis asseuré d'avoir pour vous escrit en Hébreu. Chez vous, ouvrir simplement la bouche ne sert qu'à la prononcia- tion' de l'arabe et du margajat* ; pour vous parler François, il faut ouvrir la main. Aussi fay dans mon coffre le secret de vous esclaircir' la « Bible » et de vous rendre les « Centuries de Noslradamus » plus intelligibles * que le « Pater ». [Enfin, Mademoiselle], c'est de vous [seule] qu'on peut dire [avec vérité], point d'argent, point de Suisse, mais d'un autre côté, je me console en ce que, quand vous auriez combattu dix ans mes services, mes larmes et mon désespoir, je suis asseuré avec la Croix d'un Louis de chasser de vostre corps ces Diables de refus. Jamais les malfaicteurs de Judée n'ont tant tombé sous la Croix que vous. Vous croiez qu'unh Juste ne vous sçau- roit rien demander injustement, et que des intentions qui sont accompa- gnées d'un métal pur comme l'or ne sçauroient estre que très pures. J'aurois grand tort après cela de dire que vostre avarice est égale à celle de Judas, a) 1654 : tout le monde. — b) Lettres d'envoyer. — c) les miennes. — d) par la réflexion de l'or, de quelques Louys, vous n'y voyez que du noir de Grimoire; et quand mesme. — e) et mouvoir les lèvres en toutes les façons nécessaires à l'expression de nostre Langue, ne vous fait entendre que. — /) ainsi ma bourse devient chez moy le seul organe par lequel je vous puis esclaircir les difficultez de. — g) aussi faciles. — li) toutefois aisément de vostre humeur, parce que tant que vous ne changerez point, je suis asseuré d'estre en puissance avec la Croix, de quelques pistoles, de chasser de vostre corps plus facilement qu'avec l'Eau béniste, et l'exorcisme, le Démon d'avarice : mais j'ay tort de vous reprocher une si grande bassesse, ce sont, au con- traire, des motifs de vertu qui vous font agir de la sorte ; car si vous tombez plus souvent sous la Croix, que les malfaicteurs de Judée, c'est parce que vous croyez pieusement que les (1) Ms. f. 148. — Œuvres diverses, i654 : Lettres satyriques, III, A Made- moiselle ***, p. 121. Nous donnons exceptionnellement toutes les variantes de cette lettre pour montrer les corrections apportées par Cyrano au texte original. — (2) Ce roman de Marin Le Roy de Gomberville avait été ébauché par lui en 162'J sous le titre L'Exil de Polexandre, il le publia remanié et augmenté de 1632 à 1638, en V partie* sous le titre : Polexandre. Il eut un grand et légitime succès — (3) Margajat, indien. 164 LETTRES SATYRIQUES luy qui vendit un Juste, et vous vous vendez pour un Juste. Le Palais-Royal vous a accoustumée à porter tant de respect aux Princes que vous vous abaissez sous tous ceux qui portent leurs images, et quelqu'un adjouste que vous estes tellement circonspecte* à la distribution de vos faveurs, que vous pesez b davantage sur les baisers d'un quart d'écu que sur ceux d'un teston '. Cette façon <7'œconomie ne me déplaist pas tout à fait, car quand je tien- drai/ vingt sols dans une main, je suis certain que je tiendrayi vostre cœur dans l'autre. Tout ce qui me fasche, c'est que vous mettez mon image" hors de chez vous par les espaules, dès f qu'elle y a demeuré trois jours sans payer son giste, qu'il semble que la définition de mon estre soit de donner, et qu aussitost g que je cesse de fouiller à ma pocliette je cesse d estre ani- mal raisonnable h ; corrigez [je vous prie] cette humeur avare ', car il vous est honteux d'estre à mes gages, Moy qui suis, vostre serviteur. CONTRE UN MEDISANT (1) Monsieur, je sçay bien qu'une âme basse, comme la vostre, ne sçauroit naturellement s'empescher de mesdire, aussi n'est-ce pas une abstinence que je veuille condamner. La seule courtoisie que j'implore de vous, c'est de me deschirer si doucement que je puisse faire semblant de ne le pas sentir. Vous pouvez connoistre par là que l'on m'envoye souvent la « Gazette du Pays Latin ». Remerciez Dieu que je ne croye pas tout le monde, parce j que tout le monde peut dire toutes choses, autrement j'aurois appliqué à ma douleur k un plus solide [et plus puissant] antidote que celuy de la plume '. Ce n'est pas que j'aye jamais attendu de fort doux traictemens d'une personne qui sortoit de l'humanité, mais j'avois de la peine à m'ima- giner que vostre cervelle eut si généralement eschoiié contre les bancs de \a première™, que vous eussiez porté en Philosophie un homme sans teste. «) 1654 : et que l'or, ce symbole de la pureté, ne vous sçauroit estre donné qu'avec des intentions très pures. Je pense mesme, comme vous estes, aussi bien que bonne Cbrestienne, encore meilleure Françoise, que vous vous abaissez devant tous ceux qui vous présentent les images de nos Roys (2), et que mesme, comme vous estes, d'une probité exemplaire, qui ne veut faire tort à personne, vous estes telle- ment scrupuleuse. — b) appuyez. — c) de dix pistoles, que sur ceux de neuf. — d) car je suis asseuré, tenant ma bourse dans une main, de tenir. — e) de ce que cette cbère Image, que vous juriez autresfois avoir imprimée fort avant dans vostre cœur, vous la mettez. — f) si tost. — g) Pour moy, je pense que vous avez oublié la défini- tion de l'homme, car toutes vos actions me prouveat que vous ne me prenez que pour un animal donnant. Cependant, je croyois estre par l'opinion d'Aristote un animal raisonnable, mais je voy bien qu'il me faut résoudre à cesser d'estre ce que je suis, du moment. — h) poche... — i) qui convient fort mal à vostre jeunesse, et à cette générosité dont vous vous faites toute blanche. — j) de ce qu'il m'a donné une âme assez raisonnable pour ne pas croire tout le monde de toutes choses à cause. — k) à vos maux de rate. — /) le discours. — m) Réthorique. (1) Ms., f. lllv. — Œuvres diverses, ltiôft : Lettres satyriques, II, p. 117. — (2) C'est- à-dire les testons ou pièces de monnaie à l'effigie royale (P. L.). LETTRES SATYRIQUES 165 A la vérité, le hazard auroit esté grand qu'un petit esprit ne se fut pas perdu dans un grand corps comme le vostre, aussi ne l'a-t-il pas fait lon- gue, maintenant prenez congé du Soleil quand il vous plaira. Si le trespas accompagné de miracle exige canonisation, je vous réponds d'une ligne dans nos Litanies, car tout Paris tesmoignera* que vous estes mort sans rendre l'esprit. Consolez-vous toutefois, vous n'en durerez pas moins pour cela. Les Cerfs et les Corbeaux vivent quatre cens ans, qui raisonnent aussi peu que vous b, et je vous asseure que si ce défaut c est la cause de leur durée, vous devez estre celuy qui fera l'Epitaphe de l'Antéchrist d. Pour- quoi) donc ni estonneroy-je qu'aucune des beautez qui vous environne ne vous ait pu blesser, vous estes éternellement à couvert d'un bufle naturel qui sous- tient tous les fours (sans lession) l'effort de leurs petites flesches. J'ay bien de la peine toutefois à ni imaginer comment ces Atlas peuvent faire pour ne vous pas porter, eux qui portent tout le monde. N'en faites point la petite bouche, vous ne leur feriez que ce que vous seriez bien aise qu'ils vous fissent. J'ay de la peine à croire que depuis le temps que vous logez sur le devant, vous n'ayez pas encore visité le derrière. Cependant, vous feignez de ne voir personne, d' estre cloué dans vostre chambre et de vous contenta de l'amour en tableau, comme s'il estoit croyable que vous eussiez esté perclus depuis tant de jours que vous estes sur un devant ; mais vous estes un fourbe, un hypocrite, un parjure, capable de diviser la plus belle société. Messieurs' les Chats-fourrez, tous Chats-fourrez qu'ils sont, en ont fait le mesme juge- ment. A peine leur fûtes-vous présenté qu'aussitost ils vous mirent à la porte. Tout ce considéré, je vous exhorte, Monsieur, de vous guérir ou de vous taire ; c'est, à mon avis, le plus salutaire conseil qui vous puisse estre donné ", car quoy que je sois patient à l'injure, je suis sévère à la vengeance1; rien n'empescheroit la vertu de V s élébore que j 'appliquerais à vos maux de teste, et enfin1', je vous chastierois avec si peu d'animosilé que le chapeau dans une main, et dans l'autre un baston dont je vous briserois les os, je dirois que je suis vostre serviteur. o) 1654 : quand le Consistoire apprendra. — b) dont l'esprit est taillé à la mesure du vostre. — c) si le manque de génie. — d) du genre humain. — é) C'est, sans doute, en conséquence de ce brutal instinct de vostre nature ; que vous choisissez l'or et les pierres précieuses pour répandre dessus votre venin. Souffrez donc, encore vous prétendiez vous soustraire de l'empire que Dieu a donné aux hommes sur les bestes, que je vous commande de vomir sur quelque chose de plus sale que mon nom, et de vous ressouvenir (car je croy que les animaux comme vous ont quelque rémi- niscence) que le Créateur n'a donné à ceux de vostre espèce une langue que pour avaler, et non pas pour parler, souvenez-vous en donc, c'est le meilleur conseil que vous puissiez prendre ; car quoy que vostre foiblesse fasse pitié, celle des poux et des puces qui nous imj:>ortunent, ne nous obligent pas à leur pardonner : Enfin cessez de mordre, simulacre de l'envie. — /) punir. — g) d'un. — /<) qu'on appelle en françois Tri- cot (1), duquel pour vous monstrer que je. suis Philosophe (ce que vous ne croyez pas). (1) Qu'on devrait écrire triquot, puisqu'on écrit trique... Ce mot, qui signifiait, alors comme à présent, un bâton court en bois solide, dérive du bas latin trica, parce qu'il désignait d'abord une tresse d'osier ou de jonc (P. L.). 11 166 LETTRES SATYRIQUES. APOTHÉOSE D'UN ECCLÉSIASTIQUE BOUFFON (1) Messire Jean, je m'estonne fort que sur la Chaire de vérité vous dressiez un Théâtre de Charlatan, et que vous fassiez réciter des fables de Peau d'Asne à Jésus-Christ, dont vous jouez le personnage en ce monde. A voir les passe-passe dont vous tabarinez cette Eglise, les èpanouissernens de rate qui vous font tressaillir , les contes gras que vous dégobillez, nous sommes contraints — quelle abomination — de nous ramentevoir les céré- monies qu'on' faisoit à Priape, de qui le Prestre estoit le Maquereau b. Vous devriez traiter noslre Dieu avec plus de respect, quand vous ne lui seriez obligé que des soupes renforcées qu'il octroie à vostre cuisine. Ha ! Messire Jean, faites au moins semblant de croire, pour nous en faire accroire' ! Per- mettez que nous puissions nous engeoler d et nous crever les yeux [de la raison] pour ne pas voir que vous estes un impie, ou, puisque vous voulez ribon ribaine débiter nostre foy e comme une farce, servez-vous, au lieu de cloches, de tabourins1 de Biscaye, mettez gambader une guenon sur vos espaules ; puis, pour achever la momerie en toutes ses mesures, passez la main dans vostre chemise, vous y trouverez Godenot dans sa gibeciairo. On ne s'estomaquera point contre vous, puisqu'on ne se choque point de voir des Bateleurs. Là, vous pourrez calculer s les vertus de vostre Mitridale 3, vous débiterez h des chapelets de bausme, des savonetes pour la galle, des poma- des odoriférantes, et mesme, si vous avez le talent de suspendre par un bon mot de gueule l'action visive des nigos* sur leur pochette, comme deux jours avant qu'estre élevé au Ciel faisoit encore le pauvre défunt, je vous donne parole de la part des Narquois de deux habits bien venons par année ; vous pourrez aussi très prudemment ' faire provision d'onguent pour la brûlure, car les Sorciers de ce pays furent avoir lu dans vostre Cédule 3 que le terme a) 1654 : qu'au lieu de prescher l'Evangile à vos paroissiens, vous repaissiez leurs oreilles de cent contes pour rire ; que vous ayez l'insolence de réciter des choses que Trivelin (2) rougiroit sous son masque de prononcer ; Que profanant la dignité de vostre caractèi-e, vous décriviez les plus sales plaisirs de la débauche, sous ombre de les reprendre avec des circonstances si particulières que vous nous faites souvenir (quelle abomination) des sacrifices qu'autrefois on. — b) Certes, messire Jean. — c) exercer vostre charge avec moins de scandale, quand vous ne luy auriez aucune autre obligation que celle de vous avoir appelle du fumier où l'on vous a veu naistre à Testât Ecclésiastique ; car si vous n'avez pas assez de force pour résister à vostre bouffon d'ascendant, du moins dissimulez ; Et quand vostre devoir vous obligera d'annoncer l'Evangile pour nous en faire accroire, faites semblant de la croire ! — d) tromper. — e) sentez le fagot ; et puisqu'en dépit du Loup-garou, vous estes résolu de débiter nos mystères. — /) ne faites donc pas sonner les cloches pour appeller le peuple à vostre Sermon, descendez de la Chaire de Vérité, et montez sur une borne au coin du Carrefour, servez-vous d'un tambourin. — g) Alors, on ne se scandalisera point que vous divertissiez le Badault, vous pourrez comme un Bateleur raconter. — h) débiter. — i) Vous pourrez mesme. — j) m'ont juré avoir leu dans la cédule que vous avez donnée (vous sçavez bien à qui). (1) Me. f. 131. — Dans les Œuvres diverses, lûôi : Lettres satyriques, XI. A messire Jean, p. 170. — (2) Bouffon de la Comédie italienne qui donnait des repré- sentations au théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. — (3) Antidote, remède contre les poisons. — (4) Nigaud, sot. LETTRES SATYRIQUES 167 [en] expire à Noël. Cependant vous protestez qu'il n'y eut jamais de véritables possessions, Si est-ce qu'à voir" les contorsions ^dont vous agitez les pen- dants de vostre guesne corporelle, personne icy ne doute que vous n'ayez b le Diable au corps ; mais^'e voy bien ce que c'est, vous tascliez de ne point croire ce que vous appréhendez, et voulez ° vous guérir du mal d'Enfer par une forte imagination, mais, par ma foy, soyez damné ! soyez sauvé ! Il ne m'importe : Tous coups vaillent, pourveu que dans les couvens où vous bâtelez ll vous n'accrochiez que des vieilles [ou des stérilles], parce que la venue de l'Antéchrist nous fait peur [et vous sçavez la prophétie] ! [Mais] vous riez, messire Jean, de m entendre ainsi raisonner, vous chez qui l'Apocalypse et la Mithologie sont en mesme rang e. L'Enfer est un petit conte pour faire peur aux ! hommes, ainsi qu'on menasse les enfans du charbonnier. J'avoue que pour la manutention des Estats, il y a beaucoup de choses vraies qu'il faut que le Peuple ignore, beaucoup de fausses que nécessairement il faut qu'il croie, mais nostre religion n'est pas establie sur cette maxime : une conjoncture encore quasi miraculeuse en vous, c'est que vous estes ensemble impie et superstitieux, composant des filets de vostre vie une toile d'athéisme et de sortilège, cela marque bien que vous mourrez en dansant les sonnettes, si l'Elébore ou Saint Mathurin ne vous guérissent. Mon Dieu, quel plaisir me chatouille, quand je considère à plains yeux la symétrie de vostre humaine remembrance s : vos cheveux plus droits que vostre conscience, un front coupé de sillons (c'est-à-dire taillé sur le modèle des campagnes deBeausse), où le temps h marque l'âge aussi justement que les heures au cadran de la Samaritaine' ; vos )reux, à l'ombre' de vos sourcils toufus, qui ressem- blent à deux précipices au bord d'un bois, ou à deux pruneaux noirs bouillans tous seuls dans deux marmites séparées. Ils sont tellement enfon- cez, qu'à vivre encore un mois, vous nous regarderez par derrière k. Quel- ques-uns pensent à les voir habillez de rouge, que ce sont deux cornettes où l j'y trouve de l'apparence™, puisque plus haut dans vos sourcils il se décou- vre des Estoiles fixes, que les médisans appellent morpions et puis n vostre visage est anarché" d'un nez, dont l'infection punaise est cause que vous .avez tousjours vécu p en fort mauvaise odeur ; vos joues sont de maroquin a) lfi54 : Vous avez beau mesme ne pas croire aux Possédez, on Toit assez par. — b) que tous avez. — c) vous avez beau tascher à. — d) et courir les lieux de débau- che, il ne nous importe, pourveu que. — e) vous qui croyez à l'Apocalypse comme à la Mithologie, et qui dites que. — /) épouvanter les. — g) de mesme que pour effrayer les enfans, on les menasse de les faire manger à la Lune. Avouez, avouez, que vous estes l'incomparable! car expliquez-moy, je vous conjure, comment vous pouvez estre impie et bigot tout ensemble, et composer avec les filets du tissu de vostre vie, une toile meslée de superstition .et d'athéisme. Ha! Messire Jean, mon niny, vous mourrez en dansant les sonnettes ; Et en vérité, il n'est pas besoin de consulter un Oracle pour en jurer : car aussi tost qu'on regarde les pièces de rapport qui composent l'assemblage et la simétrie de vos membres, on en demeure assez instruit. — h) Soleil. — i) vostre plage à l'ombre de vos rides, aussi juste qu'il marque l'heure sur un Cadran. — fj à l'abry. — k) le derrière de la teste. — /) On se persuade (habillez de rouge comme ils sont) voir deux Cornettes sanglantes ; et. — ni) du vrayseniblable. — n) que quelques-uns n'appellent pas ainsi. — o) à l'ombre. — p) estes par tout. 168 LETTRES SATYRIQUES de Levant", les plus déliez poils de vos moustaches fournissent charitable- ment de barbe aux goupillons [du Benestier] de vostre Eglise. [Voilà, je pense, à peu près l'image en hyérogliphe qui constitue votre horoscope.] Je passerois plus avant, mais fay peur d'estre englouti par cette exlialaison de bouquin que respire vostre chemise, et je serois. marri que cet air empesté me suffoquât auparavant qu'on pût sçavoir que celuy qui composa cette Apothéose h est de B. AU RÉGENT DE LA RHÉTORIQUE DES JÉSUITES (1) Père indigne c, je m'estonne qu'une bûche comme vous, qui semblez avec vostre habit n'estre devenu qu'un grand charbon2, n'ait pas encore pu rougir du feu que vous fêtez. Songez* au moins quand le Diable vous agite* contre moy, que le salpestre n'est pas cher, que ma main est assez proche ' de ma teste, et que jusqu'à présent, vostre seule foiblesse et ma générosité vous ont garanty ; quoy qu'un pou soit 6 méprisable, on s'en délivre quand il est h incommode ; ne me contraignez donc pas à me souvenir que vous estes au monde. J'ay aussi à vous prier de ne me plus faire la matière de vos catéchismes privez ', mon nom remplit mal une période, et vostre révé- rence carrée* la pourroit mieux fermer ! Vous faites le César quand vous voyez k gémir, sous un sceptre de bois, vostre petite République ' ; mais prenez garde que vostre insolence ne fasse naistre m un Brutus ; car quoy que vous soyez l'espace de quatre heures sur la teste des Empereurs 3, vous en estes vingt sous les pieds de la populace et vostre Monarchie n n'est point si forte ° qu'un coup de cloche ne la destruise deux fois par jour * ! Contentez-vous de faire eschotier l'esprit de la jeunesse de Paris contre les bancs de vostre classe, sans vouloir régenter celuy qui ne reconnoist l'empire ny du Monet" ny du « Thésaurus » 6. Cependant, vous me heurtez a) 1654 : et mon Cordonnier m'asseura un jour qu'il avoit pris vos joues pour une peau de Maroquin noir ; mesme je. me suis laissé dire que. — b) loing, mais comme j'attends visite, je craindrois de perdre l'occasion de vous mander à la fin de ma Lettre, ce que l'on n'y mande pas ordinairement, c'est que je ne suis et ne seray jamais Messire Jean V. S. (vostre serviteur). — c) Monsieur. — d) dont vous brûlez ? Pensez. — e) vostre mauvais Ange vous révolte. — /) que mon bras n'est pas loin. — g) que tout vostre composé soit quelque chose de fort. — h) je m'en délivreray s'il me semble. — ï) Et si vous voulez vivre plus d'un jour, rappeliez souvent en vostre mémoire, que je vous ay deffendu de ne me plus faire la matière de vos médisances. — j) l'espaisseur de vostre masse carrée. — k) du feste de vostre Tribune, péda- gogue et bourreau de cent Escoliers ! vous regardez. — /) Monarchie. — m) qu'un Tyran n'excite. — n) vostre domination. — o) fortement établie. (1) Ms. f. 200. — Œuvres diverses, IGbk : Contre un pédant, XI (pour XII) p. 175. — (2) Les maîtres es arts et les professeurs ou régents vêtus d'une toge de laine noire (P. L.). — (3) Dans les classes des anciens collèges, tout élève qui méritait d'être mis au premier rang pour chaque composition obtenait le titre d'empereur (imperatoi), et le conservait pendant la durée de la classe, laquelle durait deux heures, comme nous l'apprend Cyrano. — (4) L'imprimé contient ici un très long passage que nous reproduisons à la suite de cette lettre. — (5) L'Inventaire de ta tangue françoise et latine de Philibert Monet. — (6) Thésaurus tinguae latinae de Robert Estienne. LETTRES SATYRIQUES 169 à corne émoulue, vous récitez au premier venu vos jeunes friponneries sous mon nom ; mais sçachez qu'elles sont assez criminelles pour estre obligé de les confesser autrement que par procureur a. Ceux qui vous veulent excuser disent que la Nature est plus coupable de vos fautes que vous-mesme ; qu'elle1 vous a fait naistre d'un pays où la bestise est le premier patrimoine, et d'une race dont les sept péchez mortels ont composé l'Histoire. Vérita- blement après cela, j'ay tort de me fascher que vous m'imposiez les imagi- nations impies et débordées de vostre maison °, puisque vous estes en aage de donner vostre bien, vous preniez mesme tant de part aux offenses publi- ques, et vous estes A quelquefois si transporté de joye en supputant les débor- dez du siècle que vous [y] oubliez jusqu'à vostre nom. Personne ne m'a dit ny cecy, ny cela, ny vos bons tours avec Mademoiselle D..., mais vous esba/iissez-vous que je les sçaclie ? Vous qui beuglez si haut dans vostre t/irosne, que vous vous faites entendre d' Orient jusqu'en Occident, et puist j'attendois du repos après la mort, aufourd huy qu'un homme qui n'est plus au monde vient mesme troubler la paix des vivanse. Je vous conseille tou- tefois, Maistre picard, de changer désormais de texte à vos Harangues, car je ne veux plus ny vous voir, ny vous ouyrs, ny vous escrire. Et la raison, [de cela] c'est que Dieu, qui possible est aux termes de me remettre mes crimes s, ne me pardonneroit pas celuy h d'avoir eu affaire à une beste. Adieu donc, Vostre Serviteur. Voicy le passage ajouté dans l'imprimé : « On dit que par tout, vous vantez d'exposer et vostre conscience et vostre salut. Je croy cela de vostre piété. Mais de risquer vostre vie à cette intention, je sçay que vous estes trop lasche, et que vous ne la vou- driez pas jouer contre la Monarchie du monde ! Vous conseillez et concer- tez ma ruine, mais ce sont des morceaux que vous taillez pour d'autres ! Vous seriez fort aise de contempler seurement de la rive un naufrage en haute mer ; et cependant je suis dévoué au pistolet par un Pédant bigot. Un Pédant « in sacris » qui devroit, pour l'exemple, si l'image d'un pistolet . avoit pris place en sa pensée, se faire exhorciser : Barbare maistre d'Es- cole ! Quel sujet vous ais-je donné de me tant vouloir de mal, vous feuilletez peut-estre tous les crimes dont vous estes capable, et pour lors il vous souvint de m'accuser de l'impiété que vous reproche vostre mémoire ; mais sçachez que je connois une chose que vous ne connoissez point, que cette chose est Dieu, et que l'un des plus forts arguments, après ceux de la Foy, qui m'ont convaincu de sa véritable existence, c'est d'avoir consi- a) 1654 : et ressuscitant en vostre souvenir la mémoire de vostre épouvantable, vous en composez un Roman dont vous me faites le Héros. — b) en rejettent la cause sur la Nature qui. — c) essayez de m'attribuer tous vos crimes. — d) et que vous paroissiez. — e) Il n'est pas nécessaire de demander qui peut m'avoir appris cette stupide ignorance que vous pensiez secrète, vous qui tenez à gloire de la publier, et qui la beuglez si haut dans vostre Classe que vous la faites oiiyr d'Orient jusqu'en Occident. — /) entendre. — g) pardonner mes fautes. — h) celle. 170 LETTRES SA.TYRIQUES déré que sans une première et souveraine bonté qui règne dans l'Univers, ifoible et meschant comme vous estes, vous n'auriez pas vécu si long- temps impuny. Au reste, j'ay appris que quelques petits ouvrages, un peu plus eslevez que les vostres, ont causé à vostre timide courage tous les cniportemens dont vous avez fulminé contre moy. Mais, Monsieur, en vérité, je suis en querelle avec ma pensée de ce qu'elle a rendu ma Satyre plus piquante que la vostre, quoy que la vostre soit le fruict de la sueur des plus beaux Génies de l'Antiquité ; vous devez vous en prendre à la Nature et non pas à moy qui n'en puis mais ; car pouvois-je deviner que d'avoir de l'esprit estoit vous offenser? Vous sçavez, de plus, que je n'estois pas au ventre de la jument qui vous conceut pour disposer à l'humanité les organes et la complexitm qui concouroient à vous faire cheval. Je ne pré- tends point, loutesfois, que les véritez que je vous presche rejaillissent sur le Corps de l'Université (cette glorieuse Mère des Sciences), de laquelle si vous composez quelques membres, vous n'en estes que les parties hon- teuses ! Y a-t-il rien dans vous qui ne soit très difforme ; vostre âme mesrae est noire, à cause qu'elle porte le deuil du trespas de vostre conscience ; et vostre habit garde la mesrae couleur pour servir de petite oye ' à vostre âme. A la vérité, je confesse qu'un chétif hypocondre comme vous ne peut obscurcir l'estime des gens doctes de vostre profession ; et qu'encore qu'un ridicule orgueil vous persuade que vous estes habile par dessus 4es autres Régents de l'Université, je vous proteste, mon cher Amy, que si vous estes le plus grand homme en l'Académie des Muses, vous ne devez cette grandeur qu'à celle de vos membres, et que vous estes le plus grand personnage de vostre Collège, par le mesrae tiltre que sainct Christophle est le plus grand sainct de Nostre-Dame 2 ; ce n'est pas que quand la Fortune et la Justice seront bien ensemble, vous ne méritiez fort d'estre le Principal de quatre cens asnes qu'on instruit à vostre Collège. Oùy, certes, vous le méritez, et je ne sçache aucun Maistre des hautes œuvres à qui le fouet sied bien comme à vous, ny personne à qui il appar- tienne plus justement. Aussi de ce grand nombre j'en sçay tel qui, pour dix pistoles, voudroit vous avoir escorché ; mais si vous m'en croyez vous le prendrez au mot, car dix pistoles sont plus que ne sçauroit valoir la peau d'une beste à cornes. De tout cela, et de toutes les autres choses que je vous mandé l'autre jour, vous devez conclure, ô petit Docteur, que les destins vous ordonnent par une Lettre que vous vous contentiez de faire eschouer... Cette lettre n'est autre que la suivante, dans laquelle on a peine à la retrouver : (1) On appelait ainsi les nœuds de ruban, plus ou moins abondants, qui accom- pagnaient l'habit d'un homme de qualité (P. L.). — (2) Cette statue colossale de saint Christophle (28 pieds de haut) adossée au premier pilier de la nef, à l'entrée de l'église de Notre-Dame, à Paris, avait été érigée en 1413, elle fut détruite en 1785. (P. L.). LETTRES SATYRIQUES 171 CONTRE UN JÉSUITE ASSASSIN ET MÉDISANT (1) Cette lettre très importante, première version de la précé- dente, dévoile un aspect de la mentalité de Cyrano dont nous avons dit un mot dans notre Préface. Avant de la reproduire, mettons en pleine lumière l'incident auquel elle se rattache indirectement ; nous l'empruntons aux Mémoires de Gode- froi Hermant (2), le janséniste. On verra avec quelle habileté notre libertin s'est mis en scène dans l'intention d'apparaître à la Postérité comme une victime des Jésuites ! i( Il y avait en ce temps-là d'ans le collège de Clerraont un professeur en théologie morale nommé le P. Héreau, qui, ayant été peu connu jus- qu'alors, se signala en enseignant une doctrine capable de troubler la i société publique, et de justifier les meurtres, les assassinats et les crimes) les plus horribles. » M. Martin Grandin3, docteur de la société de Sorbonne, et qui y y enseignait aussi les cas de conscience depuis la mort de M. Le Clerc, ancien principal du collège de Calvy, fut celui qui découvrit le premier l'excès de ce jésuite, dont les écrits lui étaient tombés entre les mains dès l'année précédente, 1643. Nous aurons occasion de parler plus d'une fois de ce docteur, qui, étant de Saint-Quentin en Vermandois, pays de M. Lescot, évêque de Chartres, s'était fort attaché à sa personne, et ayant été tiré du collège du cardinal Le Moine, dont il était boursier, pour être reçu en Sorbonne, y a rempli depuis ce temps-là successivement trois différentes chaires de professeur, selon qu'elles lui ont paru ou plus com- modes ou plus utiles. » Comme il n'avait pas dessein d'attaquer directement les Jésuites de peur de les irriter, il se contenta d'avertir directement M. de Saint- Amour, qui était encore recteur de l'Université quand il lui donna cet avis de ces écrits du P. Héreau ; mais il ne le fit qu'avec toutes les pré- cautions d'un homme qui tremble de peur et qui ne veut pas s'attirer la haine d'une compagnie vindicative, avec laquelle nous lui verrons prendre à l'avenir une liaison fort étroite. » M. de Saint-Amour, étant convaincu d'une part de l'importance de la chose et connaissant de l'autre 1 esprit des Jésuites, qui ont des tours et des détours pour nier les faits les plus constants et se mettre à couvert, de tout par leurs artifices et par leurs intrigues, crut que pour rendre le fait incontestable, il fallait l'autoriser par une information juridique. Et, (1) Cette lettre ne figure pas dans les Œuvres diverses, 165b, elle se lit dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale. — (2) Mémoires de Godefroi Hermant, docteur de Sorbonne, chanoine de Beauvais, ancien recteur de VUniversité sur l'histoire ecclé- siastique du xvii* siècle {1630-1663), Paris, 1905. B. N ., 8* Ld3 476. — (3) Martin Grandin, docteur de Sorbonne, où il enseigna durant cinquante années. 172 LETTRES SATYRIQUES pour cet effet, ayant su que quelques religieux de l'ordre de Saint-Augus- tin, qui demeuraient au collège du Mans, avaient pris les leçons du P. Héreau et avaient encore les écrits dont M. Grandin lui venait de four- nir les extraits, il prit la résolution d'y faire une visite dans les formes, et après une requête répondue par M. le lieutenant civil, il s'y fit assister le 20 août 1643 par le même commissaire Charles, qui l'avait déjà accom- pagné dans la visite du collège de Marmoutiers. » Ayant trouvé dans ce collège un religieux nommé le P. Vallée, cha- noine régulier de la congrégation du Sauveur, en Lorraine, de qui M. de Saint-Amour avait emprunté un cahier des écrits qu'il avait pris sous le P. Héreau, ce recteur lui dit qu'il y avait trouvé des propositions bien hardies et difficiles à soutenir, mais le P. Vallée maintint que cette doc- trine était bonne et recevable, apporta mesme de's instances pour la sou- tenir, et dit que ceux qui l'avaient dictée ne l'avaient pas fait sans avoir de bonnes raisons pour la défendre. Il avoua les avoir écrites sous le P. Héreau, qui enseignait les cas de conscience dans le collège de Cler- mont, et qu'il y avait deux ans qu'il avait dicté ce traité. Il s'engagea à écrire à son compagnon sur la difficulté d'un mot qui était dans ce cahier, qu'il déclara aimer mieux perdre que de signer ce procès-verbal, ayant intérêt qu'il ne fût pas parlé de lui à cause qu'il y avait grande communion entre les Jésuites et ceux de son ordre, en son pays de Lorraine ; que c'étaient eux qui enseignaient ses confrères, et que comme ils étaient dans les mêmes sentiments, il ne les voulait pas trahir. Il ajoutait à cette consi- dération que quand les Jésuites sauraient en Lorraine qu'il les aurait trahis et découverts, non seulement sa personne, mais tous ses confrères et son ordre en pâtiraient, et qu'ils ne pourraient pas se garantir des mauvais traitements que les Jésuites seraient capables de leur faire. Mais que pour y remédier, s'il lui faisait le déplaisir de parler de lui, il s'en irait excuser à un des Pères jésuites à qui il exposerait de quelle manière il aurait été surpris et comment on l'aurait engagé malgré lui à les découvrir. » Les deux articles du P. Héreau contenus dans ce procès-verbal portaient ce qui suit dans la version française qui en fut faite en ce temps-là : « 8. Savoir si tu tâches de détracter de mon nom, par fausses accusa- tions vers un prince ou un juge, ou des gens d'honneur, et que je ne puisse en aucune façon détourner cette perte de ma renommée, sinon en te tuant en cachette, si je le puis faire licitement ? — Bannes ' l'assure p. 64, art. 7, doute 4, ajoutant qu'il faut dire le même quand le crime serait véritable, pourvu qu'il fut caché, de telle sorte qu'il ne le pût découvrir selon la justice légale. Sa raison est : parce que si tu veux offenser mon honneur ou ma réputation avec un bâton ou en me donnant un soufflet, je le puis empêcher par les armes. Donc il en est de même si tu tâches de m'offenser parla langue et que je ne le puisse autrement [empêcher], sinon en te (1) Dominique Bannes ou Banez (1572-1604), dominicain espagnol, fut quelques années le confesseur de sainte Thérèse. LETTRES SATYRIQUES 173 tuant, cela importe peu ce semble, vu que tu me nuirais également de la langue comme d'un autre instrument. Et après1, le droit de se défendre s'étend à tout ce qui est nécessaire à un homme pour se garantir de toute injure. Il faudrait toutefois avertir auparavant le détracteur de cesser, et s'il ne le voulait pas à cause du scandale, il ne le faudrait pas tuer ouver- tement, mais en cachette. » « 9. Savoir s'il est permis à chacun de tuer celui qui a l'autorité légi- time de régner mais qui en abuse à la ruine du peuple ? — Je réponds que non, et qui assurerait opiniâtrement le contraire serait hérétique, comme il est porté en la session 15 du Concile de Constance qui condamne cette proposition : Un tyran peut être tué licitement et méritoirement par quel- que vassal que ce soit et par embûches secrètes, et par cajoleries et flatte- ries subtiles, nonobstant quelque serment de fidélité qu'on lui ait prêté, et quelque confédération qu'on ait faite avec lui sans attendre aucune sentence. » La raison est qu'il est permis de tuer ceux qui font du mal, en tant seulement qu'on juge qu'il est expédient et convenable au bien public. Donc, il appartient seulement à celui à qui le soin du bien commun a été commis et par conséquent à celui-là seulement qui a autorité publique, tel que n'est pas chaque particulier. » « M. de Saint-Amour ayant recouvré un autre exemplaire des leçons du P. Héreau, qui avaient été écrites par un nommé M. Lavale, prêtre, demeu- rant à Saint-Sulpice, il fit venir en Sorbonne le même M. Michel Charles, commissaire et examinateur enquêteur au Châtelet de Paris et en dressa un second procès-verbal, tant de la conformité de ce cahier avec celui du P. de La Vallée, chanoine régulier de Saint-Augustin, après les avoir confrontés ensemble, que de plusieurs autres propositions pernicieuses qui y étaient contenues et qu'il voulait mettre entre les mains de M. Du Moustier, recteur de l'Université, afin qu'il en empêchât le cours autant qu'il lui serait possible, ce qui fut exécuté le même jour. Ensuite de quoy M. de Saint-Amour s'étant transporté par l'ordre de Mr le recteur en la communauté des prêtres de Saint-Sulpice, le sieur Lavale reconnut son cahier et signa qu'il l'avait écrit sous le P. Héreau, ajoutant qu'après tout ce Père était un très bon jésuite ; qu'il était véritablement un peu large dans ses résolutions, mais qu'il n'était point superbe ni orgueilleux, et que plusieurs fois dans sa classe, notamment en dictant et expliquant les propositions ci-dessus extraites, il leur avait dit qu'il y avait beaucoup de personnes qui les trouvaient étranges, mais que pour lui il ne proposait pas tant ses sentiments comme il était l'interprète de ceux des autres, et qu'il avait toujours des auteurs pour ses garants. » Lorsqu'on eut établi la vérité de ce fait par des preuves si authen- tiques, l'Université de Paris eut horreur de voir que les Jésuites renou- (1) Et après, c'est-à-dire en conséquence. 174 LETTRES SA.TYRIQUES vêlaient encore en nos jours cette doctrine parricide qui avait coûté la vie à deux de nos rois et que leur professeur en théologie eût enseigné en 1041 et 1642, par une affectation criminelle des sentiments qui ne ten- daient qu'à justifier les meurtres et les assassinats des particuliers sous un vain prétexte d'honneur et par un renversement scandaleux de toutes les règles de l'équité naturelle et de toutes les maximes de l'Evangile. » Comme ces écrits étaient encore remplis de propositions horribles, M. Du Moustier, recteur de l'Université de Paris, en porta ses plaintes au Parlement par une requête qu'il présenta à la Cour, en son nom et en celui des doyens, procureurs et suppôts de la même Université »' Toute la France, qui avait été frappée du scandale que la doc- trine du P. Héreau venait d'exciter par la découverte de ses cruelles maximes, attendait avec impatience quel en serait le châtiment et ce que le Parlement prononcerait sur la requête que l'Université venait de lui présenter. On se souvenait de l'ancienne vigueur de cet auguste Sénat contre les Jésuites et leurs disciples, qui n'avaient pratiqué qu'avec trop d'exactitude les leçons qu'ils avaient apprises de leurs maîtres. Mais la face de la Cour était changée, et les personnes qui avaient entre les mains la souveraine autorité craignaient qu'une affaire de cette nature n'allât trop loin si le Parlement, qui en était saisi, en faisait la décision. On aimait donc mieux la régler au Conseil du roi, selon le train qu'on avait pris d'y porter toutes les affaires publiques, et cette résolution fît commencer les Jésuites à respirer, car jusqu alors ils avaient tremblé de peur que le Parlement, qui était instruit de leurs anciennes maximes, ne prît connaissance de ce nouvel excès et n'opposât toute l'autorité de la justice pour le réprimer par un châtiment proportionné à l'énormité du crime. » La reine régente ayant mandé leurs supérieurs pour leur faire ren- dre compte de cette doctrine qui avait été enseignée par un de leurs pro- fesseurs dans leur collège de Clermont, ils firent ce qu'ils purent pour le justifier, et le P. Le Méra entreprit de le défendre, en citant quelques auteurs étrangers, qu'il disait l'avoir longtemps soutenue avant le P. Héreau. Mais feu M. le prince Henri de Bourbon, quelque favorable qu'il leur fût d'ailleurs, leur ferma la bouche en disant qu'il n'y avait pas d'autre défense pour eux en cette rencontre que de condamner hautement ces pernicieuses opinions, » Il fallut donc satisfaire le public et faire voir qu'un crime de cette nature n'était pas du nombre de ceux qui peuvent espérer l'impunité. Les Jésuites en eurent la confusion, et quelques efforts qu'ils fissent pour s'en garantir, ils furent humiliés par cet arrêt donné au Conseil du roi le 3 mai 1644 : « Sur ce qui a été représenté au roi étant en son Conseil, la reine régente sa mère présente, que le P. Héreau, de la Société de Jésus, pré- posé par ses supérieurs pour faire la lecture des cas de conscience dans LETTRES SATYRIQUES 175 le collège de Clermont à Paris, avait traité en public diverses propositions et maximes dont la connaissance était très dangereuse et pouvait faire de très mauvais effets, le P. provincial et les supérieurs des trois maisons auraient été mandés et ensuite entendus audit Conseil, après que Sa Majesté, la reine régente sa mère présente, leur a fait entendre le mécontentement qu'elle avait des propositions faites par ledit P. Héreau en faisant ses leçons ; qu'il y avait beaucoup de faute de la part des supérieurs d'avoir permis ou toléré que telles maximes fussent mises en avant qui ne pou- vaient être d'aucune utilité au public, et au contraire que la connaissance en était très dangereuse, donnant des ouvertures d'exercer plutôt les pas- sions que de les régler; que Sa Majesté désirait que les supérieurs de leur ordre fussent à l'avenir plus soigneux de s'informer de la doctrine qui sera écrite ou enseignée en leurs maisons dans ce royaume ; qu'elle ne recevra pas pour excuse qu'ils aient ignoré les mauvaises maximes qui se traiteront par leurs Pères, et qu'elle se prendra à eux des fautes qui se feront à l'avenir. Sur quoi lesdits Pères Jésuites ont témoigné avoir un extrême déplaisir que Sa Majesté ait eu sujet de se plaindre de la conduite d'un de leurs Pères ; qu'ils reconnaissent qu'il avait failli de trai- ter publiquement telles questions dont l'on se plaint, lesquelles ils désa- vouent et déclarent qu'en général et en particulier ils les désapprouvent, jugeant qu'il était très dangereux de les enseigner et de les écrire, et qu'à l'avenir, sachant les intentions de Sa Majesté, ils tiendront la main à ce qu'en tous leurs collèges il ne se propose aucune matière qui puisse être préjudiciable. Vu les dites propositions, Sa Majesté étant en son Conseil, et de l'avis de la reine régente sa mère, a fait et fait très expresses inhibi- tions et défenses aux dits Pères de la Société de Jésus et à tous autres, de plus à l'avenir traiter dans les leçons publiques ou autrement pareilles propositions. Enjoint Sa Majesté aux supérieurs de ladite Société de veiller exactement à ce qu'en toutes leurs maisons l'on ne traite telles matières, soit dans les leçons, soit dans les livres. Ordonne que ledit P. Héreau demeurera en arrêt en la maison de leur collège de Clermont jusqu'à ce qu'autrement par Sa Majesté en ait été ordonné. Fait au Conseil d'Etat du roi, Sa Majesté y étant, la reine régente sa mère présente, tenu à Paris le troisième jour de mai 1644. — Signé De Guénégaud1, avec paraphe. » » Voilà à quoi aboutit une des plus grandes affaires de notre siècle à l'égard des Jésuites. La conjoncture du temps leur fut favorable pour n'être point poussés à bout, et si ce désordre leur fût arrivé dans une autre cir- constance que celle de la minorité du roi, il eût été malaisé de n'en pas venir aux extrémités contre, toute leur Compagnie. » On vit bien dès lors que ceux qui les voulaient ménager par des considérations politiques ne les rendraient pas plus sages ; que l'indul- gence dont Sa Majesté usait envers eux ne servirait qu'à leur inspirer une (1) Henri de Guénégaud, seigneur du Plessis (1609-1676), secrétaire d'Etat, puis garde des sceaux, disgracié en 1669. 176 LETTRES SA.TYRIQUES 4 plus grande hardiesse pour l'avenir, et que cette modération ne changerait rien dans leur esprit et dans leur cœur. Et, en effet, dans le temps même que le P. Héreau devait être couvert de confusion et pénétré d'un profond et liés sensible regret pour le scandale qu'il venait d'exciter dans toute l'Eglise, les Jésuites, ses confrères, relevaient son grand mérite par des éloges. Car le P. Caussin ' écrivit de lui : « qu'il l'avait connu dès son enfance, qu'il était d'une vie très innocente et se comportait en fort bon religieux, qu'il vivait dans Paris comme s'il était dans un désert, plongé dans l'oraison et dans l'étude ; cependant qu'à voir le livre de l'Université, on dirait que ce Père serait quelque vieux meurtrier qui n'aurait d'autre métier que d'aiguiser des couteaux et de détremper des poisons pour tuer les hommes ». Voilà ce que l'on peut attendre de la sincérité des Jésuites et à quoi se terminent leurs plus solennelles rétractations. » Voici maintenant la lettre « académique » de Cyrano (2) : Père criminel. Assurément vous me preniez pour un Roy quand vous preschiez vos Disciples de m'assassiner, mais ce n'est pas de toute farine que se font les Chatels et les Ravaillacs ; on a purgé vos Collèges de ce mauvais sang, et le souvenir de la Pyramide3 empesche que le massacre ne passe de vostre bouche dans les mains de ceux qui vous escoutent. Vous ne laissez pas cependant, du faiste de vostre Tribune (pédagogue et bourreau de huit cens escoliers) de leur prescher ma mort comme une croisade, mais des enfans sont trop tendres pour estre exhortez au poi- gnard. Vous cajoleriez plus aysément la conscience d'un brutal déjà fait au meurtre, comme celuy qui ne manqua mon sort que d'une journée. Il estoit homme d'exécution celuy-là, vous luy aviez très bien prouvé qu'un assassinat estoit la seule voie de se réconcilier avec Dieu ; il vous avoit très bien crû, et si une pistole dont vous fustes chiche, au lieu des indulgences et des médailles dont vous le chargeâtes, eût secondé son cou- rage, l'embuscade prolongée de vingt-quatre heures rougissoit le pavé de mon sang, et puis vous estes de la Compagnie de Jésus ! 0 ! Dieu, Jésus avoit-il en sa Compagnie des personnes qui conseillassent l'homicide ? Non, vous n'en estes point, ou bien vous estes de celle qu'il eut en croix, avec deux meurtriers. Si vous jugez ma mort une œuvre méritoire, que n'y employez-vous vostre main ; si elle ne l'est pas, pourquoy la conseillez- vous ? Dieu souffrit autrefois que les Juifs l'appellassenl fourbe, séducteur, magicien, et qu'ils ruinassent l'opinion de sa divinité par un infâme sup- plice ; et Me Nicolas B...., plus passionné que Jésus-Christ pour le salut des hommes, plus entendu à l'establissement du Christianisme que Dieu, (1) Nicolas Caussin, jésuite (1583-1651), il fut confesseur de Louis XIII, mais disgracié et exilé par Richelieu. — (2) Ms. f. 137. Inédite. — (3) La Pyramide élevée devant le Palais de Justice de Paris, pour perpétuer le souvenir de l'attentat de Jean Chatel sur Henri IV (27 décembre 1594), abattue en 1604 sur l'ordre du roi qui vou- lait être agréable à la Compagnie de Jésus. LETTRES SATYRIQUES 177 veut me perdre 1 diit-il lui en coûter son âme. Je dis son âme, car pour sa vie, il ne la voudroit pas jouer contre la Monarchie du Monde. Il conseille et concerte ma ruine, mais ce sont des morceaux qu'il taille pour d'autres. Le poltron qu'il est seroit bien ayse de contempler sûrement de la rive un naufragé en haute mer, cependant, je suis dévoué au pistolet par un Moine, un Moine qui devroit (si l'idée d'un pistolet avoit pris place en son ima- gination) se faire exorciser. Barbare maistre d'école, quel sujet avez-vous de me tant vouloir de mal ? Vous feuilletez possible tous les crimes dont" vous estes capable, et sur cela vous concluez que je suis Athée ; mais Père écervelé, me croyez-vous si stupide de me figurer que le Monde soit né comme un champignon, que les Astres ayent pris feu et se soient arran- gez par hazard, qu'une matière morte, dételle ou telle façon disposée, ayt pu faire raisonner un homme, sentir une beste, végéter un arbre ; pensez- vous que je ne reconnaisse pas la Providence de Dieu, quand je vous regarde sous un chapeau dont le sacré circuit vous met à couvert de la foudre, quand je vous regarde dans une Compagnie dont la sainte réputa- tion purge la voslre, enfin, quand je vous regarde si foible et si meschant. Non, non, le véritable sujet de la hayne que vous me portez, c'est l'envie, et la ridicule imagination que vous avez eue de vous rendre recommanda- ble en me choquant. Comme ce fut la mesme quinte qui conduisit à l'hos- pital l'esprit et le corps du Père Garasse ', pardonnez-moy donc, je vous supplie, car je ne sçavois pas que de venir au monde avec de l'esprit estoit vous offenser, ny, comme vous sçavez, je n'estois point au ventre de la jument qui vous conceut pour disposer à l'humanité les organes et la complexion qui concouroient à vous faire cheval. J'ay tort, à la vérité, de donner à vostre naissance une cause si basse ; je crois que vostre origine est à tous très remarquable, vous autres dont les gestes ont pour monu- mens les monumens de nos Rois : ce n'est pas que j'impute au dérèglement de tout un corps la corruption d'un membre, car on sçait bien que si de ce corps vous composez quelque chose, vous en estes les parties honteuses, que vostre âme est noire à cause qu'elle porte le deuil du trespas de vostre conscience, et que vostre habit garde la mesme couleur pour servir de petite oye à vostre âme. 0 ! Dieux, faut-il qu'un chétif hypocondre comme vous soit la condamnation de toute la Société, que vous fassiez éclipser mille Soleils en vostre Compagnie par la seule interposition de vostre espaisse révérence, et que Saint-Ignace, depuis un siècle qu'il est au Ciel, boîte encore en vous tous les jours. Cependant vous vous imaginez estre habile et sçavant par dessus tous ceux de vostre Ordre. Hélas ! mon grand Amy, si vous estes le plus grand homme des Jésuites, vous ne devez cette (1) François Garassus, jésuite, né à Angoulème en 1584, mort à Poitiers le 14 juin 1G31 en soignant les pestiférés, est l'auteur de « La Doctrine curieuse » ; c'est lui qui fut l'instigateur ou plutôt l'auxiliaire du procureur général Mathieu Mole dans la lutte ouverte par le Parlement de Paris contre le libertinage, voir Le Procès du poète Théophile de Viau (lù"2o-ltJ'2î>), publication des pièces inédites des Archives nationales, 2 vol. in-8. 178 LETTRES SATYRIQUES grandeur qu'à celle de vos membres, et vous estes le plus grand person- nage de vostre couvent comme Saint Christophle est le plus grand Saint de Nostre-Darae. A la vérité, vous estes plus grand qu'eux en fourbes, en làchetez, en trahisons, et par vous Dieu s'est trouvé, depuis Judas, plus d'une fois entre les mains d'un traistre, mais je ne crains point vos conspi- rations, tandis que nous aurons une Régente sous qui les Régens comme vous sont grimaux. Ce n'est pas que vous ne méritiez (quand la Fortune et la Justice seront bien ensemble) que de trois ou quatre milles asnes qui establent à vostre Collège, on vous déclare le principal. Oùy, certes, vous le méritez, car je ne sçache personne à qui le fouet appartienne justement comme à vous ; vous le sçavez manier de si bonne grâce, que vous achetez l'affection des Pères par le supplice de leurs enfans : vous pendez les coeurs à vos verges et vous vous introduisez dans leur esprit par la porte de derrière ; ce n'est pas que je n'en sçache tel qui voudroit pour dix pistoles vous avoir escorché ; mais si vous me croyez, vous le prendrez au mot pour l'attraper, car dix pistoles sont plus que ne sçauroit valoir la peau d'une beste à corne. Je ne suis pas vostre serviteur. LETTRE SATIRIQUE CONTRE LE SIEUR DU TAGE (1) Monsieur, Tant de caresses de la Fortune que j'ay perdues, en perdant vostre amitié, m'obligent enfin de me réconcilier avec vous. Je confesse donc que je devois plus soigneusement conserver le fruit de vostre connois- sance, car puisque vous faites passer ceux qui vous visitent pour des Rarons et des Marquis, et que vous estes père de force Comtes qui ne vous sont point parens, moy, que vous juriez d'aymer, j'aurois possible gaigné à ce jour-là une Principauté. Quelques-uns blâment cette humeur prodigue, mais ils ne sçavent pas que ce qui vous engage à ces magnificences, est l'amour que vous avez pour la conservation " de la Noblesse, et que ne pou- vant faire de gentilshommes selon la chair, vous en voulez au moins engen- drer spirituellement. Les auteurs de roman b que vous connoissez donnent bien des Empires à qui souvent n'a pas eu deux arpens de terre ; pourquoy n'useriez-vous pas des mesmes privilèges ? Ces Messieurs les Escrivains ne parlent pas mieux que vous, puisque vous parlez tout comme eux, et qu à tout moment vous vomissez et Cléopàtre* et Cassandre L, si crues, qu'on void quasi dans vostre bouche le papier dessous les paroles. Des a) 1654 : multiplication. — b) romanesques. — c) Cassandre et Polexandre (3). (!) Ms. f. 162'. — Œuvres diverses, i654 : Lettres satyriques, VI. A monsieur de V..., p. 134. — Cette lettre, au point de vue du style, a été si complètement refaite par Cyrano que nous ne donnons ici que les principales variantes de l'imprimé. — (2) Cassandre et Ciéopâtre sont les titres de deux romans de Gautier de Coste de La Calprenède. Le premier a paru de 1642 à 1644 en 10 vol. in-8 ; le second de 1647 à 1658 en 12 vol. in-8; ils ont été tout deux réimprimés. — (3) Sur Polexandre, roman de Le Roy de Gomberville, voir p. 163, note 2. LETTRES SATYRIQUES 179 critiques malicieux diroient qu'un grand babil11 n'est pas la marque d'un grand esprit, que les tonneaux vides font plus de bruit que les pleins b et que possible à cause des concavitez de vostre teste, il se fait un écho dans vostre bouche de tout ce que disent les Héros romanesques : mais je me moque d'eux ; car quand vous ne seriez pas un grand cerveau'', vous estes toutefois un grand homme. Gomment ! vous estes capable de noircir de vostre ombre un jeu de paume entier ; personne n'entend parler de vous d qu'il ne croye qu'on fait l'histoire d'un Cèdre ou d'un Sapin ; d'autres voians que vous n'avez rien d'humain que le langage, asseurent e que vous estes un Ghesne transplanté de la forest de Dodone *, mais ceux qui raisonnent avec plus de jugement protestent qu'il s'en faut de beaucoup que vous soyez aussi grand qu'un Chesne, puisque vous n'estes qu'une Bûche ; et moy qui vous connois mieux que tous ces mocqueurs, et qui prens tousjours vostre querelle, j'ay soustenu à leur nez que vous n'estiez point un arbre, et que l'immobile gravité de vos giganteries procédoit de ce qu'une âme ne pouvant informer qu'un quart de vostre embrion, la Nature avoit esté contrainte d'en laisser plus de la moitié en friche '. Et, en effet, y a-t-il au monde quelqu'un qui ne sçache que quand le Ciel anima vostre colosse, il eut beau tirailler vostre esprit, ils ne le pût jamais faire venir jusqu'à vostre cer- velle. Vos membres sont si puissans qu'on diroit que vous avez deux hom- mes h au bas du ventre pendus à la place de vos cuisses ; et vous avez la poitrine1 si large que j'apréhende quelquefois que vostre teste tombe dans vostre corps'3. Pour moy, si on vouloit m' obliger k de croire que vous fussiez tout entier animé, je soutiendrois, en platonicien, qu'il a donc fallu vous informer l'âme universelle du monde. Il faut, en effet, que vous soyez quel- que chose de bien grand puisque la Communauté tout entière des Fripiers est occupée à vous vestir. Quelques médisans (à la vérité) asseurent que quand ces Messieurs les Juifs ont reconnu qu'ils ne pouv oient ' amener toutes les Rues de Paris à la Halle, ils ont chargé sur vous leurs plus riches /tardes m afin de faire marcher " les Halles par tout Paris ; mais à qui les a) 1654 : murmurent que le grand bruit dont vous esclatez. — b) vaisseaux vuides en excitent plus que ceux qui sont pleins. — c) du concave de vostre cerveau remply de rien, vostre bouche, à l'exemple des cavernes, fait un écho mal distinct de tous les sons qui la frappent ; mais quoy il faut se consoler, celuy-là est encore à naistre, qui a sceu le moyen d'empescher l'envie de mordre la vertu ; car je veux mesme, comme ils le disent, que vous ne fussiez pas un grand génie. — d) vostre taille. — e) qu'ils ont appris par tradition. — f) car encor que cette partie supérieure de vostre tout ^qu'à cause du lieu de sa situation on appelle vostre teste) ne fasse aucune fonc- tion raisonnable ny mesme sensitive ; je ne me persuade pas pourtant qu'elle soit de bois, mais je m'imagine qu'elle a esté privée de l'usage des sens, à cause qu'une àme humaine n'estant pas assez grande pour animer de bout en bout un si vaste colosse, la Nature s'est trouvée contrainte de laisser en friche la région d'en-haut : — g) elle logea ce qu'en d'autres on nomme l'esprit dans vostre corps démesuré, aile eut beau le tirer et l'allonger, elle. — h) géants. — i) bouche. — j) dedans. — k) s'il estoit de la Foy. — /) ou bien que ces gens-là qui cherchent le débit, ne pouvant. — m) gue- nilles, — n) promener. (1) Dans la Fable les chênes de la forêt de Dodone parlaient et rendaient des Oracles. 180 LETTRES SÀTYRIQUES croiroit ils en diraient bien (Vautres Il est vray que vous estes uue per- sonne publique, et ce n'est pas pourtant à cause que vous estes habillé aux despens du public, assez d'autres titres vous doivent faire considérer pour tel. Je dis sans mettre en compte ce que dix mille navaux asseurent de vous, lorsqu'ils protestent que la chair crue vous en fait manger de cuite, que comme de la vaze du Nil demeurée par les champs, les Egyptiens connoissent jusqu'où ce fleuve s'est débordé, tout de mesme de l'espais- seur de voslre graisse, on peut juger du nombre des embrassemens illégi- times qui se sont faits en cette ville*. Et enfin à propos de C/iesneh à qui je vous comparois tantost, que vous estes un arbre si merveilleux c qu'il n'y a quasi point de jour que vous ne produisiez ; tout cela sont d'estables pleines de calomnies, qu'ils d n'eussent osé vous soustenir en face e du temps que la troisième peinture des cartes ' esloit vostre portrait, vous portiez alors une espée f qui vous auroit vengé de tous ces coquins, et ils ne vous eussent pas au moins convaincu 8 d'effronterie en un estât où vous changiez si souvent de couleur. Ce sont là, Monsieur, à peu près les peaux d'asne * dont ils persécutent vostre réputation. J'en ferois l'apologie un peu plus longue, mais la fin du papier m'oblige de finir. Permettez donc que je prenne congé de vous, sans les cérémonies ordinaires, car on m'estimeroith valet du valet des tambours'' si je me disois, Monsieurs, vostre serviteur. CONTRE LE GRAS MONTFLEURY, MAUVAIS AUTEUR ET COMÉDIEN (4) Gras Montfleury K Enfin, je vous ay vu. Mes prunelles ont achevé sur vous de grands voyages ; et le jour que vous éboulâtes corporellement jusqu'à moy, j'eus le temps de parcourir vostre hémisphère, ou pour parler plus véritablement, d'en découvrir quelques cantons. Mais comme je ne suis pas tout seul les yeux de tout le monde, permettez que je donne vostre portraict à la postérité, qui sera sans doute k bien-aise de sçavoir un jour comment vous estiez fait. On sçaura donc, en premier lieu, que la Nature qui vous ficha une teste sur la poitrine ne voulut pas expressément y met- tre de col, afin de le dérober aux malignitez de vostre horoscope ; que a) 1654 : vostre Faux-bourg. — b) d'arbre. — c) fertile. — d) mais je sçay bien que ces sortes d'injures passent fort loin de vous, et que vos calomniateurs. — e) tant d'injures. — /) brette. — g) accusé comme aujourd'huy. — /<) parce que ces Messieurs qui vous méprisent fort, et dont je fais beaucoup d'estime, penseroient que je suis le. — i) tambourineux (3). — j) Enfin, gros homme. — k) un jour. (1) Le valet, qui est la troisième figure. — (2) Contes ridicules. — (3) C'est-à-dire de la plus misérable condition. Le tambourineux c'était le crieur public qui tembou- rinait le» objets perdus. — (4) Ms. f. 127. — Dans les Œuvres diverses, 165b : Lettre satyrique, X (IX par erreur) p. 153. Contre un gros homme. Il s'agit de Zacharie Jacob, dit Montfleury, comédien et auteur dramatique, né en 1000, mort en décembre 1667. M. P. Brun a cru qu'il s'agissait de son fils, Antoine Jacob, dit Montfleury, et cependant aucune équivoque n'est possible, puisque le texte du Ms. de la Bibl. nat. cite La Mort d'Asdrubat, tragédie de Zacharie Jacob, publiée en 1647. La même erreur a été commise par P. Lacroix. LETTRES SATYRIQUES 181 vostre âme est si grosse, qu'elle serviroit bien de corps à une personne un peu déliée ; que vous avez ce qu'aux hommes on appelle la face, si fort au-dessous des espaules, et ce qu'on appelle les espaules si fort au-dessus de la face, que vous semblez un sainct Denys portant son chef entre ses mains. Encore je ne dis que la moitié de ce que je voy, car si je descends mes regards jusqu'à vostre bedaine, je m'imagine voir aux Limbes tous les Fidèles dans le sein d'Abraham, Saincte Ursule qui porte les unze mille Vierges enveloppées dans son manteau, ou le cheval de Troye farcy de quarante mille hommes. Mais je me trompe, vous paroissez* quelque chose encore de plus gros et de plus vilain, ma raison trouve bien plus d'apparence à croire que vous estes une apostume b de la Nature qui rend la Terre jumelle. Hé ! quoy, vous n'ouvrez jamais la bouche qu'on ne se souvienne de la fable de Phaëton où le Globe de la Terre parle ' ; oûy, le Globe de la Terre. Et si la Terre est un animal, vous voyant (comme asseurent quelques Philosophes) aussi rond et aussi large qu'elle, je sous- tiens que vous estes son masle, et qu'elle a depuis peu accouché de l'Amé- rique, dont vous l'avez engrossée. Hé ! bien, qu'en dites-vous, le portraict est-il ressemblant, pour n'y avoir donné qu'une touche ? Par l'expression de vostre rontondité vénérable, riay-je pas adroictement fait connoistre que l'interposition d'un Globe si grand et si opaque doit faire éclipser les Soleils dont toutes vos Comédies sont éclairées. N'ay-je pas en arrondissant l'es- paisseur de vostre masse c appris à nos nepveux que vous n'estes point fourbe, puis que vous marchez rondement ? Pouvois-je mieux convaincre de mensonge ceux qui vous menassent de pauvreté, qu'en leur faisant voir à l'oeil que vous roulerez tousjours. Et enfin estoit-il possible d'enseigner plus intelligiblement que vous estes un miracle, puisque l'embonpoint de vostre chair inanimée d vous fait prendre par vos spectateurs pour une longe de veau qui se promène sur ses lardons ? Je me doute bien que vous m'ob- jecterez qu'une Boule, qu'un Globe, ny qu'un morceau de chair ne font pas des ouvrages de théâtre et que le grand Asdrubal2 est sorti de vos mains6. Mais entre vous et moy, vous en connoissez l'encloûeure ; il n'y a per- sonne en France ' qui ne sçache que cette tragédie est la Corneille d'Esope, qu'elle a esté construite d'un impôt par vous establi sur tous les poètes de ce temps, que vous l'avez sceuë par cœur auparavant que de l'avoir imaginée a) 1654 : estes. — b) une loupe aux entrailles. — c) par la description de vostre sphère de chair, dont tous les membres sont si ronds, que chacun fait un cercle, et par l'arondissement universel de vostre espaisse masse, n'ay-je pas. — d) vostre gras embonpoint. — e) et que la belle Sidon vous a fait triompher sur les Théâtres de Venise (3). — /} en Italie. (1) Ovide, dans ses Métamorphoses. — (2) La mort d'Asdrubal, tragédie du sieur de Montfleury, comédien de la troupe royale. A Paris, chez Toussaint Quinet, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes, fS47, in-4 (avec le portrait de Montfleury). — (3) Voir T. I, p. LI, note 1. L Ambiga comique, ou les Amours de Didon et d'&née, 1673, in-12, tel est le titre de la pièce du fils de Montfleury, auquel Cyrano aurait fait allusion, suivant P. Lacroix ; or Antoine Jacob était né en 1640 ! 42 182 LETTRES SATYRIQUES qu'estant tirée de toutes les autres', on la peut appeller la Pièce des pièces, et que vous seriez non seulement un Globe, une Boule et un morceau de chair, mais encore un miroir qui prend tout ce qu'on luy montre, n'estoit que vous représentez trop mal b. Confessez donc la dette % je n'en parleray point ; au contraire, pour vous excuser, je diray à tout le monde que vostre Reyne de Carthage doit estre un corps composé de toutes les natures, parce qu'estant d'Afrique, c'est de là que viennent les Monstres. Et j'ad- joûteray mesme que cette pièce fut trouvée si belle, qu'à mesure que vous la Jouiez* tout le monde lajoiioit. Quelques ignorans peut-estre conclueront, à cause de la stérilité de pensées qu'on y trouve, que vous ne pensiez à rien quand vous la fistes ; mais tous les habiles sçavent qu'afin d'éviter l'obscurité, vous y avez mis les bonnes choses fort claires, et quand mesme ils auroient prouvé que depuis l'ortie jusqu'au sapin, c'est-à-dire depuis Scarron e jusqu'à Corneille, tous les Poètes ont accouché de vostre enfant, ils ne pourroient rien inférer, sinon qu'une âme ordinaire n'estant pas assez grande pour vivifier vostçe masse de bout en bout, vous fustes animé de celle du monde, et qu'aujourd'huy c'est ce qui est cause que vous ima- ginez par le cerveau de tous les hommes. Mais encore ces stupides* sont bien esloignez d'avouer que vous imaginez ; ils soustiennent mesme qu'il n'est pas possible que vous puissiez parler, ou que, si vous parlez, c'est comme jadis l'Antre de la Sibille, qui parloit sans le sçavoir. Hier, pour- tant je les contraignis de confesser, malgré i assoupissement de vostre âme qu'ils m'alléguèrent que vous estes donc au moins6 la Caverne des Sept Dormans, qui ronflent par vostre bouche. Mais, bons Dieux ! qu'est-ce qne je voy ? Montfleury h plus enflé qu'à l'ordinaire ! Est-ce donc le couroux qui vous sert de Seringue ? Desjà vos jambes et vostre teste se sont [telle- ment] unies par leur extension à la circonférence de vostre Globe, [que] vous n'estes plus qu'un balon ; c'est pourquoi/ je vous prie de ne pas appro- cher de mes pointes, de peur que je ne vous crève. Vous vous figurez peut- estre que je me mocque ; par ma foy, vous avez deviné ; aussi l le miracle n'est pas grand qu'une boule ait frapé au but. Je vous puis mesme asseurer que si les coups de baston s'envoyoient par escrit, vous liriez ma Lettre des espaules. Et ne vous estonnez pas de mon procédé, car la vaste esten- duë de vostre rondeur me fait croire si fermement que vous estes une terre, que je veux planter ■>' du bois sur vous pour voir comment il s'y por- teroit 1 Pensez-vous donc, à cause qu'un homme ne vous sçauroit battre a) 1654 : inventée, estant tirée de l'Aminle, du Pastor Fido de Guarini, du cavu» lier Marin (1), et de cent autres. — b) la dette. — c) Sus donc, confessez. — cl) parut si belle aux Nobles de cette République, qu'à l'exemple des Acteurs qui la joùoient. — e) Le Tasse. — /) ils. — g) Mais encore que les fumées qui sortent de vostre bouche, je voulois dire de vostre bondon, soient aussi capables d'enyvrer que celles qui s'exhaloient de cette grote, je n'y voy rien d'aussi prophétique ; c'est pourquoy j'estime quevous n'estes au plus que. — h) vous me semblez encore. — i) et. — j) que de bon cœur je planterois. (1) L'Aminte du Tasse ; Le Coloandrc fidèle, de Mariai, traduit par Scudéry. LETTRES SATYRIQUES 183 tout entier en vingt-quatre heures, et qu'il ne sçauroit en un jour eschi- gner qu'une de vqs omoplates, que je me veuille reposer de vostre mort sur le Bourreau ? Non, non, je seray moy-mesme vostre Parque, et/e vous eusse dès l'autrefois escrasé sur vostre Théâtre, si je n'eusse appréhendé d'aller contre vos règles, qui deffendent d'ensanglanter la scène. Adjoustez à cela que je ne suis pas encore * bien délivré d'un mal de rate pour la gué- rison duquel les Médecins m'ont ordonné encore quatre ou cinq prises de vos impertinences ; mais si-tost que j'auray fait banqueroute aux divertis- semens et que je seray saoul b de rire, tenez par tout asseuré que je vous envoyeray deffendre de vous compter entre les choses qui vivent. Adieu, c'est fait. J'eusse bien finy ma Lettre à l'ordinaire, mais vous n'eussiez pas crû pour cela que je fusse vostre très humble, très obéissant et très affec- tionné. C'est pourquoy, Montfleury % Serviteur à la paillasse. POUR SOUGIDAS (DASSOUCY), CONTRE UN PARTISAN QUI AVOIT REFUSÉ DE LUY PRESTER DE L'ARGENT (1) Monsieur. Vous me le deviez l'argent que je vous demandois ; car ne pensez pas qu'à moins de quarante pistoles j'eusse voulu salir ma réputa- tion en prostituant ma compagnie à vos promenades, et que je me fusse tant de fois donné la peine de protester, contre ma conscience, que vous estiez le plus honneste Homme du Monde. Enfin, je n'eusse pas risqué sans cela, comme j'ay fait, les avives ou le farcin2. Je voy bien maintenant que le symptôme de toutes les fièvres n'est pas semblable, puisque devant ny après celle de Saint-Mathurin 3 on ne baille pas. Mais ce que je trouve de plus pernicieux en vos émotions c'est que, pour un Homme qui n'est pas fort en garde, vous estes un peu trop bilieux. Si le jour que je receus vostre Lettre je n'eusse pris de la rhubarbe, possible aurois-je fait ma plume d'un baston, mais la République est trop intéressée à vostre conser- vation, car on ne sçauroit vous entamer sans répandre le sang du Peuple dont vous estes plein. Observez toutefois doresnavant un procédé moins furieux. Je me figurois jadis (parce que, vostre Père et vous aviez fait dégénérer la chaude-pisse de nos bourses en gonorrhée) que chaque coffre de vostre Maison fût une aposthume d'or ; mais je connois aujourd'huy que de vos pièces la plus pesante est vostre teste. Volez donc mieux désor- mais, si vous me croyez, car si vous ne prenez l'essor un peu plus haut, vous courez hazard d'estre arrêté à quatre pieds de terre ; et à vostre physionomie, je connois que la filasse est plus antipathique à vostre tem- pérament que l'arsenic. Si donc vous avez peur d'estre léger, évitez au moins de vous faire peser en Grève, c'est l'advis seul que peut donner à vos maux de rate, Vostre Médecin... a) 1054 : ce seroit desjà fait de vous, si j'estois. — b) las. — c) Gros Grevé. (1) Ms., f. 176. — Nouvelles œuvres, 1662, p. 19. — (2) Deux maladies du cheval. — (3) La folie dont Saint-Mathurin guérissoit. 184 LETTRES SATYRIQUES SATIRE CONTRE SOUCIDAS (DASSOUGY) (1) Monsieur le Viédaze', Hé ! par la mort, je trouve que vous estes bien impudent de demeurer en vie, après m'avoir offensé I Vous qui ne tenez lieu de rien au monde ou qui n'estes, au plus, qu'une galeb aux fesses de la Nature ; vous qui tomberez si bas, si je cesse de vous soustenir, qu'une puce en laischant la terre ne vous distinguera pas du pavé ; vous enfin, si sale et si bougre ° qu'on doute (en vous voyant) si vostre mère n'a point accouché de vous par le culd ; encores si vous m'eussiez envoyé demander permission de vivre, je vous eusse permis peut-estre de pleurer en mourant'. Mais sans vous enquester si je trouve bon que voyez encore demain, ou que vous mouriez dès aujourd'huy, vous avez l'impudence de boire et de manger comme si vous n'estiez pas mort. Ha ! je vous proteste de renverser sur vous un si long anéantissement, que vous n'aurez pas mesme 'jamais vécu. Vous espérez sans doute m'atlendrir par la dédicasse de quelque nouveau g Burlesque. Point, point, je suis inexorable, je veux que vous mouriez tout présentement, puis selon que mon tempérament u me rendra miséricordieux, je vous ressusciteray pour lire ma Lettre. J'avois néanmoins quasi résolu d'attendre l'offrande de vos plaisons vers, sçac liant par vous'' que tout ce qui estoit ' sot ne faisoit pas rire. Toutefois j'ay songé depuis k que pour faire quelque chose de bien ridicule, vous n'aviez1 qu'à parler sérieusement, c'est pourquoi/ je n'ay pas voulu risquer le choc. Avez-vous, en effet, jamais rien achevé de tolérable que vostre poème burlesque ? Cependant, ny les vers ny la conduite ne vous ont guères fait brasier de chandelle, et selon ma pensée, vous deviez l'intituler « Le Juge- ment de Paris et de Blandin' »,^car si vous l'avez transcrit, vous savez bien qui l'a composé. J'entendois l'autre jour le libraire se plaindre de ce qu'il n'avoit pas de débit, mais il se consola quand je luy répondis que Soucidas estoit un juge incorruptible, de qui on ne sçauroit acheter le jugement ; ce n'est point de luym seul que j'ay appris que vous rimassiez. Je m'en doutois déjà bien, parce que c'eût esté un grand miracle si les vers ne s'estoient a) 1654 : — Monsieur le Coquin. — b) qu'un clou. — c) puant. — d) derrière. — e) le temps d'un « Peccavi ! ». — /) qu'il ne sera pas vray de dire que vous ayez. — g) ennuyeux. — h) ma belle humeur. — i) aussi bien quand pour regagner mes bonnes grâces, vous me dédieriez une Fai'ce, je sçay. — j) est. — À) Et qu'encore. — f) n'ayez. — m) vostre Poésie est trop des Halles ; et je pense que c'est la raison pourquoy vostre « Jugement de Paris » n'a point de débit : Donc, si vous m'en croyez, sauvez-vous au Barreau des ruades de Pégase, vous y serez sans doute un Juge incor- ruptible, puisque vostre jugement ne se peut achepter. Au reste, ce n'est point de vostre libraire. (1) Ms., f. 157. — Œuvres diverses, ISbk. Lettres satyriques, V, contre Soucidas, p. 128. — Cette lettre doit avoir été écrite dans le second semestre de 1650 après sa rupture avec Dassoucy. — (2) Blandin doit être un nom forgé par Cyrano, car nous n'avons pas trouvé trace de cet écrivain. — 11 ne faut pas oublier que Cyrano est l'auteur de l'épitre burlesque « Au sot lecteur et uod au sage » placée en tête du Jugement de Paris et qu'il a signée : de Bergerac. LETTRES SATYRIQUES 185 pas mis dans un homme si corrompu. Vostre haleine seule suffit à faire croire que vous estes d'intelligence avec la Mort pour ne respirer que la peste, et les muscadins ' ne sçauroient empescher que vous ne soyez par tout le monde en fort mauvaise odeur. Je ne m'irrite point contre cette putréfaction, c'est un crime de vos pères [ladres] mêlé au sang de qui vous trempez innocemment. Vostre chair mesme n'est autre chose que de la terre crevassée par le Soleil, et tellement fumée que, si tout ce qu'on y a semé avoit pris racine, vous auriez maintenant sur les espaules un grand bois de haute fustaye. Après cela, je ne m'estonne plus de ce que vous prônez qu'on ne vous a point encore connu. Il s'en faut, en effet, plus de quatre pieds de crote qu'on ne vous puisse voir. Vous estes ensevely sous le fumier avec tant de grâce que, s'il ne vous manquoit un pot cassé pour vous grater, vous seriez un Job acomply. Ma foy, vous donnez un beau démenty à ces Philosophes qui se mocquent de la Création. S'il s'en trouve encore, je souhaitte qu'ils vous voyent, car je m'asseure que le plus aheurtè d'entre eux vous ayant contemplé ne doutera point que l'Homme puisse ■ avoir esté fait de boue. Ils vous prescheront et se serviront de vous- mesme pour vous retirer de ce malheureux Athéisme où vous croupissez. Vous sçavez que je ne parle point par cœur : combien de fois vous a-t-on h entendu prier Dieu qu'il vous fit la grâce de ne point croire en luy ' ! Il n'oseroit' avoir laissé fermer une porte quand vous fuyez le baston, qu'il ne soit par vous anéanty, et vous ne le reproduisez d que pour avoir contre qui jurer si le dé rafle \ostre magot6. J'advouë que vostre sort n'est pas de ceux qui sçavent patiemment porter les pertes, car vous n'avez presque rien { et à peine le chaos entier suffiroit-il à vous rassasier : c'est ce qui vous a obligé d'affronter tant de monde. Il n'y a plus [de] moyen que vous trouviez pour marcher en cette Ville une rue non créancière, à moins que le Roy fasse bâtir un Paris en l'air. L'autre jour, au Conseil de guerre, on donna avis à Monsieur le Prince s 3 de vous mettre dans un mortier pour vous faire sauter comme une bombe dans les villes de Flandres, parce qu'en moins de trois jours la faim contraindroit h les habitants de se rendre. Je pense pour moy ' que ce stratagesme-là eût réussi', puisque vostre nez, qui n'a pas l'usage de raison, ce pauvre nez, le reposoir et le paradis des a) 1654 : rencontrent, car je suis asseuré qu'après vostre veuë, ils croiront aisé- ment que l'Homme peut. — b) et que je ne suis pas le seul qui vous a. — c) Comment, petit Impie, Dieu n'oseroit. — d) commencez à le recroire. — e) quand vos dés escamotez répondent mal à vostre avarice. — /) la perte, car vous estes gueux comme un Diogène. — g) de Turenne. — h) saincte Menehou (4) pour contraindre en moins de trois jours, par la faim. — ï) en vérité. — j) réussiroit. (1) Bonbons musqués pour parfumer l'haleine (P. L.). — (2) Point n'est besoin d'insister sur l'odieux d'une pareille insinuation au xvn° siècle. — (3) Le prince de Condé, on voit que dans l'imprimé de 1654, Cyrano a mis Turenne. Ce changement tient simplement à ce que, dans l'intervalle, il avait retourné sa veste : de frondeur, il était passé mazarin. — (4) Sainte-Menehould, dont les espagnols s'étaient emparés en 1652, fut prise d'assaut le 27 novembre 1653 par Turenne. On voit que Cyrano a corrigé cette lettre à la fin de l'année 1653 en vue de son impression. 186 LETTRES SATYRIQUES Chiquenaudes, semble ne s'estre retroussé que pour s'esloigner de vostre bouche affamée. Vos dents ? mais bons Dieux ! où m'ernbarrassay-je, elles sont plus à craindre qne vos bras. Je leur crie merci', aussi bien quelqu'un me reprochera que c'est trop berner un homme qui m'aime comme son à me b, Donc, ô brave Soucidas0 [ô Marionnette incarnée], cela seroit-il possible ; ma foy, je pense que si je suis vostre cœur, c'est à cause que vous n'en avez point ; de mesme que Chapelle est vostre mémoire, Blandin vostre imagination, et Tristan (L' H ermite) vostre jugement. Mais je ne blasme point cette industrie, car puisque la Nature et la Fortune ne vous ont filé qu'une trame de gueux, il estoit bien raisonnable que chacun se cotisast pour subve- nir à vostre nécessité. Vous vous plaindrez, possible, que je vous traite à la rigueur de vous faire perdre l'esprit. Hélas ! bon Dieu, comment vous octroyer ce que vous n'eustes jamais ? Demandez pour voirA ce que vous estes à tout le monde, et vous verrez si tout le monde ne dit pas que vous n'avez rien d'homme que la ressemblance de Singe6. Ce n'est pas pourtant (quoy que je vous compare à un Singe* ') que je pense que vous raisonnez 6. Quand je vous contemple si descharné, je m'imagine que vos nerfs sont assez secs et assez préparez pour exciter, en vous remuant, ce bruit que vous appelez langage* ; c'est infailliblement ce qui est cause que vous jazez et frétillez sans intervalle. Mais puisque parler y a, apprenez-moy donc, de grâce, si vous parlez à force de remuer, ou si vous remuez à force de parler ? Ce qui fait soupçonner que tout le tintamarre que vous faites ne vient pas de vostre langue, c'est qu'une langue seule ne sçauroit dire le quart de ce que vous dites, et que la pluspart de vos discours sont tellement esloignez de la raison, qu'on void bien que vous parlez par un endroit qui n'est pas fort près du cerveau. Enfin, mon petit Monsieur '', il est si vray que vous estes tout langue, que s'il n'y avoit point d'impiété d'adapter les choses sainctes aux prophanes, je croirois que Sainct-Jean prophétisoit de vous, quand il écrivit que la parole s'estoit faite chair. Et en effet, s'il me falloit écrire autant que vous parlez, j'aurois besoin de devenir plume; mais puis que cela ne se peut, vous me permettrez de vous dire adieu. Adieu donc, mon camarade, sans compliment ; aussi bien seriez-vous trop mal obéy si vous aviez pour' vostre serviteur De Bergerac. a) 1654 : Leur chancre et leur longueur m'épouvante. — b) dit m'estimer beauconp. — c) plaisant petit Singe. — d) mais je voy que vous vous cabrez de ce glorieux sobriquet ! Hélas demandez. — e) d'un Magot. — /) ce petit homme à quatre pattes, ny. — g) raisonniez aussi bien qu'un Singe ? Non, non, messer Gambade; car. — h) parole. — i) gentil Godenot (2). — j) j'estois. (1) Quand Dassoucy a eu connaissance de cette lettre, en 1654 (?) seulement, avait-il composé l'aventure du singe Fagotin, son combat avec Cyrano ? Si oui, ce récit aurait été inventé de toutes pièces. Ce serait la vengeance de Dassoucy. — (2) Marmouset, grotesque, dans le sens de Priape Phallus (P. L.). LETTRES SATYRIQUES 187 CONTRE CHAPELLE, BRIGAND DE PENSÉES (1) Monsieur. Après avoir eschaufié contre nous cet homme qui n'est que flegme, n'appréhendons-nous point qu'on nous accuse un de ces jours d avoir bruslé la rivière? Il parlera luy seul autant que tous les livres, s'il ne meurt désormais au bout de sa mémoire \ Il n'ouvre jamais la bouche que nous n'y trouvions un larcin, et lors mesme qu'il ne dit mot, il dérobe b cela aux muets ! Nous sommes pourtant de faux braves, et nous partageons mal* les avantages du combat, nostre esprit ayant trois facultez de l'oppo- ser au sien, qui n'en a qu'une ; c'est pourquoy s'il a dans la teste beaucoup de [ce] vuide, on luy doit pardonner, car comment eut-il pûd la remplir avec le tiers d'une âme raisonnable ; en récompense, il ne la laisse pas en friche. Il s'en sert à piller tous les anciens e, et ces grands Philosophes qui croyoient s'estre mis par la pauvreté [qu'ils professoient] à couvert [d'im- pôts et] de contributions, luy doivent [par jour], jusqu'au plus misérable, chacun une rente de dix pensées, et ce Maltotier de conceptions les taxe tous aux aisez * selon leurs richesses, et croyez qu'il les met bien à la raison, car il l les fait bien parler franço.is; encore ont-ils souvent le regret de voir à leurs nez confisquer leurs œuvres pour n'avoir pas le moyen de payer le traducteur. Il sçait bien aussy, le finet g, que la Grèce et l'Italie relevant d'autres Princes que du nostre, on ne le recherchera pas h en France des larcins qu'il aura faits aux peuples de ces païs-là, et possible mesme qu'il croit \ à cause que les Payens sont nos ennemis, ne pouvoir rien butiner sur eux qui ne soit pris de bonne guerre 3. A tout le moins devroit-il épar- gner leurs chétives comparaisons, car c'est marque d avoir bien de la pente au vol, de desrober jusques à des guenilles. Il ne doit donc plus attendre de a) 1654 : cet esprit aquatique murmure continuellement comme les fontaines, sans que l'on puisse entendre ce qu'il dit. Ha ! Monsieur, que cet homme me fait prévoir à la fin des siècles une estrange avanture, et c'est que s'il ne meurt au bout de sa mémoire, les Trompettes de la Résurrection n'auront pas de silence; cette seule faculté dans luy ne laisse point de place aux autres ; et il est un si grand persécu- teur du sens commun qu'il me fait soupçonner que le Jugement universel n'a esté promis que pour en faire avoir aux personnes comme luy, qui n'en ont point eu de particulier. Et à vous parler ingénuement, quiconque le fera sortir du monde aura grand tort, puisqu'il l'en fera sortir sans raison ; mais cependant il parle autant que tous les Livres, et tous les Livres semblent n'avoir parlé que pour luy. — b) et il est si accoustumé à ne mettre au jour son pillage, que mesme quand il ne dit mot, c'est pour dérober. — c) avec injustice. — d) puisqu'il n'a pas esté possible à la Nature de. — e) dormir, il la tient sans cesse occupée à dépouiller quelqu'un. — /) n'en laisse pas eschaper un qu'il ne taxe aux aisez selon l'estendue de son revenu, ils ont beau se cacher dans l'obscurité, il les sçait bien trouver, et. — g) tout entières quand ils n'ont pas le moyen de payer leur taxe ; mais il continue ces brigandages en sûreté car il sçait. — h) il ne sera pas recherché. — î) chez eux. Je croy mesme qu'il pense. (1) Ms., f. 125. — Dans les Œuvres diverses, 165k. Lettres satyriques, VII (pour IX), p. 147. Autre (lettre) sur le mesme sujet. (Contre un pilleur de pensée). — (2) Expé- dient en matière de finances dont on usait assez fréquemment. — (3) Nous donnons à la suite de cette lettre une addition considérable faite par Cyrano pour l'édition originale de 1654 et insérée à cette place. 188 LETTRES SATYRIQUES moy que je l'appelle, fut-ce en matière de brigandage, le Phœnix de nostrc temps, s'il ne devient escrivain sans comparaison*. Comment la foudre n'est pas assez loing de ses mains dans la moyenne région [de l'air], ny les tor- rens de Thrace assez rapides pour empesclier qu'il ne les détourne jusques en ce Royaume. // les marie b par force à ses similitudes e. Je ne vois point cependant la raison'1 de ce mauvais butin, si ce n'est que ce flegmatique, au lieu c de laisser croupir ses aquatiques pensées, essaie d'en former un torrent,' de peur1 qu'elles ne se corrompent, et vueille* eschauffer ses froi- des rencontres avec le feu des esclairs et des tonnerres. Encore s'il glanoit sur les bons auteurs, je luy pardonnerois, mais il n exprime que les senti- ments des sots. Toutefois quand j'y songe, je ne ni en estonne plus ; c'est l'ordinaire de La Chapelle, de ne tirer V esprit que des simples, et pour vous montrer qu il affecte de desrober les gueux et de les despouiller desh pieds jusqu'à la teste, c'est '' que je vous feray voir dans toutes ses lettres le commencement et la fin des miennes. Monsieur, vostre serviteur. Voici l'amplification faite par Cyrano et reproduite dans l'édition originale de 1654 : « Voilà, Monsieur, ce qui est cause que nous voyons chaque page de ses Epistres estre le cymetière des vivants et des morts ; ne doutez point, après cela, que si, au jour de la consommation des siècles, chacun reprend ce qui luy appartient, le partage de ses escrits sera la dernière querelle des hommes. Après avoir esté dans nos conversations cinq ou six jours à l'affust aux pensées, plus chargé de pointes qu'un Porc-espic, il les vient ficher dans ses Epigrames et dans ses sonnets comme des éguilles dans un ploton. Cependant, il se vante qu'il n'y a rien dans ses escrits qui ne luy appartienne aussi justement que le papier et l'encre qu'il a payez ; que les vingt-quatre lettres de l'Alphabet sont à luy comme à nous et à la dispo- sition par conséquent ; et qu'Aristote estant mort, il peut bien s'emparer de ses Livres, puisque ses terres, qui sont des immeubles, ne sont pas aujourd'huy sans Maistres ; mais après tout cela, quelquesfois quand on luy trouve le manteau sur les espaules, il l'adopte pour sien et proteste de n'avoir jamais logé dans sa mémoire que ses propres imaginations ; pour a) 1654 : Tenez donc, je vous supplie pour asseuré que tout ce que je semble avoir reproché cy-dessus à sa mendicité, est seulement pour le prier qu'il espargne ses ridicules comparaisons de nos pères, car ce n'est pas le moyen de devenir, comme il l'espère, Escrivain sans comparaison, puisque c'est une marque d'avoir bien de la pente au larcin, de dérober jusqu'à des guenilles, et de n'avoir pour toute finesse de bien dire, que des comme, des de mesmes, ou des tout ainsi ! — b) pour les marier. — c) comparaisons. — d) pas le motif. — e) de peur. — f) des torrents craignant. — g) ou qu'il veut. — h) Mais puisqu'enfin pour tout ce que je luy sçaurois dire, il ne vainquera pas les tyranniques malignitez de sa Planette, et puisque celte inclination de Filou le gourmande avec tant d'empire, qu'il glane au moins sur les bons Autbeurs ; car quel butin prétend-il faire sur un misé- rable comme moy, il ne se chargera que de vétilles. Cependant il consomme et les nuicts et les jours à me dépouiller depuis les. — i) et cela est si vray. LETTRES SATYRIQUES 189 cela, il se peut faire, ses escrits estant l'Hospital où il retire les miennes ! Si maintenant vous me demandez la définition de cet homme, je vous respondray que c'est un Echo qui s'est fait panser de la courte haleine ' et qui auroit esté muet si je n'avois jamais parlé ! Pour moy,je suis un misé- rable père qui pleure la perte de mes enfans. Il est vray que de ses richesses il en use fort généreusement, car elles sont plus à moy qu'à luy. Et il est encores vray que si l'on y mettoit le feu, en y jettant de l'eau je ne sauverois que mon bien; c'est pourquoy je me rétracte de tout ce que je luy ay repro- ché ! De quelle faute, en effet, puis-je accuser un innocent qui n'a rien fait, ou qui (quoy qu'il ait fait) ne l'a fait enfin qu'après moy. Je ne l'accuse donc plus, nous sommes trop bons amis, et j'ay tousjours esté si joint à luy, qu'on ne peut pas dire qu'il ait jamais travaillé à quelque chose où je n'aye esté attenttif. Ses ouvrages estoient mes seules pensées, et quand je m'oc- cupois à imaginer, je songeois à ce qu'il devoit escrire. » A MONSIEUR CHAPELLE POUR LE CONSOLER SUR L'ÉTERNITÉ DE SON BEAU-PÈRE (2) Monsieur. Un bourreau ' (bien mieux que moy) vous consoleroit b de la vie de ce personnage ; mais tout au pis laissez faire à la Faculté % elle a des bras dont personne ne pare les coups. Ne me dites point d qu'il a passé déjà plus de dix fois le temps de mourir, que la Parque ne s'est pas souvenue de luy et que maintenant qu'elle a tant marché depuis, elle sera honteuse et paresseuse de le revenir prendre si loin. Songez pour vostre allégement que les médecins d'aujourd! huy sont pensionnaires des fossoyeurs, et qu'à la fin de leurs ordonnances on y trouve tousjours un « libéra » ; mais en tout cas, si la vie est à l'épreuve des récipez, mettez en usage pour vous guérir les remèdes du Ciel, puisqu'une messe du Saint-Esprit est fort souve- raine à la fièvre de Saint-Mat/iurin'. Je pense que pour le tuer une messe de la Passion ne seroit pas mauvaise. Enfin parlez, criez, tonnez e, faites en sorte qu'il se despite contre le jour ; n'est-il pas temps aussi bien qu'il fasse place a) 1654 : La Faculté. — b) mettra quelque jour à couvert. — c) laissez-la donc faire. — d) Vous me répondrez sans doute. — e) Non, non, Monsieur, espérez tous- jours jusqu'à ce qu'il ait passé neuf cens ans, l'âge de Mathusalem ; mais enfin parlez luy sans cesse en grondant; criez, pestez, tonnez dans sa maison, croissez partout à se9 yeux et. (1) L'asthme — (2) Ms., f. 120*. — Œuvres diverses, l&bk. Lettres satyriques, VI (pour VII), p. 140. — Consolation pour un de ses amys, sur l'éternité de son beau- père. — Claude-Emmanuel Luillier, dit Chapelle ne s'est pas marié et, comme il était enfant naturel, il ne pouvait avoir de beau-père. S'il s'agissait du mari de sa mère (Marie Chanut, sœur de l'ambassadeur de France en Suède), Cyrano viserait Hector Musnier, sieur de Saint-Laurans, conseiller et secrétaire du roi et de ses finances en 1643. Mais il est probable que notre libertin n'a eu aucune personnalité en vue; ses lettres, nous ne saurions trop le répéter, ne sont que des exercices de rhétorique auxquels il a donné des titres fallacieux pour en augmenter l'intérêt aux yeux de la postérité. — (3) Patron des fous. 190 LETTRES SA.TYRIQUES à d'autres; comment Mathusalcm, Artephius ' et la Sibille Cumée *, auprès' de luy, n'ont fait que semblant de vivre. Il naquit auparavant que la Mort fut faite, et la Mort pour h cela n'oseroit le frapper à cause ° qu'elle craint de tuer son père, mais quand ce doute d ne l'empescheroit pas, elle le juge e si foible de vieillesse, quand le tuant elle seroit contrainte de le porter, parce qu'il n'auroit pas la force de marcher jusqu'en l'Autre Monde. Et je pense qu'une autre chose ' encore le fait demeurer debout en dépit de la destinée, c'est que n'estant qu'une statue, la Mort pense que c'est au Temps (non pas à elle) de le faire tomber. Encore n'a-t-il garde, le poltron, de tomber sous sa faux. Il ne l'a fumais sur le pré B. Je m'estonne fort après cela que cous l'appeliez enfant : car je ne sçaurois h pas mesme m'imaginer qu'il l'ayt jamais esté. Quoy ? luy, petit garçon ? — Non, non, M***, il ne le fut jamais, ou Moïse s'est trompé au calcul [qu'il a fait] de la création du Monde. Si toutefois la stupidité se peut travestir du nom d'enfance, en ce cas, je vous donne les mains. Je dis bien plus, mesme je proteste que si le genre humain périssoit à luy près, il seroit faux de dire qu'il restât encore un homme ' Il faut, en effet, qu'il soit plus ignorant qu'un chesne' de ne sçavoir pas mourir, chose que tout ce qui a vie sçait faire sans Précep- teur. 0 ! que n'a-t-il esté connu d'Aristote, il eut bien empeschê ce dogma- tiste pédant de définir k l'Homme, animal raisonnable, Les Philosophes qui montrent que les bestes raciocinent1 doivent excepter celle-là encore, s'il estoit bien vray qu'il fût beste, je luy conseillerais (comme au haire3) de se tenir à l'escart ; mais, hélas, dans l'ordre des choses m animées, il est seule- ment un peu plus qu'un Artichault et un peu moins qu'une Huistre à l'es- caille, de sorte que j'aurois crû (s'il nestoit ladre ") qu'il est [ce qu'on appelle] la plante sensitive. Amsi" vous avez tort de vous ennuyer de sa vie ; il n'a point encore vécu, il n'a que dormy ; attendez au moins qu'il ait achevé un somme ; estes-vous asseuré qu'il ne sçache pasv que le Som- meil et la Mort sont jumeaux. Il n'ose peut-estre q (ayant bonne conscience) après avoir joiiy du frère T, avoir affaire à la sœur'. N'inférez pas, Mon- sieur ', que je vueille prouver par cette lâchée d'hyperboles u que le per- a) 1654 : au prix. — b) à cause de. — c) tirer sur luy parce — d) et puis mesme quand cette considération. — e) void. — /) raison. — g) la Mort qui ne luy voit faire aucune action de vie, le prenant plustost pour une statue que pour un vivant, pense qu'il est du devoir, ou du Temps, ou de la Fortune, de le faire tomber. — A) vous disiez qu'estant prest de fermer le cercle de ses jours et arrivant au premier point dont il est party, il redevienne enfant : Ha! vous vous mocquez et pour moy je ne sçaurois. — i) S'il est permis toutefois de nommer ainsi tout ce qui peut à peine faire les fonctions d'un enfant, je vous donne les mains, car. — y) qu'une plante mesme. — A) ce Philosophe n'eust pas définy. — l) Ceux de la secte d'Epicure, qui démontrent que les bestes usent bien de la raison en. — m) estres. — n) si ce n'estoit que vous le soupçonnez de ladrerie. — o) Avouez donc que. — p) qu'on ne luy ait pas dit. — q) frères ; il fait peut-estre scrupule — r) de l'une d'. — s) à l'autre. — t) cependant, en suite de cela. — u) enfilade. (1) Philosophe hermétique, juif ou arabe, qui vivait au xii" siècle et qui passait pour avoir vécu bien longtemps auparavant, grâce à la pierre philosophale. — (2) La sibylle Cumée avait obtenu des Dieux le privilège de vivre autant d'années que sa main pourrait contenir de grains de sable (P. L.). — (3) Haire, cancre, terme de mépris. LETTRES SATYRIQUES 191 sonnage dont nous parlons soit un grand sot \ Quand j'en jurerois, je ne serois pas crû, à cause que pour estre sot, il faudroit qu'il fût homme, ce qui ne peut estre imaginé b. Car encore'' qu'il nous ressembla par le Baptesme, c'est un privilège dont jouyssent aussi bien que luy les Cloches de sa Paroisse, et je vous proteste que quand il mourra il sortira de ce monde sans sçai'oir ce qu'il y estoit venu faire. Je parlerois de cette vie jusqu'à la mort à fin de soulager vostre douleur d, mais le Sommeil commence à causer à ma plume e de si grandes foiblesses qu'au lieu de vous consoler, je vous ferois moy-mesme pitié. C'est pourquoy je voy bien qu'il me faut icy finir ma légende. Déjà mes yeux ferment boutique, mon menton vient baiser ma poitrine, Morphée a logé un trompette dans mon nez qui sonne la retraite ', ma teste tombe sur le chevet et s, par ma foy, je ne sçay pas h ce que j'escris. A Dieu, bonsoir, Monsieur, vostre serviteur. CONTRE LA MOTHE, BRIGAND DE PENSÉES (1) Monsieur. Puisque nostre amy butine nos pensées, c'est une marque qu'il nous estime, il ne les prendroit pas s'il ne les croyoit bonnes, et nous avons tort de nous estomaquer que n'ayant point d'enfans, il adopte les nos- Ires. Ce qui me fasche, c'est ' qu'il attribue à son ingrate imagination les bons services que luy rend sa mémoire et qu'il se dise le Père de mille [hautes] conceptions dont il n'a esté au plus que la Sage-femme. Allons, [Monsieur], nous vanter après cela d'escrire mieux que luy, lors qu'il escrit tout comme nous, et faschons-nous J qu'à son âge il ait encore un Escrivain chez luy, puisque nos œuvres en seront u plus lisibles ; nous devrions, au contraire, recevoir les advertissemens moraux qu'il nous débite avec respect ' et n'en douter, non plus que de l'Evangile ; car on peut bien penser m que ce ne sont pas des choses inventées qu'il ait inventées. A la vérité, c'est entretenir une imprimerie à bon marché que d'avoir un amy de la sorte. Pour moy, je m'imagine, à la barbe" de tous ces beaux" manuscrits, que si quelque jour à l'agonie je fais restitution du bien d' autrui, nous trouverons après a) 1654 : homme. — b) point du tout, il n'est rien moins qu'homme. — c) outre. — d) ennuy. — e) main. — /) que. — g) par compagnie, tombe sur mon oreille. Ha ! — h) plus. — i) Pour moy, ce qui m'offense en mon particulier (car vous sçavez que j'ay un esprit vengeur de torts, et fort enclin à la justice distributive) c'est de voir. — f) tournons en ridicule. — h) puisqu'il ne nous fait point en cela d'autre mal que de rendre nos œuvres. — l) avec respect tant de sages advertissemens moraux dont il tasebe de réprimer les emportemens de nostre jeunesse. Ouy, certes, nous devrions y adjouster plus de foy. — ni) tout le monde sçait. — n) en dépit. — 6) grands. (1) Ms., f. 123'. — Œuvres diverses, 165k. Lettres satyriques, VII (pour VIII) : Contre un pilleur de pensées, p. 144. — Qui est ce La Motbe ? Ce serait son ami La Mothe Le Vayer, le fils du Philosophe. Il l'accuserait de plagiat comme il en a accusé Chapelle, Dassoucy, etc , et cela tout simplement pour se donner quelque relief! — Richelet dans son Recueil des plus belles lettres françaises [1698) a fait subir au texte de Cyrano plusieurs changements pour satisfaire son inimitié contre Das- soucy : « Vous avez tort, Monsieur, de vous estomaquer que le bon Dassoucy pille vos sentiments » 192 LETTRES SATYRIQUES sa mort ' une bibliothèque de papier blanc. Je trouve pourtant qu'il prouve mal la noblesse b de ses pensées de n'en tirer l'antiquité que d'un homme qui vit encore ; mais possible veut-il par là conclure à la Métempsicose, et montrer que quaud il se serviroit des imaginations de Socrate, il ne les voleroit point pour ce qu'il a esté ce Socrate qui les imagina ; et puis n'a- t-il pas assez de mémoire pour estre riche de ce bien-là seul? Comment! il l'a si grande qu'il se souvient de ce qu'on a dit trente siècles auparavant qu'il fut au monde. Quant à moy qui suis un peu moins souffrant que les morts, obtenez de luy qu'il me permette de dater mes pensées, afin que ma postérité ne soit point douteuse. Il y eut jadis une Déesse Echo, mais je crois quil en est le Dieu, car c il ne dit comme elle d que ce que les autres ont dit et le répète si mot à mot, que transcrivant [l'autre jour] une de mes Lettres [il appelle cela composer], il a de la peine" de mettre vostre serviteur de La Mot/te', parce qu'il y void7- au bas, Vostre Serviteur, de Bergerac. CONTRE SCARRON, POËTE BURLESQUE (1) Monsieur. Vous me demandez ce que je pense de ce poète Renard, qui trouve les mûres trop vertes où il ne sçauroit atteindre, je vous réponds h que je n'ay jamais veu de ridicule plus sérieux, ny de sérieux plus ridicule que le sien. Le peuple l'approuve ; après cela, concluez ! Ce n'est pas [toute- fois] que je n'estime son jugement d'avoir choisi pour escrire un style mocqueur, puisqu'on vérité escrire comme il fait, c'est se mocquer du monde, car de m'objecter ' qu'il travaille d'une façon où il n'a personne pour guide, je vous Vadvoue, mais aussi, par vostre foy ' , n'est-il pas plus aysé de faire « L'Enéide » de Virgile comme Scarron , que de faire « L'Enéide » de Scarron comme Virgile ? A la vérité, je n'ay jamais entendu grenouille mieux coasser dans les Marais. Je sçay bien que k vous me repro- a) 1654 : après la mort, on inventorie le Cabinet de ses Livres, c'est-à-dire de ceux qui sont sortis de son génie, tous ses ouvrages ensemble, ostant ce qui n'est pas de luy, composeront. — b) Il ne laisse pas de vouloir s'attribuer les dépouilles des morts, et de croire inventer ce dont il se souvient ; mais de cette façon il prouve mal la noble extraction. — c) celuy-cy sans doute en doit estre le Dieu, car de mesme qu'elle,. — d) jamais. — e) il eut toutes les peines du monde à s'empeseber. — /) Beau- lieu. — g) avoit. — h) quel jugement je fais, de ce Renard, à qui semblent trop vertes les mûres où il ne peut atteindre; je pense que, comme on arrive à la connois- sance d'une cause par ses effets, qu'ainsi pour connoistre la force ou la foiblesse de l'esprit de ce personnage, il ne faut que jelter la veuë sur ses productions : Mais je parle fort mal de dire ses productions, il n'a jamais sceu que détruire, tesmoin le Dieu des Poëtes de Rome qu'il fait encore aujourd'buy radoter. Je vous advoùeray donc, au sujet sur lequel vous désirez avoir mon sentiment. — i) Ses Partisans ont beau crier pour eslever sa gloire. — j) leur confesse; mais qu'ils mettent la main sur leur conscience! En vérité. — k) Pour moy, je m'imagine, quand il se mesle de profaner le sainct art d'Apollon, entendre une grenouille fasebée coasser au pied du Parnasse. (1) Ms., f. 191. — Œuvres diverses, 165k. Lettres satyriques, X (pour XI), p. 160. Dans les éditions postérieures : Contre Ronscar. LETTRES SATYRIQUES 193 cherez [peut-estre] que je traite un peu mal ce Monsieur * de le réduire à l'insecte, mais sçac/iez que je ne le dessine que sur le rapport de ses fami- liers, qui protestent que ce n'est pas un vray homme, que ce n'est que façon, et b, en effet, à quoy le reconnoistrions-nous ? Il marche à rebours du sens commun et il en est venu à ce point de bestialité que de banir les pointes [et les pensées] de la composition quand il en trouve quelque part % on diroit à le voir* qu'il soit tombé des yeux sur un basilic, ou du pied e sur un aspic. O que je suis fasc/ié que toutes celles des beaux esprits ne soient en cliardons, peut-estre ne luy desplairoient-elles pas à jeun f, car entre vous et moy, lors qu'il fait semblant [de sentir] qu'une pointe le pique, je ne me puis empescher de croire que c'est pour se justifier de ladrerie, et il se pourroit bien faire, mais enfin g ladre ou non, je le lairois en patience s'il ne se mesloit point d'ériger h des trophées à la stupidité, en l'appuyant de son exemple. Comment ! ce bon Seigneur veut qu'on n'escrive que ce qu'on a leu, comme si nous ne parlions aujourd'huy françois qu'à cause que jadis on a parlé latin, et comme si on n'estoit raisonnable que quand on est moulé. Nous devons donc bien remercier Dieu de ce qu'il ne l'a ' pas fait naistre le premier homme, car asseurémenti il n'eut jamais parlé s'il eust entendu braire auparavant. Il est vray qu'il se sert d'un tiercelet k d'idiome qui donne tousjours à admirer ' comment les vingt-quatre lettres de l'alpha- bet se peuvent assembler en tant de façons sans rien dire ! Après cela, vous me demanderez le jugement que je fais de ce grand causeur m. Hélas ! Monsieur, aucun, sinon qu'il faut que sa vérole" soit bien enracinée de n'en estre pas encore guéry depuis plus de huit ° ans qu'il a le flus de bouche ! Mais à propos de sa vérole, on dit p qu'il n'a de l'esprit que depuis qu'il en est malade, que sans qu'elle a désordonné * l'ceconomie de son tempéra- ment, Nature l'avoit r taillé pour estre un grand sot, et que rien n'est capa- ble d'effacer l'encre dont il a barbouillé son nom au front de V Immortalité qu'une once de mercure. On adjoAle s à cela qu'il ne vit qu'à force de mou- rir, parce que cette mesclerie que le bordel ne luy a pas donnée pour rien ', il la revend tous les jours à Quinet \ Mais ce sont des mocqueurs, car je a) 1654 : cet Àutheur. — b) ne l'ayant jamais veu, puisque vous m'obligez à faire son Tableau, je ne sçaurois, pour le peindre, agir d'autre façon, que de suivre l'idée que j'en ay receue de tous ses amis. Il n'y en a pas un qui ne tombe d'accord que, sans mourir, il a cessé d'estre homme, et n'est plus que façon. Mais. — c) des ouvrages. Quand par malheur en lisant, il tombe sur quelqu'une. — d) lhorreur dont il est surpris. — e) qu'il a marché. — /) Si la terre n'avoit jamais connu d'autres pointes que celles des chardons, la Nature l'a formé de sorte qu'il ne les auroil pas trouvées mauvaises. — g) afin de nous persuader qu'il n'est pas ladre, mais. — A) n'érigeoit point. — t) nous sommes donc beaucoup obligez à la Nature de ne l'avoir. — y) indubitablement. — h) que pour faire entendre ses pensées, il employé une espèce. — l) force tout le monde à s'eslonner. — m) cet homme qui, sans rien dire, parle sans cesse? — n) son mal. — o) quinze. — p) son infirmité, on croit, comme un miracle de ce sainct homme. — y) la maladie a troublé. — r) il estoit. — s) la Mémoire, puisque le Mercure et l'Archet n'en ont pu venir à bt>ut. Les railleurs adjoùtent. — t) drogue de Naples (2) qui lui a cousté bonne, et qui l'a fait monter au nombre des Autheurs. (1) Toussainct Quinet, libr , 1625-1650. — (2) Le mal de Naples, la syphilis. 194 LETTRES SATYRIQUES sçay bien que', pourveu que rien ne manque à sa chaire, qu'il roulera tous- jours le beau Sire, avec ce pot pourri de proverbes qu'il a pour tout potage, il doit supplier Dieu dévotement qu'il ne prenne jamais envie à Denise au grand chaperon d' introduire de nouvelles sentences à la place des vieilles : car on ne sçauroit plus dans b quatre mois en quelle langue il auroit escrit. Mais, hélas, en ce terrestre séjour, qui peut répondre de son immortalité' quand elle dépend de la colère des harangères. Cette réflexion me d fait juger nonobstant des oppositions qu'il auroit besoin de pointes pour haster sa Renommée, autrement si elle marche quand et luy, elle n'ira pas loin6. Com- ment, les Grecs ont moins esté1 de temps au siège de Troye qu'il n'y en a6 qu'il est sur le sien ! A le voir sans bras et sans jambes, on le prendroit (si sa bouche b estoit immobile) pour un Terme attaché au portail ' du Tem- ple de la Mort ! Mais toutefois je trouve qu"\\ fait bien de parler, on ne croyroit pas1, sans cela, qu'il fust en vie. N'apréhende-t-il point de faire penser aux rieurs que, veu le temps qu'il y a qu'il dure k sous l'Archet*, il doit estre ' un bon violon. Ne vous imaginez pas, Monsieur, que je dise cecy m pour m'escrimer de l'équivoque, point du tout. Violon ou autre, à [curieusement] considérer le cadavre sec et coroié" de cette momie, je vous puis asseurer que si jamais la mort fait" Sarabande, elle prendra à chaque main une couple de Scarrons au lieu de Castagnèles ; ou tout au moins elle se passera leurs langues entre les doigts pour en faire p des cliquettes de ladre3. Ma foy, puisque nous y q sommes [arrivez jusques-là], il vaut autant achever son portraict. Je m'imagine donc (car je ne Vay jamais veu r) que si ses pensées sonts au moule de sa teste, il a la teste fort plate ; que ses yeux sont des plus grands, s'ils bouchent les coups de hache dont a) 1654 : aux Libraires. Mais quoy qu'ils disent, il ne mourra jamais de faim, car. — b) je suis fort asseuré qu'il roulera jusqu'à la mort : S'il avoit mis ses Poesmes autant à couvert de la fureur de l'oubly, ils ne seroient pas en danger, comme ils sont, d'estre bientost inhumez en papier bleu (1). Aussi n'y a-t-il guères d'apparence que ce pot-pourri de Peaux d'asnes et de contes de ma Mère-L'oye, fasse vivre Scarron autant de Siècles que l'Histoire d'Enée a fait durer Virgile. Il me semble, au con- traire, qu'il feroit mieux d'obtenir un Arrest de la Cour qui portant commandement aux Harangères de parler tousjours un mesme jargon, de peur qu'introduisant de nouveaux rébus à la place des vieux, on ne doute avant. — c) éternité dans la mémoire des hommes. — d) vicissitude de leurs proverbes. Je vous asseure que cette pensée m'a. — e) plusieurs fois, que les chevaux qui traisnent le char de la Renom- mée auroient besoin qu'il se servit de pointes pour la faire avancer; autrement elle porte la mine, si elle marche aussi lentement que luy, de ne pas faire un long voyage. — /) demeuré moins. — g) ne s'en est passé depuis. — h) langue. — ï) planté au Parvis. — j) pourroit pas croire. — k) et je me trompe fort, si tout le monde ne disoit de luy, après l'avoir oùy tant crier. — t) que c'est — m) le boure ainsi. — n) squelette. — ■ o) il prenoit envie à la Parque de danser une. — p) s'en servir, comme on se sert. — q) en. — /•) il faut bien se figurer les animaux que l'on ne montre pas pour de l'argent. — s) se forment. (1) Les livres se vendaient alors reliés, et les brochures couvertes de papier bleu. — (2) On appelait archet un appareil sudorifique dans lequel on enfermait le malade condamné au grand remède. — (3) Les ladres, pour obéir aux ordonnances de police, annonçaient leur approche, en agitant des cliquettes entre leurs doigs, afin que tout le monde eût le temps de s'éloigner d'eux, de leur contact, de leur haleine et même de leur regard, qu'on croyait contagieux (P. L.). LETTRES SATYRIQUES 195 Nature * a feslé son b cerveau. On dit c qu'il y a plus d'un an d que la Parque luy a tordu le Col sans le pouvoir estrangler, et que personne aujourd'hui/ ne le regarde, courbé comme il est, qui ne croye qu'il se penche petit à petit pour tomber doucement en V Autre Monde, et ces jours passez un de mes e amis m'asseura qu'après avoir contemplé ses bras tortus et pétrifiez sur ses hanches, il avoit pris ce f corps pour un gibet où le Diable avoit pendu une âme, ou qu'animant ce cadavre infect et pourri/, le Ciel avoit voulu Jetter unes âme à la voirie. Il ne doit pas s'offenser de ces saillies d'imagination, car quand je le ferois passer pour un monstre, depuis le temps que les apo- thicaires h sont occupez à ratisser le dedans de ' sa carcasse, ce doit estre un homme bien vuidé. Et puis*, que sçait-on si Dieu ne le punit point de la haine qu'il porte aux pensées, veu que sa maladie n'est incurable que de ce qu'il n'a jamais pu souffrir personne qui sceut bien panser. Je me figure que c'est aussi pour cela qu'il me hait avec si peu de raison : car on a remar- qué qu'il ne se donna pas le loisir de lire une page de mes œuvres, qu'il conclud qu'elles puoient le portefeuille. Mais k comment les eut-il regardées ' de bon œil, luy qui ne sçauroit mesme regarder le Ciel que de travers ' ? Adjoutez à cela qu'estant poivré comme il est, il n'avoit garde qu'il ne me trouvast fade, et pour vous parler franchement, je croy que c'estoit une nourriture trop forte pour son estomach indigeste. Ce n'est pas que je ne fusse bien aise quelque jour de m' abaisser jusqu'à luy, mais j'aurois peur, si le pied me manquoit, de tomber de trop haut ou qu'il fallut me servir du lan- gage d' Esope pour luy expliquer le françois. Voilà tout ce que j'avois à vous mander. Il ne me reste qu'à sinerm le « Je suis » en le faisant tomber mal a) 1654 : si la Nature les lui a fendus de la longueur, dont le coup de hache qui lui. — b) le. — c) adjoùte à sa description. — d) dix ans. — e) ses. — /) son. — g) et se persuada mesme qu'il pouvoit estre arrivé que le Ciel, animant ce cadavre infecté et pourry, avoit voulu pour le» punir des crimes qu'il n'avoit pas commis encore, jetter par avance son — /;) Au reste, Monsieur, vous l'exhorterez de ma part, s'il vous plaist, de ne se point emporter pour toutes ses galanteries, par lesquelles je tasche de dérober sa pensée aux cruelles douleurs qui le tourmentent; ce n'est point à dessein d'augmenter son affliction ! Mais quoy ! il n'est pas facile de contraindre en son cœur toutes les véritez qui se pressent, et puis pour avoir peint le tableau de .son visage mal basty, n'est-il pas manifeste à chacun que depuis le temps que les médecins. — i) curer. — j ) Outre cela. — A) à ceux qui sçavent bien penser quand nous voyons sa maladie devenue incurable pour avoir différé trop longtemps de se mettre entre les mains d'une personne qui sçeut bien penser? Je me persuade que c'est aussi en conséquence de cela que ce Cerbère enragé vomit son venin sur tout le monde : car j'ay appris que quelqu'un luy dépliant un Sonnet qu'il disoit (n'en estant pas bien informé) estre de moy, il tourna sur lui des yeux qui l'obligèrent de le replier sans le lire : mais son caprice ne m'estonne guères, car. — /) eut-il pu voir cet ouvrage. — m) Vous jugez donc bien à présent que son mespris m'importe comme rien, et que ç/auroit esté un petit miracle si mon Sonnet qui passe pour assez doux, n'avoit pas semblé fade à un homme poivré. Mais je m'apperçoy que je vous traite un peu familièrement, de vous entretenir d'un sujet si bas. Au reste, je vous conseille de vous passer de l'aymable Comédie que vous vous donneriez en luy montrant uia lettre, ou bien faites-vous instruire de la langue qu'cntendoit Esope pour luy expliquer le François. Voilà une partie de ce que j'avois à vous mander; l'autre consiste à signer. (1) Ici Cyrano a introduit dans l'imprimé un éloge enthousiaste du cardinal Mazarin. On le trouvera à la suite de cette lettre. 196 LETTRES SATYRIQUES à propos, car il est * tellement ennemy des pensées que s'il attrape ma let- tre, il dirah que je l'auray mal conclue lorsqu'il trouvera0 que je n'auray pas mis [à la fin] sans y bien penser, [je suis] Monsieur, vostre serviteur. Voici le paragraphe sur Mazarin ajouté dans l'imprimé de 1654, c'est un éloge dithyrambique du Cardinal. Cet éloge, postérieur à 1651 ou tout au moins aux derniers mois de 1650, étant donné la date du manuscrit de la Bibliothèque nationale, est en contradiction absolue avec les mazarinades écrites par Cyrano au début de 1648, et confirme notre hypothèse, appuyée sur sa Lettre contre les Frondeurs, que notre libertin est passé dans le courant de 1651 (ou en 1652) aux gages de Mazarin : « Luy (Scarron) qui, persécuté de trois fléaux, ne reste sur la terre que pour estre aux hommes un spectacle continuel de la vengeance de Dieu ; luy dont la calomnie et la rage ont osé répandre leur escume sur la pourpre d'un Prince de l'Eglise (Mazarin) et tasché d'en faire rejaillir la honte sur la face d'un Héros qui conduit heureusement sous les auspices de Louys le premier Estât de la Ghrestienté ! Enfin tout ce qui est noble, auguste, grand, et sacré, irrite à tel point ce monstre que, semblable ou Godinde aussi bien en sa difformité qu'en son courroux, il ne peut supporter la vue d'un Chapeau d'escarlate sans entrer en fureur, quoy que sous ce Chapeau la France glorieuse repose à couvert de ses ennemis. » A UN COMTE DE BAS ALOY(l) (Charles Griveau, sieur de Luroy) Monsieur, je ne sçay quelle bonne humeur de la Fortune ait voulu qu'au mesme temps que vous lisiez mes informations, on me faisoit voir les vostres, où il est avéré, par tesmoins irréprochables, que Charles Gri- veau, sieur de Luroy d, Comte depuis trois jours, Comte fait à plaisir, Comte pour rire, enfin si petit Comte qu'il ne l'est point du tout, vouloit s'ériger en brave, malgré les salutaires conseils de son tempérament paci- fique ; qu'il s'estoit si fort aguerry à la bataille des manchettes que, s'estant imaginé qu'un duel n'aboutissoit au plus qu'à la consommation d'une demie-aulne de toile, il croyoit avoir trouvé dans le linge de sa femme la matière de mille combats ; qu'il n'avoit jamais esté sur le pré que pour paistre ; [et enfin] qu'il n'avoit reçu le baptesme qu'en conséquence de celuy que l'on donne aux cloches. Et à fin d'exprimer en deux mots les conclu- sions du procès-verbal de Charles Griveau, qu'il estoit un faquin, un sot et un lasche. Sus donc, efforcez-vous, mon pauvre petit monsieur c, grincez les o) 1654 : parce qu'il est. — b) si quelque jour cette lettre totuboit entre ses mains, il prescheroit partout — c) si après qu'il auroit trouvé. — d) qu'un. — e) Sus donc, etïorcez-vons, beau Damoisel, aux armes fées. (1) Ms., f. 198' Œuvres diverses, Ï654. Lettres satyriques, XV (pour XVI), p. 191. LETTRES SATYRIQUES 197 dents, mordez vos doigts, tapez du pied, jurez un « par la mort » et tas- chez de devenir courageux ! Je ne vous conseille pas, toutefois, de rien hasarder que vous ne soyez asseuré qu'il vous soit venu du cœur ; tastez- vous bien auparavant, afin que, selon qu'il vous en dira, vous présentiez la poitrine à l'espée ou le dos au baston ; mais vous vous soumettrez au dernier, je le voy bien \ Il ne tuë que fort rarement, et puis il n'est pas vraysemblable que madame de Pont-Courlay b, qui vous a fait l'honneur d'ériger vostre fief en Comté et qui dit tant de bien de vous, ait fait de vous un méchant Comte. Je suis fasché que vous n'entendiez mieux le françois : vous jugeriez à ce compliment qu'on vous coupe du bois ; et, par ma foy I vous auriez deviné, car je vous proleste, si les coups de bas- ton pouvoient s'envoyer par escrit, que vous liriez ma Lettre des espaules et que vous y verriez un homme, armé d'un tricot, sortir visiblement de la place où j'ay accoustumé de mettre, [Monsieur], vostre [serviteur], S. D. B. CONTRE LES MÉDECINS (1) Monsieur, Puis que je suis condamné (mais ce n'est que du Médecin, dont j'ap- pelleray plus aisément que d'un Arrest Prévostal), vous voulez bien que, de mesme que les Criminels qui preschent le peuple quand ils sont sur l'eschelle, moy qui suis entre les mains du Bourreau, je fasse aussi des remontrances à la jeunesse. La fièvre et le drogueur me tiennent le poi- gnard sur la gorge avec tant de rigueur, que j'espère d'eux qu'ils ne souf- friront pas que mon discours vous puisse ennuyer. Il ne laisse pas, Mon- sieur le Gradué, de me dire que ce ne sera rien, et je proteste cependant à tout le monde que, sans miracle, je n'en puis relever. Leurs présages, toutesfois, encore que funestes, ne m'alarment guère, car je connois assez que la souplesse de leur art les oblige à condamner tous leurs malades à la mort, afin que, si quelqu'un en eschappe, on attribue la guérison aux puissans remèdes qu'ils ont ; et s'il meurt, chacun s'écxne que c'est un habile homme et qu'il l'avoit bien dit. Mais admirez l'effronterie de mon Bourreau : plus je sens empirer le mal qu'il me cause par ses remèdes et plus je me plains d'un nouvel accident, plus il tesmoigne s'en réjouyr et ne me panse d'autre chose que d'un « Tant mieux ! «.Quand je luy raconte que je suis tombé dans une syncope léthargique qui m'a duré près d'une heure, il répond que c'est bon signe I Quand il me void entre les ongles d'un flux de sang qui me déchire : « Bon ! dit-il, cela vaudra une saignée I » Quand je m'attriste de sentir comme un glaçon qui me gagne toutes les extrémi- tez, il rit en m'asseurant qu'il le sçavoit bien, que ses remèdes esteindroient a) 1654 : Car. — b) la Reyne des Perles. (1) Œuvres divtrsts, 165k. Lettres satyriques, XVII, p. 197. i3 198 LETTRES SATYRIQUES ce grand feu. Quelquefois mesrae que, semblable à la Mort, je ne puis parler, je l'entends s'écrier aux miens qui pleurent de me voir à l'extré- mité : « Pauvres nigauds1 que vous estes, ne voyez-vous pas que c'est la fièvre qui tire aux abois ? » Voilà comment ce traistre me berce, et cepen- dant, à force de me bien porter, je me meurs. Je n'ignore pas que j'ay grand tort d'avoir réclamé mes ennemis à mon secours. Mais quoy ! Pou- vois-je deviner que ceux dont la science fait profession de guérir l'ern- ployeroient toute entière à me tuer? Car hélas ! c'est icy la première fois que je suis tombé dans la fosse; et vous le devez croire, puisque si j'y avois passé quelqu'autrefois, je ne serois plus en estât de m'en plaindre. Pour moy, je conseille aux foibles lutteurs, afin de se vanger de ceux qui les ont renversez, de se faire Médecins, car je les asseure qu'ils mettront en terre ceux qui les y avoient mis. En vérité, je pense que de songer seulement quand on dort qu'on ren- contre un Médecin est capable de donner la fièvre. A voir leurs animaux étiques, affublez d'un long drap mortuaire, soustenir immobilement leur immobile Maistre, ne semble-t-il pas d'une bière où la Parque s'est mise à califourchon, et ne peut-on pas prendre leur houssine pour le guidon de la Mort, puisqu'elle sert à conduire son Lieutenant ? C'est pour cela, sans doute, que la Police leur a commandé de monter sur des Mules, et non pas sur des Cavales, de peur que la race des Graduez venant à croistre, il n'y eut à la fin plus de Bourreaux que de Patiens. 0 ! quel contentement j'aurois d'anatomiser leurs Mules, ces pauvres Mules qui n'ont jamais senly d'aiguillon, ny dedans, ny dessus la chair, parce que les espérons et les bottes sont des superfluitez que l'esprit délicat de la Faculté ne sçauroit digérer ! Ces Messieurs se gouvernent avec tant de scrupule, qu'ils font mesme observer à ces pauvres bestes (parce qu'elles sont leurs domesti- ques) des jeusnes plus rigoureux que ceux des Ninivites *, et quantité de très longs, dont le Rituel ne s'estoit point souvenu : ils leur attachent, par les diètes, la peau tout à cru dessus les os, et ne nous traitent pas mieux, nous qui les payons bien ; car ces Docteurs morfondus, ces Médecins de neiges, ne nous font manger que de la gelée. Enfin tous leurs discours sont si froids, que je ne trouve qu'une différence entre eux et les peuples du Nort, c'est que les Norvégiens ont tousjours les mules 3 aux talons, et qu'eux ont tousjours les talons aux mules. Ils sont tellement ennemis de la cha- leur, qu'ils n'ont pas si-tost connu dans un malade quelque chose de tiède, que, comme si ce corps estoit un Montgibel 4, les voilà tous occupez à sai- (1) Dans les éditions postérieures à 1654 : Pauvres gens. P. Lacroix croit que cette modification faite par Le Bret tient à ce que « Pauvres nigauds » furent taxés d'impiété ! ! ! Cette assertion est certainement fantaisiste. — (2) La pénitence des Ninivites provoquée par le prophète Jonas. — (3J Engelures. — Cyrano fait allusion à l'équipage ordinaire des médecins de Paris, qui allaient par les rues montés sur des mules. Guénaut, médecin de la reine, est le premier qui ait changé sa mule contre un cheval, ce qui fit dire à Boileau dans sa satire des Embarras de Paris, en 1669 : Guénaut sur son cheval en passant m éclabousse. — (4) Nom populaire de l'Etna. LETTRES SATYRIQUES 199 gner, à clystériser, à noyer ce pauvre estomach dans le Séné, la Casse, la Tisanne, et à débiliter la vie pour débiliter, disent-ils, ce feu qui prend nourriture tant qu'il rencontre de la matière ; de sorte que si la main toute expresse de Dieu les fait rajamber vers le monde, ils l'attribuent aussi-tost à la vertu des réfrigératifs dont ils ont assoupy cet incendie. Ils nous dérobent la chaleur et l'énergie de l'estre qui est au sang ; ainsi pour avoir esté trop saignez, nos Ames, en s'envolant, servent de volant aux palettes * de leurs chirurgiens. Hé ! bien, Monsieur, que vous en semble ? Après cela, n'avons-nous pas grand tort de nous plaindre de ce qu'ils demandent dix pistoles pour une maladie de huict jours ? N'est-ce pas une cure à bon marché où il n'y a point de charge d'âmes ? Mais confrontez un peu, je vous prie, la ressem- blance qu'il y a entre le procédé des drogueurs et le procez d'un criminel. Le Médecin, ayant considéré les urines, interroge le patient sur la selle et le condamne, le Chirurgien le bande et l'Apothicaire descharge son coup par derrière. Les affligez mesme, qui pensent avoir besoin de leur chi- cane, n'en font pas grande estime. A peine sont-ils entrez dans la chambre qu'on tire la langue au Médecin, on tourne le cul à l'Apothicaire et l'on tend le poing au Barbier*. Il est vray qu'ils s'en vangent de bonne sorte, il en coûte tousjours au railleur le Cymetière. J'ay remarqué que tout ce qu'il y a de funeste aux Enfers est compris au nombre de trois. On y void trois fleuves, trois chiens, trois juges, trois Parques, trois Gérions, trois Hécates, trois Gorgones, trois Furies. Les Fléaux dont Dieu se sert à punir les Hommes sont divisez aussi par trois : la peste, la guerre et la faim ; le monde, la chair et le Diable ; la foudre, le tonnerre et l'esclair ; la sai- gnée, la médecine et le lavement. Enfin trois sortes de gens sont envoyez au monde, tout exprès, pour martyriser l'homme pendant la vie : l'Advo- cat tourmente la bourse, le Médecin le corps, et le Théologien l'âme ; encore ils s'en vantent, nos Escuyers à mules ! car, comme un jour le mien entroit dans ma chambre sans autre explication, je ne luy fis que dire : «Combien? «.L'impudent meurtrier, qui comprit aussi-tostquejeluydeman- dois le nombre de ses homicides, empoignant sa grosse barbe, me répon- dit : « Autant ! ». Je n'en fais point, continua-t-il, la fine bouche, et pour vous montrer que nous apprenons, aussi bien que les escrimeurs, l'art de tuer, c'est que nous nous exerçons, de mesme qu'eux, toute nostre vie sur la tierce et sur la quarte 8 ». La réflexion que je fis sur l'innocence effron- tée de ce personnage fut que si les autres disent moins, ils en font bien autant ; que celuy-là se contentoit de tuer, et que ses camarades joignoient au meurtre la trahison ; que, qui voudroit escrire les voyages d'un Méde- (t) Cyrano joue sur le mot palette, qui veut dire à la fois une raquette de bois pour jouer au volant et une écuelle d'étuin pour recevoir le sang des saignées (P. L.). — (2) Les saignées étaient faites alors par le barbier, qui remplissait les fonctions de chirurgien et qui ordonnoit au patient de tendre le bras, au coup de lancette, en fermant le poing. — (3) Termes d'escrime et allusion à la fièvre tierce et ù la fièvre quarte 1res répandues uu temps de Cyrano. 200 LETTRES SATYRIQUES cin, on ne pourroit pas les compter par les Epitaphes seules de sa Paroisse ; et qu'enfin la fièvre nous attaque, le Médecin nous tue et le Prestre en chante. Mais ce seroit peu à Madame la Faculté d'envoyer nos corps au sépulcre, si elle n'attentoit sur nostre âme. Le Chirurgien enrageroit, plus- tost qu'avec sa charpie tous les blessez qui font naufrage entre ses mains ne fussent trouvez morts, couchez avec leurs tentes1. Concluons donc, Monsieur, que tantost ils envoyent et la mort et sa faux ensevelies dans un grain de mandragore, tantost liquéfiées dans le canon d'une Seringue, tantost sur la pointe d'une Lancette ; que, tantost, avec un juillet, ils nous font mourir en octobre, et qu'enfin ils sont accous- tumez d'envelopper leurs venins dans de si beaux termes, que dernièrement je pensois que le mien n'eut obtenu du Roy une Abbaye commendataire, quand il m'asseura qu'il m'alloit donner un Bénéfice de ventre. Ô ! qu'alors j'eusse esté resjoùy si j'eusse pu trouver à le battre par équivoque, comme fit une Villageoise à qui l'un de ces Bateleurs demandant si elle avoit du pouls, elle luy répondit avec force soufflets, et force esgratigneures, qu'il estoit un sot, et qu'en toute sa vie elle n'avoit jamais eu ny poux ny puces I Mais leurs crimes sont trop grands pour ne les punir qu'avec des équivo- ques ; citons-les en Justice de la part des Trépassez. Entre tous les humains, ils ne trouveront pas un Advocat ; il n'y aura Juge qui n'en convainque quelqu'un d'avoir tué son père ; et parmy toutes les pratiques qu'ils ont couchez au Cymetière,il n'y aura pas une teste qui ne leur grince les dents. Que les pussent-elles dévorer ! Il ne faudroit pas craindre que les larmes qu'on jetteroit de leur perte fissent grossir les rivières. On ne pleure aux trépas de ces gens-là que de ce qu'ils ont trop vescu. Ils sont tellement aimez qu'on trouve bon tout ce qui vient d'eux, mesme jusqu'à leur mort ; comme s'ils estoient d'autres Messies, ils meurent, aussi bien que Dieu, pour le salut des /tommes. Mais, bons Dieux ! n'est-ce pas encore là mon mauvais Ange qui s'approche? Ha ! c'est luy-mesme ! Je le connois à sa soutane: « Vade rétro Satanas ! Champagne, apportez-moy leBénistier; Démon gradué, je te renonce ! » O I l'effronté Satan ! Ne me viens-tu pas encore ordonner quelque aposume 2 ? Miséricorde ! c'est un Diable hugue- not, il ne se soucie point de l'Eau besnite ! Encore si j'avois des poings assez roides pour former un case-museau ; mais, hélas I ce quil m'a fait avaller s'est si bien tourné en ma substance qu'à force d'user de consom- mez, je suis tout consommé •moy-mesme. Venez donc vitement à mon secours, ou vous allez perdre, Monsieur, vostre plus fidèle serviteur, D. C. D. B. (1) Jeux de mots : tente, qui se prononce tante, est le nom de la charpie que le chirurgien met dans les plaies (P. L.). — (2) Aposume, pour aposème, décoction. II. LETTRES DIVERSES L'AUTOMNE (1) Monsieur. Ha ! • que j'aurois maintenant de plaisir à jurer b contre l'Automne, si je ne craignois de fascher le Tonnerre. Toutesfois, il ne sera pas dit que le Ciel me parle si haut sans que je luy réponde et sans que je fouette cette enragée saison qui le contraint de tuer avec un éclair, un tonnerre et un carreau, afin de mettre trois bourreaux dans une mort c : l'éclair s'al- lume pour esteindre nostre veuë à force de lumière, et, précipitant nos pau- pières sur nos prunelles, il nous fait passer de deux petites nuicts, de la largeur d'un double*, dans une autre aussi grande que l'Univers. L'air, en s'agitant, enflamme ses aposthuraes ; [en] quelque part où nous tour- nions la teste J, un nuage sanglant semble avoir déplié entre nous et le jour une tenture de gris brun doublée de tafetas cramoisy ; la Foudre engen- drée dans la nuë crève le ventre de sa mère et la nue, grosse de luy e, s'en délivre avec tant de douleur ' que les montagnes B les plus sauvages gémissent b aux cris de cet accouchement. L'Automne cependant, aux péchez ' de laquelle il ne manquoit plus que de faire imputer à son Créateur les vices de la Nature, fait au vulgaire nommer ce tintamarre les instrumens de la Justice de Dieu ; et admirez un peu, je vous prie, le bel ordre de cette Justice : Un misérable meurt, on l'enterre ; ce cadavre pourri dans son linceul s'exhale à travers le gazon de sa fosse, il monte et va se loger dans une nuë oh, s' estant endurcy par le choc, il crèvera peut-estre au pied d'un autel sur la teste de son fils qui prioit pour son âme. Mais quand il seroit vray qu'une chose si fresle fût le bras droit du Tout-Puissant3, il ne s'en suit pas pour cela qu'une saison destinée à la Foudre (c'est-à-dire à nous massacrer) k, soit plus agréable que les autres, ou bien il faut conclure que le temps le plus agréable1 de la vie d'un criminel est celuy de son exécution. Je croy qu'en suite de ce funeste Météore, nous pouvons passer au vin, puisque c'est un Tonnerre liquide, un courroux potable, et un trespas qui fait mou- rir les yvrognes de santé. Il est cause, le furieux, quelques abstinens que nous soyons, que la définition qu'Aristote a donnée pour l'homme d'animal raisonnable soit fausse ; au moins durant trois mois de l'année on peut dire a) 1654 : Il me semble. — b) bien du plaisir à pester. — c) luy qui, non content de nous tuer, n'est pas satisfait s'il n'assemble trois bourreaux différents dans uno mort, et s'il ne nous massacre tout à la fois par les yeux, par les oreilles, et par le toucher: c'est-à-dire par l'éclair, le tonnerre et le carreau. — d) veue. — e) en travail. — /) bruict. — g) roches. — h) s'ouvrent. — i) Il ne sera pourtant pas dit que cette orgueilleuse saison me parle si haut, et que je n'ose luy répondre : cette insolente, aux crimes. — y) Mais quand l'injustice de cent mille coups de Tonnerre seroit une production de la sagesse inscrutable de Dieu. — A) que la saison du Tonnerre, c'est- à-dire la saison destinée à châtier les coupables. — /) doux. (1) Ms. f. 107*. — Œuvres diverse», 165b : Lettre IV : Contre l'Automne, p. 21. — (2) Monnaie valant six deniers. 202 LETTRES DIVERSES du cabaret que c'est là' où l'on vend la folie par bouteilles, et je doute mesme s'il n'est point allé jusques dans les Cieux faire sentir ses fumées au Soleil, -voyant comme il se couche tous les jours de si bonne heure. La Terre en but tant au siècle de Copernic qu'elle s'en mit à pirouetter, et si maintenant b elle se meutcl, ce sont asseurément des SS que l'yvrognerie luy fait faire. Je ne laisse pas, néanmoins, d'aymer à voir l'eau-de-vie en abhorrant son père d, à cause qu'elle m'est un tesmoignage qu'on a forcé le vin de" rendre l'esprit*. Nous voylà donc [en ce temps] condamnez à mourir de soif, puisque nostre breuvage est empoisonné. Voyons si les fruicts se sont sauvez de la rage de décembre s. Hélas ! pour un seul [fruict] qu'Adam mangea, cent mille personnes moururent qui n'estoientpas encore, et s'il en eût entamé un second, il eût infailliblement chassé la Terre à trente lieues de là. Toute la Nature est à présent partagée au supplice de ces criminels; elle-mesme les monte à la fourche, l'arbre les Jette e la teste en bas, le vent les secoue [et] le Soleil les destache et les oy seaux se saoulent de leurs troncs pourris b. Après cela, Monsieur, ne trouvez pas mauvais que je me fasche ' qu'on dise : « Voilà du fruict en bon estât », car com- ment y pourroit-il estre, luy qui s'est pendu soy-mesme ? Icy tous les champs sont bornez par des fruictiers où les coups de pierre ' vont à l'of- frande, et n'est-ce pas une occasion de douter de l'innocence d'une race qu'on void u lapidée à chaque bout de champ ? A considérer combien ils nous sont pernicieux, je ne sçaurois m'imaginer ce que ce peut estre, sinon des Diables familiers plus ronds et moins mobiles que les autres ; le bois qui les produit a soin de cacher ce péché avec des feuilles, comme s'il n'avoit pas ' assez d'effronterie pour montrer à nud ses m parties honteuses ; mais main- tenant qu'il en est despouillé, et que sa verdure est tombée, on ne void plus de feuilles qu'à l'Université. Les vers, les araignées et les chenilles ont gai- gné le coupeau des arbres, et tout chauves qu'ils sont, ils ne laissent pas d'avoir" de la vermine à la teste. C'est encore là, sans doute, un des offices de l'Automne, qui, craignant que nous ne mourussions d'une seule mort, a) 1654 : pour ceux qui en boivent trop : mais ne vous semble-t-il pas qu'on peut dire du cabaret, que c'est un lieu. — b) Quelques Philosophes de ce Siècle en ont tant avalé, qu'ils en ont fait pirouetter la terre dessous eux, et si véritablement. — c) je pense que. — d) Pour moy je porte tant de haine à ce poison, qu'encore que l'eau- de-vie soit un venin beaucoup plus furieux, je ne laisse pas de luy pardonner. — e) qu'elle luy a fait. — /) nostre manger qu'elle nous estend sur la terre, comme sur une table, est moins dangereux que sa boisson. — g) l'arbre mesme est forcé par la Nature de commencer le supplice de ses enfans criminels, il les jette contre terre. — h) précipite. — i) désaprouve. — j) Aussi, à considérer comme les cailloux y. — A) de leur innocence puisqu'ils sont. — l) Ne voyez-vous pas mesme que les arbres en produisant les fruits, ont soin de les envelopper de feuilles pour les cacher, comme s'ils n'avoient pas. — m) leurs. - — n) Mais admirez encore comment cette horrible saison traite les arbres en leur disant Adieu : Elle les charge de vers, d araignées et de chenilles, et tout chauves qu'elle les a rendus, elle ne laisse pas encore de leur mettre. (1) La théorie de Galilée sur le mouvement de la Terre (elle date de 1633J n'était pas encore acceptée dans les écoles. — (2) « C'est là une pointe inattendue pour le lecteur moderne qui ne songe pas aux désignations Esprit de vin. Esprit de bois, usitées par l'ancienne chimie et abandonnées par les nomenclatures actuelles » (Juppont). LETTRES DIVERSES . 203 après nous avoir osté les alimens, nous a donné du venin* '. Que nous pou- voit-il rester de pur entre tant de choses dont l'usage nous est nécessaire, sinon possible un peu d'air ; mais elle l'a suffoqué de contagion. Aujour- d'hui la peste (cette maladie sans queue) tient la mort pendue à la sienne ; elle renverse l'œconomie du monde, jusqu'à faire bien souvent qu'un misé- rable né dans les haillons meurt couvert de pourpre, et jugez si le feu dont elle s'anime contre nous est ardent, quand il suffit d'un charbon sur un homme pour le consommer. Voilà, Monsieur, les trésors de cette gentille saison, avec qui vous pensiez avoir trouvé le secret de la corne d'abondance. Nous devrions détester les autres, à cause qu'elles la suivent ou la précèdent ; elles ont toutes, à son exemple, leur façon d'estropier ; en hyver, ne réclamons- nous pas Saint-Jean ; au printemps, Saint-Mathurin ; en esté, Saint-Hubert, et en automne, Saint-Roch ? Pour moy, je ne sçay qui me tient que je ne me fasse mourir de dépit de ne pouvoir vivre qu'en leur compagnie ; mais encore celle-ci, la dernière des quatre, grosse de foudres comme elle est, n'induit-elle pas à croire que toute l'année est un monstre qui aboie par les piedz ; que c'est une harpie affamée qui mord du feu, pendant que sa queue est dans l'eau qui se sauve d'un embrasement par un déluge et qui, vieille à quatre-vingts jours, est si passionnée pour l'hyver qu'elle expire en le baisant2 ; mais ce qui me semble de bien prodigieux, c'est que pour faire son image, je me suis abstenu de tremper mon pinceau dans le sang qu'elle verse depuis tant de lustres sur le visage de l'Europe, car je le devois faire pour la punir de ce qu'ayant prodigué des fruicts à tout le monde, elle ne m'en a pas encore donné un qui puisse vous dire, après ma mort, je suis vostre Serviteur. DESCRIPTION DE L'AQUEDUC, OU LA FONTAINE D'ARCUEIL (3) A nos amis les buveurs d'eau Dans cette lettre assez longue, la seconde sur la Fontaine d'Arcueil, nous n'avons cru devoir relever que les deux para- a) 1654: Nommez-vous cela des présens d'une bonne mère à ses enfans et mérite- t-elle que nous la remercions après nous avoir osté presque tous les alimens [utiles] : mais son dépit passe encore plus outre, car elle tâche d'empoisonner ceux qui ne sont pas morts de faim, et je n'avance rien que je ne prouve. (1) Cyrano a refait toute la fin de cette lettre, sans en changer les idées, aussi est-il inutile de donner ici les variantes. — (2) « Pointe burlesque suscitée par la situation astronomique de l'automne entre l'été et l'hiver » (Juppont). — (3) Ms. f. 142. — Œuvres diverses, 16ô'j . Lettre VI. Description de l'aqueduc, p. 32. — Il y a deux lettres, la première est précédée de la note suivante : « Cette Lettre d'Arcueil ayant esté perdue, l'Autheur longtemps après en fit une autre ; mais comme il ne se souve- noit presque plus de la première, il ne rencontra pas les mesmes pensées. Depuis, il retrouva la perdue, et comme il est assez ennemi du travail, il ne crût pas que le sujet fut digne d'épurer chuque Lettre, en ostant de chacune les imaginations qui se 204 LETTRES DIVERSES graphes suivants, qui ont été modifiés dans l'imprimé de 1654 : « Mais d'où vient qu'à Rongis, pour un peu de sable qu'elle a dans les reins, elle (la Fontaine d'Arcueil) n'urine que goutte à goutte, et que dans Arcueil, où elle est atteinte de la pierre, elle pisse par dessus les Montagnes ? Encores ce ne sont là que de ses coups d'essay ; elle fait bien d'autres miracles ; elle se glisse éternellement hors de sa peau, et n'achève jamais d'en sortir, qu'elle fait plus que le Boy quand il guérit à Paris des malades en les touchant, car elle guérit tous les jours* d'un seul regard plus de quatre cens mille altérez. Elle se morfond » La Nature mesme, qui est la Mère de cette claireh fille, a, ce semble, eu si peur que quelque chose ne manquât aux pompes de sa réception qu'à tous les hommes elle a donné à chacun un palais pour la recevoir ; aussi je riay garde de croire que, par un sacrilège horrible, elle soit venue dans l'Université donner le flus de bouche à Sainct-Michel, à Sainct-Cosme, à Sainct-Benoist, à Sainct-Séverin ' ; au contraire, je croy avec certitude que se sentant à l'extrémité et proche de sa fin, elle vient elle-mesme aux Eglises demander ses sacremens" ; voilà tout ce que je puis dire à la louange de ce bel Aqueduc et de son Hoslesse » ÉLOGE D'UNE ROUSSE Cette lettre, très longue, a été qualifiée par Mr P. Brun « d'éblouissant badinage». Seuls le début et les dernières lignes ont été quelque peu modifiés par Cyrano pour l'édition des Œuvres diverses de i6'54 (lettre X : Pour une Dame rousse, p. 50). Nous reproduisons ici (en italique) l'unique passage libertin, qu'on trouve seulement dans le texte du manuscrit de la Bibliothèque nationale (f. 151 v) : « Mais si les exemples de la Mithologie ne satisfont pas les aheur- tez, qu'ils confrontent l'Histoire : Samson, qui tenoit toute sa force pen- due à ses cheveux, n'avoit-il pas reçu l'énergie de son miraculeux estre à) 1654 : sans jamais achever d'en sortir, et plus sçavante que les Docteurs de la faculté d'Hipocrate, tous les jours à Paris elle guérit. — b) belle. — c) mais cette belle n'abuse point des honneurs qu'on luy fait, an contraire, à peine est-elle arrivée à Paris, que pour les fatigues d'une trop longue course, se sentant à l'extré- mité, et prévoyant sa fin, elle courte S. Gosme, S. Benoist et S. Séverin pour obtenir leur bénédiction. (1) Noms des fontaines publiques que l'aqueduc d'Arcueil alimentait. pourroient rencontrer dans l'autre ». — L aqueduc romain d'Arcueil (Arcus Juliani) qui conduisait les eaux du Rungis à l'ancien palais des Thermes et dans toute la partie méridionale de Paris, était tombé en ruines, lorsque Marie de Médicis en fit construire un nouveau par son architecte Jean de Brosse. Cet aqueduc monumental, dont Louis XIII posa la première pierre, en 1613, et qui fut achevé en 1624, subsiste encore (P. L). LETTRES DIVERSES 205 dans le roux coloris de sa Perruque ? Les Destins n'avoient-ils pas attaché la conservation de l'empire d'Athènes à un seul cheveu rouge de Nisus ? Et Dieu n'eut-il pas envoyé aux Ethiopiens la lumière de la foy, s'il eût trouvé parmy eux seulement un rousseau ? On ne douleroit point de l'émi- nente dignité de ces personnes-là, si l'on considéroit que tous les hommes qui n'ont point esté faits d'hommes, et pour l'ouvrage de qui Dieu luy- niesme a choisy etpétry la matière, ont tousjours esté rousseaux : Adam ' fut rousseau, Jésas-C/irist fut rousseau, Judas mesme eut l'honneur d'cstrc l'instrument de nostre salut et de baiser le Messie en le trahissant, à cause qu'il estoit rousseau ; et Dieu ne le réprouva que faschc de voir qu'un homme qui n estoit que son estafier fut cependant plus rousseau que luy, et toute Philosophie bien correcte doit apprendre que la Nature, qui tend au plus parfait, essaye tousjours, en formant un homme, de former un rousseau, de mesme qu'elle aspire à faire de l'Or en faisant du Mercure, car, quoy qu'elle rencontre rarement, un Archer n'est pas estimé maladroit, qui, laschant trente flèches, en adresse cinq ou six au but » LE CAMPAGNARD (1) Nous ne reproduisons pas en entier cette lettre descriptive très longue et qui présente dans le manuscrit d'importantes variantes avec le texte des Œuvres diverses de 16bk ; nous nous contentons d'en donner le début, seul intéressant à notre point de vue, d'autant que la suite a été intercalée par Cyrano dans Les Estais et Empires de la Lune (Voir t. I, p. 21). « J'ay trouvé le Paradis d'Edem, j'ay trouvé l'âge d'or, j'ay trouvé la jeunesse perpétuelle, enfin j'ay trouvé la Nature au maillot; on rit icy de tout son cœur. Nous sommes grands cousins le Porcher du village et moy ; et toute la Paroisse m'assure que j'ay de grands avantages pour h bien chanter un jour au lutrin. 0 ! Dieux, Monsieur, pouvez-vous demeurer enfermé ; moy d'icy, j'incague les grimaces que vous faites à la Cour. Un c gentilhomme champestre est un Prince inconnu. Ild entend parler du Roy une fois l'année et ne le reconnoit, sinon e que par quelque vieux cousinage, qui le rend au moins petit-neveu de Louis d' Outre-mer. Si vous aviez veu le garçon' qui garde mes6 co-dindes, le ventre couché sur l'herbe, ronfler a) 1654 : qui, créé par la main de Dieu, devoit estre le plus accomply des hom- mes. — b) la mine, avec un peu de travail de. — e) un Philosophe comme vous peut-il préférer au repos d'une si agréable retraite, la vanité, les chagrins et les embarras de la Cour : Ha ! Monsieur si vous sçaviez qu'un. — d) qui n'. — e) connoist. — /) et si de la Cour où vous estes, vous aviez des yeux assez bons pour appercevoir jusques icy ce gros garçon. — g) vos. (1) Ms. f. 167*. — Dans les Œuvra diverses, i654 : D'une maison de campagne. Lettre XI, p. 59. 206 LETTRES DIVERSES paisiblement un somme de dix heures tout d'une pièce, se guérir de la /lèvre quarte avec' un quartier de lard jaune, dont il fait une doublure à son estomac/i, vous troqueriez sans doute vostre manteau d'hermine à son casaquin. Nous sommes, luy et moy, aussi grands maistres l'un que l'autre ; quand Je luy donne des soufflets, il me rend des nazardes ; encore suis-fe souvent contraint de demander la paix, car le coquin est plus puissant que moy et mes horions ne payent point ses taloches. Je me tiens pourtant le moins que je peux en proie à ses /nignardiscs. Le beau temps et mon humeur m entraisnent à la solitude : aussi, certes, il faut que ce lieu soit un chef- d'œuvre miraculeux de quelque agréable mélancolique b. On rencontre à la porte de la maison une estoile de cinq avenues... » LE DUELLISTE (1) Monsieur. Quoy que je me porte en homme qui crève de santé, je ne laisse pas d'estre malade depuis trois semaines que ma Philosophie est tombée à la mercy des Gladiateurs ; je suis incessamment travaillé de la tierce et de la carte ; j'aurois perdu la connoissance du papier si les Cartels s'escrivoient sur autre chose. Je ne discerne déjà plus l'encre d'avec le noir à noircir. Et enfin, pour vous faire response, j'ay presque esté force de vous escrire avec mon espée, tant il est glorieux d'escrire mal parmy des personnes dont les plumes ne se taillent point. Il faudroit, je pense, que Dieu accomplit quelque chose d'aussi miraculeux que le souhait de Caligula, s'il vouloit finir mes querelles. Encore quand tout le genre humain seroit érigé en une teste ; quand de tous les vivans il n'en resteroit qu'un, ce seroit encore un Duel qui me resteroit à faire. Vrayment, vous auriez grand tort de m'appeler maintenant le premier des hommes, car je vous proteste qu'il y a plus d'un mois que je suis le second de tout le monde. Il faut bien que vostre départ ayant déserté Paris, l'herbe ait crû par toutes les rues, puisqu'en quelque lieu que j'aille je me trouve tousjours sur le pré, Cependant ce n'est pas sans risque ; mon portrait, que vous fistes faire, a esté trouvé si beau qu'il a pris possible envie à la Mort d'en avoir l'original. Elle me fait à ce dessein mille querelles d'Allemand. Je m'ima- gine quasi quelquefois estre devenu Porc-épic, voyant que personne ne m'approche sans se piquer, et l'on n'ignore plus, quand quelqu'un dit à son ennemi « qu'il s'aille faire piquer », que ce ne soit de la besongne qu'on a) 1654: d'une fièvre ardente en dévorant. — b) vous confesseriez que la douceur d'un repos tranquille ne se gouste point sous les lambris dorez. Revenez donc, je vous prie, à vostre solitude ; pour moy je pense que vous en avez perdu la mémoire : ouy, sans doute, vous l'avez perdue : Mais en vérité reste-t-il encore quelque sombre idée dans vostre souvenir de ce Palais enebanté, dont vous estes bany ? Ha je vois bien que non, il faut que je vous en envoyé le tableau dans ma lettre : escoutez-le donc, le voicy, car c'est un tableau qui parle. (1) Ma. fr. f. 196'. — Dans les Œuvres diverses, i654 : Lettre XV, p. 103. LETTRES DIVERSES 207 me taille. Ne voyez-vous pas aussi qu'il y a maintenant plus d'ombre sur notre Zénith* qu'à vostre départ, c'est à cause que depuis ce temps-là ma main en a tellement peuplé l'Enfer qu'elles regorgent sur la terre. A la vérité, ce m'est une consolation bien grande d'estre hay parce que je suis aymé ; de trouver par tout des ennemis parce que j'ay des amys par tout, et de voir que mon malheur vient de ma bonne fortune ; mais j'ay peur que cette démangeaison de gloire ne m'invite à porter mon nom jusqu'en Paradis. C'est pourquoy, pour éviter de si périlleux enthousiasmes b, je vous prie de venir promptement remettre mon âme en son assiette de phi- losophe, car il me fâcheroit fort qu'à vostre retour, au lieu de me trouver dans mon cabinet c, vous trouvassiez dans une église : Ci-gît, Cyrano de Bergerac. POUR LES SORCIERS (1) Monsieur. Il m'est arrivé une si estrange avanture depuis que je n'ay eu l'honneur de vous voir, que, pour y adjouster foy, il en faut avoir beau- coup plus que ce personnage qui, par la force de la sienne, transporta des Montagnes. Afin donc de commencer mon histoire, vous sçaurez qu'hyer, lassé sur mon lict de l'attention que j'avois prestée à ce sot livre que vous m'aviez autrefois tant vanté, je sortis à la promenade pour dissi- per les sombres et ridicules imaginations dont le noir galimatias de sa science m'avoit remply ; et comme je m'efforçois à déprendre ma pensée de la mémoire de ses contes obscurs, m'estant enfoncé dans vostre petit bois, après un quart-d'heure, ce me semble, de chemin, j'aperceus un manche de balay qui se vint mettre entre mes jambes, et à califourchon, bon gré mal-gré que j'en eusse, et je me sentis envoler par le vague de l'air ; or, sans me souvenir de la route de mon enlèvement, je me trouvé sur mes pieds au milieu d'un désert où ne se rencontroit aucun sentier; je repassé cent fois sur mes brisées ; mais cette solitude m'estoit un nouveau monde. Je résolus de pénétrer un peu plus loin ; mais sans apercevoir aucun obsta- cle, j'avois beau pousser contre l'air, mes efforts ne me faisoient rencon- trer par tout que l'impossibilité de passer outre ; à la fin, fort harassé, je tombé sur mes genoux; et ce qui m'estonna davantage, ce fut d'avoir passé en un moment de midy à minuit ; je voyois les Estoiles luire au Ciel avec un feu bluetant, la Lune estoit en son plein, mais beaucoup plus pasle qu'à l'ordinaire. Elle éclipsa trois fois, et trois fois dévala de son cercle, les vents estoient paraliliques, les fontaines estoient muettes, les oyseaux avoient oublié leur ramage, les poissons se croyoient enchâssez dans du verre ; tous les animaux n'avoient de mouvement que ce qui leur en falloit o) 1654 : orizon. — b) dangereuses prophéties. — c) dans le Ms , il y avait un cabaret, mais on a rayé ces deux mots pour mettre mon cabinet, qui est le texte de 1654. (1) Œuvres diverses, JG54 : Lettre XII, p. 66\ 208 LETTRES DIVERSES pour trembler ; l'horreur d'un silence effroyable qui régnoit par tout, et par toute la Nature serabloit estre en suspens de quelque grande avanture. Je meslois ma frayeur à celle dont la face de l'Orison paroissoit agitée, quand au clair de la Lune je vis sortir, du fond d'une caverne, un grand et vénérable Vieillard vestu de blanc, le visage basané, les sourcils touffus et relevez, l'oeil effrayant, la barbe renversée par dessus les espaules ; il avoit sur la teste un chapeau de Verveine et sur le dos une ceinture tissuë de fougère de May faite en tresse. A l'endroit du cœur estoit attachée sur sa robe une chauve-souris à demy-niorle, et autour du col un carcan chargé de sept différentes pierres précieuses dont chacune portoit le caractère du planète qui la dominoit. Ainsi mistérieusement habillé, portant à la main gauche un vase fait en triangle, plein de rosée, et de la droite une hous- sine de Sureau en sève, dont l'un des bouts estant ferré d'un meslange de tous les métaux, l'autre servoit de manche à un petit encensoir. Il baisa le pied de sa grote, puis après s'estre déchaussé, et arraché en gromelant certains mots du creux de la poitrine, il aborda le couvert d'un vieux chesne à reculons, à quatre pas duquel il creusa trois cernes l'un dans l'au- tre, et la terre, obéissante aux ordres du Négromantien, prenoit elle- mesme en frémissant les figures qu'il vouloit y tracer. Il y grava les noms des intelligences, tant du siècle que de l'année, de la saison, du mois, de la semaine, du jour et de l'heure, de mesme ceux de leurs Roys avec leurs chiffres différens, chacun en sa place propre, et les encensa tous, cha- cun avec leurs cérémonies particulières. Cecy achevé, il posa son vase au milieu des cercles, le découvrit, mit le bout pointu de sa baguete entre ses dents, se coucha la face tournée vers l'Orient, et puis il s'endormit. Environ au milieu de son sommeil, j'aperceus tomber dans le vase cinq graines de fougère. Il les prit toutes quand il fut éveillé, en mit deux dans ses oreilles, une dans sa bouche, l'autre qu'il replongea dans l'eau, et la cinquiesme il la jetta hors des cercles. Mais à peine celle-là fut-elle partie de sa main, que je le vis environné de plus d'un million d'animaux de mauvais augure, tant d'insectes que de parfaits. Il toucha de sa baguete un Chat-huant, un Renard et une Taupe, qui aussi-tost entrèrent dans les cernes en jettant un formidable cry. Avec un cousteau d'ayrain, il leur fendit l'estornach, puis leur ayant arraché le cœur, et envelopé chacun dans trois feuilles de laurier, il les avala. Il sépara le foye, qu'il espreignit dans un vaisseau de figure exagone ; cela fini, il recommença les suffumi- gations. Il mesla la rosée et le sang dans un bassin, y trempa un gand de parchemin vierge qu'il mit à sa main droite, et après quatre ou cinq heur- lemens horribles, il ferma les yeux et commença les invocations. Il ne remuoit presque point les lèvres, j'entendois néanmoins dans sa gorge un brouïssement comme de plusieurs voix entre-meslées. Il fut eslevé de terre à la hauteur d'une palme, et de fois à autre, il attachoit fort atten- tivement la veuë sur l'ongle indice de sa main gauche. Il avoit le visage enflambé et se tourmentoit fort. En suite de plusieurs contorsions espou- LETTRES DIVERSES 209 vantables, il chut en gémissant sur ses genoux ; mais aussi-tost qu'il eut articulé trois paroles d'une certaine oraison, devenu plus fort qu'un homme, il soutint sans vaciller les monstrueuses secousses d'un vent espouvanta- ble qui souffloit contre luy. Tantost par boufées, tantost par tourbillons, ce vent sembloit tascher à le faire sortir des cernes. Après ce signe, les trois ronds tournèrent sous luy. Cet autre fut suivi d'une gresle rouge comme du sang, et celuy-cy fit encore place à un quatriesme, beaucoup plus effroyable. G'estoit un torrent de feu qui brouïssoit en tournant et se divisoit par globes, dont chacun se fendoit en esclats avec un grand coup de tonnerre. Il fut le dernier, car une belle lumière blanche et claire dissipa ces tristes Météores. Tout au milieu parut un jeune homme, la jambe droite sur un aigle, l'autre sur un linx, qui donna au Magicien trois fioles pleines de je ne sçay quelle liqueur. Le Magicien luy présenta trois cheveux, l'un pris au devant de sa teste, les deux autres aux tempes ; il fut frappé sur l'espaule d'un petit baston que tenoit le Fantosme, et puis tout disparut. Ce fut alors que les Estoilles, blesmies à la venue du Soleil, s'unirent à la couleur des Cieux. Je m'allois remettre en chemin pour trouver mon vil- lage, mais, sur ces entrefaites, le Sorcier, m'ayant envisagé, s'aprocha du lieu où j'estois. Encore qu'il cheminast à pas lents, il fut plustost à moy que je ne l'aperçeus bouger, Il estendit sous ma main une main si froide, que la mienne en demeura fort long-temps engourdie. Il n'ouvrit ny la bouche, ny les yeux, et dans ce profond silence, il me conduisit à travers des mazures, sous les effroyables ruines d'un vieux chasteau deshabité où les Siècles, depuis mille ans, travailloient à mettre les chambres dans les caves. Aussitost que nous fusmes entrés, « Vante-toy, me dit-il (en se tournant vers moy) d'avoir contemplé face à face le Sorcier Agrippa, et dont l'âme (par métempsicose) est celle qui jadis animoit le sçavant Zoroastre, Prince des Bactriens. Depuis près d'un siècle que je disparus d'entre les hommes, je me conserve icy, par le moyen de l'or potable, dans une santé qu'aucune maladie n'a jamais interrompue. De vingt ans en vingt ans, j'avale une prise de cette médecine universelle qui me rajeunit, restituant à mon corps ce qu'il a perdu de ses forces. Si tu as considéré trois fioles que m'a pré- sentées le Roy des Démons ignés, la première en est pleine ; la seconde de poudre de projection, et la troisième d'huile de talc. Au reste, tu m'es bien obligé , puisqu'entre tous les mortels je t'ay choisy pour assister à des mystères que je ne célèbre qu'une fois en vingt ans. C'est par mes charmes que sont envoyez, quand il me plaist, les stérilitez ou les abondances. Je suscite les guerres, en les allumant entre les Génies qui gouvernent les Roys. J'enseigne aux Bergers la Patenostre du loup. J'aprens aux Devins la façon de tourner le sas. Je fais courir les ardans sur les marets et sur les fleuves pour noyer les voyageurs. J'excite les fées à danser au clair de la Lune. Je pousse les joueurs à chercher le 210 LETTRES DIVERSES trèfle à quatre, sous les gibets. J'envoye à rainuict les Esprits hors du cimetière, entortillez d'un drap, demander à leurs héritiers l'accomplisse- ment des vœux qu'ils ont faits à la mort. Je commande aux démons d'habi- ter les Chasteaux abandonnez, d'esgorger les passans qui y viendront loger, jusqu'à ce que quelque résolu les contraigne de luy montrer le tré- sor. Je fais trouver des mains de gloire aux misérables que je veux enri- chir. Je fais brûler aux voleurs des chandelles de graisse de pendu pour endormir les hosles pendant qu'ils exécutent leurs vols. Je donne la pistolle volante qui vient ressauter dans la pochette quand on l'a employée. Je donne aux laquais ces bagues qui les font aller et revenir de Paris à Orléans en un jour. Je fais tout renverser dans une maison par des Esprits folets, qui font culbuter les bouteilles, les verres, les plats, quoique rien ne se casse, rien ne se respande, et qu'on ne voye personne. Je montre aux vieilles à guérir la fièvre avec des paroles. Je resveille les villageois la veille de S. Jean pour cueillir son herbe à jeun et sans parler. J'ensei- gne aux Sorciers à devenir loups-garoux. Je les force à manger les enfans sur le chemin et puis les abandonne quand quelque cavalier leur coupant une patte (qui se trouve la main d'un homme), ils sont reconnus et mis au pouvoir de la Justice. J'envoye aux personnes affligées un grand Homme noir qui leur promet de les faire riches s'ils se veulent donner à luy- J'aveugle ceux qui prennent des Cédules, en sorte que quand ils deman- dent trente ans de terme, je leur fais voir le 3 devant le zéro que j'ay mis après. Je tors le col à ceux qui, lisant dans le grimoire sans le sçavoir, me font venir et ne me donnent rien. Je m'en retourne paisiblement d'avec ceux qui, m'ayant appelle, me donnent seulement une savate, un cheveu ou une paille. J'emporte des Eglises qu'on dédie les pierres qui n'ont pas esté payées. Je ne fais paroistre aux personnes ennuittées qui rencontrent les Sorciers allant au sabat qu'une troupe de chats dont le Prince est Mar- cou. J'envoye tous les coufédérez à l'offrande et leur présente à baiser le cul du bouc, assis dessus une escabelle. Je les traite splendidement, mais avec des viandes sans sel. Je fais tout évanoùyr si quelqu'Estranger, igno- rant des coustumes fait la bénédiction, et je le laisse dans un désert, au milieu des espines, à trois cens lieues de son pays. Je fais trouver, dans le lict des ribauts, aux femmes, des incubes, aux hommes, des succubes. J'en- voye dormir le cochemard, en forme d'une longue pièce de marbre, avec ceux qui ne se sont pas signez en se couchant ; j'enseigne aux Négroraan- tiens à se deffaire de leurs ennemis, faisant une image de cire et la piquant ou la jetant au feu pour faire sentir à l'original ce qu'ils font souffrir à la copie. J'oste, sur les Sorciers, le sentiment aux endroits où le bélier les a marquez de son sceau. J'imprime une vertu secrète à « nolite fieri » quand il est récité à rebours, qui empesche que le beurre ne se fasse. J'instruis les paysans à mettre sous le seuil de la bergerie qu'ils veulent ruiner une toupe de cheveux ou un crapaut, avec trois maudissons, pour faire mourir étiques les moutons qui passent dessus. Je montre aux Bergers à nouer LETTRES DIVERSES 211 l'éguillete le jour des nopces, lors que le Prestre dit « Conjungo vos ». Je donne de l'argent qui se trouve après des feuilles de chesne. .le preste aux Magiciens un démon familier qui les accompagne et leur défend de rien entreprendre sans le congé de Maistre Martinet. J'enseigne, pour rom- pre le sort d'une personne charmée, de faire pestrir legasteau triangulaire de Saint-Loup, et le donner par auinosne au premier pauvre qu'il trou- vera. Je guéris les malades du loup-garou, leur donnant un coup de four- che justement entre les deux yeux. Je fais sentir les coups aux Sorciers, pourveu qu'on les batte avec un baston de sureau. Je délie le moyne- bourru aux Advents de Noël, luy commande de rouler comme un tonneau ou traisner à minuict les chaisnes dans les rues, afin de tordre le col à ceux qui mettront la teste aux fenestres. J'enseigne la composition des brevets, des sorts, des charmes, des sigillés, des talismans, des miroirs magiques et des figures constellées. Je leur aprens à trouver le guy de l'an neuf, l'herbe de fourvoyement, les gamahez, l'emplastre magnétique. J 'envoyé le Gobelin, la mulle fefrée, le Alourdi, le roy Hugon, le conesta- ble, les hommes noirs, les femmes blanches, les lémures, les farfadets, les larves, les lamies, les ombres, les mânes, les spectres, les fantosmes ; enfin, je suis le diable de Vauvert, le Juif-Errant et le Grand veneur delà Forest de Fontainebleau1. Avec ces dernières paroles, le Magicien dispa- rut , les couleurs des objets s'esloignèrent , une large et noire fumée couvrit la face du ciimat, et je me trouvé sur mon lict, le cœur encore palpitant et le corps tout froissé du travail de l'âme. Mais avec une si grande lassitude qu'alors que je m'en souviens, je ne crois pas avoir la force d'escrire au bas de ma lettre, je suis, Monsieur, vostre serviteur. CONTRE LES SORCIERS (2) Monsieur. En bonne foy, ma dernière lettre ne vous a-t-elle point espouvanté ? Quoy que vous en disiez, je pense que le grand Homme noir aura pu faire quelque émotion, sinon dans vostre âme, au moins dans .quelqu'un de vos sens. Voilà ce que c'est de m'avoir autrefois voulu faire peur des Esprits ; ils ont eu leur revanche, et je me suis vangé malicieuse- ment de l'importunité dont tant de fois cous m'aviez persécuté " de recon- noistre les véritez de la Magie. Je suis pourtant fasché de la fièvre qu'on m'a escrit que cet horrible tableau vous a causée ; mais pour elfacer ma faute, je le veux effacer à son tour et vous faire voir sur la mesme toile la tromperie de ses couleurs, de ses traits et de ses ombres. Imaginez-vous donc qu'encore que par tout le inonde on ayt tant brûlé de Sorciers convaincus d'avoir fait pacte avec le diable, que tant de a) Var. des éditions posthumes : j'ay esté persécuté. (1) On retrouve tout ce passage dans Le Pédant joué, acte IV, scène I, dans la bouche de Corbinelli. — (2) (Jtiuvres diverses, 76Ô4 : Lettre XIII, p. 79. 212 LETTRES DIVERSES misérables ayent avoué sur le bûcher d'avoir esté au sabat, et que mesme quelques-uns, dans l'interrogatoire, ayent confessé aux juges qu'ils avoient mangé à leurs festins des enfans qu'on a, depuis la mort des condamnez, trouvez pleins de vie et qui ne sçavoient ce qu'on leur vouloit dire quand on leur en parloit; on ne doit pas croire toutes choses d'un homme, parce qu'un homme peut dire toutes choses, car quand mesme, par une permis- sion particulière de Dieu, une âme pourroit revenir sur la terre demander à quelqu'un le secours de ses prières, est-ce à dire que des Esprits ou des Intelligences, s'il y en a, soient si badines que de s'obliger aux quintes écervelées d'un Villageois ignorant ; s'aparoislre à chaque bout de champ, selon que l'humeur noire sera plus ou moins forte dans la teste mal tim- brée d'un ridicule Berger ; venir au leurre comme un Faucon sur le poing du Giboyeur qui le réclame, et selon le caprice de ce maraut, dancer la guimbarde ou les matassins ? Non, je ne croy point de Sorciers, encore que plusieurs grands personnages n'ayent pas esté de mon advis, et je ne deffère à l'authorité de personne, si elle n'est accompagnée de raison, ou si elle ne vient de Dieu, Dieu qui tout seul doit estre cru de ce qu'il dit, à cause qu'il le dit1. Ny le nom d'Aristote plus sçavant que moy, ny celuy de Platon, ny celuy de Socrate ne me persuadent point, si mon jugement n'est convaincu par raison de ce qu'ils disent. La raison seule est ma reyne, à qui je donne volontairement les mains*, et puis, je sçaypar expé- rience que les esprits les plus sublimes ont chopé le plus lourdement ; comme ils tombent de plus haut, ils font de plus grandes cheutes ; enfin, nos pères se sont trompez jadis, leurs neveux se trompent maintenant, les nostres se tromperont quelque jour. N'embrassons donc point une opinion à cause que beaucoup la tien- nent, ou parce que c'est la pensée d'un grand Philosophe, mais seulement à cause que nous voyons plus d'apparence qu'il soit ainsi que d'estre autre- ment. Pour moy, je me moque des Pédants qui n'ont point de plus forts arguments pour prouver ce qu'ils disent, sinon d'alléguer que c'est une maxime, comme si leurs maximes estoient bien plus certaines que leurs autres propositions. Je les en croyray pourtant s'ils me montrent une Phi- losophie dont les principes ne puissent être révoquez en doute, desquels toute la Nature soit d'accord, ou qui nous ayent esté révélez d'enhaut; autrement je m'en moque, car il est aisé de prouver tout ce qu'on veut (1) Comparer ce texte à celui des Estais et Empires de la Lune, T. I. p. 95. — (2) La prééminence de la raison avait été proclamée, avec une netteté qui ne peut être dépassée, plus de soixante-dix ans avant Cyrano par un demi-fou, Geoffroy Vallée, brûlé le 9 février 1574, dans son opuscule : La Béatitude des chrétiens ou le fléau de la foy (voir Mélanges, p. 5) ; aussi l'enthousiasme de M. Juppont est-il un peu excessif ; en tout cas il se trompe d'adresse s'il ne veut pas faire tort injustement aux précurseurs de Cyrano : « Cette dernière phrase mériterait dètre gravée au frontispice de toutes les écoles ; elle est l'expression parfaite du droit ou plutôt du devoir de libre examen, que l'homme ne devrait jamais abdiquer devant qui que ce soit ; elle est la négation absolue du principe d'autorité qui, en aucun cas, ne peut se substituer aux arguments de la raison. » M. Juppont sait-il lui-même quelle « raison » est la bonne, tant celle-ci est ondoyante et diverse suivant les individus ? LETTRES DIVERSES 213 quand on ajuste les principes aux opinions, et non pas les opinions aux principes. Outre cela, quand il seroit juste de defférer à l'authorité de ces grands hommes, et quand je serois contraint d'avouer que les premiers Philosophes ont estably ces principes, je les forcerois bien d'avouer à leur tour que ces Anciens-là, non plus que nous, n'ont pas toujours escrit ce qu'ils ont cru. Souvent les Loix et la Religion de leur pays les a con- traints d'accomoder leurs préceptes à l'interest et au besoin de la poli- tique. C'est pourquoi on ne doit croire d'un homme que ce qui est humain, c'est-à-dire possible et ordinaire ; enfin je n'admets point de Sorciers à moins qu'on me le prouve. Si quelqu'un par des raisonnements plus forts et plus pressans que les miens me le peut démontrer, ne doutez point que je ne luy dise : « Soyez, Monsieur, le bien venu ; c'est vous que j'atendois, je renonce à mes opinions, et j'embrasse les vostres ! » Autrement, qu'auroit l'habile par dessus le sot, s'il pensoit ce que pense le sot ? Il doit suffire au peuple qu'une grande âme fasse semblant d'acquiescer aux sentimens du plus grand nombre pour ne pas résister au torrent, sans entreprendre de donner des menotes à sa raison; au contraire un Philosophe doit juger le vulgaire, et non pas juger comme le vulgaire. Je ne suis point pourtant si déraisonnable qu'après m'estre soustrait à la tyrannie de l'authorité, je veuille establir la mienne sans preuve ; c'est pourquoy vous trouverez bon que je vous aprenne les motifs que j'ay eu de douter de tant d'effects estranges qu'on raconte des Esprits ; il me semble avoir observé beaucoup de choses bien considérables pour me débarrasser de cette chimère. Premièrement on ne m'a quasi jamais récité aucune histoire de Sor- ciers, que je n'aye pris garde qu'elle estoit ordinairement arrivée à trois ou quatre cents lieues de là. Cet esloignement me fit soupçonner qu'on avoit voulu dérober aux curieux l'envie et le pouvoir de s'en informer. Joignez à cela que cette bande d'hommes habillez en chats s'est trouvée au milieu d'une Campagne, sans tesmoins. La Foy d'une personne seule, doit estre suspecte en chose si miraculeuse ; près d'un village, il en a esté plus facile de tromper des idiots. C'estoit une pauvre vieille ; elle estoit pauvre : la nécessité l'a pu contraindre à mentir pour de l'argent ; elle estoit vieille : l'âge affoiblit la raison ; l'âge rend babillard : elle a inventé ce conte pour entretenir ses voisines ; l'âge affoiblit la veuë : elle a pris un Lièvre pour un Chat ; l'âge rend timide : elle en a cru voir cinquante au lieu d'un. Car enfin il est plus facile qu'une de ces choses soit arrivée, qu'on voit tous les jours arriver, qu'une aventure surnatu- relle, sans raison et sans exemple. Mais, de grâce, examinons ces Sorciers pris. Vous trouverez que c'est un Paysan fort grossier, qui n'a pas l'esprit de se desmesler des filets dont on l'embarrasse ; à qui la grandeur du péril assomme l'entendement en telle sorte, qu'il n'a plus l'âme assez présente pour se justifier ; qui n'oseroit mesrae répondre pertinemment, de peur de donner à conclure M 214 LETTRES DIVERSES aux préocupez que c'est le Diable qui parle par sa bouche. Si cependant il ne dit mot, chacun crie qu'il est convaincu de sa conscience, et aussitôt le voilà jette au feu. Mais le Diable est-il si fou, luy qui a bien pu autre- fois le changer en chat, de ne le pas maintenant changer en mouche, afin qu'il s'envole ? Les Sorciers (disent-ils) n'ont aucune puissance dès qu'ils sont entre les mains de la justice. 0 ! par ma foi ! cela est bien trouvé ; donc Maistre Jean Guillot, de qui le père a volé les biens de son pupille, s'est acquis par le moyen de vingt mille escus desrobez, que luy coûta son Office de Juge, le pouvoir de commander aux Diables ; vrayment les Diables portent grand respect aux Larons. Mais ces Diables au moins dévoient esloigner ce pauvre malheureux, leur très-humble serviteur, quand ils sceurent qu'on estoit en campagne pour le prendre : car ce n'est pas donner courage à personne de le servir, d'abandonner ainsi les siens ; pour des natures qui ne sont qu'Esprits, elles font de grands pas de Clerc. J'ay aussi remarqué que tous ces Magiciens prétendus sont gueux comme des Diogènes. 0 Ciel ! est-il donc vraysemblable qu'un homme s'exposast à brusler éternellement, sous l'espérance de demeurer pauvre, hay, affamé, et en crainte continuelle de se voir griller en place publique ? Satan lui donneroit, non des feuilles de chesnes, mais des pistolles de poids , pour achepter des Charges qui le mettroient à couvert de la Justice. Mais vous verrez que les Démons de ce temps-cy sont extrême- ment niays, et qu'ils n'ont pas l'esprit d'imaginer tant de finesses : Ce malautru Berger, que vous tenez dans vos prisons, à la veille d'eslre boûilly, sur quelles convictions le condamnez-vous ? On l'a surpris réci- tant la patenostre du Loup. Ha ! de grâce, qu'il la répète ; vous n'y remarquerez que de grandes sottises , et moins de mal qu'il n'y en a dedans une mort-diable', pour laquelle cependant on ne fait mourir per- sonne. Outre cela, dit-on, il a ensorcelé des troupeaux. Ou ce fut par paroles, ou par la vertu cachée de quelques poisons naturels. Par paroles, je ne crois pas que les vingt-quatre lettres de l'Alphabet couvent, dans la grammaire, la malignité occulte d'un venin si présent, ny que d'ouvrir la bouche, serrer les dents, apuyer la langue au palais, de telle ou telle façon, ayt la force d'empester les moutons, ou de les guérir. Car si vous me respondez que c'est à cause du pacte : Je n'ay point encore lu, dans la chronologie, le temps auquel le Diable accorda avec le genre humain que, quand on articuleroit de certains mots qui doivent avoir esté spécifiez au contract, il tûroit ; qu'à d'autres, il guériroit; et qu'à d'autres il viendroit nous parler ; et je veux qu'il en eût passé le concordat avec un particu- lier : ce particulier-là n'auroit pas le consentement de tous les hommes pour nous obliger à cet accord. A quelques sillables toutefois qu'un lour- daud, sans y penser, aura proférées, il avolera incontinent pour l'effrayer, (1) Phylactère, amulette préservatrice contre le diable. LETTRES DIVERSES 215 et ne rendra pas la moindre visite à une personne puissante, dépravée, illustre, spirituelle, qui se donne à luy de tout son cœur, et qui, par son exemple, seroit cause de la perte de cent mille âmes. Vous m'avouerez peut-estre que les paroles magiques n'ont aucun pouvoir, mais qu'elles couvrent sous des mots barbares la maligne vertu des simples, dont tous les enchanteurs empoisonnent le bétail? Hé bien, pourquoy donc ne les faites-vous pas mourir en qualité d'empoisonneurs et non pas de sorciers ? Ils confessent (répliquez-vous) d'avoir esté au sabat, d'avoir envoyé des Diables dans les corps de quelques personnes qui, en effet, se sont trouvées démoniaques. Pour les voyages du sabat, voicy ma créance : c'est qu'avec des huiles assoupissantes dont ils se grais- sent, comme alors qu'ils veillent, ils se figurent estre bientost emportez à califourchon sur un balai, par la cheminée, dans une salle où l'on doit lestiner, danser, faire l'amour, baiser le cul au bouc. L'imagination for- tement frappée de ces Fantosmes leur représente dans le sommeil ces menues choses comme un balai entre les jambes, une campagne qu'ils passent en volant, un bouc, un festin, des Dames ; c'est pourquoy, quand ils se réveillent, ils croyent avoir veu ce qu'ils ont songé. Quand à ce qui concerne la possession, je vous en diray aussi ma pensée avec la mesme franchise. Je trouve, en premier lieu, qu'il se ren- contre dix mille femmes pour un homme. Le Diable seroit-il un ribaud, de chercher avec tant d'ardeur le couplement ' des femmes ? Non, non, mais j'en devine la cause, une femme a l'esprit plus léger qu'un homme et plus hardy , par conséquent, à résoudre des comédies de cette nature. Elle espère que pour peu de latin qu'elle escorchera, pour peu qu'elle fera de gri- masses, de sauts, de capriolles et de postures, on les croira toujours beau- coup au-dessus de la pudeur et de la force d'une fille. Et enfin, elle pense estre si forte de sa foiblesse que, l'imposture estant découverte, on attri- buera ses extravagances à quelques suffocations de matrice, ou qu'au pis aller on pardonnera à l'infirmité de son sexe. Vous respondrez peut-estre que pour y en avoir de fourbes, cela ne conclud rien contre celles qui sont véritablement possédées. Mais si c'est là vostre nœud Gordien, j'en seray bientost l'Alexandre. Examinons donc, sans qu'il nous importe de choquer les opinions du vulgaire, s'il y a autrefois eu des démoniaques et s'il y en a aujourd'huy. Qu'il y en ait eu autrefois, je n'en doute point, puisque les Livres sacrez asseurent qu'une Chaldéenne, par art magique, envoya un Démon dans le cadavre du Prophète Samuel, et le fit parler ; que David conjuroil avec sa harpe celuy dont Saiil estoit obsédé, et que nostre Sauveur Jésus-Christ chassa les Diables des corps de certains Hébreux et les envoya dans des corps de pourceaux. Mais nous sommes obligez de croire que l'Empire du Diable cessa quand Dieu vint au monde, que les Oracles furent estouffez sous (1) Var. de 1661 : l'accouplement. 216 LETTRES DIVERSES le berceau du Messie et que Satan perdit la parole en Bethléem, l'influence altérée de l'Estoille des trois Roys luy ayant sans doute causé la pépie. C'est pourquoy je me moque de tous les énergumènes d'aujourd'huy et m'en moqueray jusqu'à ce que l'Eglise me commande de les croire ; car de m'imaginer que cette pénitente de Goffridy, cette religieuse de Loudun, cette fille d'Evreux* soient endiablées parce qu'elles font des culbutes, des grimasses et des gambades; Scaramouche, Colle et Cardelin* les mettront à « quia » . Comment ! Elles ne sçavent pas seulement parler latin ? Lucifer a bien peu de souci de ses Diables de ne pas les envoyer au Collège. Quelques-unes respondent assez pertinemment, quand l'Exorciste déclame une oraison du Bréviaire, dont en quelque façon elles escorchent le sens à force de le réciter ; à moins que cela, vous les voyez contrefaire les enragées, feindre à tout ce qu'on leur presche une distraction d'esprit perpétuelle, et cependant j'en ay surpris d'attentives à guester au passage quelque verset de leur Office pour respondre à propos, comme ceux qui veulent chanter à Vespres et ne les sçavent pas, attendent à l'affust le « Gloria Patri, etc. », pour s'y esgoziller. Ce que je trouve encore de bien divertissant sont les méprises où elles s'embarrassent quand il faut obéir ou n'obéir pas. Le Conjurateur commandoit à une de baiser la terre toutes les fois qu'il articuleroit le sacré nom de Dieu ! Ce Diable d'obéissance le faisoit fort dévotement ; mais comme il vint encore un coup à luy ordonner la mesme chose en autres termes que ceux dont il usoit ordinairement (car il luy commanda par le fils Co-éternel du Souverain Estre), ce novice démoniaque, qui n'estoit pas Théologien, demeura plat, rougit et se jetta aux injures, jus- qu'à ce que l'Exorciste l'ayant apaisé par des mots plus ordinaires, il se remit à raisonner. J'observe outre cela que, selon que le Prestre haussoit sa voix, le Diable augmentoit sa colère, bien souvent à des paroles de nul poids, à cause qu'il les avoit prononcez avec plus d'esclat, et qu'au contraire, il avaloit, doux comme laict, des exorcismes qui faisoient trem- bler, à cause qu'estant las de crier, il les avoit prononcez d'une voix basse. (1) Louis Goffridi, ou Gaufridis, curé de l'Eglise des Acoules à Marseille, fut brûlé comme sorcier, en 1611, pour avoir séduit, par l'intermédiaire du diable, auquel il s'était donné, une fille de seize ans, sa pénitente, nommée Madeleine de Demandols. Le Parlement d'Aix l'avait condamné pour crime de magie, de sorcellerie et d'im- piété. — La Religieuse de Loudun, ce sont les Ursulines de Loudun auxquelles le curé Urbain Grandier aurait jeté un maléfice et qui fut condamné à être brûlé en 1634. — L'affaire de Madeleine Bavent « cette fille d'Evreux » était encore plus récente. Mathurin Picard, curé du Mesnil-Jourdain, et son complice Tbomas Boullé, furent condamnés, pour avoir ensorcelé cette religieuse et ses compagnes du couvent de Saint-Louis de Louviers, à être brûles avec elle par arrêt du Parlement de Rouen du 24 août 1647. Cette affaire, dit P. Lacroix, avait préoccupé l'opinion publique pen- dant plus de cinq ans ; car, en 1643, Jean Le Breton publiait à Evreux un mémoire intitulé : Défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers, et le sieur Le Gauffre racontait ses exorcismes sous le titre de : Procès-verbal du péniten- cier d'Evreux. — (2) De ces trois acteurs de la troupe italienne de Paris, on ne connait guère que Scaramouche : Tiberio Fiorilli, né à Naples en 1608. LETTRES DIVERSES 217 Mais ce fut bien pis, quelque temps après, quand un Abbé les conjura. Elles n'estoient point faites à son style, et cela fut cause que celles qui voulurent respondre respondirent si fort à contre-sens, que ces pauvres Diables, au front de qui restoit encore quelque pudeur, devinrent tous honteux ; et depuis, en toute la journée, il ne fut pas possible de tirer un méchant mot de leur bouche. Ils crièrent, à la vérité, fort longtemps qu'ils sentoient là des incrédules ; qu'à cause d'eux ils ne vouloient rien faire de miraculeux, de peur de les convertir. Mais la feinte me sembla bien gros- sière ; car s'il estoit vray, pourquoy les en avertir ? Ils dévoient, au contraire, pour nous endurcir en nostre incrédulité, se cacher dans ces corps et ne pas faire des choses qui pussent nous désaveugler. Vous res- pondez que Dieu les force à cela pour manifester la Foy. Oùy, mais je ne suis point convaincu, ny obligé de croire que ce soit le Diable qui fasse toutes ces singeries, puisqu'un homme les peut faire naturellement: De se contourner le visage vers les espaules, je l'ay veu pratiquer aux Bohé- miens. De sauter, qui ne le fait point, hors les paralitiques ? De jurer, il ne s'en rencontre que trop ! De marquer sur la peau certains caractères, ou des eaux ou des pierres colorent ainsi sans prodige nostre chair. Si les Diables sont forcez, comme vous dites, de faire des miracles afin de nous illuminer, qu'ils en fassent de convaincants; qu'ils prennent les tours de Nostre-Dame de Paris, où il y a tant d'incrédules, et les por- tent sans fraction dans la campagne Sainct-Denis danser une sarabande Espagnolle. Alors nous serons convaincus. J'ay pris garde encore que le Diable, qu'on dit estre si médisant, ne les induit jamais 4 (au milieu de leurs grandes fougues) à médire l'une de l'autre. Au contraire, elles s'entreportent un très grand respect et n'ont garde d'agir autrement, parce que la première offensée descouvriroit le mystère. Pourquoy, mon Révérend Père, n'instruit-on vostre procez en conséquence des crimes dont le Diable vous accuse ? Le Diable (dites- vous) est Père de mensonge. Pourquoy donc, l'autre jour, listes-vous brûler ce Magicien, qui ne fut accusé que par le Diable ? Car je responds comme vous : « Le Diable est Père de mensonge ». Avouez, avouez, mon Révé- rendissime, que le Diable dit vray ou faux, selon qu'il est utile à vostre malicieuse paternité. Mais, bons Dieux, je vois tressaillir ce Diable quand on luy jette de l'eau béniste ; est-ce donc une chose si saincte, qu'il ne la puisse souffrir sans horreur ? Certes, cela fait que je m'estonne qu'il ait osé s'enfermer dans un corps humain que Dieu a fait à son image, capable de la vision du Très-Haut, reconnu son enfant par la régénération Baptis- male, marqué des sainctes huiles, le Temple du Saint-Esprit et le Taber- nacle de la saincte Hostie. Comment a-t-il eu l'impudence d'entrer en un lieu qui luy doit estre bien plus vénérable que de l'eau sur laquelle on a simplement récité quelques prières ? Mais nous en aurons bonne issue, je (1) Var. de l'éd. de 1661 : n'induit jamais ces personnes démoniaques. 218 LETTRES DIVERSES voys le démoniaque qui se terapeste fort à la veuë d'une Croix qu'on luy présente. 0 I monsieur l'Exorciste, que vous estes bon ! Ne sçavez-vous pas qu'il n'y a aucun endroit dans la Nature où il n'y ait des Croix, puis- que par toute la matière il y a longueur et largeur, et que la Croix n'est autre chose qu'une longueur considérée avec une largeur. Qu'ainsi ne soit, cette Croix que vous tenez n'est pas une Croix, à cause qu'elle est d'ébenne ; cette autre n'est pas une Croix à cause qu'elle est d'argent, mais l'une et l'autre sont des Croix, à cause que sur une longueur on a mis une largeur qui la traverse. Si donc cette énergumène a cent mille longueurs et cent mille largeurs qui sont toutes autant de Croix, pourquoy luy en présenter de nouvelles ? Cependant vous voyez cette femme, qui, pour en avoir approché les lèvres par force, contrefait l'interdite. O quelle piperie ! Prenez, prenez une bonne poignée de verges et me la foiietez en amy. Car je vous engage ma parole que si on condamnoit d'estre jettes à l'eau tous les énergumènes que cent coups d'estrivièrcs par jour n'auroient peu gué- rir, il ne s'en noyeroit point. Ce n'est pas, comme je vous ay déjà dit, que je doute de la puis- sance du Créateur sur ses créatures ; mais à moins d'estre convaincu par l'authorité de l'Eglise, à qui nous devons donner aveuglement les mains, je nommeray tous ces grands effets de magie, la gazette des sots ou le « Credo » de ceux qui ont trop de Foy. Je m'aperçoy bien que ma lettre est un peu trop longue, c'est le sujet qui m'a poussé au delà de mon des- sein ; mais vous pardonnerez cette importunité à une personne qui fait vœu d'estre jusqu'à la mort, de vous et de vos contes d'esprit, Monsieur, le Serviteur très humble... A M. DE GERZAN SUR SON TRIOMPHE DES FEMMES (1) Monsieur, Après les éloges que vous donnez aux femmes *, résolu- ment je ne veux plus estre homme. Je m'en vay tout à l'heure porter ma chandelle au Père Bernard2, afin d'obtenir de ce piteux h Sainct, ce qu'im- a) 1654 : dames. — b) pitoyable. (1) Ms., f. 183. — Lettre XIV des OEuvres diverses, de 16î>k : Sur le triomphe des Dames, p. 97. — Le Triomphe des Dames. Dédié h son Altesse Royale Mademoiselle, par François du Souci/, Escuyer, sieur de Gcrzan. A Paris, et se vend chez l'Autheur au faubourg Saint-Germain, devant la grande porte de l'Eglise de la Charité, pioche le nom de Jésus. M. DC. XLVI (J646). In-'i de 16 ff. prél. et 216 pp. chiffr. (N). Le privi- lège est du 5 février 1646 avec achevé d'imprimer du 8 octobre. Les ff. prél. com- prennent le titre, l'épitre dédie, à Mademoiselle (de Montpensier) sig. de Gerzan, f vis aux dames (en prose) par d'Astorgy du Broei), 4 sonnets de Du Pelletier ; 2 sonnets et 1 épigr. de H. de Picou, sonnet de La Chappelle, vers italiens signés Casliliu, sonnets de : G. Colletet, François Colletet, H. Sarron, Furetière, Boyer, escuyer. seigneur du Petit Puy, madrigal de Cassandre, épigr. de Du Bail, quatrains de: F. de La Mothe Le Vayer fils, Jacob, avocat au Parlemeut, stances de Ghappuys de La Goutte. — (2) Claude Bernard, dit le Pauvre Prestre, mort le 23 mars 1641 à 52 ans, « avoit été très desbauché ; puis il s'estoit jeté dans la dévotion; son zèle et son emportement l'avoient canonizé parmi le peuple après sa mort. Il preschoit dans les LETTRES DIVERSES 219 pétra l'Empereur Héliogabale du rasoir de ses Empiriques, puisque les miracles qu'exale tous les jours cette précieuse momie sont ^i nombreux qu'ils regorgent par dessus les murs de la Charité jusque dans vostre Parnasse. Il n'est pas impossible qu'un Bienheureux fasse pour moy, ce que la plume d'un malheureux Poète a bien fait pour Tirésias ; mais, en tout cas, c'est à faire à me tronçonner d'un coup de serpe le morceau qui me fait porter un caleçon. La sotte chose, en effet, de ne se masquer qu'au Carnaval ! Je ne l'eusse par ma foy pas cru, si vous ne m'eussiez envoyé vostre Livre : 0 ! que nostre Seigneur sçavoit bien ce que vous escririez ■ un jour là-dessus, quand il refusa d'estre fils d'un homme, et qu'il1 voulut naître d'une femme. Sans doute, il connoissoit la dignité de leur sexe puisque nostre Grand' mère ayant tué le genre /m main dans une pomme, il jugea glorieux de mourir pour le caprice d'une femme, et mesprisa cepen- dant de vanger l'injure de sa mort, à cause que c'estoit seulement des hommes qui l'aboient procurée1, c'est aussi une marque évidente de l'estime parti- culière qu'il en a faite de les avoir choisies pour nous porter, ne s'eslant pas voulu fier de nostre jeunesse à nous-mesmes ; mais la Nature aussi nous fait connoistre, au partage de ses biens, qu'elle a voulu avantager la cadette, au préjudice de l'aisnée, luy donnant la beauté, dont chaque trait est une Armée qui va quand il lui plaist bouleverser les thrônes, deschirer les diadèmes, et traisner en servitude les orgueilleuses puissances de la Terre. Que si, comme nous, elles ne vaquent pas au massacre c des hommes ; si elles ont horreur de porter au costé ce qui nous fait détester un Bour- reau, c'est à cause qu'il seroit honteux que celles qui nous donnent à la lumière portassent de quoy nous la ravir ; et par ce aussi qu'il est beau- coup plus honneste de suer à la construction qu'à la destruction de son espèce : Donc, en matière de visage, nous sommes de grands gueux : et sur ma foy, de tous les biens de la Terre en général, je les croyd plus riches que nous, puisque si le poil fait la principale distinction de la brute et du raisonnable, les hommes sont au moins par l'estomach, les joues et le menton, plus bestes que les femmes : Malgré toutesfois ces muettes mais convaincantes prédications de Dieu et de la Nature, sans vous, Monsieur, ce déplorable sexe alloit tomber sous le nostre ; sans vous qui, tout caduc, et prest à choir de cette vie, avez, en tombant vous-mesme, a) 1654 : diriez. — b) quand à la confusion de l'homme, il. — c) à massacrer. — d) voy. salles et sur l'escalier de la Charité. A son décès, on vendit trois ou quatre guenilles qu'il avoit, au poids de l'or. Il avoit laissé ses souliers à un pauvre homme ; les dames les luy mirent en pièces pour en avoir chacune un morceau, et luy donnèrent de quoy avoir des souliers tout le reste de sa vie. Pour faire le conte bon, on disoit qu'une d'elles avoit acheté son prépuce tout ce qu'on avoit voulu. Quelque temps durant, on disoit qu'il se faisoit dos miracles à son tombeau ; enfin cela se dissipa peu à peu » (Tallemaut;. (1) Le début de cette lettre, sauf la première phrase, a été remanié dans les éditions qui ont suivi celle de 1654 ; nous donnons ce texte nouveau plus loin ; le doit-on à Cyrano ? c'est probable, Le Bret a dû être un éditeur consciencieux. 220 LETTRES DIVERSES relevé cent mille Dames qui n'avoient point d'appuy : Qu'elles se vantent, après cela, de vous avoir donné le jour ; quand elles vous auroient enfanté plus douloureusement que la mère d'Hercule, elles vous devroient encore beaucoup, à vous qui, non content de les avoir enfantées toutes ensemble, les avez fait triompher en naissant. Une dame', à la vérité, vous a porté neuf mois petit, quelques-unes vous ont porté plus grand, mais vous les avez toutes portées sur la teste de leurs ennemis. Pendant vingt siècles, elles avoient combatu, elles avoient vaincu pendant vingt autres, et vous, depuis quatre mois seulement, leur avez décerné le « Triomphe ». Oiïy, Monsieur, chaque période de vostre Livre est un char de victoire, où elles triomphent plus superbement que les Scipions, ny les Césars n'ont jamais fait dans Rome. Vous avez fait de toute la Terre un pays des Ama- zones, et vous nous avez réduits à la quenouille. Enfin l'on peut dire qu'auparavant vous, toutes les femmes n'estoient que des pions que vous avez mis à dame. Nous voyons bien cependant que vous nous trahissez, que vous tournez casaque au genre masculin pour vous ranger de l'autre ! Mais comment vous punir de cette faute ; comment se résoudre à diffamer une personne qui a fait entrer nos mères et nos sœurs dans son party ; et puis on ne sçauroit vous accuser de poltronnerie, vous estant rangé du costé le plus foible, ny vostre plume d'estre intéressée, ayant commencé l'éloge des Dames en un âge où vous estes incapable d'en recevoir des faveurs : Confessez pourtant, après les avoir fait triompher et avoir triom- phé de leur triomphe mesme, que leur sexe n'eust jamais vaincu sans le secours du nostre : Ce qui m'estonne, à la vérité, c'est que vous ne leur avez point mis en main pour nous détruire les armes ordinaires : Vous n'avez point cloué des Estoilles dans leurs yeux, vous n'avez point dressé des montagnes de neige à la place de leur sein ; l'or, l'yvoire, l'azur, le corail, les roses et les lys, n'ont point esté les matériaux de vostre bastiment, ainsi que de tous nos Escrivains modernes qui, malgré la dili- gence que fait le Soleil pour se retirer de bonne heure, ont l'impudence de le dérober en plein jour, et des Estoilles aussi, que je ne plains pas, pour leur apprendre à ne pas tant aller la nuit ; mais ny le feu ny la flamme ne vous ont point donné de froides imaginations : Vous nous avez porté des bottes dont nous ignorons la parade. Jamais homme n'a jamais monté si haut sur des femmes b. Enfin je rencontre dans ce Livre des choses si divinement conceuës que j'ay de la peine à croire que le Sainct-Esprit fut à Rome quand vous le composastes. Jamais les Dames n'ont sorty de la presse en meilleure posture, ny moy, jamais mieux résolu de ne plus aller au Tombeau du Père Rernard pour voir un miracle, puisque Mon- sieur de Gerzan loge à la porte de l'Eglise1. 0 ! Dieux, encore une fois, a) 1654: femme. — b) Cette équivoque ne figure plus dans les éditions posthumes, on la lit seulement dans l'édit. de 1654 et dans le Ms. de la Bibl. nat. (1) Voir note 1 de la p. 218. Sur le titre du Triomphe des Dames, Gerzan donne son adresse. LETTRES DIVERSES 221 la belle chose que vos Dames ! Ha ! Monsieur, vous avez tellement obligé le sexe par ce Panégyrique, que pour mériter aujourd'huy l'affection d'une Reyne, il ne faut qu'estre vostre serviteur. Voici maintenant le texte, dans les éditions posthumes, du début de cette lettre : Je m'en vay tout à l'heure tascher d'obtenir de la dextérité des Chirurgiens ce que l'Empereur Héliogabale impétra du rasoir de ses Empyriques. Si vous vous donnez patience encore huict jours, vous allez voir en moy un miracle tout contraire à celuy qui se passe dans la Fable d'Iphip et lante. Résolument je vais me faire tronçonner d'un coup de serpe, ce qui m'oblige à porter un caleçon et m'empesche de me masquer en autre temps qu'au Carnaval. Que je porte envie du bonheur de Tirésias, qui, sans souffrir tous les maux où je me prépare, eut l'avantage de chan- ger d'espèce pour avoir frappé sur un Serpent. La Sagesse de Dieu, qui d'ordinaire agit par progrez, et monte par degré des choses les moins nobles aux plus hautes, a bien fait voir la prééminence que les Femmes ont au-dessus des Hommes, quand elle n'a pas voulu faire Eve qu'elle n'eust fait Adam auparavant. Aussi est-ce une marque évidente de l'estime que la Nature a toujours faite des Femmes, de dire qu'elle les a choisies pour nous porter SUR LA GUÉRISON D'UNE MALADIE MORTELLE (1) Monsieur. Je vous croyois pour le moins à la ville, dont vous n'estiez encore qu'aux fauxbourgs ; j'admire, en vérité, comme vous estes ponc- tuel, n'y ayant pour le voyage de l'Autre Monde qu'une ajambée à faire de vostre lit à vostre Eglise11. Vous aviez tourné bride, lorsque déjà la sen- tinelle s'aprestoit à crier : « Qui va là ? » Ma foy, vous avez fait en habile homme ; le giste n'est pas bon ; l'hoste n'y change point de draps ; le lit ne remue jamais que par un tremblement de terre ; la chambre est froide et caterreuse ; les caresmes ne s'y rompent point ; et quoy qu'à la flamande on soit dans la bière jusques par dessus les yeux, on n'y boit que de l'eau béniste. Au reste, vous n'y eussiez pas trouvé une seule personne raison- a) 1654 : vostre chambre à la chappelle ou dorment vos ancestres. (1) Ms., f. 141. — Dans les Œuvres diverses, lG5k : Lettre XVI. Sur un recouvre- ment de santé, p. 106. — Cyrano a remanié cette lettre, surtout au commencement ; les variantes, insignifiantes, ne valent pas la peine d'être relevées.Voici les premières lignes qui ne sont pas dans le Ms. : « Vous me permettrez bien de railler maintenant avec vostre fièvre, puisqu'elle vous a tourné les talons ; par ma foy je m'estonne qu'elle ait osé jetter le gand à un hardy Chevalier comme vous ; aussi quelque bra- voure dont elle ait triomphé entrant dans la carrière, j'ay préveu la honte de sa défaite ; cependant tout le monde vous croyoit party pour les Champs-Elisées ; et desjà quelques-uns, qui ne sont pas les plus chers de vos amis, vous publioient arrivé dans l'affreuse Cité, dont vous n'estiez pas encore aux Faux-bourgs... » 222 LETTRES DIVERSES nable, Caron * n'y reçoit les hommes que quand ils n'ont plus d'esprit ; pour les femmes, encore qu'elles ayent là une bonne qualité qu'elles n'ont pas icy, qui est de ne dire mot, elles y sont si laides en récompense que la plus belle est camuse. Ne vous repentez donc point d'avoir usé si à propos du privilège de Normandie, les ombres ne sont belles que dessous les arbres ou quand les corps sont tout contre ; et je vous proteste qu'en l'espace d'un quart d'heure, vous alliez faire un voyage si esloigné que vous n'eussiez pas esté de retour avant la Résurrection, et rnoy-mesme, en ce pays, je n'aurois pas trouvé un homme qui eust voulu se charger de vous aller dire en personne que je suis, Monsieur, vostre serviteur — SUR LE FAUX BRUIT QUI COURUT DE LA MORT DE MONSIEUR LE PRINCE (1) Monsieur. Et puis, tous les Royaumes ont des intelligences qui les gouvernent? Non, non, le Hasard joue nos entreprises, le Sort entraisne aveuglement tout ce qui vit sous les Estoilles ; et les Monarques qui comp- tent leurs Esclaves en comptant leurs Sujets, sont eux-mesmes les plus gourmandez Esclaves de la Fortune. Donc, ce Prince h de qui les victoires ont marché plus viste que les desseins, qui, en un mesme jour, a fait crois- tre des Lys sur le Rhin et sur le Danube ; qui, dans les combats, tenoit à sa solde la Parque des Allemans, et qui, sentant pendue à son espée la liberté du Genre Humain, en a pu dédaigner la conqueste, auroit esté la victime d'un grain de plomb eschappé des mains d'un Soldat si timide que l'amorce peut-estre l'a fait tressaillir en le tirant ! Donc, tant d'Astres qui se nourrissent de feu pour venger les Bourbons n'auroient pas fait de ce jour-là celuy de la fin du Monde ? Non, Monsieur, dis-je encore un coup, la Nature agonisante nous l'eust fait ou voir ou sentir : c'est un Soleil qui ne peut éclipser qu'aux yeux de toute la Terre ; car qu'il ait receu (comme récitent les envieux du nom françois) une playe entre les deux aines, je ne puis croire que les Parques, qui sont filles vierges, aient osé prendre un jeune Homme aux parties honteuses. Mais j'ay tort de l'appeller Homme ; c'est nostre Alcide, comme aux Grecs le fameux Hercule. N'a-t-il pas dompté les Monstres aussi bien que cet antique demy-Dieu ? Encore l'année passée, il défit un Aigle à deux testes, et l'Univers entier, surpris extra- ordinairement de la témérité prudente d'un si vieil Enfant, se plaignoit déjà que la Nature manquoit de promesse aux Nations, permettant qu'on vît le Soleil se lever en Occident. Ainsi nous pouvons protester sans men- songe qu'il n'est plus Homme depuis un jour ; il est Dieu depuis vingt- quatre heures, quoy que ce soit une pauvre consolation de dire qu'il soit a) 1654 : car on. — b) 1662 : grand Guerrier. (1) Ms., f. 134. —Dans les Nouvelles Œuvres, 1662, p. 1 : Sur le faux bruit qui courut sur la mort d'un grand Guerrier. Il s'agit du grand Condé. P. Lacroix a cru, à tort, qu'elle avait trait au maréchal de Turenne, parce qu'il a daté celte lettre de 1G54, alors qu'elle est de 1G48. LETTRES DIVERSES 223 allé prendre place auprès d'Hercule, d'Achille ou de César. Hélas ! nous avons plus besoin de Héros que de Dieux ; les Dieux ne s'estudient qu'à persécuter la conscience de nos Héros, et nos Héros à sauver les Dieux de la moquerie des Sçavans. Admirez un peu, cependant, la malicieuse injustice du Ciel ! Ce Phénix des Batailles estoit allé fouetter le Lyon d'Ibère, pour avoir autrefois trépigné sur nos Fleurs ', à la leste de quatre mille Gentilshommes ; faire, en dépit des hyperbolgs Castillanes, confesser à toute l'Europe qu'il vaut mieux mener des Lyons armez que de porter des armes Lyonnées '. Lors que le Démon d'Espagne, au garant des pré- mices qu'il nous donne que si cet autre Démon continuoit, il feroit vomir au Roy de Castille tout ce qu'il avoit mal avalé chez nous, il l'alloit bien- tosl réduire à se faire Moine ou Gentilhomme Verrier : il vint se mcsler furieusement, comme les Sorciers font à la foudre, à la balle homicide qui le frappa. C'est en vain, petit Démon, que tu prétens échapper à la domination du grand Pan3; il est d'un étage où ta teste fait son marche- pied, et d'une Race qui tant de fois a fait rougir sur nos frontières les bazanez Rodomons que le sang, à force de leur monter souvent au visage, leur a tout à fait noirci le teint. Déjà par le bras du Fils et la Teste du Père, le Portugal est eschoué, le Roussillon englouty, la Catalogne ara- chée, la Navarre recousse, la Galice mâchonnée, l'Arragon égratigné, les Indes disparues, la Flandre à l'agonie. Enfin, la gangrène des armes fran- çaises a tant rongé leur Ecusson qu'il ne leur restera bientost que l'Ecu. j'entens la Castille seule, si ce n'est que mon Prince3 leur laisse encore la Grenade pour subvenir aux maux de cœur * que leur doit vray-semblable- ment engendrer une si longue maladie. Pardonnez-moy, Monsieur, si je me suis si fort esloigné des légitimes mesures d'une Lettre ; je loiiois mon Prince b, on a de la peine à se lever quand on est couché dessus des fleurs. et d'ailleurs je pleurois sa mort. Il est mal aisé de cesser de se plaindre, quand on a tout perdu. En vérité, ce désastre a si bien désordonné l'har- monie de mon tempérament que je meurs aujourd'huy de ce qui me faisoit vivre hyer. Je vais tomber malade si l'on ne me donne du poison. Oiiy, .Monsieur, si vous ne m'envoyez tout à l'heure asseurer que le voyage de mon Duc c en l'Autre Monde est aussy faux que ecluy de Mahomet en Paradis, je m'en vais prophaner un Temple, trahir mon Amy, violer ma Sœur, étrangler mon Père et mesme, ce qui ne tombera jamais en aucune pensée, je m'en vais n'estre plus, Monsieur, vostre affectionné serviteur. a) 1662 : ce généreux Capitaine. — b) cet Invincible. — c) ce vaillant Homme. (I) Les lys de France. — (2) Dans les arme-; d'Espagne figurent des lions d'Aragon avec des taureaux de Castille. — (3) On qualifiait ainsi tout personnage dont on vou- lait constater l'autorité politique. On lit dans une Lettre à un ami publiée en 1G60 (Recucit de pièces en prose) : comédie. A Paris, M.DC.LXI {1661), titre, pp. 1 à 152 chiff. Première édition collective — sauf La Mort d Agrippine — des œuvre» de Cyrano de Bergerac publiées jusqu'en 1661. C'est une contrefaçon ; elle donna lieu à un procès 306 APPENDICE dont on trouvera plus loin quelques pièces s'y rapportant. Charles de Sercy avait fait saisir, le 22 septembre 1061, chez Antoine de Sommaville un certain nombre d'exemplaires de cette édition. Ce dernier riposta, le lendemain 23, par une assigna- tion tendant à ce que cette saisie fut déclarée injurieuse, les privilèges soi-disant obtenus par Ch. de Sercy les 30 décembre 1653 et 23 décembre 1656 étant faux. L'ins- tance ne se termina que le ô juin 1663 par la condamnation de Sommaville à quatre cents livres parisis de dommages et intérêts et à trente-sept livres dix sols d'amende. Cette édition avait été tirée à quinze cents exemplaires qui se vendaient trois livres chaque. Voici une seconde contrefaçon qui copie la précédente, si ce n'est la môme édition avec un nouveau titre : Les || Œuvres || diverses || deMonsieur || de Cyrano || Bergerac || mar- que : un cœur avec le monogramme I. H. S. entouré de deux anges || Sur l'Imprimé, || A Paris, || Chez Charles de Sercy, au Palais, || dans la Salle Dauphine,àlaBonneFoy. || M.DC.LXI(1661). In-12. (N.,Z 20087). Id. T. I et II. Lyon, Christophle Fourmy, rue Mercière, à l'ensei- gne de l'Occasion. M.DC.LXIII (1663). In-12. Id. T. I et IL A Rouen, chez Antoine Ferrand, aux Degrez du Palais. M.DC.LXIII (1663). In-12 de 4 ff. et 309 pp. chiffr. (la dernière 509 par erreur) ; Le Pédant joué, comédie (avec titre particulier), 156 pp. chiffr.; pour le tome premier. — Titre et 177 pp. chiffr. pour le tome second con- tenant Y Histoire comique (N., 8° Z 16161). Id. Rouen, R. Séjourné (ou F. Vaultier) 1676. Trois parties In-12 (Bordeaux). Id. A Rouen, chez Jean B. Besongne, rue Ecuyère, au Soleil Royal. In-8 de 4 ff. et 419 pp. chiffr. A la suite : Le Pédant joué (avec titre particulier), 1678, 154 pp. chiffr. et un fl. bl. (N., Z 20092). LES NOUVELLES ŒUVRES Les nouvelles || Œuvres || de Monsieur || de Cyrano Bergerac || conte- nant || l'Histoire comique || des Estats. et Empires du Soleil, || plusieurs Lettres, || et autres pièces || divertissantes. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au Palais, || dans la Salle Dauphine, à la || Bonne Foy couronnée. || M.DC.LXII (1662) || Avec privilège du roy. In-12. (N., Z 20088). 23 ff. comprenant le portrait de Cyrano par Le Doyen, le titre, l'épitre dédie, à M. de Cyrano de Mauvières, sig. C. de Sercy, et la Préface. Pp 1 à 556 pour l'Histoire comique des Estats et Empires du Soleil; pp. 1 à 168 pour les Nouvelles Œuvres, et 4 ff. dont 1 bl. pour le privilège de dix années daté du 21 décembre 1661, enregistré le 4 janvier 1662 avec l'achevé d'imprimer pour la première fois le 7 janvier 1662. Il existe deux tirages de cette édition qui présentent quelques variantes, nous avons donné ces dernières ; un troisième tirage participe des deux précédents. P. Lacroix indique une seconde édition avec l'adresse de Ch. de Sercy sous la date de 1676; ce sont probablement les exemplaires in- vendus de la première ci-dessus de 1662, remis en circulation, avec un nouveau titre. BIBLIOGRAPHIE 307 ŒUVRES DIVERSES Les Lettres. — Le Pédant joué. — Les Estats et Empires de la Lune. La Mort d'Agrippine. Ch. de Sercy, paralysé par la contrefaçon des Œuvres diverses de Cyrano, due à Antoine de Soramaville, réimprime séparément en quatre années les dites Œuvres, de façon à former avec les Nouvelles Œuvres une édition complète. Les || Œuvres || diverses || de Monsieur || de Cyrano || Rergerac. || Première partie. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au Palais, au || Sixième Pilier de la Grand'Salîe, vis à || vis la Montée de la Cour des Aydes, || à laRonne-Foy couronnée. || M.DC.LXIII (1G63). Avec privilège du roy || In-12 (N., Z 20089). 4 ff. prél. pour le titre, 1 epitre dédie, au Duc d'Arpajon sig. De Cyrano Bergerac, l'extrait du privilège du roy du 21 décembre 1661 donné pour dix années pour toutes les Œuvres de Cyrano avec achevé d'imprimer pour la première fois, le 9 juin 1663, la Table qui comprend les Lettres, Le Pédant joué, Yllistoire comique de la Lune et La Mort d'Agrippine. — Pp. 1 à 256 pour les Lettres, au bas de la p. 256 la réclame : Le Pédant. — Le || Pédant || joué, [| Comédie. || Par Monsieur || de Cyrano Bergerac. || A Paris. || chez Charles de Sercy... || M.DC.LX1V (1664) || Avec privilège du roy; 177 pp chifï. ; au verso de la p. 177, extrait du privilège du 21 décembre 1661, avec achevé d'imprimer pour la première fois le 12 décembre 1663 ; au bas de la p. 177, la réclame Histoire. — Histoire || Comique || des Estats et Empires || de || la Lune [| Par Monsieur de Cyrano Bergerac. || A Paris, || chez Charles de Sercy... || M.DC.LXV (1665). || Avec privilège du roy, 15 ff. prél. pour le titre, l'épitre dédie, à Messire Tanneguy Regnault des Bois-Clairs, sig. Le Bret, la Préface, l'extrait du privilège du roy avec achevé d'imprimer pour la première fois le 3 avril 1665, 137 pp. chiffr. — La Mort || d'Agrip- pine || Tragédie || Par M. || de Cyrano Bergerac || A Paris, || chez Charles de Sercy .. || M.DC.LXVI (1666), 72 pp. chiffr. Après le titre, l'extrait du privilège du roy, pour cinq ans, du 23 décembre 1656, avec achevé d'imprimer du 15 mars 1666. ŒUVRES COMPLÈTES SOUS LE TITRE D'ŒUVRES DIVERSES (à pagination âontinue.) A) Les || œuvres || de Monsieur || de Cyrano || Bergerac || Première (et seconde) partie. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au Palais, au || Sixiesme Pilier de la Grand'Salîe, vis à || vis la Montée de la Cour des Aydes, || à la Bonne-Foy couronnée. || M.DC.LXXVI (1676 ou 1677). || Avec privilège du roy. In-12 (A, 20627* et N., Z 20090-20091). 6 ff. prél. pour le portrait de Cyrano par Le Doyen, le titre, l'épître dédie, à Mgr le Duc d'Arpajon et la table, 468 pp. chiffr. pour la Ir* partie; II* partie : 18 ff. prél. pour le titre, l'épitre dédie, à M. de Cyrano de Mauvières, sig. C. de Sercy ; autre épitre à Messire Tanneguy Regnault des Bois-Clairs... sig. Le Bret, la Préface, 448 pp. chiffr., 2 ff. pour la table et le privilège pour sept années daté du 29 septem- bre 1671, enregistré sur le Livre de la Communauté des Libraires le 3 octobre 1671, avec achevé d'imprimer le 10 mars 1676. Id. Rouen, 1677, 2 vol. in-12. (P. L.) C'est probablement l'édition ci-dessus avec un nouveau titre. 308 APPENDICE Les exemplaires de l'édition de Ch. de Sercy 1676 (ou 1677) ont été remis en circulation sous la date de 1681, avec un nouveau titre (N., Z 20093-20094). Id. Paris, Ch. Osmont, 1699. 2 vol. in-12. Nous ignorons si cette édition est avec figures comme les suivantes. Si oui, elle devrait être comprise dans la série suivante. B) Les || œuvres || diverses || de monsieur || de Cyrano || Bergerac. || Tome premier (et second) || Enrichi de Figures en taille-douce. || A Ams- terdam || chez Daniel Pain, Marchand Libraire || sur le Woorburgwal, proche du Stilsteeg || M.DC.XCIX (1699). In-12 (N, Z 20095-20096). 4 ff. et 430 pp chiffr., portrait de l'édition des Nouvelles œuvres de 1662 et cinq fig. pour le T. I. ; — 5 ff. dont une fig. et pp. 13 à 306 (la dernière par erreur 206) dont une fig., entre les pp. 80 et 81, 8 ff. n. chiffr., pour le T. II. — Les figures sont de Laurent Scherm. Id. Rouen, J.-B. Besongne, 1710. 2 vol. in-12. Id. Tome premier (et second). || Enrichi de Figures en taille-douce || A Amsterdam j| chez Jacques Desbordes, Marchand || Libraire sur le Pont de la Bourse joignant le || Comptoir de Cologne || M.DCC.X (1710). In-12 (N, Z 20099-20100^. 4 ff. et 376 pp. chiffr., dont le portrait et cinq figures pour le T. I ; — 6 ff. dont le portrait et une fig., pp. 13 à 277, et deux figures, pour le T. II. C) Les II œuvres || de monsieur || de Cyrano Bergerac || nouvelle édi- tion || ornée de Figures en taille-douce, j| Première et (seconde) partie. || A Amsterdam || chezJacques Desbordes.... || M.DCC.IX (1709). In-8 (N, Z 20097-20098). 15 ff. prél., y compris le frontispice gravé et un nouveau portrait, 408 pp. chiffr., 2 ff. et deux figures pour la I'° partie ; 3 ff. dont le fr. gr., une figure, 378 pp. chiffr. et 1 £L, une figure pour la II" partie. Le portrait et les figures n. s. sont différents de ceux des éditions ci-dessus, 1699-1710. Id. Nouvelle édition. Paris, 1709. 2 vol. in-12 (British Muséum). D) Les || œuvres || diverses || de monsieurde || Cyrano Bergerac || Tome premier (second et troisième). A Amsterdam || chez Jacques Des- bordes... M.DCC.XLI (1741 ou 1761). In-8 (N, Z 20101-20102). Frontispice gravé et portrait de l'édition des Nouvelles œuvres de 1662, 22 ff. et 444 pp. chiffr., pour le T. I ; 3 ff. et 389 pp. chiffr., pour le T. II; 2 ff., 300 pp. chiffr. et 2 ff. dont 1 bl., pour le T. III. Les exemplaires invendus de cette édition ont été remis en circulation sous la date de 1761. Toutes les éditions imprimées sous la rubrique Amsterdam l'auraient été à Rouen ou à Trévoux (?). BIBLIOGRAPHIE 309 OUVRAGES ET PIÈGES PUBLIÉS SÉPARÉMENT L'Autre Monde A) Histoire || comique, || par monsieur [| de || Cyrano Bergerac. || Contenant les Estats et Empires || de la Lune. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au || Palais, dans la Salle Dauphine, à || la Bonne-Foy couron- née. || M.DC.LVII (1657). || Avec privilège du Roy. || In-12 (N,Y* 25400). 24 ff. n. chiff. pour le titre, l'épilre dédie. : A Messire Tanneguy Renault des Bois- Clairs, Chevalier, Conseiller du Roy en ses Conseils, et Grand Prévost de Bourgogne et Bresse, sig. Le Bret ; l'Extrait du privilège du Roy, donné le 23e jour de décembre 1656, sig. de Cuisy, pour cinq ans, enregistré sur le Livre de la Communauté des Libraires le 26 janvier 1657, avec achevé d'imprimer du 29 mars 1657, et la Préface (19 ff.). — Pp. 1 à 191. Au verso de la p. 191 : Fautes principales survenues en l'im- pression. — Voir dans notre volume : Le Libertinage au XVI1° siècle : Mélanges (Paris 1920) l'article : Paul Lacroix et Cyrano de Bergerac, l'édition originale du Voyage dans la Lune. Id. A Paris || chez Charles de Sercy... || M.DG.LIX (1659). Avec privilège du roy... In-12. Même collation que l'édition précédente. Les fautes indiquées dans l'errata de cette dernière ont été corrigées et les noms en notes de musique sont modifiés. — L'achevé d'imprimer pour la seconde fois est daté du 8 mars 1659. Histoire || comique, || par monsieur || de || Cyrano Bergerac. || Conte- nant les Estats || et Empires de la Lune. || A Lyon, || chez Christophle Fourmy, rue || Mercière, à l'enseigne de l'Occasion. || M.DC.LXII (1662 ou 1663). || Avec permission. In-12. Nous avons rencontré deux exemplaires de cette édition portant au titre, par suite d'une erreur d'impression, la date de 1652 ; le privilège et l'achevé d'imprimer ne laissaient subsister aucun doute sur la date de 1662. — À la suite : Le Pédant joué, comédie. B) Histoire || comique || des || Estats et Empires || de || la Lune. || Par Monsieur de Cyrano Bergerac. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au Palais || au sixième Pilier de la Grand'Salle, vis à vis || la montée de la Cour des Aydes || à la Bonne-Foy couronnée. || M.DC.LXV (1665). || Avec Privilège du Roy. In-12. (N, Y* 25401) 15 ff. prél. pour le titre, l'épître dédie, à Messire Tanneguy Regnault des Bois- Clairs, la Préface et l'Extrait du privilège du Roy du 21 décembre 1661 donné pour dix ans avec achevé d'imprimer pour la première fois le 2 avril 1665, 137 pp. chiffr. Cette édition a été amputée d'un paragraphe d'une dizaine de lignes à la p. 121. Nous avons reproduit ce paragraphe dans Y Histoire posthume de Cyrano de Bergerac. Voir T. I, p. C. Id. Lyon, 1672. In-12 (Grenoble). Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques. Ornés de figures. Tome treizième. A Amsterdam et Paris. M.DCC.LXXXVII (1787). In-8 de XIV pp. et 462 pp. chifî. Ce volume contient l'Histoire véritable de Lucien, traduite et continuée par Perrot 20 310 APPENDICE d'Ablancourt (p. 1 à 112) ; les Voyages de Cyrano de Bergerac dans (es Esiats et Empi- res de la Lune et du Soleil, et l'Histoire des Oiseaux (pp. 113 à 462). Deux figures de Marillier pour le» Voyages de Cyrano. TRADUCTIONS OU ADAPTATIONS ANGLAISES Selenarchia (en caractères grecs) or the Government of the World in the Moon. A comical history... Doue into English by T. St. Serf, Lon- dres, 1659. In-10 (British Muséum). The Comical History of the States and Empires of the World, of the Moon and Sun... newly Englished by A. Lowell. Londres, 1687. In-8 (id.). A voyage to the Moon... A comical romance. Done from the French of M. C. de B. By M. Derrik. London, 1754. In-12 (id.). MAZARINADES I. — Le || Ministre || d'Estat || flambé || .... ridendo dicere verum || Quid vetat ? || A Paris, || chez Jean Brunet, rue neuve S. || Louys, au Canon Royal, près le Palais. || M.DC.XLIX (1649). In-4 de 16 pp. chiffr. sig. D. B. (N, Yell93). Autre édition. Id. Jouxte la copie imprimée à Paris. M.DC.XLIX (1649). In-4 de 16 pp. chiffr. II. — Lettre || de consolation || envoyée à madame || la duchesse || de Rohan, || sur la mort de feu monsieur || le duc de Rohan, son fils, sur- nommé || Tancrède. || A Paris || chez Claude Huot, rue Saint Jacques, || proche les Jacobins, au pied de Biche || M.DC.XLIX (1649). In-4 de 8 pp. chiffr. sig. B. D. (N, Lb" 5234). La signature B. D. au lieu de D. B. (de Bergerac) n'est pas une erreur d'impres- sion. Voir Notice biographique, p. LXXI. III. — Lettre de || consolation || envoyée || à madame || de Chastillon, || pour la mort de || monsieur de || Chastillon. || A Paris, chez Jean Bru- net... || M.DC.XLIX (1649). In-4 de 8 pp. chiffr. sig. B. D. comme la précédente et pour le même motif. (N, Lb 37 5234 (2). Un avis placé à la suite de la Lettre de consolation avertit le lecteur « qu'une pièce qui s'appelle L e Gazettier dés-intéressé sera une pièce de remarque pour le temps présent ». IV. — A) Le || Gazettier || des-intéressé. || A Paris, || chez Jean Bru- net... M.DC.XLIX (1649). In-4 de 24 pp. chiffr. sig. D. B. (N, Lb S7828). Cette pièce a eu une suite publiée sous deux titres différents : Suitte du... ou Deuxiesme Suitte du... qui n'est pas de Cyrano. Le Gazettier des-intér*ssé et sa Suitte ont été réimprimés. B) Id. et le Testament de Jules Mazarin. Sur l'imprimé à Paris, chez Jean Brunet et Claude Morlot, M.DC.XLIX (1649). In-4 de 20 pp. chiff- BIBLIOGRAPHIE 311 V. — La || Sibylle || moderne || ou || l'oracle du temps. || A Paris, || chez Jean Brunet... || M.DC.XLIX (1649). In-4 de 15 pp. chiff., sig. D. B. VI. — Le || Conseiller || fidèle. || A Paris, || chez Jean Brunet || M.DC.XLIX (1649). In-4 de 12 pp. chiffr., sig. D. B. VII. — Bemonstrances || des || trois Estats, || à || la Beyne || régente || pour la Paix. || A Paris, || chez Jean Brunet.... M.DC.XLIX (1649). In-4 de trois parties d'ensemble 24 pp. chiffr., sig. D. B. La première est celle du Clergé ; la seconde a pour titre : Remonstrance de la Noblesse... ; la troisième : Remonstrance du Peuple... Cette dernière a été aussi publiée séparément avec une pagination particulière : 8 pp. chiffr. THEATBE La Mort d'Agrippine, tragédie. La Mort || d'Agrippine, || tragédie || par M. || de Cyrano Bergerac. || A Paris, || chez Charles de Sercy, au Palais, dans la Salle || Dauphine, || à la Bonne-Foy couronnée. || M.DC.LIV (1654). Avec privilège du Boy. || In-4 (N, Yf 462). Frontispice gravé aux armes d'Àrpajon, etc. Titre imprimé (au verso: Le Libraire au Lecteur), épitre dédie. A Monseigneur le Duc d'Arpajon, sig. de Cyrano Bergerac (au verso Acteurs), soit 5 ff. prél. — Pp. 1 à 106 chiff. et 1 ff. n. chiffr. pour l'Extrait du privilège du Roi daté du 16 décembre 1653, donné pour neuf ans : « La Mort d'Agrippine, et un volume de Lettres ». La Mort || d'Agrippine, || tragédie. || Par M. || de Cyrano Bergerac || marque de Sercy. || A Paris, || chez Charles de Sercy.... M.DC.LVI (1656). Avec privilège du Roy. In-12 de 6 ff. pour le titre, l'épitre dédie..., le privilège daté cette fois du 30 dé- cembre 1653 et donné seulement pour « La Mort d'Agrippine, veufve de Germanicus », et la liste des acteurs. Pp. 1 à 84 chiffr. (ex meis). Id. A Paris, chez Charles de Sercy.... M.DC.LXI (1661). Avec pri- vilège du Roy. In-12 de 6 ff. et 83 pp. chiffr. Id. A Paris, chez Charles de Sercy... M.DC.LXVI (1666). In-12 de 72 pp. chiffr. Après le titre, l'extrait du Privilège du Roy du 21 décembre 1661, avec achevé d'imprimer le 15 mars 1666. Le Pédant joué, comédie. Le || Pédant || joué, || comédie || Par M. de Cyrano Bergerac. || A Paris. || Par Charles de Sercy, au Palais, en || la Salle Dauphine, à la Bonne-Foy couronnée. || M.DC.LIV (1654). Avec privilège du Roy. In-4. 4 ff. prél. pour le titre, le privilège, donné pour les Œuvres diverses (9 ans) en date du 30 décembre 1653 avec achevé d'imprimer pour la première fois le 12 mayI654, 312 APPENDICE la liste des « Acteurs ». — Pp. 1 k 167 chiffr. Cette édition n'a pas paru séparément; elle forme la seconde partie des Œuvres diverses. Voir les Œuvres diverses, 165b. ld. Paris, Charles de Sercy, 1G54. In-12 (P. L.). Id. Paris, 1657. In-12 (British Muséum). Id. Paris, Charles de Sercy, 1658. In-12 (Cat. Soleinne). Cette édition, dit P. Lacroix, contient l'incroyable équivoque, p. 74. Id. id. M.DC.LXI (1661). In-12. Titre et 152 pp. chiffr. Id. A Rouen || chez Antoine Ferrand [| aux Degrez du Palais || M.DC.LXIII (1663). In-12 de 156 pp. chiffr. Id. A Lyon, chez Chr. Fourmy, 1663. In-12. Id. A Paris, chez Charles de Sercy. M.D.LXIV (1664). Avec privi- lège du Roy. In-12 de 177 pp. chiffr. Au verso du dernier feuillet, privilège du 21 décembre 1661 pour dix ans, avec achevé d'imprimer pour la première fois le 12 décembre 1663. Id. Paris, Charles de Sercy. M.DC.LXXI (1671). In-12 de 167 pp. chiffr. (A., 11246) Au verso du dernier feuillet, privilège du 21 décembre 1661. Les exemplaires de cette édition ont été remis en circulation sous la date de 1683, avec un nouveau titre portant au verso un privilège du 18 avril 1681 pour vingt ans (A, 10507). Id. Rouen, chez Jean-B. Besongne, rue Ecuyère, au Soleil Royal, 1678. In-8 de 154 pp. chiffr. et 1 f. bl. (N., Z 20092) Toutes les éditions ci-dessus, depuis et y compris 1657, accompa- gnent les Œuvres diverses. XIXe ET XXe SIECLES Œuvres de Cyrano de Bergerac, précédées d'une Notice par Le Blanc. Voyage comique dans les Estais et Empires de la Lune, Voyage comique dans les Estats et Empires du Soleil. Paris, Victor Lecou, et Toulouse, Librairie centrale, 1855. In-8 de 376 pp. chiff. (N.) A) Histoire comique des Estats et Empires de la Lune et du Soleil, par Cyrano de Bergerac. Nouvelle édition revue et publiée avec des notes et une Notice historique par P. L. (Paul Lacroix). Jacob, bibliophile. Paris, Adolphe Delahays, 1858. In-8 de LXXX pp., 311 pp. chiffr. et 2 ff. B) Œuvres Comiques, Galantes et Littéraires de Cyrano de Bergerac. Nouvelle édition, revue et publiée avec des notes par P. L. Jacob, biblio- phile. Paris, Adolphe Delahays, 1858. In-8 de VIII pp., 414 pp. chiffr. et 1 f. Exemplaires tirés sur Hollande pour la Bibl. Gauloise et pap. ord. Ces deux volu- BIBLIOGRAPHIE 313 mes ont eu plusieurs réimpressions textuelles, la dernière est de 1900 et cela malgré l'existence des deux manuscrits de la Bibl. Nat. signalés par P. Brun depuis 1893! Voyages Fantastiques de Cyrano Bergerac. Publiés avec une Intro- duction et des Notes par Marc de Montifaud. Paris, Librairie des Biblio- philes, 1875. In-8 de LXXITj pp., 281 pp. chiffr. et 1 f. pour la table (N.). Madame Léon Quivogne de Montifaud, née Amélie Chartroule de Montifaud (elle a emprunté à son fils son prénom de Marc), dans son étude sur Cyrano, a pris soin de nous expliquer que « la folie n'est peut-être qu'un état très lucide de l'âme, où elle perçoit les rapports des objets invisibles aux sens ayant plus d'aisance que n'importe quelle faculté pour flatter et s'élever. » Histoire comique de la Lune et du Soleil. Paris, Garnier, 1876. In-12. Histoire comique des Estats et Empires de la Lune et du Soleil, par Cyrano de Bergerac. Avec Appendice contenant : 1° Antonin Diogène : Choses vues au delà de Thulé ; 2° Lucien : Histoire Véritable. Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1886. In-8 de 317 pp. chiffr. et 1 f. (N.) Edition expurgée qui fait partie de la « Collection des Voyages dans tous les Mondes », publiée sous la direction de M. Eugène Muller, qui est l'auteur de la Notice sur Cyrano de Bergerac. Cyrano de Bergerac. Voyage dans la Lune. Paris, Ernest Flamma- rion, s. d. In-8 de XXXVI pp. et 248 pp. chiffr. « Collection des Auteurs célèbres » à 0,60 le volume. Cyrano de Bergerac. Œuvres Comiques, Voyage dans la Lune, His- toire des Estats du Soleil, Histoire des Oiseaux. Tome I (et II). Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1898. Le Pédant Joué, comedy by Cyrano de Bergerac. With Lyfe of Cyrano by H. B. Stanton (H. U. 1900). And a Préface by Professor Ferdinand Bôcher. Published under the auspices of the Cercle français of Harward university Boston. Jean de Peiffer, 1899. In-8 de 4 pp. chiffr. lx pp. 7 ff. et 80 pp. chiffr. (N.). La comédie Le Pédant joué a été adaptée ici par M. C. H. L. N Bernard en trois actes avec ballets pour la treizième représentation annuelle du Cercle français de l'Université de Harward. Lettres d'Amour, publiées d'après le manuscrit inédit de la Biblio- thèque nationale, avec une introduction par G. Capon et B. Yves Plessis. Paris, Plessis, 1905. In-16 de 96 pp. chiffr. et 2 ff. Portrait de Cyrano (N.). Cette édition contient dix-huit lettres, dont douze des Œuvres diverses 165k, et six des Nouvelles œuvres, 1662, avec texte du Ms. de la Bibl. nat. pour celles qui s'y lisent. Collection des plus belles pages. — Cyrano de Bergerac. Le Pédant Joué, Lettres satyriques et amoureuses, Scènes de La Mort a" Agrippine , Entretiens pointus, Voyage à la Lune et au Soleil, Fragments de physi- que, Appendice, Documents biographiques, Jugements littéraires et scien- tifiques. Bibliographie avec des pages inédites, un portrait, deux gravures 314 APPENDICE anciennes et une notice de Remy de Gourmont. Paris, Société du Mercure de France. M.CM.VIII (1908). In-18 de 340 pp. chiffr. et 2 ff. De Cyrano Bergerac. L'Autre Monde, ou Histoire Comique des Estats et Empires de la Lune. Illustrations de Robida. Librairie Moderne. Mau- rice Bauche, éditeur... Paris, M.CM.X (1910). Grand in-8 de 93 pp. chiffr. Cette édition donne un texte hybride ; c'est un mélange du Ms. 4338, Nouv. acq. fr. de la Bibl. nat. et de l'édition de Lyon, 1663. La notice placée en tête est celle de M. Auguste Vitu. S. de Cyrano Bergerac. Histoire Comique des Estats et Empires du Soleil. Illustrations de A. Robida. Librairie moderne. Maurice Bauche, éditeur... M.CM.X (1910). Grand in-8 de 95 pp. chiffr. MANUSCRITS Bibl. Nat. Nouv. acq. fr. 4557. Ms. de 210 ff. chiffr., petit in-4. F. 2. Le Pédant joué, comédie en prose par Monsr de Bergerac; fig. 94. Let- tres de Monsieur de Bergerac, 1651. Une vingtaine de feuillets ont été coupés à la fin du Ms. ; il est probable qu'ils étaient blancs. Ce Ms. contient quarante et une lettres, dont deux inédites ; trente-trois se retrou- vent refaites complètement ou plus ou moins modifiées (avec de larges suppressions) dans les (JEuvres diverses de 1654 et six dans les Nouvelles Œuvres de 1662. Bibl. Nat. Nouv. acq. fr. 4558. Ms. de 4 ff. dont 2 bl., 152 ff. chiffr. et 1 bl. in-8. — Les 2 ff. contiennent l'épigramme et le sonnet de Royer de Prades ; les 152 ff . : L'Autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune. Bibl. de Munich : N° 420 (Gall. 419). T. VII du Cat. des Ms. 1858. — In-4 de 115 ff. : V Autre Monde ou les Empires et Estatz (sic) de la Lune. Ce Ms. est moins complet que celui de Paris, et le texte en est très incorrect ; il renferme cependant quelques additions intéressantes, nous les avons relevées. L'Autre Monde ou les Empires et Estats de la Lune. In-4 de 233 pp. réglé (ex meis) (provient de la collection Philipps, de Londres). Ce Ms., de la fin du xvii" siècle, a appartenu au chirurgien Ant. Louis, le vérita- ble inventeur de la guillotine, qui Ta acheté en 1765 et qui a noté sur la garde : « L'auteur d'un bout à l'autre sent le fagot et M. de Voltaire, avec La Philosophie de r Histoire et son Dictionnaire politique, n'est qu'un réchauffeur. » — Le texte est celui du Ms. de Munich, avec une meilleure orthographe et sans les fautes grossières de ce dernier. III. — ICONOGRAPHIE DE CYRANO DE BERGERAC Cyrano a été assez favorisé au point de vue iconographi- que. Alors qu'il n'existe aucun portrait de Saint-Amant, de Guillaume Colletet, de Malleville, de Benserade, etc., nous en avons quatre de notre libertin : 1° — Le portrait dû à Zacharie Heince avec cette inscription : « Savi- nianus de Girano de Bergerac, nobilis Gallus, ex icône apud nobiles domi- nos, Le Bret et de Prade, amicus ipsius antiquissimos depicto ». 2° — Celui de Zacharie Heince, différent du précédent, gravé par Le Doyen, avec ses armes et ces quatre vers : La Terre me fut importune. Je pris mon essor vers les Cieux ; J'y vis le Soleil et la Lune, Et maintenant j'y vois les Dieux. placé en tête de l'édition de ses Nouvelles Œuvres, 1662. , 3° Le même portrait, en sens opposé, avec un encadrement différent : en haut, à gauche, le Soleil ; à droite, la Lune, et au bas le quatrain ci-dessus , édition des Œuvres diverses, Amsterdam, 1109.) 4° Celui de la Collection Desrochers : Cyrano porte une couronne de lauriers ; l'inscription suivante se lit sur un cartouche : « Cyrano de Bergerac, auteur et poëte françois, né en Gascogne, il mourut à Paris en 1655, âgé de 35 ans. » Au bas, ce nouveau quatrain : Telle est la vraye ressemblance Du vray favory de Pallas, Sa valeur le guidoit au milieu des combats, Et dans le Cabinet il avoit sa science. IV. — PROCES INTENTÉ PAR LE LIBRAIRE CHARLES DE SERCY AU LIBRAIRE ANTHOINE DE SOMMAYILLE POUR LA CONTREFAÇON FAITE PAR CE DERNIER DE SON ÉDITION DES « ŒUVRES DIVERSES» DE CYRANO DE BERGERAC, 1661.] A). — ARRÊT DE LA COUR DE PARLEMENT (30 novembre 1661). Veu par la Chambre des vacations, la Requeste à elle présentée le 23 septembre mil six cens soixante et un par Charles de Sercy, marchand libraire à Paris, à ce que pour les causes y contenues et que les lettres patentes obtenues du Roy par le suppliant le 30 décembre mil six cens cinquante-trois et vingt-trois décembre mil six cens cinquante-six estant adressantes à la Cour et enregistrées en icelles, toutes les demandes en contraventions ou chose qui regarde l'exécution d'icelle y doivent estre portées directement, que par lesdites lettres il est faict deffences à tous autres libraires qu'au suppliant de faire imprimer, vendre ny débiter tou- tes les œuvres faictes par le Sieur Sirano de Bergerac, qu'au préjudice de ce, Antoine de Sommaville, libraire au Pallais, a faict imprimer de sur les exemplaires du suppliant les mesmes œuvres dudit Sirano et les vend et débite publiquement et le suppliant en conséquence desdites lettres et dudit arrest d'enregistrement ayant faict saisir les exemplaires dudit Som- maville dans sa boutique, le vingt-deux septembre dernier et donné assi- gnation en ladite Cour en contravention desdites lettres et arrest, ledit Sommaville l'auroit faict assigner devant le bailly du Pallais le vingt-trois de ce mois pour apporter lettres et exploits en vertu desquels il avoit faict ladite saisie et s'efforce de faire rendre sentence à ses fins, il fut ordonné que lesdites lettres et arrests d'enregistrement seroient exécutez, ladite assignation révocquée comme attentat, le suppliant déchargé d'icelle, deffence audit Sommaville de sepourveoir ni faire poursuitte ailleurs qu'en la Cour et audit bailly du Pallais d'en cognoistre à peine de nullité, cassa- tion de procédure de trois mil livres d'amande applicables à l'hospital général et aux dommages et interestz du suppliant. Veu aussy lesdites lettres pattentes, arrest d'enregistrement du vingt-six aoust dernier et assignation audit bailliage du Palais et autres pièces cy attachées et ladite requeste signée Prieur. Conclusions du procureur général du Roy. Ouy le rapport de Me Michel Ferrand, Conseiller, et tout considéré, ladite Cour a ordonné et ordonne que lesdites lettres patentes et arrest d'enregistre- ment du vingt-six aoust dernier seront exécutées, ce faisant que les parties procéderont en ladite Cour sur l'assignation et demande du suppliant en la manière accoustumée et cependant deffences de faire poursuitte ailleurs PROCÈS EN CONTREFAÇON DES ŒUVRES DE CYRANO 317 qu'en icelle, audit Bailly du Palais d'en cognoistre et audit Sommaville de continuer à vendre lesdites œuvres jusques à ce que aultrement par elle en ait esté ordonné, à peine de cinq cens livres d'amendes et de tous des- pens, dommaiges et intérestz. {Archives Nationales. Xu 2502, f. 607.) B). — EXTRAIT DES REGISTRES DU PARLEMENT (9 août 1662). Entre Charles de Sercy, Marchand Libraire et Bourgeois de Paris, demandeur, aux fins de la Requeste par luy présentée à la Cour le 23 sep- tembre 1661, à ce que les peines de trois mille livres d'une part, et trois mille livres d'autre, portées par les deux Lettres Patentes portant Privi- lèges d'imprimer, vendre et débiter les Œuvres du Sieur de Cyrano de Bergerac, contenant une Pièce de Théâtre intitulée La Mort d'Agrippine, quelques Fragmens d'histoire, Lettres et autres Pièces composées par ledit de Cyrano, fussent déclarées encourues contre le défendeur cy-après nommé, pour avoir par luy fait imprimé, contrefait et débité partie des- dites Œuvres, et ordonné qu'au payement desdites sommes il seroit contraint, et par corps, les Exemplaires par luy faits acquis et confisquez au profit du demandeur ; et à faute de rendre et représenter lesdits exem- plaires par luy faits, dont ledit demandeur seroit crû à son serment, jus- ques au nombre de quinze cens, qu'il seroit pareillement condamné et contraint par corps à payer audit demandeur la somme de quatre mille cinq cens livres à son choix et option, qui est à raison de trois livres pour chaque Exemplaire, ainsi qu'il se vend ordinairement ; et outre ledit défen- deur condamné par les mesmes voyes aux dommages et intérestz que ledit demandeur a eus et soufferts, aura et souffrira à cause de ce, et aux despens de l'Instance avec itératives défenses audit défendeur et tous autres, de plus imprimer, vendre et débiter lesdites Œuvres en tout, ou en partie, dudit Cyrano, ny contrevenir ausdites lettres patentes de privilège, et arrests de vérification d'icelles, sur telles autres et plus grandes peines qu'il plaira à la Cour arbitrer ; Requérant à cette fin ledit demandeur la jonction du Procureur Général, pour la vendique et intérest public, aux réservations de ses autres actions : Et encores demandeur en exécution des Arrests de la Cour des 24 septembre 1661 et 3 avril 1662, d'une part ; Et Antoine Sommaville aussi Marchand Libraire à Paris, défendeur d'au- tre, sans que les qualitez puissent préjudicier. Après que Pousset pour ledit Sercy, et Tuault pour ledit Sommaville, ont esté oiiis, ensemble Bignon pour le procureur général du Roy, La Cour ordonne que l'appoin- tement sera reçu ; ce faisant, conformément à iceluy, ordonne que lesdites lettres patentes et arrest de vérification du 26 aoust 1661 seront exécutez selon leur forme et teneur ; en conséquence fait inhibitions et défenses audit défendeur et tous autres, de plus imprimer, vendre ny débiter les- 318 APPENDICE dites Oeuvres, en tout ou partie, dudit Cyrano de Bergerac, et dont est question ; Et pour la contravention par luy faite ausdites Lettres Patentes et Arrest de vérification, condamne iceluy défendeur aux dommages et intérests du demandeur qu'il a eus et soufferts, aura et souffrira à cause desdites impressions, vente et débit desdits Livres et Œuvres de Bergerac en question ; et pour la liquidation d'iceux, a renvoyé et renvoyé en ladite Cour en la manière accousturaée, despens réservez. Fait en Parlement, le trente et un Juillet mil six cens soixante-deux. Signé : Du Tillet. Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre. Au pre- mier nostre huissier ou sergent sur ce requis. Salut ! De la partie de Char- les de Sercy, marchand libraire, bourgeois de Paris, Nous te mandons qu'à sa requeste tu mettes à deuë, pleine et entière exécution l'arrest de nostre Cour de Parlement de Paris, cy attaché sous le contrescel de nostre Chancellerie en datte du 31 Juillet 1662, obtenu par ledit Exposant, à ren- contre d'Antoine Sommaville, et tous autres qu'il appartiendra, nonobs- tant qu'il ne soit que par Extrait ; de ce faire te donnons pouvoir. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le neufiesme Aoust, l'an de grâce mil six cens soixante-deux. Et de nostre Règne le vingtième. Signé par le Conseil, Turpin. L'an mil six cens soixante,...., le , jour de , à la requeste de Charles de Sercy, marcliand libraire à Paris, V arrest et commission sur iceluy, dont coppies sont cy-dcssus, ont esté par moy, Jiuissier sergent à verge, au C/iastelet de Paris, soussigné, montrez, signifiez, et d'iceux baillé copie à , en son domicile, parlant à ,., à ce que du contenu en iceux il ne prétende cause d'ignorance et luy ay fait les défenses y men- tionnées, sur les peines y portées. Fait présent témoins nommez en mon Original. C) EXTRAIT DES REGISTRES DU PARLEMENT (27 juillet 1663). Entre Charles de Sercy,» marchand libraire à Paris, demandeur en requeste par luy présentée à la Cour, le 23 septembre 1661, tendante à ce que les peines de trois mille livres d'une part, et trois mille livres d'autre, portées par les lettres de privilège qu'il a obtenues les 30 décembre 1653 et 23 décembre 1656, soient déclarées encourues contre le défendeur cy- après nommé, pour avoir par luy imprimé, contrefait et débité les Œuvres Diverses de Cyrano Bergerac au préjudice desdites Lettres ; au payement desquelles sommes il seroit contraint par corps, les exemplaires par luy contrefaits, acquis et confisquez au profit du demandeur; et à faute de rendre et représenter lesdits exemplaires, dont le demandeur sera crû à son serment jusques au nombre de quinze cens, il sera condamné luy payer la somme de quatre mille cinq cens livres, qui est à raison de trois livres PROCÈS EN CONTREFAÇON DES ŒUVRES DE CYRANO 319 pour chaque exemplaire, et outre aux dommages et intérests tels que le demandeur a eus et soufferts, aura et souffrira, et aux despens de l'Ins- tance ; Autres itératives défenses de plus imprimer, vendre ny débiter les- dites Œuvres, ou partie d'icelles, sur telles autres peines qu'il plaira à la Cour arbitrer, d'une part ; Et Antoine de Sommaville, aussi marchand libraire à Paris, défendeur et demandeur suivant l'Exploit d'assignation donnée par devant le bailly du Palais ledit jour 23 septembre 1661, ten- dante à ce que la saisie faite le 22 dud. mois d'un livre intitulé : Les Œuvres Diverses de Cyrano Bergerac soit déclarée injurieuse, le défen- deur condamné à la représentation dudit livre et par corps, et aux des- pens, dommages et intérests du demandeur ; Et encores demandeur en faux suivant l'Acte reçu au Greffe de la Cour le 2 mars 1662, contre les prétendues Lettres de privilège dattées du 30 décembre 1653, ayant pour titre Œuvres Diverses de Cyrano Bergerac, imprimées et employées en un livre in-quarto, qui contient ledit titre, et contre un autre prétendu privi- lège du 23 décembre 1656, qui a pour titre : Diverses Œuvres de Cyrano, tant en Prose qu'en Vers, imprimé et employé en un livre in-douze, intitulé Le Pédant Joué, et encores demandeur et lettres en forme de Requeste civile, accordées en Chancellerie le 13 janvier 1663 contre les Arrêts de ladite Cour des 14 mars, 3 avril et 31 juillet préeédens, d'une autre part ; Et ledit de Sercy, défendeur d'autre. Après que Sevin, advocat dudit Sommaville, et Isalis pour de Sercy ; Oiiis les procureurs des parties sont par l'advis de maistre Jacques Lambin, ancien advocat pris pour tiers demeurez d'accord de l'appointement qui ensuit ; appointé est que la Cour, oiiy sur ce le procureur général du Roy, a sur lesdites lettres en forme de Requeste Civile, mis et met les parties hors de Cour et de procès; et en conséquence, faisant droict sur le tout, sans s'arrester aux demandes dudit Sommaville, l'a condamné et condamne payer audit de Sercy la somme de quatre cens livres parisis, tant pour les dommages et intérests à luy adju- gez par l'arrest du 31 juillet 1662 que pour les frais et despens par luy faicts jusques au jour du présent arrest ; luy a fait et fait défenses ensem- ble à tous autres libraires et imprimeurs, de vendre ny débiter d'autres Livres et Œuvres de Cyrano Bergerac, que de ceux imprimez par ledit de Sercy, sur les peines portées par les privilèges, et de tous despens, dom- mages et intérests ; condamne le demandeur en trente-sept livres 10 sols d'amende. Fait en Parlement le cinquiesme Juin mil six cens soixante- trois. Signé : Du Tillet. Collationné. Louis, par la Grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre ; Au pre- mier nostre huissier ou sergent sur ce requis. Salut. De la partie de Charles de Sercy, marchand libraire, bourgeois de Paris. Nous te man- dons qu'à sa requeste tu mettes à deuë, pleine et entière exécution, l'arrest par luy obtenu de nos amez et féaux conseillers les Gens tenans nostre Cour de Parlement à l'encontre d'Antoine de Sommaville, et tous autres 320 APPENDICE qu'il appartiendra, nonobstant que ledit arrest ne soit que par extrait, en date du cinquiesme Juin dernier, et cy attaché sous le contrescel de nostre Chancelerie, de ce faire te donnons pouvoir. Donné à Paris, le vingt- septiesrae Juillet l'an de grâce mil six cens soixante-trois. Et de nostre règne le vingt-uniesme. Signé par le Conseil, Le Juge. L'an mil six cens soixante-trois, le XXI" jour de aoust, à la requeste de Charles de Sercy, marchand libraire à Paris, Varrest et commission sur iceluy, dont coppies sont cy-dessus, ont esté par moy, huissier sergent à verge au Chastelet de Paris, soussigné, montrez, signifiez, et d'iccux baillé coppie à , en son domicile , parlant à , à ce que du contenu en iceux, il ne prétende cause d'ignorance, et luy ay fait les défenses y men- tionnées, sur les peines portées. Fait présent témoins nommez en mon origi- nal. Signé : hier. TABLE DES POÉSIES DE CYRANO DE BERGERAC Rondeau (en tête de la tragédie Le Grand Selim ou le Cou- ronnement tragique, 4G45), de Le Vayer de Boutigny : Car, au- trement, moy ne puis reconnoislre XLIX Sonnet (1649) : Effroyables Aut/ieurs de nos calamitez. . . . LXXIV Le Ministre d Estât flambé, burlesque (mazarinade, 1649) : // faut bien qu'un chien de lutin II 237 Couplet (1649) : La troupe des bons catholiques LXXXI Madrigal à M. Bignon sur les Hommes illustres qu'il a gra- vés (6 v., 1650) : Les En fans immortels du cuivre et du burin. II 230 Sonnet (en tête de ses Œuvres diverses, 165k). A made- moiselle (Jacqueline) dArpajon : Le vol est trop hardi que mon cœur se propose LXXX1X La Maladie. Stances (7 de 10 v.) : Mon grand Ami, je suis malade XLIII Pour M. Dassoucy sur sa « Métamorphose des Dieux » (L'Ovide en belle humeur, 1650). Huitain : Plus puissant que jadis Orphée LXXXII TABLE DES PRÉFACES DE CYRANO DE BERGERAC AUX OUVRAGES DE SES AMIS Œuvres poétiques du sieur D. P. (de Prades), 1650 : A qui lit : Lecteur, comme l'imprimeur t'a déjà dit LXXXII Jugement de Paris, poème de Dassoucy (1648;. Au sot lec- teur et non au Sage : Vulgaire, n'approche point de cet ouvrage. LXVI TABLE DES POÉSIES DES AMIS DE CYRANO DE BERGERAC Le Bret (Henri) A MM. Heince et Bignon sur leurs portraits des Héros françois (1650). Huitain : Cette déesse dont la voix II 230 322 POÉSIES DES AMIS DE CYRANO Royer de Prades A l'Auteur des Estais et Empires de la Lune ou de l'Autre Monde. Sixain : Accepte ces six médians vers LXXX A un Pèlerin revenu de L'Autre Monde. Septain : J'eusse fait un plus long voyage LXXX1II A l'Auteur des Estais et Empires de la Lune ou de V Autre Monde. Sonnet: Un esprit qu'en son vol nul obstacle n'arreste. LXXX A un mauvais poëte burlesque. Sixain. Tes amis et tes envieux LXXXIV TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITÉS Les noms propres commençant par D', Du, L\ La ou Le, sont classés aux dites lettres, Abel II 299* Adam. . . 23*, 26*, 29 ; II 202, 205, 221 Achab 25* Achille II 223 Agrippa (Corneille) 34*, 104; II 58*, 209 Alcide II 222 Alexandre le Grand. ... 28, 36 ; II 261 Amaury (Thomas), libr civ* Amaury-Socquet II 94 Ambroise, notaire cxvii Anaxagore 124 : II 261 Anaximandre 148 Anceaume, notaire cxxxix, cxli Anget. Voir Auget. Annibal 66 ; II 275 Apollonius de Tyanes 148 Arbalestrier (Antoine). Voir Balestrier. Arétin II 252 Arioste xxiv, 186 Aristarque 12 Aristophane 147 ; II 249 Aristote xxiv, 49, 53, 181 ; II 164, 188. 201, 212. 252 Artéphius, philosophe. II 190 Astorgy de Broeil II 218 Athénée xxvn Attila II 255 Aubert (Jacques) cxxn* Auget (Paul) ou Auger xix, cliii Auget (Simon) cliii Augustin (Saint) 16 ; II 254, 255 Aulu-Gelle xxiv Auvery (François), receveur, cxviii, cxxiv*, cxxv* B (Nicolas). Voir Hérault (François). Bacon 53 Baïf (J. A. de) cm Balestrier (Antoine), xxx, lxvii, cxix* Id. (Emmanuel) cxix* Ballard II 99 Balzac (Guez de) XLVi, ci, eu*, civ, 83 Bannes ou Banez, dominicain.. II 172 Barales (Ch. de) xxvi Barbedor, maitre écrivain. . lxix, cxlv Barbin (Claude), libraire ix Bardin (Denis) cxxxvi, cxlvii Id. (Françoise) cxlvii Barentin (Honoré) xxvi Baron, père II 93 Bauche (Maurice) 85 Baudoin (Jean) lxii Baudouin Louis), huissier., lix, lxvii, cxlviii*, etc. Baudy ou Baudry, notaire cxxxiv, CLVIII Bavent (Madeleine) II 216 Beauchasteau, comédien II 93 Beauchasteau de Villiers (Mad.), comédienne II 93 Beaufort (duc de). ... II 239, 250*, 287 Beaufort (Jean de) lxvii, lxviii, lxxvi, cxxix etc. Beaufort, notaire cxxxm, cxxxiv Beauvais (de), notaire cxxxiv Beauvau clxii Bellanger (Espérance). . . xxiii*, xxvi, xxvii, etc , etc. Id. (Simon), xxvi , lxxvii, xciii Belurget (Claude) 162 Benserade II 315 Bergerac (Antoine de) xxx*, cxvn Id. (Dauphin de) xxx Id. (Fleur de lis) xxx Id. (Gallois de) xxx, ex vu Id. (Guillaume de) xxx Id. (Jouin de) xxx Id . (Loys de) xxx, cxvn Id. (Nicolas de) xxx Id. (Philippe de) xxx, cxvn Bernage (de) clviii Bernard (M. C. H. L. N.).. . . II 7, 313 Bernard (Claude) 77 Bernard (Claude), dit le Pauvre Prêtre, II 218* 220 Bernardin (N. -M.) xin*, xxxvn 34 Bernier xxxvi*, 1 ; II. 291, 292 Béroalde de Verville 89 Bert (Paul) xiv Berthault (Jacques) lxxviii Bertier (P. de), évèque xxvm Besongne (J. B.), libr. . . 306, 308, 312 Beys (Charles) lxvi Bignon xxxiv Id. (François), cxliv* ; II 229, 230* Id. (Pierre) lxviii, lxix* Bigre cv Blandin lxxxv* ; II 184*. 186 Blondeau (Geneviève), lviii*, LXII, CXVIII, CXL, CXLII*, CXLIII Blot (baron de) vi*, lxxxi Bocace xxv Bûcher ( Ferdinand) II 7, 313 324 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES Bodin Jean) xxiv Boileau. xxxvi,* xxxix, cm; 1112,198 Boisrobert xc, cv Boisseau (Gilles) cxx, cxxiv Boisseau (Jean), peintre II 243* Boissonat (Jean) lxxviii Borge (Madeleine de) xxvi Bossuet v Bouclier (Girard), cxxi, cxxn*, cxxui Boullé (Thomas) II 216 Bourbon (Henri de) II 174 Bourbon (Nicolas) le vieux xxix Id. (Nicolas) xxix* Bourdin cxxm Bourdon (Jean) le jeune lxxix Bourgeois (Léon) xiv Bourgogne (de) xxxiv*, xxxix Bouteville en Boyer, sieur du Petit-Puy II 218 Brétilleux (la) II 243 Breton (Guillaume) cxxii* Id. (Jehan) cxxm Brienne (comte de) lxxix Brioché (François) xxxix Id. (Jean) xxxix*, xl, xli Brissac (duc de) II 288 Brissailles (Hector de) xxxiv*, lxxxiii Brissonnet (Gilles): lxxix Id. (Jean) lxxix Brochard (Girard) cxxn* Brossard (Jehan) cxxm Brosse (Jean de) II 204 Brosse (Robert) cxxxv Brossette xxxvi Brun (Pierre) xm*, xvn*, xxvii, lxix, lxx, lxxxvi, lxxxix, xci, xcvm, xcix, etc., etc. Brunet (Jean), libr lxxi, lxxii*, lxxiu, lxxiv, lxxv ; II 237, 248, 260, 266, 270, 310*, 311* Bruno (Giordano) 71 Brutus 34* Buchanan xxiv Bufïon cvm Buratini 136* Byet (Claude), abbé d'Àrcy cliii Cabanis 77 Caen (Marie de) 5 Caïn II 299 Caligula II 206 Calvin vu, vm* Cambout (Pierre de), de Coislin. cliii Campanella.. xlvi, l, 35*, 57. 70, 71*, 83, 85, 86, 130, 181*, 195, 198, 199 Camus cxxxvn Camus, huissier. Voir Le Camus. Camuzet clxi Caudale (duc de) II 245 Capitan, procureur cxlvi Capon (G.) cvi ; II 313 Carbon de Casteljaloux. . . xxxi, xxxm Cardan (Jérôme) 6*, 34* Cardelin farceur II 216, 244* Carmeline, dentiste II 244* Carême 41 Carré, notaire. Voir Quarré. Cartier, notaire LVIII, lxxvii Cassandre II 218 Cassius 64* Castiglione (B. de) xxiv Castilia II 218 Catilina xxiv* Caus (Salomon de) 78 Caussin (le Père), jésuite II 176* Cavois xxxiv, xlvih Cervantes II 7 César xxiv, 64*, 66 ; II 64, 223 César, aventurier 34* Champagne, coiffeur II 244 Chanut (Marie) xxxv* Id. (Pierre) xxxv Chaplain II 53 Chapellaz (Jacques) vin Chapelle (Claude-Emmanuel Lulilier, dit), xn, xxxv*, xxxvi*, li, lxvii, lxxx, lxxxix, xc, xcvi, 1 ; Il 186, 187, 188, 189*, 218, 291, 292 Chapotin (Père M. D.) xxix Chappuys de La Goutte II 218 Chapperon lxix, cxliv Charbonnier (Florent) cxvii Charlemagne 66 Charles-Martel 28 Charles (Michel), commissaire II 172, 173 Charron 85 Chasteaufort (de) xxxiv Chastillon (de) lxxi ; II 263* Id. (madame de), lxxi*, lxxv ; II 310 Chatel (Jean) II 176 Chatelin, comédien II 94 Chauderon (Jeanne) xxx Id. (Jehan de) cxxv Chaulieu vm Chaulnes (Claude de) 12 Chausson vi Chavannes (de) lxxxii Cherbois (Marie) xx Chevenne (de) lxvii Chevreuse (duc de) cxxxvi Chilon lxxii Chinard (Gilbert) ix, xiv Choffier (Jean) XX Choppin (Nicolas), avocat, lviii, cxxxi* CXLIII, CXLVI*, CXLVII Chouvigny (Claude de), voir Blot. Christine, reine de Suède 162 Cicéron xxiv ; II 258 Clanleu (de) II 263 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES 325 Claveret cv Clémance (Mad.), comédienne... II 94 Clénard xxiv* Cochon, curé de Sannois xcm Coli (Edoardo) 21 Colignac (de). 101, 102*. 103*, 105. etc. Colle, bouffon italien II 266, 244 Colletet (Fr.) II 218 Colletet (Guil. ) II 218, 315 Collin de Plancy II 58 Colomb xv Condé (le grand) lxxxi ; II 185, 222*, 242*, 263, 264, 265, 285 Copernic 6, 12*. 94 ; II 202 Corbinelli f civ ; II 6 Cormier, bouffon H 244* Corneille (Pierre)., xlvi, cv , 1193,94 Costar civ Cousin, joueur de paume..... II 243* Cousté (René) cxvi Coypeau (Charles). Voir Dassoucy. Cramail (comte de) cm Crespinet (Michel), cordonnier, lviii, , cxxxix, CXL Crésus, roi de Lydie 148 Cujas xxiv. Cuigy (Jean de) xxxix, xlix, 5* Cumée, sybille II 190 Cussan (marquis de).... 103, 105, etc. Cyprien (le Père) xcn Cyrano (Abel I de), père de Cyrano, xvn, xix*, cxvi*, cxxxiv* Id. (Abel II de), frère de Cyrano, xx*, clvi*, etc. Id. (Abel Pierre III de), fils de Abel II. xxvi*, cvi, cxvii*, CLVI, CLIX Id. (Anne de), tante de Cyrano, femme de Jacques Scop- part xix, xxvi, cxvi* Id. (Anne de), femme de Charles Poussemotte. . . . xix, cliii Id. (Antoine de) , frère de Cyrano xxvi Id. (Catherine de), fille de Abel I, sœur de Cyrano xxvn, xxx, XXXVII*, xlv, xci., cxvn* Id. (Catherine de), sœur de Sa- vinien I xvn Id. (Catherine de), fille de Abel II. Voir Mai-ie-Catherine. Id. (Denys de), frère de Cyrano. XXVI, XXVIII*, XXXII* XXXIII Id. (Honoré de), frère de Cy- rano XXVI Id. (Jérôme- Dominique de), xx*, cv, cxvi* Id. (Marie - Catherine de) , fille de Abel II.. xxvi*, cxxvn, clvi*, eux Cyrano (Marie de), femme de J. de Serre, xix, lui. cliii Id. (Marie de), fille de Jérôme- Dominique xx Id. , (Marie de), femme de Honoré Morel xix, cliii Id, (Marie-Elisabeth de), fille de Pierre II xx Id. (Paul de), fils de Jérôme- Dominique xx Id. (Pierre I, de), xix, xxvi, xxix, cxv Id. (Pierre de), marié à Char- lotte Genne ' xix Id- (Pierre II de), sieur de Cas- san, fils de Samuel II, xix*,* xci*, xcm*, cv, cxvi*, CLII, CLV, CLVI Id. (Samuel I de) xvn Id. (Samuel II, de), oncle de Cy- rano. XIX, xxv, xxvn, cxv*, cxvi, CXVIII*, CLII Id. (Savinien I de), grand-père de Cyrano, xvn, xvm*, cxv*, cxvi, cxxxm*, cxxxiv* Daillé, ministre protestant II 239 Damoys (Guillaume) cxxm Dampierre (M. de) cxxn, cxxm* Daniel II 259 Daremberg (de) lxii D'Argenson. Voir Le Voyer. D'Arpajon (Jacqueline). . lxxxix, 305* Id. (Louis, duc), lxxxviii*, lxxxix*, xc, xci, 1 ; II 6*, 97*, 98*, 231, 305*, 311 Darwin 77 Dassoucy (Ch. Coypeau)... xn, xvi, XXXI*, XL, XLI, XLVIII, L, LXVI*, LXXX, LXXXI*, LXXXII*, LXXXIII*, LXXXIV*, LXXXV*, LXXXVI*, XCIV*, xevi, en, cv, 34, 110* ; II 155, 183, 184*, 186*, 191, 244 D'Autriche (Anne). ... vi ; II 250, 262, 271, 273 David 66 ; II 286 David (veuve Jehan) cxxi, cxxu David (Pierre) lviii, cxviii, cxi. Decombe (la), II 243 Dehénault (Jean) -. VIII Delamare, commissaire clix, clx, clxi*, clxiii Delignet lxxviii Delinat lxxviii Demandols (Madeleine deï. II 216, 239 Démocrite.... xlix, 6, 14, 71, 79, 188 Démon de Socrate 33, 40, 102* Demosthène xxiv Denetz (Guillaume), notaire, exix, cxx 21 326 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES Denis (Jacquet), xi, xn, lxv*, xci, 53, 68, 91, 94, 162 Denizot (M™*)., lv, lix, cxxxv*, cxli* Dépoud (Pierre), curé cxlviii* Deronet /Mm'), comédienne II 94 Derrik.... II 310 Des Barreaux, dit l'Illustre débau- ché v*, VIII Desbois, avocat clx Id. (Anne) cliii Id. (Jacques), greffier cliii Id. (Jean), gendre de Scoppart . . xix*, lui*, lv, lvi*, etc. Desbordes (Jacques) II 308* Desbrosses cv Descartes... xxxvi, xcix*, 48, 49, 52, 53, 79, 109, 167, 183, 198, 199 Descourtieux (Elisabeth). .. . lu*, liv*, lv*, etc. Desforges, notaire cxvi Des Houllières (Madame) vm Des Marets de Saint-Sorlin II 5 Des Noyers, secrétaire de la reine de Pologne 136 Id. (Gilles) cxxm Id. (Jeanne) cxix* Deson de Reims 136 Despautères II 16*, 18, 23, 63 Desportes xxiv* D'Estouteville (Colard) xxxv Id. (Estout) xxxv Id. (Guillaume), évê- que xxxv D'Estrées (Antoine) xxix, cxvm Id. (François-Annibal. . . . cxvm Desues (Raoulin) lxxviii* D'Harcourt (Guy), évêque xxxv DHarouys (Nicolas) x Dimier (Louis) cvm Diodore de Sicile xxiv Diogène 66 Dion 34 D'Orléans (Gaston)., vi* xxxi ; II 285 D'Ors (comte) II 263 Doucet (Camille) II 94 Doussin (Marie) xix, cxvi, cm, CLIII, CLIV, CLVI Id. (Nicolas), huissier, clii, cliv Douville (Le Métel) cv Dracon II 262 Drusus, fils de Livia 34 Du Bail II 218 Du Bellay (Philippe) cxvn Du Bosc (veuve), libr 6 Du Chesne, médecin lviii, clxii Ducros (Louis) vu*, vm* Dufour (Perrette) xxvi, lxxvii Dugast (J.), libr x Du Moustier, recteur de l'Univer- sité II 173, 174 Du Pelletier II 218 Du Pellier, avocat lxvii Dupont-Vernon, comédien II 94* Dupré (Jean) cxix Dupron (David) xxxviii* Dupuis, notaire cxxxix Durand, notaire cxxxiv — (Guillaume) xvn Durckheim xiv Duret de Montchemin xxxiv* D'Urfé (Ho.ioré) civ Du Ryer (Pierre). ... cv Du Soucy (François), sieur de Gerzan L* II 218*. 220 Du Tage xc ; Il 178 Du Tillet II 319 Duval II 6 Edouard d'Angleterre 28 Elian II 253 Elisabeth de La Visitation. xxxvii*,cxxvn Elisée 26 Enoc 23, 25, 26, 30* 32 Epaminondas 33* Epicure.. xxxvi, lxvii, 6, 71, 76, 79, 80 Erasme xxiv, cm Esculape 28 Esnault (Estienne). cxxi, cxxn*, cxxm Id . (Mathurin) cxxn Esope 148 Estienne (A.), libr x Euclide xxiv* Eve 23*. 28* ; II 219, 221 Fagotin, singe xxxix Fanny (Antoine) xxvn Faucheur, ministre protestant.. II 239 Fauste (docteur) 34 ; II 239 Fédeau. Voir Feydeau. Ferrand (Antoine), libr II 306, 312 Ferrand (Michel) II 316 Feydeau (Marie), xxvn, xxvm*, cxxxv Filessac cxxxiv Filleau (Gilles), des Billettes.. lxxix Fillion (Pasquier) cxvm Fiorilli (Tiberio), dit Scaramouche II 216, 244 Fiseau, commissaire cxxxvi Flammarion (Camille), cix, ex, 12, 14 Floridor II 93 Foigny (Gabriel de) ix*, cv* Folengo 199 Fontanier (Jean) xiv Forbois (Thomas de) xvn*, xxx, cxvi, cxxv, cxxvi* Forestié (Em.) xxvm Formentin (Nicolas), conseiller, clvih Fouillé 77 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES 327 Fourcy (abbé de) xx Fourmy (Cbristofle), libr. à Lyon II 306, 309, 312 Fournel (Victor) II 6, 82, 84, 89 Fournier (Pierre), procureur.... cxvi, CLIII, CLV France (Anatole) v François (notaire) clv François (Pierre), procureur. . . . lxvii, lxviii*, lxxvi, cxlii, etc. Fredy de Coubertin.. xvn, xvm*, xix Friendly (J.) II 305 Furetière xl ; II 218 Fyot cm Gadeau (Henri), de Kerville 82 Galilée 47,58,94; II 202 Gallonye II 99 Galongé II 99 Garassus (le Père) vi ; II 177* Gassendi., xxxv*, xxxvi*, xxxvn, XXXVIII, L, LXVII, XCVI, XCIX*, 1*, 2, 13*, 35, 76*, 78, 80, 167; II 8 Gassion (maréchal de)... xxxix, xlix* ; II 241, 285* Gaufredy ou Gaufridi 216, 239 Gauthier (Théophile) ex* Genne (Charlotte) xix Gerbault (Etienne), notaire., cxxxvm, CLIII Gervais (François), tailleur lviii, cxxxix Gerzan (de). Voir Du Soucy (Fr.). Gilbert 124 Id. (Claude) ix* Gillet de la Tessonnerie cv Girard (Théodore) ci Girault, notaire cxxxix Godwïn (Fr.) ;. . lxv, 38, 44 Goffridy. Voir Gaufredy. Goethe 77 Gohier (Philippes) cxxm Gombault (J.-O. de) civ, cv Gomberville. Voir Le Roy (Marin de). Gonzague (Marie-Louise de), reine de Pologne.... xlviii*, 136; II 37, 88 Gonzalès (Dominique) lxv ; 44, 45 Gorillon (Bernard), conseiller... cliii Id. (Jean), sieur de Corgueson.. CLIII Id. (Pierre), sieur des Marchais.. LIIIC Gourmont (Remy de), exi*, 36, 73,197 ; II 19, 20, 314 Grachus II 258 Graf (Arturo) 20 Graindorge (A. de) 181 Grande Rue (Jeanne de) xxx Grand-Guillot (Jehan) cxxm Grandier (Urbain) II 216, 239 Grandin (Martin) II 171*, 172 Grangier (Jean). . xxix*, xlviii; II 8 Grégoire xm, pape II 54 Grégoire de Naziance II 249 Grimblet (Jean) lvii, cxxxix Grisbault (ColasJ cxxii Griveau (Ch.), sieur de Luroy. II 196* Gualis •. . . cliii Guazzo xxiv Guénault, médecin II 198* Guénégaud (de) II 175* Guenichot lxix, cxliv Guéret (Gabriel), xc, ci, cm, 7 ; II 93 Guers (J.-A.) cvn Guettard cvm Guichardin xxiv Guignard (Jean), libr lxii Guillard, notaire cxli Guilloys (Jacques) cxxii Id. (Martin) cxxii Guise. Voir Lorraine (Henry II de). Guyot (Nicolas) xxvi, lxxvii Id. notaire clviii Gygès 189 Habert lxxxviii Hamon xxiv Hardouin (Guillaume) lxxviii* Hardy (Pierre) exix Harvey 135 Hayrault (François). Voir Hérault. Heine*- (Zacharie). . . II 229, 230*, 315* Hélie 23, 26, 29, 30, 31*, 32 Héliogabale II 219, 221 Hemaut (Anne de) cliii Id. (Geneviève de) cliii Id. (Marguerite de) cliii Id. (Marie de)... clii, clv, clvi # Id. (Nicolle de) cliii Hénicle II 94 Hennin 101 Henri iv xxv* ; II 284 Heraclite 34 Hérault (François) ou Héreau.. xi* ; II 171, 172, 173*, 174, 175, 176* Hercule 66 Herculet (Jean), xxvm ; II 220, 222, 223 Hermant (Geoffroy) x ; II 171 Hérodian xxiv Hésiode II 251 Homère II 251 Horace xxiv Horats (Nicolas) lxxvii Hortensius xlvh Houyn lxxviii Houzé cliii Huart, notaire cxlviii, clvii 328 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES Huger (Macé), notaire... cxxi, cxxiv*, cxxvi Huot (Claude), libr lxxi ; II 310 Hypocrate 124; II 204 Imbert xxiv Id. notaire cxxxiii Isaac II 273 Isalis, avocat II 319 Jacob II 274 Jacob, avocat '. II 218 Jal xvii Jean (saint) l'Evangéliste. 31, 107, 108 Jean (messire) 104, 109 Jérémie II 259 Jésus (Marguerite de). Voir Senaux Marie de). Jésus-Christ.... II 166, 205*, 206, 219, 271, 300, 303* Job 110* Jordan (Etienne) II 297 Jonas, prophète II 198 Josset (Hélie) ci Josué 9 Jourdain (Françoise) lviii*, cxli Judas II 205, 301* 303 Jullien (Jacques) lxxix Id. (Jean) lxxix Juppont. xiii*, xvi, 12*, 13*, 14, etc. Justin. . xxiv Juvénal xxiv Karoly (Mad.), comédienne,... II 94* Kepler 6 Kircher 14 La Balle, notaire eux Laborde (de) II 253 La Coste (Nie. et Jean de), libr. lxxxiii La Brosse 34 La Calprenède (Gautier de Coste, de). . II 178 La Chapelle. Voir Chapelle. Lacroix (Paul) xi*, xn, xxvn*, xxix, etc. Id. (Phérotée de) civ* Ladvocat CLUi Laertius (Diogènes) xxiv La Fare vin La Goutte. Voir Chappuys. La Hogue (de), secrétaire du roi. cxliv Lailly (Gabriel de) xxx La Marche (Pierre de) cliii Lamark 77 Lamare 115 La Marre (de). Voir Delamarre. Lambert, trésorier cliii Lambert (Michel) cxv Lambin (Jacques), avocat II 319 La Ménardière cv La Morlière (Adrien) lxxix Id. notaire cxxxiv La Mothe-Houdancourt (maréchal de).. II 250*, 251, 288 La Mothe Le Vayer 35 ; II 285* Id. Id. fils (l'abbé) xn, xxxvi, li, lxvii. xc ; II 5*, 7*, 191*, 218, 280 Lando 74 Landois (Simone) xx Lannel (Jean de) 34 La Noue (de) xxiv Lanson (Gustave) ix La Perche. Voir Moussard. La Porte (Guillaume-Nicolas de)... evi CLIX, CLXI La Roche, bouffon italien II 24i* La Rochefoucauld (cardinal de). . lui La Rocque (Guy de) cxlvii* La Serre cv Lavale, prêtre II 173* La Vallée (le P.) II 172, 173* La Vrillière (de) cxltii Lays 66* Le Blanc ex Le Blanc 312 Id. (Richard 6 Le Bon (Gustave) vu, 80 Le Bret, frère de Henry xxxiv Id. (Henry)... xn, xxvm*, xxix, xxxi, etc., etc. ; II 219, 229, 230 Id. (Nicolas) xxvn Le Breton (Jean) II 216 Le Camus, huissier lviii, cxxxi, cxlvi Id. notaire xxm, xxiv*, exix, CXLVI Id. (Louise) xxvm Id (Marie)., xix, xxvm, xxix Le Cat, notaire cxxxvm, cxxxix, CXLVII*, CLV Le Clerc, principal du collège deCalvy. II 171 Le Coq, II 156 Le Coutelier II 244 Le Doyen, peintre II 306 Le Gauffre II 216 Le Gras (Jehan) cxxn*, cxxm* Le Grand (Pierre), libr. sup... II 297 Le Hon (Guillaume) cxxxv Le Juge II 319 Le Loyer (Pierre) 147 Le Maire (Anne)... xvm*, xxm, cxv*, cxvi, cxvn, cxviii, exix*, etc. Le Mascrier cvn Le Méra (le Père) II 174 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES 329 Lemoine (Jean), xvn, lxii, lxxvii, xcii Le Musnier, commissaire lxvii, lxviii, LXIX, CXXVIII L'Enfant (J.) II 294 Le Pannetier (Jacques) lxxviii, cxxxiii, CLVI Le Petit (Claude) vi*, xxxix Le Roux (Augustin), conseiller lxviii, cxxxiv Le Roy (Marin) de Gomberville II 163*, 178 Id. (Pierre), maçon, cxvn, cxvm Lescolle (de), marchand drapier lviii, cxxxix, CXL Lescot, évèque de Chartres II 171 Le Sellier (Anne) cxli Le Semelier, notaire cxxxiv, cxxxvm, CXLVII* Le Tasse II 182* Leucippe 12* Le Vayer de Boutigny xlviii* Le Verrier (Gervais). xxvi, lxxvii, cxl Le Voyer, notaire xxm Id. (M. R.) de Paulmy... cvi*, CLIX, CLX*, CLXI*, CLXIV Leyret (de) cliii L'Hermite Souliers (chevalier de), lxvii Lhospital clxiii Licostène xxiv Lieutard (Honoré) cliii Lignières (François Payot de) VIII, xxxix* Linné 77 Livet (Charles) II 6 Lope de Véga xlviii; II 5 Loret lxxxviii Lorraine (Henri de), duc de Guise xvm*, cvxi*, cxxi, cxxiv*, cxxvi, II 252, 283 Lorraine (Louis de), cardinal de Guise. II 187 Loudin (N.), prieur II 229 Louis xin 24; 1141,204,252 Louis (Ant.), chirurgien II 314 Louis d'Outremer II 205 Lourdet clxiii Lowell (A.) civ ; II 310 Lucibal, ange II 300 Lucien, cvm, 62, 85, 150, 193 ; II 309 Lucrèce... xxxvi, xcix, 1, 71, 76, 79, 124, 162, 188 Luillier (Claude7Emmanuel). Voir Chapelle. Luillier (François) xxxv* Id. (Jérôme) xxxv Luynes (duc de) II 288 Machiavel xxiv : II 260 Magnon cv Mahieu (Catherine) cliii, cliv Id. (Marie) cxvi, cliii, clv* Id. (Nicolas), notaire clii, cliv, CLVI . Maillet (Benoit de) cvn* Mairet xlvi Malherbe cm, 83 Mallaquin (Marie) xxvm Malleville II 315 Mancini (Hortense) II 244, 253 Id. (Laure) II 253 Id. (Marie) II 244, 253 Id. (Marie-Anne) II 244, 253 Id. (Olympe) II 253 Mangnier (Maurice) lxxvii Mansuy (Abel) 136 ; II 75 Marchand, notaire cxxxiii Id. (Joachim).. lxxviii, cxxxiv Marcy (Marie) xxvi, lxxvii Id. (Simon).... xxvi, lxxvii, clxii Maréchal cv Marguerite de Jésus (mère). Voir Se- naux (Marie de). Marigny lxxxi Marini II 182* Marolles (Michel de) llxxix Marot II 237 Marsile (Théodore) xxix Marsin (de) clxii Martial, parfumeur II 244 Martin (Jean) cxxi Id. (Pierre) lxxvii Id. Id. le jeune lxxviii* Martinozzi (Anne-Marie) II 253 Id. (Laure) II 253 Matharel ou Matherel (François), bailli de Chevreuse xix, cxxv, cxxvi Mathurin (saint) 102 ; II 203 Mathusalem II 190 Maucroix xix Maurras (Ch.) v Mayenne (duc de) 162 Mazarin (cardinal)... vi, lxx*, lxxii*, LXXIIÏ, LXXIV, lxxv, lxxxv, lxxxvi, lxxxvii ; II 195, 196*, 231, 232*, etc. Médicis (Marie) II 202, 204 Mersenne xlvi, 49 Mesnard xxxv, xxxvi Michallet (Estienne), libr ix* Michelet xi Millet (Catherine) xxix, cxxiv Milon II 251 Mirbeau (Octave) 89 Moïse lxxiii, 29* ; II 190 Mole (Mathieu) II 99, 177 Molière... xi, xxxvi*, xl, civ, cv, 1 ; II 7*, 16, 35, 48, 51, 82, 89, 251, 264, 267, 291, 292 Mondory xli*. xi.ii* Monmerqué (de) 4 330 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES Monod (Gabriel) xi Montbazon (de) 10* Montfleury (Zacharie-Jacob, dit.), xli, xlii*, li*, xc, ou; H 155, 161*, 180*, 181, 182, 183 Montfleury (Antoine-Jacob, dit) II 180, 181 Montifaut (de). Voir Quivogne. Montmagnie (de) 10*, 13*, 16 Montmaur (Pierre de) II. 5 Montpensier (Mademoiselle) II 218 Montplaisir lxxxviii Montrouge (Marie de) CLin Monval II 93, 94 Id. fils, comédien II 94 Moreau lxxxvi Id. notaire cxxxiv Morel, professeur d'écriture. ... II 243 Morel, conseiller clx Id. (Honoré) xix, cliii Id. (Pierre) xix Morgues (Mathieu de) II 239 Morillot lxxxvh Morlot (Claude), libr II 310 Morus (Thomas) xlvii, l, 85 Mouffle, notaire cxlvii Moullineaux (Louis de) cxix Mounet-Sully 94 Moussard (Pierre) dit La Perche, xxxvn Mubert (Martin) cliii Muller (Eugène) 16 ; II 313 Musnier (veuve A.) lxxii Id. (Hector) xxxvi ; II 189 Nau (Nicolas) x Naudé (Gabriel) 35, 162 ; II 285 Nepveu (François) cxxn Néron II 261 Neufgermain II 243* Neuvillette (madame de) xcn* Nicéron (le Père) xxxvi, cvi Id. (Robert) cxxxm Nichon (la petite) II 243* Nisus II 205 Nodier (Ch.) cix*, ex Nostradamus lxvi ; II 163 Nuidron (Robert) xxxh Ogier (Fr .) cm Ollivier (Jean), jardinier cxvm* Id. (Thomas) lxxvii Origène 75 Orviétan II 243* Osmont (Ch.) II 308 Oursel (François) , commissaire cxxxvn, CXLVH* Ovide m xxiv, 52, 181, 188 ; II 253 Pain (Daniel), libr II 308 Palliot (P.) xx, ci Pantaléon XXIV Panton (Raoulin) lxxix Parfait (les frères) II 34 Pascal 49* Passart cliii Patin, de l'Acad. franc II 94 Pausanias II 254, 265 Payen, notaire cxxxm*, cxxxiv Pazat (Mlle Jeanne), comédienne. Il 94* Pelletier (Jacques) xxiv Périclès II 283 Perrot (Louis) xxvn, xxvm Perrot d'Ablancourt II 309 Perse xxiv Pharaon II 264 Philippe (Henri) vin Philipps II 314 Philippot, dit le Savoyard.... II 243* Philolaûs 12 Philostrate II 268 Phocion II 283 Picard ou Picart (Catherine)... clviii Id. (Mathurin), curé II 216 Id. (Noël), tabellion cxvn*, cxxiv, cxxv Pichon (Jeanne) exix Pichou cv Picou (H. de) II 218 Pigou (Elie) xlii*, lviii, lxviii, LXIX*, CXLIV*, CXLVI* Pigray (Pierre) cxxxm, clvi Pillon cxxix Pimparé (Geoffroy) lxxviii* Pindare II 251 Piot (François), libr lxii Plastrier clviii Platon 53 ; II 212, 267 Plessis (Yves) civ ; II 113 Pline xxm, 189 Plutarque xxm, lv, 33 Pocquelin (Guy) xix Poissy (Gilles de) lix, cxxxv Pontchartrain clx*, clxi Pont-Courlay (madame de) II 197 Portmorant (abbé de) cxxvi Potier (Henri) lxxix Poussemotte (Anne de) xix Id. (Charles de), sieur de Thier- sonville xix, cliii Pousset, avocat 317 Poutrain, notaire cxxxm Priape II 166 Prieur II 316 Prométhée 23 Ptolémée II 12* 13 Pyrrhon xlix* Pythagore 6, 12,190 NOMS CITES 331 Quarré, notaire.... xxxn, xxxm, li, lui,*, etc. Quinet (Edgar) xi Id. (Toussaint), lxyi, lxvii; II 193 Quintillien xxiv Quivogne (Madame) de Montifaud. . . . xcii, ex* ; II 313 Rabelais xxv, xxxv, 28, 55, 74, 147, 199 Racine cv Rallu, notaire .*.... clix Ramboult (Marin), procureur. . cxxvi*, cxxvn* Ramée (Simon) exix Ramus. xxiv Rangouze II 243* Rantzau (maréchal de) II 285* Rasteau (Louis) lxxix Id. (Raoulin).. . . lxxvii, lxxviii* Raymond xlvii Regnaut (Pierre) cliii Regnault (Tanneguy) des Boisclairs. . . . xci* ; II 307 Retz (cardinal de) II 288 Retz (duc de) II 288 Richelet II 191 Richelieu (cardinal de) lxv : II 250, 282*, 285* Richelieu (duc de) II 245 Richer (Hardouin),7 greffier. . . . cxvn* Ricordeau, notaire, lv, lui*, lx, cxli, CXLII, CXLIII Ris-Mareuil (de) lxxxiii Rivière (chevalier de) lxxxi* Roberval 49 Robespierre vu Robida xvi ; II 314 Robineau, notaire cxxxiv Id. (Antoine) cliii Roboam II 265 Rooollet (P.), libr x Rohan (Mme de).. . . lxxi*, 2* ; II 263 Id. (Tancrède de)... lxxi ; II 291, 292*, 310 Rohault (Jacques). xlviii,xcix*, 1; II 263 Roman (J.) xvn, xix Rostand (Edmond) xv, cix, ex*, cxii, II 7 Rotrou lxxxiii, cv Rousseau (J.-J.) v, xiv*, xv*, 167 Roy (Emile) 115* Royer de Prades xxxiv, xlviii*, LXXIX*, LXXX*, LXXXII, LXXXIII, * lxxxiv, lxxxix, ci ; II 314 Ruffié (Jacques) LVII, CXXXVHI Ruzé d'Effiat(Cbarlotte-Marie), xxxvn Sacrobosco xxiv Sade (marquis de) 89 Saffrey, notaire cxxxix Saint-Amand le poète II 315 Saint-Amant (Pierre de), laboureur, exix Saint-Amour (de) II 171, 172 Saint-Basile xxiv Saint-Gbristofle II 303 Saint-Denis II 217 Saint-Denis (mademoiselle de). II 226 Saint-Denis (Pierre de). . lvii, cxxxix Saint-Etienne II 303 Saint-Gillea (de) xxxiv^ Saint-Hilaire (Geoffroy) 77 Saint-Ignace II 177 Saint-Jean, notaire, xxx, cxxxvn, cxli Saint-Jean-Baptiste II 303 Saint-Michel II 299 Saint-Paul 11260,272,277 Saint-Pierre II 299 Saint-Pierre d'Alcantara II 302, 303*, 304 Saint-Pavîn (de) v Saint-Simon lxxxviii Saint-Simon II 301* Sainte-Raine II 301 Salle, notaire cxxvm Salluste xxiv Samson 66 ; II 204 Sanguin (Denis). Voir S'-Pavin. Sarazin lxxxviii Sarron (H.) II 218 Saumur, joueur de paume II 243 Saxe-Weimar (duc de) II 241 Scaramouche. Voir Fiorilli (Tiberio). Scarron (Paul), lxvii, lxxxv*, lxxxvii, cv ; II 5, 155, 192*, 194*, 196, 279, 288*, 289 Scherm (Laurent) II, 308 Scipion 28 Scopart (Jacques) xxvi, lui*, lv, lvi*, etc. Scudéry (G. de) civ, cv ; II 182 Séguier (Louis)., lxvii, cxxxi ; II 156, 229*, 230*, 231* Séjanus xc Séjourné, libr II 306 Senaux (Marie de) xxxvn*, xci, xen*, cxxvn Sénèque 162* Sequeville. Voir Serqueville. Sercot, joueur de paume. II 243*, 296 Sercy (Gh. de), libr lxxxii, xc, xcvm*, xcix*, cm, civ, 85 ; II 99, 305*, 306*. 307*, 309*, 311*, 312*, 316*, etc. Serf xcvm; II 310 Serqueville (Marie de) xix, lui, CXV*, CLII, CLIII Serre (François de) cliii 332 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS CITES Serre (Jean de) xix*, un, cliii Id. (Jean-Baptiste de) xix, LUI Id. (Marie de) xix Servct (Michel) vu Servien 5 Sevin, avocat II 319 Sevin (Pierre) cliii Simonnet, exempt eux, clx Socrate xlix, 33,194; II 192, 212, 283 Sommaville (Antoine de),Hbr. xcvm*, xcix.*, en ; II 296, 306*, 307* Sorbière (Samuel) l Sorel (Ch.).. xlvh, l, c, 5,40, 43, 46, 49, 71*, 84*, 85*, 87, 142, 166, 192 ; II 5*, 15 Id. (Georges) xiv* Soyde (Estienne) ' cxxv Spencer 77 Spinosa v Stanton (H.-B.) II 7, 313 Suétone xxiv Suidas xxvii Tabourot (Estienne), sieur des Accords. XXIV Tacite II 249 Tailladet (de) xl Tallemant Des Réaux xxxi, xxxv, xlii, xc ; II 219, 244 Talon (Nicolas) x Talian II 267 Terence xiv Terrière (René), avocat cliii Tessereau (Abraham) xvn Texier (Anne) lxxviii Thaïes 34 Théophile. Voir Viau Thiersaut (Jehan) cxxvi* Thou (de) II 59 Thumery (Nicolas) cxxi, cxxiv Tibulle xcn Tirésias lxxiii ; II 219 Toldo (Pietro). . . 9, 19, 20, 23, 39, 55, 62, 71, 74, 85 Torricelli 49 Tristan L'Hermite. . . xxxvi, xxxvn*, XLVIII, LXVII, LXXX, LXXXII, LXXXIX, cm, 34*, 35*, 36, 102 ; II 93, 186 Trivelin II 166 Trithème (Jean) 34* Trotigny (le seigneur de) cxxni Tuault, avocat II 317 Turenne II 185*, 222 Turpin II 318 Tycho-Brahé 11 Urbain 34 V. (de) II 178 Vallée (le Père). Voir La Vallée. Id. (Geoffrov). . . . v*, vm*, xiv, 15, 94 ; II 212 Id. (Jacques). Voir Des Barreaux. Id. (Louis) cxxxiv Valliot (Mme), comédienne II 93 Valois (Adrien de) II 291, 292 Vanini (Lucilio). . . . xm, xiv, 167* Vassetz, notaire cxlvii Yassy, crieur lvii, cxxxvm Vaugelas cm Vaultier (F.), libr II 306 Veiras (Denis) d'Alais ix*, cv Verneuil (Jacques) ix Viau (Théophile de) v, vm, xm, xxvii*, l, 62, 167 Villiers (de), comédien II 93 Villiers (Pierre de), prêtre cxvn Villot (Jean), maitre de la musique du roi cliii Vincent de Paul (saint) II 285* Vinot, cuisinier II 243* Virgile II 192*, 194 Vitu (Aug.) 1194,314 Vives xxiv Vlaighels. Voir Wleughels. Voile, procureur cxxxv*, cxxxvn Voiture cm* Voltaire v, xix, 167 ; II 314 Yulson de La Colombière II 230 Wert (J. de) II 241 Wleughels (J. Ph.). xxvi*, clx, cxvn Zeddé (de) xxxiv Zoroastre II 209 TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES Le Pédant joué, comédie. Notice 5 Le Pédant joué a-t-il été représenté ? p. 6. — Le Pédant joué et Molière, p. 7. : — Le manuscrit de la Bibliothèque nationale, p. 8. Le Pédant joué, comédie, par M. de Cyrano Berge- rac (texte du ms. de la Bibl. nat. avec var. de 1654). . 9 La Mort d'Agrippine, tragédie. Notice 93 La Mort d'Agrippine, tragédie, par M. de Cyrano Bergerac 95 Epître dédicatoire, p. 97. — Privilège du Roy, p. 98. Les Lettres de Cyrano de Bergerac. Notice 155 Manuscrit de la Bibliothèque nationale, liste des lettres écar- tées, p. 156, — Avis du libraire relatif aux Lettres de l'édition originale en tête de La Mort d'Agrippine. 1654, p. 158. Lettres de Cyrano de Bergerac (texte du manuscrit de la Bibliothèque nationale, avec les variantes de 1654). 159 Lettres satyriques : Contre le Caresme, p. 161. — Contre une femme intéressée, p. 163. — Contre un médisant, p. 164. — Apothéose d'un ecclésiastique bouffon, p. 166. — Au Régent de la Rhétorique des Jésuites, p. 168. — Contre un Jésuite assassin et médisant (notice), p. 171 ; texte de la lettre, p. 176. — Lettre satirique contre le sieur du Tage, p. 178. — Contre le gras Mont- fleury (Zacharie-Jacob, dit), mauvais auteur, et comédien, p. 180. — Pour Soucidas (Dassoucy ), contre un partisan qui avoit refusé de lui prester de l'argent, p. 183. — -Satire contre Soucidas (Das- soucy), p. 184. — Contre Chapelle, brigand de pensées, p. 187. — A monsieur Chapelle pour le consoler sur l'éternité de son beau-père, p. 189. — Contre La Mothe (Le Vayer fils ?), brigand de pensées, p. 191. — Contre Scarron, poëte burlesque, p. 192. — A un Comte de bas-aloy (Charles Griveau, sieur de Luroy, p. 196. — Contre les médecins, 197. Lettres diverses. — L'Automne, p. 201. — Description de l'aqueduc, ou la fontaine d'Arcueil. A nos amis les buveurs d'eau, p. 203. — Eloge d'une rousse, p. 204. — Le Campagnard, p. 205. 334 TABLE GÉNÉRALE DES MATIERES Le Duelliste, p. 206. — Pour les Sorciers, p. 207. — Contre les Sorciers, p. 211. — A M. de Gerzan, sur son Triomphe des Femmes, p. 218. — Sur la guérison d'une maladie mortelle, p. 221. Sur le faux bruit qui courut de la mort de monsieur le Prince, p. 222. — Lettre d'amour, 224. — Effets amoureux d'une absence, p. 225. — Sur des bracelets de cheveux, p. 225. — Lettre d'amour à mademoiselle de Saint-Denis, p. 22G. — Regret d'un esloignement, p. 228. — Reproche à une cruelle, p. 229. — A monseigneur le Chancelier Séguier, sur les hommes illustres de la gallerie du Palais Cardinal, gravés par M. Heince, notice, p. 229 ; texte de cette épître dédicatoire, p. 231. Les Mazarinades de Cyrano de Bergerac, notice. . 233 I. Le Ministre d'Etat flambé, burlesque, p. 237. — IL Le Ga- zettier des-interessé,^. 248. — III. La Sybille moderne ou V Oracle des Temps, p. 260. — IV. Le Conseiller fidèle, p. 266. — V. Re- monstrances des trois Estais à la Reyne régente, pour la paix, p. 270: Remonstrance du Clergé à la Reyne régente, p. 270; Remonstrance de la Noblesse, p. 273 ; Remonstrance du Peuple, p. 276. — Lettre contre les Frondeurs, notice (p. 278), A Monsieur D. L. M. L. V. F. (de la Mothe Le Vayer fils), p. 280. Entretiens pointus 291 Notice, p. 291 ; Préface, p. 292 ; Entretiens pointus, p. 292. APPENDICE Le Sermon du curé de Colignac, attribué à Cyrano de Bergerac 296 Bibliographie des ouvrages de Cyrano de Bergerac. 305 Œuvres publiées jusqu'en 1800 :• Œuvres diverses : les Lettres, le Pédant joué, p. 305 ; — Les Lettres, les Estats et Empires de la Lune, le Pédant joué, p. 305 ; — Les Nouvelles Œuvres : les Estats et Empires du Soleil, etc., p. 306; — Œuvres diverses: les Lettres, le Pédant joué, les Estats et Empires de la Lune, la Mort d'Agrippine, p. 307 ; — Œuvres complètes sous le titre d' Œuvres diverses (à pagination continue), p. 307. Ouvrages et pièces publiées séparément : L'Autre Monde (Histoire comique de's Estats et Empires de TABLE GÉNÉRALE DES MATIERES 335 la Lune), p. 309; traductions ou adaptations anglaises, p. 310; — Mazarinades, p. 310. Théâtre : La Mort d' Agrippine , tragédie, p. 311 ; — Le Pé- dant joué, comédie, p. 311. XIXe et XXe siècles : Œuvres, Histoire comique, Le Pédant joué, Lettres d'amour, etc., p. 312. Manuscrits : Des Lettres et du Pédant joué ; de Y Autre Monde (Les Estats et Empires de la Lune), p. 313. Le Procès intenté par Charles de Sercy, libraire, à Antoine de Sommaville, libraire, pour sa contrefaçon des Œuvres diverses de Cyrano en 1661 316 (Arrêt de la Cour de Parlement, 30 novembre 1661, p. 316 ; — Extrait des Registres du Parlement, 9 août 1662, p. 317 ; — Extrait des Registres du Parlement, 27 juillet 1663, p. 318. Table des poésies de Cyrano de Bergerac 321 Table des préfaces de Cyrano aux ouvrages de ses amis 321 Table des poésies des amis de Cyrano (Henri Le Bret et Royer de Prades) 321 Table des noms cités 323 AUTRES OUVRAGES DU MEME AUTEUR P. Durand-Lapie et F. Lachèvre. — Deux homonymes du xvne siècle: François Maynard , président dAurillac, et François Ménard, avocat au Parlement de Toulouse. Etude bio-bibliographique. Paris, 1899, in-8. M. Charles Drouet et le problème des deux Maynard. Le Poème Le Philandre. Réponse par Frédéric Lachèvre. In-12 de 141 pp. Ribliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700 donnant : — 1° La description et le contenu des recueils ; — 2° Le premier vers des pièces de chaque auteur précédées d'une notice bio- bibliographique ; — 3° Une table générale des pièces anonymes avec l'in- dication du nom des auteurs de celles qui ont pu être attribuées ; — 4° La reproduction des pièces qui n'ont pas été relevées par les derniers éditeurs des poètes figurant dans les recueils collectifs ; — 5° Une table des noms cités, etc. Tiré à 350 exempl. numérotés, 4 vol. in-4° de lx et 2.371 pp. Souscription du Ministère de l'Instruction publique. — Prix Brunet de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Les Satires de Boileau, commentées par lui-même et publiées avec des notes. Reproduction du commentaire inédit de Pierre Le Verrier avec les corrections autographes de Despréaux. Paris, 1906, in-8, fac-similé. Tiré à 250 exempl. numérotés. Le Livre d'amour d'Estienne DuranU pour Marie de Fourcy, marquise d'Effiat. Méditations de E. D., réimprimées sur l'unique exemplaire connu, précédées de la vie du poète par Guillaume Colletet et d'une notice. Frontispice. — Tiré à 301 exempl. numérotés. Poètes et Goinffres du XVIIe siècle. La Chronique des Chapons et des Gelinottes du Mans, d'Etienne Martin de Pinchesne, publiée sur le manus- crit original de la Bibliothèque nationale. Fr. gr. In-8 de lxxi et 259 pp. Tiré à 301 exempl. numérotés. Voltaire mourant. Enquête faite en 1778 sur les circonstances de sa dernière maladie, publiée sur le manuscrit inédit et annotée, suivie de : Le Catéchisme des libertins du vxn* siècle, Les quatrains du Déiste ou V Anti-Bigot, A propos d'une lettre inédite de l'abbé D'Olivet, Voltaire et Des Barreaux. Portr. de Voltaire. In-8 de xm et 208 pp. Tiré à 501 exempl. numérotés. Le Livre d'amour d' Hercule de Lacger. Vers pour Iris (Henriette de Coligny, comtesse de La Suze), publiés sur le manuscrit original inédit, avec une notice. Portrait et fac-similé. In-12 de 141 pp. Achevé d'imprimer le 12 décembre 1921 par P. HARAMBAT, 5, rue Saulnier, à Paris. PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OD Cl ir»^ — UN ^S|g 3 s- 3 » — S 0 ^ i «hl H- PQ Cyrano de Bergerac, Savinien 1793 Les oeuvres libertines Al 1921 t. 2 &i